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Discours de Robespierre. Séance du 21 juin au club des Jacobins : La Fuite du roi :
proposé par Bernard Vandeplas
vendredi 17 avril 2020
Louis XVI songeait depuis plusieurs semaines à quitter Paris pour gagner, soit la province, soit une région frontalière. L’interdiction par la foule parisienne d’un voyage à Saint-Cloud où il devait aller passer les fêtes de Pâques semble être un des évènements majeurs qui décide le roi à fuir. Sa fuite, préparée par Fersen, a lieu dans la nuit du 20 au 21 juin 1791. Celle-ci devait porter l’émotion populaire à son comble, en témoignèrent les adresses et manifestations provenant de la province.
Lorsque l’Assemblée avait appris le départ du roi, elle avait suspendu le souverain de ses pouvoirs, qu’elle s’était appropriés, et avait envoyé à sa recherche trois de ses membres comme commissaires : Pétion, Barnave et Latour-Maubourg.
La famille royale fut ramenée à Paris par petite étapes, escortée par les gardes nationales des diverses localités et rentra dans la capitale le 25 juin au milieu du silence méprisant d’une foule hostile.
- Robespierre : physionotrace, 1792
- Gravure par Gilles-Louis Chrétien (publié en Buffenoir, Les portraits de Robespierre) ; grand trait dessiné par Jean-Baptiste Fouquet (musée du Château de Versailles, Inv. Dess. 857)
Domaine public, Wikimedia Commons
Dans la séance du 21 juin 1791 au club des jacobins, Robespierre intervient sur la fuite du roi. Il prend la parole :
« Ce n’est pas à moi que la fuite du premier fonctionnaire public devait paraître un évènement désastreux. ce jour pouvait être le plus beau de la révolution ; il peut le devenir encore, et le gain de 40 millions d’entretien que coûtait l’individu royal serait le moindre des bienfaits de cette journée.
Mais,pour cela, il faudrait prendre d’autres mesures que celles qui ont été adoptées par l’Assemblée nationale, et je saisis un moment où la séance est levée pour vous parler de ces mesures qu’il me semble qu’il eût fallu prendre, et qu’il ne m’a pas été permis de proposer.
Le roi a saisi, pour déserter son poste, le moment où l’ouverture des assemblées primaires allait réveiller toutes les ambitions, toutes les espérances, tous les partis, et armer une moitié de la nation contre l’autre, par l’application du décret du marc d’argent, et par les distinctions ridicules établies entre les citoyens entiers, les demi-citoyens et les quarterons [1]…. »
« Ce qui m’épouvante, moi, Messieurs, c’est cela même qui me paraît rassurer tout le monde. Ici j’ai besoin qu’on m’entende jusqu’au bout. Ce qui m’épouvante, encore une fois, c’est précisément cela même qui paraît rassurer tous les autres : c’est que, depuis ce matin, tous nos ennemis parlent le même langage que nous.
Tout le monde est réuni ; tous ont le même visage, et pourtant il est clair qu’un roi qui avait 40 millions de rente, qui disposait encore de toutes les places, qui avait encore la plus belle couronne de l’univers et la mieux affermie sur sa tête, n’a pu renoncer à tant d’avantages sans être sûr de les recouvrer.
Or, ce ne peut pas être sur l’appui de Léopold et du roi de Suède, et sur l’armée d’outre-Rhin qu’il fonde ses espérances : que tous les brigands d’Europe se liguent, et encore une fois ils seront vaincus. C’est donc au milieu de nous, c’est dans cette capitale que le roi fugitif a laissé les appuis sur lesquels il compte pour se rentrée triomphante ; autrement sa fuite serait trop insensée.
Vous savez que trois millions d’hommes armés pour la liberté seraient invincibles : il a donc un parti puissant et de grandes intelligences au milieu de nos, et cependant regardez autour de vous, et partagez mon effroi en considérant que tous ont le même masque de patriotisme.
Ce ne sont point des conjectures que je hasarde, ce sont des faits dont je suis certain : je vais tout vous révéler, et je défie ceux qui parleront après moi de me répondre.
Vous connaissez le mémoire que Louis XVI a laissé en partant [2], vous avez pris garde comment il manque dans la Constitution les choses qui le blessent, et celles qui ont le bonheur de lui plaire. Lisez cette protestation du roi, et vous y saisirez tout le complot…
Louis XVI écrit à l’Assemblée nationale de sa main ; il signe qu’il prend la fuite, et l’Assemblée, par un mensonge bien lâche, puisqu’elle pouvait appeler les choses par leur nom au milieu de trois millions de baïonnettes ; bien grossier, puisque le roi avait l’impudence d’écrire lui-même : on ne m’enlève pas, je pars pour revenir vous subjuguer ; bien perfide puisque ce mensonge tendait à conserver au ci-devant roi sa qualité et le droit de venir vous dicter, les armes à la main, les décrets qui lui plairont : l’Assemblée nationale, dis-je, aujourd’hui dans vingt décrets, a affecté d’appeler la fuite du roi un enlèvement. On devine dans quelle vue.
Voulez-vous d’autres preuves que l’Assemblée nationale trahit les intérêts de la nation ? Quelles mesures a-t-elle prises ce matin ?
Voici les principales :
Le ministre de la guerre continuera de vaquer aux affaires de son département, sous la surveillance du Comité diplomatique. De même les autres ministres.
Or, quel est le ministre de la guerre [3] ? C’est un homme que je n’ai cessé de vous dénoncer, qui a constamment suivi les errements de ses prédécesseurs, persécutant tous les soldats patriotes, fauteur de tous les officiers aristocrates. Qu’est-ce que le Comité militaire chargé de surveiller ? C’est un Comité tout composé de colonels aristocrates déguisés, et nos ennemis les plus dangereux. Je n’ai besoin que de leurs œuvres pour les démasquer. C’est du Comité militaire que sont partis dans ces derniers temps les décrets les plus funestes à la liberté…
Citoyens, viens-je de vous montrer assez la profondeur de l’abîme qui va engloutir notre liberté ? Voyez-vous assez clairement la coalition des ministres du roi, dont je ne croirai jamais que quelques-uns, sinon tous, n’aient pas su sa fuite ? Voyez-vous assez clairement la coalition de vos chefs civils et militaires ? Elle est telle que je ne puis pas ne pas croire qu’ils n’aient favorisé cette évasion dont ils avouent avoir été si bien avertis. Voyez-vous cette coalition avec vos Comités, avec l’Assemblée nationale ?
Et comme si cette coalition n’était pas assez forte, je sais que tout à l’heure on va vous proposer à vous-mêmes une réunion avec tous nos ennemis les plus connus : dans un moment, tout 89, le maire, le général, les ministres, dit-on, vont arriver ici ! Comment pourrions-nous échapper ?
… Ce que je viens de dire, je jure que c’est dans tous les points l’exacte vérité. Vous pensez bien qu’on ne l’eût pas entendue dans l’Assemblée nationale. Ici même, parmi vous, je sens que ces vérités ne sauveront point la nation, sans un miracle de la Providence, qui daigne veiller mieux que vos chefs sur les gages de la liberté.
Mais j’ai voulu du moins déposer dans votre procès-verbal un monument de tout ce qui va arriver. Du moins, je vous aurai tout prédit : je vous aurai tracé la marche de vos ennemis, et on n’aura rien à me reprocher.
Je sais que par une dénonciation, pour moi dangereuse à faire, mais non dangereuse pour la chose publique ; je sais qu’en accusant, dis-je, ainsi la presque universalité de mes collègues, les membres de l’Assemblée, d’être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les autres par terreur, d’autres par ressentiment, par un orgueil blessé, d’autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu’ils sont corrompus, je soulève contre moi tous les amours-propres, j’aiguise mille poignards, et je me dévoue à toutes les haines.
Je sais le sort qu’on me garde ; mais si, dans les commencements de la révolution et lorsque j’étais à peine aperçu dans l’Assemblée nationale, si, lorsque je n’étais vu que de ma conscience, j’ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, à la liberté, à la patrie, aujourd’hui que les suffrages de mes concitoyens, qu’une bienveillance universelle, que trop d’indulgence, de reconnaissance, d’attachement m’ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait une mort qui m’empêchera d’être témoin des maux que je vois inévitables.
Je viens de faire le procès de l’Assemblée nationale, je lui défie de faire le mien. »
- Retour du roi de Varennes
[1] Allusion à la constitution de 1791, qui distinguait : les citoyens passifs, dénués de tous droits politiques ; les citoyens actifs, qui comprenaient des électeurs au 1er ou 2e degré, suivant leur richesse, et enfin, les éligibles, qui devaient justifier d’une contribution directe égale à 1 marc d’argent.
[2] Louis XVI avait lancé, à son départ, un manifeste qui condamnait toute l’œuvre de la Constituante et appelait à l’aide tous les fidèles de la monarchie.
[3] Duportail, « une créature » de Lafayette.