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Jean-Antoine Rossignol : un général sans-culotte

Un article d’Adrien Belanger

mardi 22 avril 2025

Il s’appelait Jean Antoine Rossignol, c’était un révolté singulier. Les évènements si prodigieux du moment, allaient faire de ce petit ouvrier orfèvre, épris de liberté, un milicien des sections de Paris puis un militaire courageux. Mais il a été mis de côté, presque oublié, sauf par certains contre-révolutionnaires pour lui faire supporter, à l’image d’autres, une légende noire. Alors, pourquoi tant de critiques négatives et souvent infondées, ces dernières étant toujours composées d’hommes pourris du panier républicain. Oui, bien sûr, l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, mais tout de même ! Car, être un républicain, c’est aussi vénérer la Révolution.

Rossignol : Infanterie : Grade Général de division

Cet homme voit le jour en l’an 1759 à Paris, faubourg Saint-Antoine non loin de la Bastille. Il est le petit dernier d’une fratrie de cinq enfants qu’élève une Parisienne ayant épousé un Bourguignon venu dans la capitale pour y gagner sa vie. Son père l’aime beaucoup, il lui donne l’exemplarité de l’ouvrier voulant toujours faire plus pour ses proches ; quant à sa mère, elle n’est pas du genre à câliner ses enfants et encore bien moins Jean, son sauvageon qui passent beaucoup de temps place Royale (actuellement place des Vosges), un endroit très peu favorable pour l’éducation des jeunes. Il pense toujours être incompris, ses désaccords finissent souvent en bagarre, ce qui le désespère d’autant qu’il en sort fréquemment avec des blessures. C’est déjà et aussi un meneur, et de fait, il est connu comme le loup blanc à Saint-Antoine, là où même les adultes des lieux sont des frondeurs. Le gamin est de taille raisonnable et d’un aspect physique très correct. Il a une jolie voix mais son patronyme et son envie de liberté feront qu’il s’écartera vite du chant. Il fréquente deux écoles et il suit quelques cours chez un maître en écriture. Quand son père meurt, la tristesse l’envahit et il se doit alors de chercher un travail. Il devient un bien jeune apprenti en orfèvrerie, bien qu’au demeurant, il ne soit pas mécontent de quitter la maison familiale.

En 1773, à quatorze ans, il part pour Bordeaux dans l’espoir de partir en outremer chez un oncle mais personne ne veut l’embarquer. Alors, l’ouvrier qu’il est devenu, prend du travail très mal payé chez de braves orfèvres de la ville, puis à La Rochelle et encore à Niort où il ne reste que peu de temps. Pourtant, pour la première fois, il est employé par un maître, presqu’un père.

Et, c’est nouveau, il se sent respecté puisqu’il mange à la table du patron. Mais quelques mois hors de Paris ont suffi pour qu’il revienne à Saint-Antoine ! Il trouve vite du travail mais, finalement, à seize ans, il décide de s’engager dans le Royal-Roussillon, ce sera sous le surnom de « Francœur ». Sa réputation de batailleur est rapidement établie, il ne faut pas le provoquer et de fait, il sera souvent puni par ses supérieurs. Après une permission, il devient maître d’armes. Son temps de militaire prenant fin, il reprend son métier, en partie hors de Paris jusqu’en 1789. Il a vingt-cinq ans et il est toujours révolté, il se bat beaucoup, et parfois avec arme. Ses blessures sont conséquentes, voire handicapantes. Et bien sûr, il se noie dans les chefs partisans de l’appel au peuple. Pour lui, un peuple en armes et invincible. Le bouleversement politique s’annonce !

Le 14 Juillet, Rossignol est l’un émeutiers de la prise de la Bastille. Il est même l’un des premiers attaquants à prendre le haut de la Bastille, son courage n’a pas d’égal ! Il est nommé dans les « Vainqueurs de la Bastille ». Alors, il s’engage en tant que fusilier de la Garde nationale de Paris (une milice citoyenne qui succède à l’ancienne Garde nationale), dans la section des Quinze-Vingts, tout en restant un militant dynamique…

À Paris, les femmes réclament du pain, et elles se dirigent sur Versailles pour voir « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » soit le roi et sa famille. La Fayette (qui passera peu après à l’ennemi), les ayant, à contre cœur, accompagnées les empêche d’entrer dans le palais, en vain. Après un recul sous le feu meurtrier des gardes, c’est encore Rossignol (des Quinze-Vingts) et son ami Santerre (Section des Enfants trouvés), entre autres sections, qui sont là pour mener une nouvelle attaque… efficace, cette fois ! Le roi est ramené aux Tuileries. Puis, notre homme est nommé sergent quand, par ailleurs, il participe à la rédaction du « Journal des Hommes du 14 juillet ».

Nommé membre de la Commune insurrectionnelle, il entre au Conseil général et au premier Comité de surveillance. Il continue à faire fabriquer des armes en vue d’une deuxième grande action car les ennemis de l’extérieur entrent en France. Le roi conspire, des nobles émigrent. Il estime que le peuple ne peut plus se fier qu’à deux hommes : Marat et Robespierre (surnommé l’incorruptible).

Et le 10 août 1792, l’insurrection est déclenchée, ce serait même lui qui aurait fait le coup de feu contre le commandant de la garde afin d’en accélérer l’amalgame des soldats aux insurgés puisqu’il sait trop bien que se sont les militaires de l’Ancien Régime, des nobles, qui commandent encore l’armée.

Fin août 1792, il est capitaine et dès 1793, il est élu par ses pairs lieutenant-colonel et tout aussi vite nommé général de brigade et plus, général de la « 35e Division de Gendarmerie et Vainqueurs de la Bastille » (assemblage de militaires Gardes-françaises, et de miliciens des sections de Paris, souvent des Vainqueurs de la Bastille) forte de 800 hommes que le premier « général Sans-culotte », traite en camarades !

Et ce ne sera pas son seul surnom, puisqu’on le connaitra comme étant « l’enfant chéri de la Révolution », « le fils aîné du Comité de salut public », ou encore « le fils de la Patrie »… rien que cela !

Avec sa troupe, il part dans cette Vendée qui s’est soulevée contre la République. Il y est nommé adjudant-général et rapidement général de brigade, puis, de division. Mais il y subira les foudres et accusations diverses sur sa prétendue incompétence stratégique. Bien sûr, il n’a jamais fait d’école militaire, mais il faut comprendre que ses opposants sont des nobles mais aussi de mauvais républicains qui méprisent sans cesse ses ordres. Toutefois, ils seront finalement découverts et jugés.

Citoyen désintéressé, défendu par Danton puis par Hébert et Robespierre, il finit par recevoir les honneurs de la Convention. Et, ce qui est oublié, il deviendra général en chef de trois armées, le grade maximum en République, les titres ayant été abolis…

Puis, perdant ses appuis, et accusé de faits qu’il n’a pourtant point connu telles que les « colonnes infernales », il est destitué et emprisonné après Thermidor, la chute de Robespierre et de ses amis. Libéré par la loi d’amnistie, il reste encore très impliqué dans la révolte contre les destructeurs de la République dont la trop visible venue d’un nouveau tyran, et notamment dans la conjuration des Égaux de Gracchus (le premier socialiste, voire communiste au sens propre du terme). Il s’en sort encore et étant disculpé, il est réintégré dans l’armée durant le Directoire.

Toutefois, son militantisme républicain au sein de son cher faubourg Saint-Antoine reste sans faille, il est épié. En 1798, il est donc réformé et banni de Paris !

Alors, après le coup-d’État de Bonaparte (novembre 1799), que Rossignol voyait venir et après l’attentat royaliste de la rue Saint-Nicaise (décembre 1800), le futur César fait porter le chapeau aux derniers vrais jacobins qu’il condamne à la déportation et il fait ajouter à la liste qui lui est présenté par Talleyrand, le nom de Rossignol tout en murmurant lors de la signature : « il chantera bien moins le Rossignol ! ».

Parmi ces braves citoyens déportés (38 et 32 respectivement dans deux bateaux et pour 89 jours de traversée dans des conditions indignes et innommables jusqu’aux Seychelles) ils partent en 1801 pour « la guillotine sèche » (épidémies mortelles, fièvres).

Puis, une fois débarqué, Rossignol, toujours fidèle à ses idées, reprend des actions de liberté et de citoyenneté en faveur des esclaves. Il est alors et de nouveau déporté aux Comores, à Anjouan, où il mourra de fièvres, en 1802, tout comme ses condisciples du même bateau… sauf un ! Le nommé Lefranc (ancien architecte, de retour en France après un extraordinaire et long voyage !), qui dira :« Fallait-t-il agir avec vigueur ? Rossignol était le premier. Fallait-il souffrir ? Il donnait l’exemple d’une âme stoïque ».

À Saint-Antoine, quand l’annonce de la mort de Rossignol arrive, personne n’y croit. Sans doute est-il plutôt en train de lutter pour établir une république universelle dans des lieux éloignés. Pourtant, cet homme maintes fois blessé et souvent très gravement, affaibli et usé, trop souvent fait prisonnier, privé d’air et de lumière, était un courageux et indomptable. Il s’était même permis de dire à son supérieur, un noble : « aussi brave que moi, peut-être, mais davantage, je vous mets en défie ! ».

Chateaubriand lui fera prononcer ces dernières paroles : « je meurs accablé des plus horribles douleurs ; mais je mourrais content si je pouvais apprendre que le tyran de ma patrie endurât les mêmes souffrances ». Ironie de l’histoire, son bourreau dira dans ses mémoires que les options soumises par Rossignol en Vendée auraient été les bonnes ! N’étant pas très militairement instruit, il aurait dû être aidé au lieu d’être contrarié !"

Jean Rossignol, ce citoyen simple, ce passionné de liberté, n’a jamais douté, jamais fléchi, jamais transigé. Il est resté fidèle à son, si rebelle, faubourg Saint-Antoine. On lui doit le respect. Et pourtant, çà et là dans des articles de presse ou certaines éditions ce n’est pas le cas. Cependant, la vérité triomphe toujours du mensonge, il en sera ainsi pour Rossignol, comme pour Robespierre. Nonobstant, à mon sens, cela met trop de temps. Sans ces deux personnages, le premier étant le forgeron principal des règles républicaines et l’autre qui incarnait le bras armé de l’Incorruptible, il n’y aurait pas eu de Révolution.

Voilà pourquoi cet homme, soi-disant illettré, et dont la signature est une œuvre d’art, qui a écrit ses mémoires, chose rare pour un ancien ouvrier de l’Ancien Régime, m’a semblé être digne d’intérêt. Il mériterait une plus grande reconnaissance… car y a toute la Révolution dans ce personnage touchant et atypique.

Adrien Bélanger, membre de l’ARBR, est l’auteur de « Rossignol : Un Plébéien dans la tourmente révolutionnaire » aujourd’hui ouvrage épuisé.