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Haro sur les Jacobins

Essai sur un mythe politique français 18e-21e siècle

lundi 10 février 2025

En guise d’introduction,une petite vidéo

Et pour ses procurer l’ouvrage : dans la librairie de votre choix.

C’est aux PUF
Nombre de Pages 240
EAN : 9782130835936
Numéro d’édition 1
Format : 13.5 x 21.5 cm

Introduction à l’ouvrage de Côme SIMIEN & Guillaume ROUBAUD-QUASHIE
HARO SUR LES JACOBINS
AUJOURD’HUI

Et vous, à quoi pensez-vous quand vous entendez les mots « Jacobins », « jacobinisme » ? Ces termes reviennent toujours, dans la bouche ou sous la plume des commentateurs de l’actualité, des hommes et des femmes politiques, des journalistes, et de nous toutes et tous aussi – les citoyennes et les citoyens. Alors, redemandons : à quoi pensez-vous quand vous entendez, où quand vous dites ces termes-là, un peu usés d’avoir trop servi : Jacobins, jacobinisme ? À la centralisation, à l’État qui contraint et oppresse, au dynamisme régional empêché, au refus des corps intermédiaires, à la Révolution, mais par son pendant le plus violent, à la guillotine, à Robespierre, aux périls liberticides de l’utopie égalitariste ? Mais peut-être que votre France répond toujours « du nom de Robespierre [1] ».

Alors, dans ce cas, les Jacobins vous évoqueront plutôt les grandes heures de la République, ses combats fondateurs et émancipateurs, l’incorruptible vertu de révolutionnaires ardents déterminés à faire triompher une République démocratique et sociale.

Depuis la fin du XVIIIᵉ siècle, par-delà la connaissance érudite qu’on pouvait avoir ou non de leur action et de leur pensée, les Jacobins n’ont cessé de hanter les cultures politiques françaises, appelées pour une part à se construire avec ou contre ces révolutionnaires – ou du moins avec ou contre l’image que l’on s’en faisait.

À ce titre, les « Jacobins », comme objet d’étude, appartiennent à l’espèce des « territoires surchargés de sens et de traces », comme la Révolution française nous en a tant légués – pensez à la « Terreur ». On, il nous semble, avec d’autres, que l’une des fonctions de l’historien est précisément, face à ces « territoires », d’en démonter les mécanismes comme on démine des espaces longtemps occupés par des combattants [2] ». Alors, nous nous sommes lancés. Nous avons rouvert l’épais dossier Jacobins-jacobinisme. Le rouvrir c’était, pour commencer, le dépoussiérer. Dépoussiérer les mots et leurs usages, rétablir leur signification historique, gratter la couche sédimentée de nos idées reçues (deux siècles d’idées reçues), pour accéder au socle du passé. Nous l’avons fait parce que le moment semblait venu. Depuis le bicentenaire de la Révolution française, de nombreuses recherches ont renouvelé les connaissances des historiens autour d’un sujet vieux comme la démocratie française [3]. Nous l’avons fait, aussi, car il nous a semblé que cela pouvait informer notre présent, notre République et nos débats politiques.

Loin de nous l’idée de reprocher à qui que ce soit un usage erroné des Jacobins et du jacobinisme. Après tout, avouons-le, nous avons nous-mêmes souvent utilisé ces mots à tort et à travers, pensant très bien savoir de quoi il retournait. Fausses évidences. Mais comment faire autrement ? Vouloir changer les choses une bonne fois pour toutes serait présomptueux. On ne se bat pas à armes égales contre l’imaginaire collectif. Quoi que l’on écrive, ici, nous savons que tout ou presque continuera comme avant, que l’on s’invectivera encore à grands coups d’anathèmes jacobins, que l’on pensera donner une profondeur savante à ses analyses en les agrémentant de l’épithète jacobine. Changer un peu les choses, c’est-à-dire, pour commencer, donner conscience de l’histoire qui se cache derrière ces catégories, de leurs origines, de leurs cheminements, des combats qu’elles ont nourris, et défaire au passage quelques mythes, serait déjà bien assez pour ce travail.

Que furent les Jacobins ? Et que ne furent-ils pas ? à quoi servirent-ils ?

Comment ont-ils été utilisés, brandis comme drapeau ou comme épouvantail ? N’y a-t-il pas, dans la vision que nous avons d’eux, quelque chose qui engage notre rapport et, avant le nôtre, celui des hommes et des femmes du passé au changement politique, économique et social, au principe révolutionnaire, à la manière de regarder ses concitoyens et l’avenir ?

Puisque l’on oppose toujours les Jacobins aux Girondins, que s’est-il joué, d’hier à aujourd’hui, dans cet affrontement si typiquement français ?

Faites une recherche en ligne : tapez « Jacobins sur votre clavier. Quelles sont les requêtes associées, celles que nos contemporains font en même temps que nous ? « Quel est le contraire des Jacobins », « Jacobins définition », « Jacobin et girondins différence », « Montagnards et Jacobins différences », « Jacobins et Girondins aujourd’hui », « les Jacobins et les Girondins », « Synonymes de Jacobin », « Jacobins-Girondins gauche-droite ».… Manifestement, nous ne sommes pas les seuls à nous poser des questions et à chercher un semblant de réponse.

Voilà donc que derrière nos certitudes surgit l’ombre du doute. C’est heureux, puisque c’est la condition du savoir, et que cette incertitude-là fait sens. Elle désigne moins notre ignorance collective que le caractère mal assis de ces catégories politiques d’un autre temps. D’autres indices le suggèrent : même des livres d’histoire parmi les plus sérieux, utilisent à l’occasion le terme de « jacobinisme » tout en indiquant à leurs lecteurs son inadaptation, son défaut de précision [4]. Autrement dit : il y avait matière à réflexion, au prix d’une plongée dans deux siècles de conflits politiques. Car le « problème » jacobin naît pour ainsi dire en même temps que la vie parlementaire française.

Suivant la chronologie des choses, ce qui est peut-être sinon la meilleure façon de faire de l’histoire, du moins Le moins mauvais moyen de rendre sensible ce qui bouge, ce qui change et ce qui se déplace, nous sommes repartis de la veille de 1789 — ou de la préhistoire des Jacobins.

Après un arrêt conséquent sur le moment révolutionnaire – puisque c’est ici que l’accouchement jacobin se fit -, nous avons suivi le fil du temps jusqu’à nos jours. Bientôt, peut-être – nous le souhaitons du moins – d’autres travaux viendront, qui reprendront le dossier, le feront aller plus loin, portés par d’autres préoccupations. Ainsi va l’histoire – et, au-delà, ainsi vont les hommes et les femmes : avec les questions de leur temps.

Celles d’aujourd’hui nous ont menés à ce livre. Puisse-t-il modestement contribuer à l’histoire politique, celle de la démocratie, de la gauche et de la droite, de la République.

Les auteurs :

Guillaume Roubaud-Quashie est chercheur associé au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (université Paris 1 Pan-théon-Sorbonne/CNRS). Spécialiste des politisations populaires, il a notamment dirigé Cent ans de parti communiste français (Cherche-Midi, 2020).

Côme Simien est maître de conférences en histoire moderne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Institut d’histoire moderne et contempo-raine). Spécialiste de la Révolution française, il a notamment publié Le Maître du village au temps des Lumières et de la Révolution (CTHS, 2023) et co-dirigé L’Amitié en Révolution (PUR, 2024).


[1Jean Fermat, « Ma France », Ma France, Barclay, 1969.

[2Jeun-Clément Martin, La Machine à fantasmes. Relire l’histoire de la Révolution française, Paris, Vendémiaire, 2012, p. 5

[3Voir notamment Michel Vovelle, Les Jacobins, de Robespierre à Chevènement, La Découverte, 1997.

[4Olivier Grenouilleau, Nos petites patries. Identités régionales et État central en France, Paris, Gallimard, 2019 ; Pierre Rosanvallon, Le Modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme, de 1789 à nos jours, Paris, Seuil,