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Allende et Robespierre
un article d’un philosophe chilien : Francisco Torres.
mardi 12 septembre 2023
Nous publions avec plaisir et intérêt ici le texte que nous soumet notre ami chilien Francisco Torres .
Il s’agit d’interroger la culture qu’avait le Président Allende de la Révolution française et de tenter une analyse comparative (Voir Marc Bloch) entre la situation chilien au moment du gouvernement Allende et le déroulement de la Révolution française.
Il nous est apparu important de publier le point de vue de notre correspondant chilien au moment du cinquantenaire du coup d’État de Pinochet contre le gouvernement d’union populaire du Président Allende.
Nous devons sa traduction en français à Elise Voisin, membre de notre Conseil Scientifique. Qu’elle soit ici remerciée.
L’original est joint en fichier PDF
Dans une déclaration officielle à la presse faite après la mort d’Allende, (le coup d’État ayant été porté) Mitterrand indiquera aux médias :
« Allende acceptait les règles de la liberté telles que définies par les philosophes du XVIIIe siècle »
Par cette allocution, nous pouvons déduire qu’il y avait une notion de liberté en jeu via l’affiliation d’Allende avec certains philosophes français du XVIIIe siècle. Plus fondamentalement la où Robespierre lui poursuivrait une notion concrète de liberté, via la loi de la contre-révolution (loi où la liberté est la nécessité comprise) Allende lui n’en appliquera qu’une notion abstraite.
Pour comprendre cette association il est necessaire de comparer ou de faire se croiser ses deux personnalités de l’Histoire. Rencontre non improbable si l’on considère qu’il existe au Chili cet amalgame politique franco-espano-chilien qui est un front populaire (en théorie) et un front libéral girondin anti jacobin de facto.
Si au lieu de rester sur l’idée d’une fascination française pour Allende et d’un même desamour français vis à vis de Robespierre nous tentions au contraire de sortir de ce schéma en conjuguant les opposés - c’est-à-dire en reliant 1973 à 1793-et en considérant que nous nous trouvons face à un jacobin qui, au Chili, dans une telle fonction historique, n’existerait jamais (malgré ce que fantasmerait Vicuña Mackenna dans son œuvre Les Girondins chiliens).
La loi de la contre-révolution découverte par Robespierre (ou loi de la violence révolutionnaire ou encore de la dictature démocratique populaire), est remplacée avec Allende par une volonté qui cherche à contourner cette loi.
En effet, en contraste, si Robespierre apparaît comme la nécessité comprise de l’histoire, Allende apparaîtrait comme la négation de la nécessité et de la violence dans l’histoire.
Comprendre là ou commence l’insurrection de la bourgeoisie en 1973 commence, en parallèle, la dictature démocratique révolutionnaire en 1793
Allende à cet idéalisme qui cherche à échapper à la violence de l’histoire, avec une philosophie (de l’histoire) basée sur l’idée de l’État libéral, et où les processus sociaux ne se détiennent ni par la force ni par le corps. Allende a cette veine politique nourrie aux débuts de la révolution française, mais de la révolution française telle qu’elle a été éditée (réécrite) par les lettres libérales Girondines du XIXe siècle chilien.
Robespierre est l’Aufhebung de la révolution chilienne, ou la négation des coups de Juillet et Août 1973 : la leçon négative du blizzard du 29 juin, la conséquence qui n’a pas existé
Si Robespierre est un produit créé par la révolution qui, dans la jeunesse des processus revolutionnaires apréhende les lois comme un Adam, Allende lui est vertueusement fait du tissu d’un régime de 30 ans qui doit interpeller les masses comme exigence d’un appareil axiomatisé.
C’est pourquoi, si Allende s’appliquait avec une pratique et une théorie exceptionnelle et vertueuse [« Le Chili est aujourd’hui la première nation de la Terre appelée à former le deuxième modèle de transition vers la société socialiste »] Robespierre, en revanche, recevait de l’organisme de la révolution des aspects toujours nouveaux pour adapter l’universel à la pratique
Autrement dit, si Allende essaie d’ajuster la réalité à l’idée, Robespierre essaie de vérifier l’idée avec la réalité. Ainsi, quand il entra dans la révolution, Robespierre tarda à se détacher des illusions monarchiques mais pas assez pour pouvoir se déplacer, il passa de la pratique à la théorie.
Au lieu de cela, Allende lui pris trop de temps pour le faire, allant de la théorie à la pratique (ou du corps à l’idée)
Peut-être est-ce la raison pour laquelle, le 20 juin, Robespierre compris le rôle dialectique des masses dans l’historicité des institutions quand Allende voulait plutôt que les masses et le Parlement (aux côtés des FFAA) surmontent les événements du 29 juin avec une histoire des institutions.
C’est pourquoi, si Allende apparaît comme une exception, et en ce sens, comme une particularité abstraite qui monte de l’histoire à l’idée, Robespierre descend de l’idée à l’histoire comme universalité concrète de l’idée.
Ainsi, il n’est pas étonnant que, tout comme le corps peut sortir de l’histoire, dans la voie chilienne vers le socialisme, les forces armées peuvent le faire(1)
(1) Annotons un petit point. A propos de l’activité du corps pendant l’UP mise en évidence par le professeur Maria Angelica Illanes (cf. Quand nous avons fait l’histoire, Lom, 2005), ici, nous répétons une vision quelque peu différente : la voie chilienne au socialisme sa théorie au moins- est une tentative d’éloigner l’homme de la violence dans l’histoire, c’est-à-dire du corps dans l’histoire. Cela signifie que la théorie semblait aller à l’encontre de la pratique des masses et être même plutôt ce qui a permis la paralysie du corps des mois avant le coup d’état, sur la base d’un soi-disant parallélisme entre FFAA et le corps ou un idéalisme historique. La sublimation de la parole et des cigares, permettaient, en partie, de masquer subjectivement le gel du corps dans les mois précédents quand la révolution était « gelée » et nous assistions à une sorte d’étonnement d’hiver ou de terreur blanche.
Dans son parallèle, Allende a dit que le Chili était un pays où les FFAA avaient une tradition propre. Il a continué à le dire en plein coup d’État, même si le cours des événements niait le cours de l’idée, [en effet, Allende pliait la réalité, en séparant le corps de l’idéal, par exemple, quand le 11 septembre est présenté comme trophée au vrai directeur des carabiniers].
Le coup d’État et la répression montreront cependant le contraire : le corps lié à l’histoire, les FFAA et l’État comme machines de guerre. Ainsi, tandis que l’on tentait d’épurer la substance de l’histoire (ou son moteur), avec l’idée libérale de l’État et une histoire idéale, la fermeture des institutions et le bombardement purifiaient réellement l’idée libérale de l’État.
La loi de fer de la contre-révolution réapparaîtra lorsque les exécutions et les tortures rappelleront les paroles du jeune Saint Just sur le destin de ceux qui font les révolutions à moitié et qui de fait creusent leur propre tombe.
L’absence d’une terreur vertueuse dans la révolution chilienne n’a pas été remplacée par la présence du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) bien que le MIR, dans sa veine jacobine, parvienne à toucher la loi de Robespierre après le tanqueté du 29 juin et son mot d’ordre “Maintenant dictature populaire”, mais comme exigence qu’Allende ou l’allendisme en se réaliserait pas car cela impliquerait d’intervenir dans la division des pouvoirs axiomatisée par la voie Chilienne et d’ouvrir dans les faits une ligne de défense contre l’idée libérale de l’État.
« La vertu sans terreur est impuissante », disait Robespierre (ce qu’Allende savait lui même quand il a dit : « Ils ont la force, ils peuvent nous asservir ») mais qu’il ne pouvait pas accepter, car pour lui la vertu était la loyauté à l’idée, c’est-à-dire l’absence de violence dans l’histoire, tandis ce que pour Robespierre la vertu intègre son contraire, la violence dans l’histoire, ou la loi de la contre-révolution.
L’exigence de recourir à la terreur révolutionnaire a été soulevée par les masses populaires françaises comme mesure indispensable d’autodéfense, car il faut comprendre que dans la guillotine de 1793 se trouveraient aussi les pendus de 1758, et dans celle qui n’existait pas en 1973, toutes celles qui viendraient ensuite. C’est pourquoi si le pouvoir populaire en 1973 s’est castré, en 1793, c’est son apothéose.
L’absence d’initiative de masse ce 29 juin 1973 (disons « d’actions directes »), est quelque chose sur lequel on peut s’interroger : « Aucun groupe armé n’a défendu le Président », a noté Alan Touraine dans son journal le 29 juin (cf. Vie et mort du Chili populaire).
Il n’y avait pas de germe de village en armes. Ce vide était dû en grande partie à une conduite politique qui considérait - à l’époque- les actions de masse directes comme contre-révolutionnaires (Parti Communiste) - car elles allaient à l’encontre de la fidélité du Président à l’Idée ou au Programme. Le Parti Communiste (Non à la guerre civile) était cohérent avec le parallélisme entre FFAA (Forces armées chilienne) et corps, ou avec l’idéalisme historique de la via chilienne.
Mais le faux-semblant du mot d’ordre “Fermer le Congrès National” (précisément parce qu’il est le reflet de l’institution imaginaire dans l’extrême gauche) attire aussi l’attention tout comme l’absence d’action du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) et ce bien plus que la présence de Miguel Enríquez soutenant Allende ce jour-là.
Déjà après le Tanquetazo du 29 Juin 1973 et environ deux mois avant le Putsch, s’accéléraient les processus de dissimulation entre le corps et l’idée, ou la spirale d’idéalisation qui conduirait au coup d’état. Car la contre-révolution chilienne allait de l’idée au corps, ou du plan à l’affrontement (« insurrection ») : le fascisme organique qui s’est articulé entre Juillet-Août 1973 en est le constat flagrant. Allende au contraire allait du corps à l’idée, ou de la théorie à la pratique : il était “pour la démocratie et la révolution, contre la guerre civile” [21/05/73]. Ces trois termes impliquaient une clé pour forcer les portes tout comme une tactique pour effacer l’équation.
Quelques semaines avant la contre-révolution Robespierre affirmait que la Révolution était entrée en léthargie. Saint Just lui disait : « la révolution est gelée ».
Miguel Enríquez disait en revanche : « Nous n’assistons pas au crépuscule de la révolution... »
[16 juillet 1973] Il disait que nous assistions à l’échec du réformisme, et non à l’échec de la révolution, au moment où la révolution était gelée [= le « crépuscule de la révolution »].
« Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c’est-à-dire la force essentielle qui le soutient et le déplace ? C’est la vertu » (1794) dit Robespierre- et la vertu est l’âme d’une République, qui intègre à son contraire, la contre-révolution, ou la violence.
C’est pourquoi :
« Si la force du gouvernement populaire est, en temps de paix, la vertu, la force du gouvernement populaire en temps de révolution est, en même temps, la vertu et la terreur. La vertu, sans laquelle la terreur est une chose funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est rien d’autre que la justice expéditive, sévère et inflexible : elle est donc une émanation de la vertu. C’est beaucoup moins un principe contingent qu’une conséquence du principe général de la démocratie appliquée aux besoins les plus urgents de la patrie ».
D’où le régime d’urgence : « le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie », et se vérifie dans la tactique de la dictature démocratique. C’est pourquoi, pour Robespierre, il n’y a pas de gouvernement démocratique ou populaire sans contre-révolution, c’est-à-dire sans gouvernement de la révolution. La vertu doit avoir pour Robespierre -contrairement à ce qu’interprète Hegel en faisant allusion au caractère de faction du parti jacobin - substance historique -et contrairement au châtiment moral d’Allende- efficacité.
Pour Allende, la substance est l’État libéral, et il y a gouvernement populaire dès qu’il y a via pacifica à travers cette substance. La via chilienne, comme nous explique Galo onzalez dans son fameux Cours sur le Parti : « Seulement exclure la guerre civile » (sic !) et non d’autres affrontements : cette seule exclusion serait une grande différence.
C’est pourquoi la critique du caractère que fait Robespierre, comme négation de l’exclusion de la guerre civile, dont (à ce stade -février 1794) il ne voudrait pas, est la critique de la faiblesse face à la contre-révolution (ou la tempête), car :
« nous devons nous défendre, non pas tant des excès de vigueur que des excès de faiblesse. Peut-être le plus grand écueil que nous devons éviter n’est-il plus la ferveur du zèle, mais plutôt le relâchement dans l’action du bien et la peur de notre propre valeur ».
Allende, en revanche, ne semble pas avoir peur de l’objet (comme Robespierre ; ni de l’excès de zèle comme Frei et Aylwin) : car l’excès de vigueur d’Allende est donné par la force (ou la sécurité) de l’abstraction de l’idée : la loi du cœur. Il s’ensuit que si pour Robespierre la punition est toujours trop lente, car elle est réponse à la loi de la contre-révolution, et même si elle est anticipée, elle vient du sang… pour Allende au contraire la punition ne peut pas arriver à temps - que ce soit par des superstructures coagulées ou par l’impérialisme- et ne peut empecher de toucher le corps, de répandre le sang ou d’arreter un coup d’état. La punition d’Allende est ainsi morale, C’est une leçon non instructive qui se passe loin du corps et qui, devant le sang qu’il cherche à éviter mais qu’il n’évite pas, remplace le moyen de paiement de celui-ci par une identité de conscience. Ainsi pour Allende, la conscience détermine l’être et non la conscience (dixit le message du 11 septembre).
Au contraire, pour Robespierre « il faut avoir le sang froid pour entendre le récit des horreurs commises par les tyrans contre les défenseurs de la liberté » Et on ose appeler horrible carnage le châtiment -trop lent- de quelques monstres qui se sont engraissés du sang le plus pur de notre patrie !« »Combien il y a de tendresse pour les oppresseurs et combien d’inflexibilité pour les opprimés !" Puis arrive la question incisive : « Citoyens, voulez-vous une révolution sans révolution ? » Robespierre y répond si bien qu’il devient une figure de l’esprit de la révolution, en transitant dans la Zone sauvage de la politique, entre la Commune et la Convention.
A travers ces lignes Joan Garcés, permet de raprocher l’orration de Mitterrand sur le fait qu’Allende acceptait les « règles de la liberté ». Mais dans le sens ou celui-ci nous accule à une ligne franco-espagno-chilienne, c’est-à-dire d’un Front populaire en théorie, qui dans la pratique est un front mondial anti Robespierre. Les choses prennent ici une autre tournure, dans le cadre d’une nécessaire dénationalisation de la voie chilienne qu’il faudrait faire. Reconstituons l’argumentation de Garcés.
D’un texte éclairé de février 1972 (tiré de “L’État et les problèmes tactiques dans le gouvernement” de Salvador Allende), Garcés dira que l’État libéral bourgeois chilien incorpore dans son axiomatique institutionnelle Rousseau et Montesquieu :
« Montesquieu et Rousseau. incarnent l’équilibre des pouvoirs et la volonté générale. Ces doctrines représentent l’État chilien d’aujourd’hui qui puise sa racine formelle dans sa dimension tant normative qu’axiologique » ; « Aucun socialiste ne peut ignorer que l’histoire politique du Chili libéral-bourgeois - depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui- est marquée par l’empreinte politique idéologique de Montesquieu et Rousseau, contrairement à ce qui s’est passé dans de nombreux autres pays... ».
Ce qui nous intéresse dans cet argumentaire, c’est que cette structure concrète de combinaison et d’équilibre des pouvoirs protégerait hypothétiquement les forces populaires qui ont conquis l’exécutif. Ainsi, après avoir souligné que :
« La structure des pouvoirs ascendante à Montesquieu a permis aux travailleurs de neutraliser la tendance conservatrice que l’autre pouvoir politique de l’État, le Législatif, a dans sa corrélation interne de forces »
Il dit :
« Mais il ne fait aucun doute qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître à certains, la structure actuelle protège (dans sa rationalité interne) le Gouvernement populaire contre un éventuel Congrès défavorable après mars 1973 »
Garcés sur cette base (par rapport à la querelle entre les pouvoirs qui se profilait) dira que :
« Quand la mobilisation liée à la conscience de classe des masses a donné un contenu concret à la volonté générale, un Etat qui repose sur des principes libéraux peut maintenir sa dynamique interne -de domination- contre la bourgeoisie » (sic).
Si Robespierre apparaît plus proche de Rousseau, Allende lui se rapproche plus de Montesquieu. Dans un certain sens, Robespierrre semble plus proche d’une notion de la volonté générale de Rousseau, qui, d’un point de vue marxiste, s’impose sur le respect d’une division des pouvoirs rendue nécessaire.
Quelle notion de Montesquieu se retrouve dans la théorie de l’exception de la voie chilienne ? Pour Montesquieu, l’important n’était pas la séparation organique des fonctions de l’État mais la répartition du pouvoir entre les forces sociales existantes. Du point de vue du Montesquieu de Althusser (cf. Montesquieu. La politique et l’histoire, 1959), Garcés (ou Allende) naturaliserait la division des pouvoirs. Quand, en revanche, « la fameuse séparation des pouvoirs n’est que la répartition pondérée du pouvoir entre des puissances déterminées : le roi, la noblesse et le peuple ». Dans cette même ligne de critique se trouve Charles Eisenmann, qui avant Althusser montre que c’est la contamination des pouvoirs et non leur séparation axiomatisée qui se révèle, en affirmant que : « L’interprétation séparatiste défigure complètement la pensée de Montesquieu ». En ce sens, il y aurait, pour résumer au maximum, ce que nous pourrions appeler du Montesquieu de Althusser, une idéologie de la division des pouvoirs sur la voie chilienne, ou une axiomatisation. Allende est son représentant, et il incarne l’axiome.
Mais il ne s’agit pas que Robespierre en 1793 soit une sorte de socialiste comme veut nous faire croire l’infatigable travail de Mathiez. Robespierre pilotait sur un bloc de classes hétérogènes, qui empêchait sociologiquement une conception socialiste du sujet et de la révolution. De plus, dans la conscience de la contre-révolution et dans sa critique de la « révolution sans révolution » des Girondins, ainsi que dans sa tactique de dictature démocratique, il y a des éléments de dénonciation de ce que serait la comédie de la bourgeoisie et des révolutions de 1848. En revanche, Allende pilotait sur un bloc de classes homogène et il n’a pas trop étudié 1848. Concernant des ennemis clairement définis (l’impérialisme américain, les grands monopoles, la grande propriété foncière) une partie de la bourgeoisie nationale était exclue de la loi de la contre-révolution (3).
Si Robespierre, comme le disait Lénine, n’avait pas la base pour exécuter les décrets de Ventoso, Allende lui avait la base, mais pas l’idée de restreindre la situation en sa faveur. En suivant ce cheminement, si en 1973 commençait l’insurrection de la bourgeoisie en 1793 commençait la dictature démocratique révolutionnaire. Si en 1973 le pouvoir populaire s’est castré, en 1793, c’est son apothéose.
Tous les deux meurent à l’inverse, pour la contre révolution. Et par son élément, la guillotine, la monnaie, etc. Mais nous estimons qu’il y a un écart dans les intentions. Tous les deux meurent “avant”. Mais Robespierre parlait de la mort avec une certaine distance et même une certaine indifférence. Allende, en revanche en parlait souvent de manière solennelle. C’est-à-dire que la mort de Robespierre équivaut à un « Il n’y a pas de mort », dans la ligne de la matière éternelle et intelligente. La mort d’Allende, en revanche, équivaut à un « oui il y a la mort » comme preuve empirique de la loi de Robespierre- mais dans la lignée des parents transcendantaux.
(3) Il ne l’excluait pas du cycle de reproduction économique élargie, même si le boycott économique faisait échouer la théorie du calcul basée sur la coexistence pacifique des 3 Zones.
Robespierre, l’incorruptible, a-t-il renoncé à sa liberté en termes non dialectiques, s’offrant sans lutte ? Robespierre a été libéré dans l’après-midi du 9 Thermidor mais alors qu’ils venaient le chercher pendant la nuit, il n’a pas opposé de resistance. La situation aurait pu s’inverser plus tard, mais il a hésité (comme presque toujours) entre la Commune et la Convention, et s’est ainsi perdu à la dernière minute. Allende, en revanche, n’a pas hésité le 11 septembre, c’est-à-dire qu’il a résisté mais a attendu jusqu’à la dernière minute que les choses change, et il n’a pas appelé le peuple comme l’a fait Robespierre. L’état d’esprit de Robespierre au cours de ses dernières semaines de est frappant. Sa rigueur cède la place à une sorte de somnambulisme. Il disparaît de la Convention et se concentre sur le Club Jacobin. Robespierre ne dormait pas, il voyait et il entendait tout, mais il n’agissait pas. Buissart, l’ami de sa jeunesse, lui a écrit : « Le mois qui s’est écoulé depuis que je t’ai écrit, il m’a semblé que tu dormais, Maximilien, et tu permets que les patriotes soient assassinés ». Dans son discours du 9 juillet au Club des Jacobins Robespierre signalera :
« Si la tribune des Jacobins est silencieuse depuis un certain temps, ce n’est pas parce qu’ils n’ont plus rien à dire : le profond silence qui règne entre eux est l’effet d’un sommeil léthargique qui ne leur permet pas d’ouvrir les yeux sur le danger qui menace la patrie »
Quant à l’armée, la position de Robespierre fut méfiante et vigilante, dans la compréhension de la nécessité d’une synthèse politico militaire comme le dépassement de l’armée de l’ancien régime et sa régénération en temps de guerre : il était inflexible. Robespierre put ainsi, par conjoncture, s’imposer à plus d’une occasion, et il le fit, même si à la dernière minute il ne voulut pas s’y opposer. Allende lui ne put le faire à la dernière minute. A contrario il aurait cependant pu s’opposer à la force militaire plus d’une fois, sans jamais le faire voir même il a fait le contraire.
Allende ne touchera pas non plus au bonapartisme populaire après le 29 juin parce que l’« unité civique militaire » impliquait dans les faits d’armer le peuple et d’ouvrir une ligne de défense rompant avec l’idée libérale de l’État et lui faisant perdre son statut de bon girondin au profit du jacobinisme.
C’est peut-être l’étonnement d’un professeur d’Anthropologie de l’Université. du Chili qui écrit : « Je ne sais franchement pas comment Allende a pu se maintenir jusqu’à aujourd’hui » dans une lettre envoyée à Quebracho (22/08/73) qui expliquerait l’hypothèse de Garcés, dans la mesure où ce serait le bloc institutionnel d’ascendance à Montesquieu qui donnerait un survivant au gouvernement d’Allende.
Ainsi, en Juillet 1973 essayait-on de représenter l’impasse des institutions qui protégeraient hypothétiquement l’exécutif en disant du gouvernement qu’il n’y aurait au Chili « ni dictature militaire ni dictature du prolétariat » (12/07/73). Dans ce cas, les idées de Garcés se refléteraient effectivement, non pas dans l’action, mais dans une paralysie de l’action, non dans une représentation mais dans quelque chose d’irréprésentable. C’est la négation, alors, de la loi de la contre-révolution découverte par Robespierre qui met en évidence une philosophie de l’histoire dans la voie chilienne. Ou comment la pratique du gouvernement durant ses deux derniers mois met en évidence ce charme irrésistible de la voie qui éloigne l’homme de l’histoire, c’est-à-dire de la violence dans l’histoire.
En termes de force et de volume, c’est en partie parce que la couche libérale-girondine de l’UP (Unité Populaire) qui conduisait le processus a résisté, tout comme le Front populaire, contre toute offensive autonome sur l’axiomatisation des pouvoirs de l’État libéral qui ouvrirait grand la porte au thermidor chilien-américain.
Aussi en raison d’une certaine extension de l’institution imaginaire de l’Etat dans les organismes populaires et l’extrême gauche, qui empêchait d’agir pour son propre compte lorsque la légalité n’existait plus (expression politique d’allendisme, que nous pouvons trouver dans les mots de Carlos Altamirano avec Gabriel Salazar).
Le 22 août 1973, celui qui via « digression généalogique » se présente comme descendant de « l’auteur de la Captivité Heureuse, de Juan Jufre et de Francisco de Aguirre », écrit à Liborio Justo, en lui disant que c’est à propos de Pampas et Lances, qu’il occupait une chaire au Département d’anthropologie de l’Université du Chili à l’époque, qu’il avait eu des nouvelles de l’auteur qui l’incitait à lui écrire une lettre ou un rapport sur la situation chilienne : « Je suis d’une famille de militaires chiliens.... J’ai eu aussi quelques frères aînés, cousins et oncles marins », “depuis mon enfance, j’ai été un homme de gauche et c’est pourquoi j’ai rompu très tôt avec les béatitudes de ma famille".
La lettre du professeur devient un bref rapport entaché de la « situation très grave » du pays. Elle arrive à destination après le Putsch de façon à ne pas arriver en portant un pathos.
L. Just qualifie son contenu comme l’éclaircissement d’une défaite. (Ainsi mourut-il au Chili. 1974-1975) :
"Cette lettre angoissante et pathétique, adressée à l’adresse postale mentionnée dans le livre , écrite par un professeur de l’Université du Chili, inconnu du destinataire, et dont les termes ne seront pas analysés, montre l’humeur déprimante dans laquelle la gauche chilienne se débattait trois semaines avant le coup d’État final des forces armées. Le fait que cette même lettre ait attérie dans mes mains après le coup d’état, a accru l’impact énorme de la situation et à été le motif, si ce n’est le moteur qui m’a poussé à écrire ce livre”.
La extensión de la institución imaginaria del Estado en la izquierda fue un problema real -lo es : hasta el día de hoy. Otro momento de la carta del profesor de la Universidad de Chile a Liborio Justo, puede mostrarlo cuando dice :
L’extension de l’institution imaginaire de l’État à gauche a été un vrai problème, jusqu’à aujourd’hui. Un autre moment de la lettre du professeur de l’Université du Chili à L.Justo, l’exprime clairement quand il dit :
« Le peuple est très organisé, plus organisé que n’importe qui peut l’imaginer, mais l’armée reste une organisation hiérarchique... ».
Cette imprécision, semble conduire dans les limites de ce que l’on pourrait imaginer, à ne pouvoir penser qu’à la position de l’ennemi.
Les « rayons du peuple » de Robespierre diffèrent des « concentrations de masse » d’Allende. Car ils marquent un avant et un après. Avec Allende, les masses gagnent et perdent leur autonomie, elles ne répètent pas tout à fait le même schéma mais se soumettent à l’idée de l’État libéral. Les rayons de masse de Robespierre, en revanche, sont plus que des journées jacobines contre le fascisme qui n’ont jamais existées au Chili, - ou la modulation impossible entre les appareils étatiques et les organismes de masse ou entre la Convention et la Commune : ce sont des moyens de sortir des contradictions fondamentales par le biais d’une zone politique sauvage, ou la vertu serait l’équilibre.
Maintenant, nous savons que la période que la bourgeoisie elle-même a niée dans le cadre de son histoire révolutionnaire de juin 1793 à juillet 1794, au Chili, le jugement esthétique de Mme Cousiño, en acquérant – n’est rien de plus et rien de moins- que le 9 Thermidor de Monvoisin pour le Palais Cousiño, qui se trouvait à l’époque, à côté d’une autre peinture française appelée (précisément !) Charlotte Corday après avoir tué Marat.
Traduction de Elise Voisin
Pour en savoir plus sur le coup d’État du 11 septembre 1973 ,consulter ce lien.