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La jeunesse dorée au faubourg Saint-Antoine dans les journées de Prairial (avril-mai 1795).
mardi 18 août 2015
En Prairial, soldats, gardes nationaux des quartiers bourgeois, Muscadins (ou jeunesse dorée) cernent et désarment le faubourg Saint-Antoine.
Nous reproduisons,ci-dessous, un passage concernant la jeunesse dorée au faubourg Saint-Antoine en prairial de Jules Claretie écrit dans son ouvrage sur les derniers Montagnards.
{{}}Les Thermidoriens ne voulaient pas abolir le gouvernement révolutionnaire. Mais peu à peu la Terreur « change de mains », se transforme en violente réaction antijacobine et se retournera contre le personnel terroriste. La majorité nouvelle a pour noyau la Plaine, d’anciens Dantonistes et Girondins. Elle est soutenue contre le jacobinisme par les Thermidoriens de droite, Tallien, Fréron, Barras, terroristes repentis et « nantis », en face de Thermidoriens de gauche, Barère, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, restés attachés aux idées démocratiques du Comité.
Fréron, dans son journal l’Orateur du peuple, dirige la réaction : il obtient la fermeture du Club des Jacobins le 19 novembre 1794, le procès de Carrier, guillotiné en décembre, l’enlèvement du buste de Marat à la Convention. Pour soutenir les réacteurs, il embrigade la Jeunesse Dorée, élégante et riche, fait matraquer dans la rue les jacobins au Chant du Réveil du peuple : parmi ces Muscadins aux modes extravagantes, parents d’émigrés ou de victimes de la Terreur, fils de spéculateurs enrichis ou de fournisseurs aux armées, se glissaient de jeunes royalistes.
En Prairial, soldats, gardes nationaux des quartiers bourgeois, Muscadins (ou jeunesse dorée) cernent et désarment le faubourg Saint-Antoine.
Nous reproduisons, ci-dessous, un passage concernant la jeunesse dorée au faubourg Saint-Antoine en prairial de Jules Claretie écrit dans son ouvrage sur les derniers Montagnards.
« Vers cinq heures du matin, la colonne s’arrêtait près de la barrière du Trône (barrière renversée), et, avant de redescendre le faubourg, y faisait halte, épuisée par cette courte marche. Les muscadins avaient faim. Ils se mirent à manger, en riant, des petites raves. À la guerre comme à la guerre ! disaient-ils. Ils s’imaginaient que cette promenade militaire faisait d’eux des héros capables d’en remontrer aux soldats de Mayence, à ceux de Sambre et Meuse. Ce repas frugal les amuse. On croirait voir des sybarites goûter du bout des lèvres le brouet noir du Spartiate. « À côté de moi, dit Costaz, on acheta un panier de petites raves ; la femme en demanda cent sous, on lui donna vingt francs. Une conduite semblable eut lieu à peu près sur tous les points de la ligne : elle nous concilia beaucoup de partisans, et les femmes disaient que nous valions mieux que ces gueux de jacobins. » Et que prouve le fait, s’il est authentique, sinon que ces sections royalistes avaient encore à leur disposition du numéraire, et pouvaient se montrer prodigues à l’heure où l’on ramassait, dans les carrefours, des hommes qui mourraient de faim ?
Une première barricade se dressait à l’entrée du faubourg : Kilmaine la fit menacer par ses canons. La barricade s’ouvrit, et la colonne put reprendre sa marche vers le boulevard. Mais à peine avait-elle fait quelques pas en avant, que le bruit se répand parmi les insurgés que l’arrière-garde de la colonne a enlevé les canons de la section de Montreuil. Des hommes accourent, du faubourg, racontant ce qui s’est passé. Le dernier peloton de la force armée était arrivé, suivant le reste des troupes, à la hauteur du corps de garde de la section de Montreuil, lorsqu’elle aperçut les canons que les sectionnaires gardaient, appuyés sur leurs piques. La troupe, irritée des cris des faubouriens, les charges à la baïonnette, les repoussa dans le corps de garde, les désarmèrent et s’empara des fusils. Aussitôt de toutes les maisons sortent, attirés par le bruit de la lutte, des hommes armés de piques, des femmes qui vocifèrent, et l’arrière-garde de la troupe est à son tour assiégée. On voit alors comme sortir de terre une haute barricade qui coupe la retraite à la troupe du côté de la rue de Charonne, pendant que la seconde barricade, qui allait s’ouvrir comme la première, se referme devant l’avant-garde. Les bataillons sont enserrés dans cette prison de pavés. Les hommes entourent la troupe, les femmes apparaissent aux fenêtres, hurlantes et armées. Kilmaine voit le danger de la position ; ses troupes, fusillées en tête et en queue, écrasées par un feu plongeant, tombant des fenêtres et des toits, vont disparaître dans un terrible combat. Il peut, il est§ vrai, par une attaque hardie s’ouvrir un passage, emporter la barricade à la baïonnette ou la faire démolir par ses canons. Mais il hésite. D’ailleurs, les beaux jeunes gens de tout à l’heure, les muscadins commencent à s’émouvoir. « La rage, dit Costaz, et conséquemment un peu de trouble, était dans nos rangs. » Sur les conseils de Vernier, du Jura, qui accompagnent l’expédition, Kilmaine envoie le général Brune ordonner à l’arrière-garde de rendre les canons de Montreuil. Il se console en se disant qu’il n’avait d’ailleurs, pour les emmener, ni cordes, ni bretelles. Les canons sont rendus, aux applaudissements de la foule, qui, se sentant maîtresse de la colonne, crie maintenant : Bas les armes ! À bas les baïonnettes ! Et les muscadins obéissent.
Ils avaient hâte de s’enfuir au plus vite, de sortir de ce guêpier hérissé de fer. Le peuple imagina pour eux une humiliation qui ressemblait un peu aux fourches Caudines. Ils passèrent tous, comme des vaincus, sous le joug, un à un, sous les risées et les huées des femmes, à travers les barricades, par des ouvertures pratiquées dans les pavés. Bon voyage, les mains blanches ! criaient les femmes ; n’y revenez plus, les collets noirs !
{}Encore y mirent-elles, à la dernière barricade un peu plus de façons. Les sectionnaires de l’Indivisibilité, furieux contre les sections Lepelletier, ne voulaient point consentir à laisser passer l’armée de la Convention. Il fallut que les commissaires de la section des Quinze-Vingts, qui escortaient Kilmaine et son état-major, vinssent haranguer les insurgés et les apaisèrent. On fit encore un chemin dans la barricade et l’on passa, souffleté par les mêmes rires. Mais quoi ! On pouvait se consoler : pas un muscadin n’avait été tué, pas un soldat blessé ; tout était sauvé, fors l’honneur [1]. » [2]
[1] Extrait des Derniers montagnards, de Jules Claretie.
[2] Documents complémentaires : Histoire de la Révolution française. Choix des textes.