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Plaidoyer de Robespierre denoncant les privilèges du système feudaliste
samedi 3 décembre 2022
Dans l’un de ses derniers plaidoyers en tant qu’avocat, livré à l’impression au début de l’année 1789, Robespierre dénonce des abus, fruits de l’inégalité et des privilèges, qui nous frappent par leur actualité, tout en s’adressant au roi Louis XVI sur un ton qui peut étonner le lecteur contemporain. Il s’agit d’un passage tiré d’un mémoire judiciaire pour son client Hyacinthe Dupond, victime de la pratique tristement célèbre des lettres de cachet, par laquelle la signature du roi suffisait pour incarcérer indéfiniment n’importe qui sans autre forme de procès.
« Voyez encore, Sire, même chez des peuples qui paraissent florissants, voyez sous les dehors de ce luxe imposant et de cette prétendue opulence publique, qui fascine les yeux des administrateurs sans vertu, les fortunes énormes de quelques citoyens fondées sur la ruine et sur la misère de tous les autres ; portez vos regards au-delà de cette enceinte brillante de courtisans, qui dérobent aux princes la vue des hommes, au-delà de ces palais magnifiques qui leur cachent les chaumières et voyez les artisans, les laboureurs au désespoir, cette multitude de citoyens de diverses conditions, qui forment le corps de chaque nation, disputant sans cesse à l’avidité du fisc, à l’injustice, à la dureté des riches cette modique portion de salaires ou de revenus, qui suffit à peine pour soutenir leur inquiète et douloureuse existence. Voyez surtout cette dernière classe, la plus nombreuse de toutes, et que l’orgueil croit flétrir par le nom de peuple, si sacré et si majestueux, aux yeux de la raison, presque forcée, par l’excès de sa misère, à oublier la dignité de l’homme et les principes de la morale, au point de regarder la richesse comme le premier objet de sa vénération et de son culte, la bassesse servile et la flatterie, envers les riches et les puissans, comme un devoir, l’oppression comme son état naturel, la protection des loix comme une faveur presqu’inespérée… Ah ! heureux, et mille fois heureux, celui qui, à la vue de tant de maux répandus sur l’univers, élevé par un sentiment profond et sublime, pourra se dire à lui-même : « Je veux au moins les faire cesser pour une nation de vingt millions d’hommes : je le veux, je le puis. »
Mémoire pour Hyacinthe Dupond, début 1789, OMR, t. XI, p. 121
Pour aller plus loin, voir Hervé Leuwers, « Les factums de l’avocat Robespierre. Les choix d’une défense par l’imprimé », Annales historiques de la Révolution française, 371 | 2013, p. 55-71, et Sarah Maza, Vies privées, affaires publiques. Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire, Paris, Fayard, 1997.
Texte sélectionné par Alcide Carton, et présenté par Suzanne Levin, docteure en histoire.