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Discours de Robespierre sur les fêtes nationales
samedi 3 décembre 2022
Pour les révolutionnaires français, dont Robespierre, l’éducation civique ne se limitait pas à l’instruction publique ni aux enfants. Pour toucher le peuple tout entier, rien ne valait la fête. C’est donc pour fonder la République sur des bases solides que la Convention adopta le 18 floréal an II - 7 mai 1794, sur le rapport de Robespierre, toute une série de fêtes nationales, dont le plus célèbre est la fête de l’Être suprême.
« Il est cependant une sorte d’institution qui doit être considérée comme une partie essentielle de l’éducation publique, et qui appartient nécessairement au sujet de ce rapport. Je veux parler des fêtes nationales.
Rassemblez les hommes, vous les rendrez meilleurs ; car les hommes rassemblés chercheront à se plaire, et ils ne pourront se plaire que par les choses qui les rendent estimables. Donnez à leur réunion un grand motif moral et politique, et l’amour des choses honnêtes entrera avec le plaisir dans tous les cœurs ; car les hommes ne se voient pas sans plaisir.
L’homme est le plus grand objet qui soit dans la nature ; et le plus magnifique de tous les spectacles, c’est celui d’un grand peuple assemblé. On ne parle jamais sans enthousiasme des fêtes nationales de la Grèce : cependant elles n’avoient guères pour objet que des jeux où brilloient la force du corps, l’adresse, ou tout au plus le talent des poëtes et des orateurs. Mais la Grèce étoit là ; on voyoit un spectacle plus grand que les jeux, c’étoit les spectateurs eux-mêmes ; c’étoit le peuple vainqueur de l’Asie, que les vertus républicaines avoient élevé quelquefois au-dessus de l’humanité ; on voyoit les grands hommes qui avoient sauvé et illustré la patrie : les pères montroient à leurs fils Miltiade, Aristide, Epaminondas, Timoléon, dont la seule présence étoit une leçon vivante de magnanimité, de justice et de patriotisme.
Combien il seroit facile au peuple français de donner à ses assemblées un objet plus étendu et un plus grand caractère ! un systême de fêtes nationales bien entendu, seroit à la fois le plus doux lien de fraternité et le plus puissant moyen de régénération.
Ayez des fêtes générales et plus solemnelles pour toute la République ; ayez des fêtes particulières et pour chaque lieux, qui soient des jours de repos, et qui remplacent ce que les circonstances ont détruit.
Que toutes tendent à réveiller les sentimens généreux qui font le charme et l’ornement de la vie humaine, l’enthousiasme de la liberté, l’amour de la patrie, le respect des lois. Que la mémoire des tyrans et des traîtres y soit vouée à l’exécration ; que celle des héros de la liberté et des bienfaiteurs de l’humanité y reçoive le juste tribut de la reconnoissance publique ; qu’elles puisent leur intérêt et leurs noms même dans les événemens immortels de notre révolution et dans les objets les plus sacrés et les plus chers au cœur de l’homme ; qu’elles soient embellies et distinguées par les emblêmes analogues à leur objet particulier. Invitons à nos fêtes et la nature et toutes les vertus ; que toutes soient célébrées sous les auspices de l’Être suprême ; qu’elles lui soient consacrées ; qu’elles s’ouvrent et qu’elles finissent par un hommage à sa puissance et à sa bonté.
Tu donneras ton nom sacré à l’une de nos plus belles fêtes, ô toi, fille de la Nature ! mère du bonheur et de la gloire ! toi seule légitime souveraine du monde, détrônée par le crime ; toi à qui le peuple français a rendu ton empire, et qui lui donnes en échange une patrie et des mœurs, auguste Liberté ! tu partageras nos sacrifices avec ta compagne immortelle, la douce et sainte Égalité. Nous fêterons l’Humanité ; l’Humanité, avilie et foulée aux pieds par les ennemis de la République française. Ce sera un beau jour, que celui où nous célébrerons la fête du genre humain ; c’est le banquet fraternel et sacré où, du sein de la victoire, le peuple français invitera la famille immense dont seul il défend l’honneur et les imprescriptibles droits. Nous célébrerons aussi tous les grands hommes, de quelque temps et de quelque pays que ce soit, qui ont affranchi leur patrie du joug des tyrans, et qui ont fondé la liberté par de sages lois. […]
Toutes les vertus se disputent le droit de présider à nos fêtes. Instituons la fête de la Gloire, non celle qui ravage et opprime le monde, mais de celle qui l’affranchit, qui l’éclaire et qui le console ; de celle qui, après la Patrie, est la première idole des cœurs généreux ; instituons une fête plus touchante : la fête du Malheur. Les esclaves adorent la fortune et le pouvoir : nous, honorons le malheur, le malheur que l’humanité ne peut entièrement bannir de la terre, mais qu’elle console et soulage avec respect. Tu obtiendras aussi cet hommage, ô toi, qui jadis unissois les héros et les sages ! toi qui multiplies les forces des amis de la patrie, et dont les méchans, liés par le crime, ne connurent jamais que le simulacre imposteur ; divine Amitié, tu retrouveras chez les Français républicains ta puissance et tes autels.
Pourquoi ne rendrions-nous pas le même honneur au pudique et généreux amour, à la foi conjugale, à la tendresse paternelle, à la piété filiale ? Nos fêtes, sans doute, ne seront ni sans intérêt, ni sans éclat. […]
Asseyez-vous donc tranquillement sur les bases immuables de la justice, et ravivez la morale publique. […] Soyons terribles dans les revers, modestes dans nos triomphes, et fixons au milieu de nous la paix et le bonheur par la sagesse et par la morale. Voilà le véritable but de nos travaux ; voilà la tâche la plus héroïque et la plus difficile. Nous croyons concourir à ce but, en vous proposant le décret suivant. [suit le décret sur le culte de l’Être suprême et les fêtes] »
Rapport de Robespierre au nom du Comité de Salut public, 18 floréal an II - 7 mai 1794, OMR, T. X, p. 458-462.
Texte sélectionné et présenté par Suzanne Levin, docteure en histoire.