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Révolution française : ce que nous raconte la « chute de Robespierre »
Un article de Hervé Leuwers paru le 25 juillet in l’Humanité
vendredi 16 août 2024
Dès la fin de l’été 1794, le 9 thermidor (27 juillet 1794) est présenté comme la chute de Robespierre, de la même manière que la prise des Tuileries, le 10 août 1792, a été désignée comme la chute de la royauté.
Le mot chute, encore souvent reproduit sans guillemets, n’est pas anodin. Il rappelle les accusations de complot contre l’Assemblée, de « tyrannie » et de « despotisme » qui ont accompagné l’arrestation (9 thermidor), puis l’exécution (10 thermidor) de Robespierre.
Exécuté sur la place de la Révolution, comme Louis Capet
- Execution de Robespierre
Dans les semaines suivantes, les expressions « règne de Robespierre », ou « règne de la terreur » accentuent ce parallèle qui, le 10 thermidor, a été symbolisé par l’exceptionnel déplacement de la guillotine de la place du Trône-Renversé (place de la Nation) à la place de la Révolution (la Concorde) : Robespierre devait être exécuté, là où avait exécuté Louis Capet.
À la différence du 21 janvier 1793, ce n’est cependant pas un homme qui monte à l’échafaud, le 10 thermidor, mais vingt-deux. En début d’après-midi, ils sortent du palais de justice, embarquent sur trois charrettes, puis quittent l’île de la Cité pour leur destination finale.
Il y a parmi eux des responsables parisiens (le maire, Fleuriot-Lescot, le commandant général de la garde nationale, Hanriot, etc.) et les cinq députés Robespierre, Couthon, Saint-Just, Le Bas et le jeune frère de l’Incorruptible, Augustin Robespierre, qui ont tous demandé à partager son sort.
Robespierre condamné sans procès
Sous décret d’arrestation, le 9 thermidor, les cinq représentants se sont échappés et, réunis à la Maison commune (l’Hôtel de Ville), ont tenté d’organiser la résistance. Par réaction, usant d’un décret adopté contre les « ennemis de la Révolution » (mars 1793), la Convention a déclaré « hors de la loi » l’ensemble des députés et responsables municipaux « rebelles », autorisant ainsi leur envoi à la guillotine sur simple reconnaissance d’identité.
Aucun procès n’a été nécessaire. Après leur arrestation, les vingt-deux ont été conduits à la Conciergerie, puis présentés un à un aux juges du Tribunal révolutionnaire, qui se sont contentés de lire leur mise « hors de la loi »… L’affaire a ensuite été celle du bourreau.
Un homme accusé de presque tous les maux
De tous les exécutés, Robespierre a d’emblée été présenté comme le plus coupable : « Un seul homme a manqué de déchirer la patrie, a expliqué Barère, un seul individu a manqué d’allumer le feu de la guerre civile et de flétrir la liberté. »
À lire les débats d’Assemblée de la nuit du 9 au 10 thermidor, lorsque tout demeure incertain, mais aussi ceux des décades suivantes, c’est bien d’abord contre Robespierre que l’offensive est lancée. Et les accusations fusent…
Dès le dénouement du drame, Barère annonce la découverte d’un cachet à fleur de lys tout neuf à la Maison commune, ainsi qu’une tentative de libération des prisonniers du Temple dans la nuit… Très vite, la rumeur amplifie l’accusation.
Un bourgeois de Paris, Célestin Guittard, note sur son journal que Robespierre « voulait se reconnaître roi dans Lyon et dans d’autres départements et épouser la fille de Capet ».
Dans les jours suivants, Collot d’Herbois et Billaud-Varenne assurent que « les puissances étrangères étaient liguées avec Robespierre » : tyran et traître !
Barras l’accuse d’avoir puisé dans les caisses « pour l’entretien de ses nombreuses concubines » : tyran, traître et libertin ! Le nouveau Caton n’aurait été qu’un nouveau Cromwell, un nouveau Pisistrate, ou pis encore…
La fin de la terreur, vraiment ?
Les images suscitées par l’événement, cependant, demeurent contrastées. D’un côté, l’historiographie a longtemps assimilé la mort de Robespierre à « la fin de la Terreur » (avec une majuscule). Les choses ne sont pourtant pas si simples.
Si les prisons s’entrouvrent et si est annoncée la substitution de « la justice » à « la terreur », les députés n’abrogent que la loi du 22 prairial (10 juin), responsable d’une accélération des procédures devant le Tribunal révolutionnaire. Ils n’entendent pas encore renoncer à la justice d’exception ou à la loi des suspects.
C’est à partir de l’automne, et plus encore de l’hiver, que s’accentue le tournant politique. Le souvenir des dernières heures de Robespierre, pour autant, suscite des sentiments contraires.
Ainsi, comment interpréter ces œuvres qui, au XIXe siècle, ont représenté un Robespierre livide, meurtri et souffrant, la mâchoire brisée, étendu sur une table de l’antichambre du Comité de salut public au matin du 10 thermidor ?
Sous le pinceau de Lucien Mélingue, sous le burin du sculpteur Max Claudet, faut-il voir le supplice d’un tyran ou la passion d’un martyr ? Gageons que la réponse dépend d’abord du regard du spectateur…
Longtemps, et aujourd’hui encore, l’analyse des 9 et 10 thermidor dépend de l’interprétation que chacun peut avoir de l’action de Robespierre.
Hervé Leuwers
Professeur d’Histoire
Université de Lille
in l’Humanité du 25 juillet 2024 (avec l’aimable autorisation de l’auteur)
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