Accueil > Connaître Robespierre > Robespierre et ses contemporains > Un compagnon de route de Robespierre : Prieur de la Marne (1756-1827)
Un compagnon de route de Robespierre : Prieur de la Marne (1756-1827)
lundi 9 mars 2020
De qui parle-t-on ? De Maximilien Robespierre ? Certes, mais aussi de Pierre Louis Prieur, dit Prieur de la Marne (pour le distinguer de son homonyme député de la Côte-d’Or).
Par rapport à Robespierre, Prieur est sans doute un personnage secondaire.
Cependant, si le rejet de la théorie de l’histoire faite par les grands hommes est en général salutaire, cela est — si possible — encore plus vrai lorsqu’il s’agit des révolutions et de la Révolution française en particulier, qui a été faite par des masses anonymes et des figures secondaires autant sinon plus que par des figures d’exception.
Un compagnon de route de Robespierre : Prieur de la Marne (1756-1827)
- Le Serment du jeu de_paume de David (Carnavalet)
- Prieur dans le Serment du jeu de paume de David détail
C’est l’histoire d’un avocat de province, du nord de la France, ayant un peu plus de la trentaine en 1789. Élu député du Tiers État, il est l’un des députés les plus pauvres. Il siège au côté gauche et reste fidèle à ses principes, ceux de la Déclaration des droits de 1789, jusqu’à la fin de l’Assemblée constituante. Entre autres, il demande l’acceptation pure et simple de cette Déclaration par le roi le 5 octobre 1789 ; il s’oppose au décret dit du « marc d’argent », qui réservait l’éligibilité aux plus riches ; il soutient la réunion d’Avignon à la France en arguant du droit naturel des peuples à disposer d’eux-mêmes ; il défend les droits des libres de couleur ; après la fuite du roi à l’été 1791, il dénonce la projet d’inviolabilité royale. Son incorruptibilité est déjà proverbiale. En septembre 1792, il est élu à la Convention, où il siège sur la Montagne. Dans le procès du roi déchu, il vote contre l’appel au peuple et pour la mort sans sursis. Il entre au Comité de Salut public en juillet 1793 et il en sera membre pendant une année entière. Enfin, il sera décrété d’arrestation suite à des manipulations thermidoriennes.
De qui parle-t-on ? De Maximilien Robespierre ? Certes, mais aussi de Pierre Louis Prieur, dit Prieur de la Marne (pour le distinguer de son homonyme député de la Côte-d’Or).
Il est frappant combien la trajectoire de ce député — que ceux qui s’intéressent à la Révolution ne connaissent souvent que de nom — ressemble à celle de Robespierre. Les défenseurs de la mémoire de Robespierre seront sans doute intéressés de connaître un peu mieux ce Prieur qui a été pendant longtemps son compagnon de route, sans pourtant figurer parmi ses proches.
Il y a, bien entendu, des divergences entre les deux personnages, qui explique la moindre notoriété et la moindre influence de Prieur, à l’époque comme par la suite. À la différence de Robespierre, Prieur n’a jamais privilégié les longs discours : il préfère de brèves interventions percutantes que lui permet sa voix exceptionnellement puissante et il ne fait pas imprimer les quelques discours qu’il fait, encore moins un journal. Aussi n’a-t-il déjà à la fin de la Constituante qu’une célébrité bien moindre que celle de Robespierre et Pétion. Sous la Législative, d’ailleurs, il disparaît de la scène nationale, puisque, élu à plusieurs postes différents, Prieur opte pour celui d’administrateur du département de la Marne. À la fin de son mandat, il impulsera l’organisation de la défense de ce département contre les Prussiens, ce qui lui vaudra d’être élu premier député de la Marne, mais il s’agit d’une popularité relativement régionale.
- P. L. Prieur : député : Vérité Jean-Baptiste (Gallica)1790-1791
Avant tout, alors que Robespierre fait partie de la moitié des conventionnels qui n’a jamais fait de mission, Prieur a cumulé mission sur mission dès le tout début de la Convention. On le renvoie déjà au camp de Châlons le 24 septembre 1792 ; il est de retour le 1er novembre et ne partira ensuite que fin mars 1793, mais désormais il passera plus de temps sur le terrain qu’à Paris. C’est ainsi qu’à Orléans — ville décrétée rebelle après un attentat contre le député Léonard Bourdon — en avril 1793, puis à l’armée des Côtes de Cherbourg de mai en juillet, Prieur rate le débat sur la nouvelle Déclaration des droits et sur la Constitution de 1793, comme l’insurrection des 31 mai-2 juin. Il reste cependant fidèle à la Montagne et défend la Constitution et l’insurrection contre ceux qui peuvent être tentés de rejoindre la révolte « fédéraliste » — pas toujours sans succès. Il a néanmoins failli être arrêté par les « fédéralistes » du Calvados (son homonyme Prieur de la Côte-d’Or et Romme le seront en effet) et finit par être expulsé avec son collègue Lecointre du département de la Manche fin juin 1793.
De retour à la Convention, Prieur entre au Comité de Salut public un peu avant Robespierre, au renouvellement du 10 juillet. Il n’y siège pourtant pas longtemps. Déjà, avec son collègue du comité Jeanbon Saint-André, Prieur est envoyé en mission aux armées de la frontière du Nord-Est en août 1793. De retour avant la fin du mois, ils reçoivent cependant une nouvelle mission assez rapidement et partent dès le 1er octobre pour Brest afin de réorganiser la marine à la suite d’une mutinerie sur la flotte. Sans aucun doute, il n’était pas dans l’intention du Comité que cette mission se prolonge, mais les crises s’accumulent et ses collègues se fient à Prieur pour y parer. Il est donc envoyé d’abord dans le Morbihan où l’on craint la révolte, ensuite à l’armée de l’Ouest en désarroi face à la « virée de galerne » vendéenne, puis, en nivôse an II (janvier 1794) de nouveau dans le Morbihan et la Loire-Inférieure pour l’établissement du gouvernement révolutionnaire. Il est enfin envoyé de nouveau à Brest pour s’occuper du port alors que Jeanbon Saint-André part sur la flotte défendre un convoi de grain venu des Amériques.
Au cours de cette longue mission, Prieur veille à l’application de la politique montagnarde dans toutes ses dimensions. Il assure le respect de la centralité législative en faisant destituer les administrateurs « fédéralistes » et en astreignant tous les agents du pouvoir exécutif — civils et militaires — à une subordination stricte à la Convention. Il participe à l’effort de guerre et à la répression, mais aussi à la politique sociale et culturelle de la Convention montagnarde. Aussi a-t-il nommé des instituteurs, organisé des fêtes, veillé à ce que les familles des « défenseurs de la patrie » reçoivent des secours, à l’application du maximum, à la réquisition des matériaux de guerre directement chez les artisans en évitant de passer par des fournisseurs, à la distribution des bons de subsistance aux indigents, à l’établissement des sociétés populaires et adopté des règlements d’ateliers publics qui comprennent des articles sur les heures supplémentaires payées, des congés maladie et des pensions. Prieur a cru en même temps nécessaire, comme une majorité de ses collègues, de faire exécuter la législation répressive, entre autres en arrêtant des suspects et en participant à la nomination des commissions militaires qui devaient juger les rebelles pris les armes à la main, dont le bilan a souvent été lourd. Prieur a notamment tourné cet arsenal répressif — conformément à la politique de la Convention, de par son décret du 19 ventôse an II - 9 mars 1794, et du Comité de Salut public — contre le lobby des colons esclavagistes à Brest. Une bonne illustration du fait que même la question du rôle de la répression n’est pas aussi simple qu’on le pense.
- Ce portrait est également une étude pour le tableau du Serment du jeu de paume pour laquelle Prieur a posé et qui se trouve au musée de la Révolution à Vizille
Le 9 thermidor, Prieur est toujours à Brest. Mis devant le fait accompli, il adhère, comme les autres représentants en mission, au récit officiel. Il n’embrasse cependant à aucun moment la Réaction. Dès le 13 thermidor an II - 31 juillet 1794, il est considéré comme démissionnaire du Comité de Salut public de par son absence et remplacé. Il revient à Paris fin fructidor an II (septembre 1794), pour siéger à la Convention qu’il ne reconnaît sans doute plus. Désorienté, il ne prend que peu la parole, mais il s’oppose malgré tout à la suppression des contrôles économiques en avertissant contre la spéculation et la disette artificielle qu’elle risquait d’entraîner. L’emprise de la Réaction n’est cependant pas encore totale et Prieur est réélu au Comité de Salut public le 15 vendémiaire an III - 6 octobre 1794 et même porté à la présidence de la Convention le 1er brumaire an III - 22 octobre 1794. Au Comité de Salut public thermidorien, Prieur mène un combat perdu d’avance pour continuer à assurer à tous la subsistance.
Mis progressivement en minorité, les « derniers Montagnards » restés comme Prieur fidèles à leur idéal démocratique finissent par être écartés de la Convention au cours du printemps et de l’été de l’an III (1795). Prieur n’est pas en reste. Il a failli être décrété d’arrestation une première fois après avoir appuyé la demande des insurgés le 12 germinal an III - 1er avril 1795 du pain et de la libération des « patriotes incarcérés depuis le 9 thermidor ». Lors de l’insurrection du 1er prairial an III - 20 mai 1795, sa nomination à une « commission extraordinaire » aux côtes de Bourbotte, Duquesnoy et Duroy sert de prétexte à sa mise en arrestation puis en accusation. Plus fortuné que ces futurs « martyrs du prairial », Prieur, au lieu d’être emprisonné n’est qu’assigné à résidence, ce qui lui permet de s’évader et de se cacher jusqu’à l’amnistie du 4 brumaire an IV - 26 octobre 1795. L’élimination des derniers Montagnards a déjà rempli son objectif : le remplacement de la Constitution démocratique et jusnaturaliste de 1793 par celle, censitaire, de l’an III, dont toute référence au droit naturel a été évincée.
Prieur reste actif dans les cercles démocrates sous le Directoire et le Consulat, mais sa carrière politique est désormais terminée — même s’il a failli être élu au Conseil des Cinq-Cents en l’an VI (1798). Il sera exilé comme régicide en 1816 et meurt à Bruxelles dans l’indigence en 1827.
Par rapport à Robespierre, Prieur est sans doute un personnage secondaire. Cependant, si le rejet de la théorie de l’histoire faite par les grands hommes est en général salutaire, cela est — si possible — encore plus vrai lorsqu’il s’agit des révolutions et de la Révolution française en particulier, qui a été faite par des masses anonymes et des figures secondaires autant sinon plus que par des figures d’exception. La politique démocratique et sociale que Robespierre a défendue n’était possible qu’à condition d’être partagée. Si cette politique est digne d’être rappelée, il convient de ne pas laisser dans l’ombre ses autres champions, dont Prieur de la Marne.
Note bene :
Ce texte trouve sa source dans la thèse soutenue brillamment par notre amie le 8 novembre 2019 à l’Université de Nanterre, et intitulée :« Défendre une République de droit naturel. Prieur de la Marne et ses missions (1792-an III) » sous la Présidence de Mme Dominique Godineau.
l’ARBR.
Pour en savoir plus :
Claire BLONDET, « Quand les “terroristes” font le procès du colonialisme esclavagiste les thermidoriens organisent son oubli » dans Florence GAUTHIER, éd., Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! Contributions à l’histoire de l’abolition de l’esclavage, Paris, Société des études robespierristes, 2002, p. 43-65.
Gustave LAURENT, « L’exil de Prieur de la Marne à Bruxelles », Annales historiques de la Révolution française, janvier-février 1927, p. 40-49.
Gustave LAURENT, « La mission des Conventionnels Prieur (de la Marne), Sillery et Carra après Valmy (24 septembre-1er novembre 1792), Annales historiques de la Révolution française, 12 | novembre-décembre 1925, p. 538-570.
Gustave LAURENT, éd., Notes et souvenirs inédits de Prieur de la Marne, Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1912, 168 p.
Suzanne LEVIN, « Le législateur en voyageur politique. Le cas du représentant en mission Prieur de la Marne », Viaggiatori, 2-1, septembre 2018, p. 14-37 En ligne ici.
Suzanne LEVIN, « Prieur de la Marne face au fédéralisme », intervention au séminaire « L’Esprit des Lumières et de la Révolution », 14 mars 2019, Révolution-Française.net vidéo en ligne ici
Suzanne LEVIN, « L’impossible exécution de la loi du 30 avril 1793 » dans Alexandre GUERMAZI, Jeanne-Laure LE QUANG et Virginie MARTIN, éd., Exécuter la loi : 1789-1804, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2018, p. 93-106.
Suzanne LEVIN, « La conception de la souveraineté populaire chez Prieur de la Marne », intervention au séminaire « L’Esprit des Lumières et de la Révolution », 16 mars 2017, Révolution-Française.net Vidéo en ligne ici
Sergio LUZZATTO
, Mémoire de la Terreur. Vieux Montagnards et jeunes républicains au XIXe siècle, Simone CARPENTARI-MESSINA, trad., Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991, 223 p.