Le jeudi 20 septembre 1792, la première séance de la Convention se tient au château des Tuileries sous la présidence de Rühl, doyen d’âge. La séance s’ouvre à cinq heures et demie.
318 députés sont d’abord présents et leurs pouvoirs vérifiés par appel nominal par département. Tallien, Pénières et Camus procèdent à cette vérification. Un second appel nominal ajoute ensuite 53 députés. 371 membres de la Convention sont donc présents à ce stade. 200 étaient exigés pour procéder à la constitution de la nouvelle assemblée.
« Les citoyens élus par le peuple français pour former la Convention nationale réunis au nombre de 371, après avoir vérifié leurs pouvoirs déclarent que la Convention nationale est constituée. »
Pétion est élu président de la Convention avec 235 voix. On procède ensuite à l’élection des 6 secrétaires, Condorcet (146 voix), Brissot (106 voix), Rabaut de Saint-Étienne ( 89 voix), Lasource ( 87 voix), Vergniaud ( 82 voix) et Camus ( 78 voix).
La séance est levée à une heure après minuit.
Séance du vendredi 21 septembre 1792, au matin, tenue d’abord au château des Tuileries, puis à la salle du Manège, lieu ordinaire des séances de l’Assemblée Législative.
Il s’agit d’une séance de transition, où l’on aborde les relations et le passage de témoins avec la Législative. Cette dernière se rend d’ailleurs, pour terminer son travail, à la Convention.
Un membre propose le serment suivant « L’assemblée prête le serment de maintenir la liberté et l’égalité, ou de mourir en les défendant. »
Après-midi, 13 heures ( 1 heure après-midi) désormais à la salle du Manège.
Couthon : « La royauté ne convient qu’aux esclaves, et les Français seraient indignes de la liberté qu’ils ont conquise, s’ils songeaient à conserver une forme de gouvernement marquée par quatorze siècles de crimes. […] Eh bien ! Jurons tous la souveraineté du peuple, la souveraineté entière ; vouons une exécration égale à la royauté, à la dictature, au triumvirat, et à toute espèce de puissance individuelle quelconque qui tendrait à modifier et à restreindre cette souveraineté. »
A l’initiative de Couthon et de Basire « La Convention nationale déclare : 1° Qu’il ne peut y avoir de constitution que celle qui est acceptée par le peuple. »
Et à celle de Prieur « 2° Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la nation. »
Un débat s’engage ensuite visant les contributions publiques existantes qui « continueront à être perçues et payées comme par le passé. »
Collot-d’Herbois intervient finalement exigeant une délibération grande, salutaire, indispensable, que « vous ne pouvez différer un seul instant. » « Je demande que la Convention nationale déclare que la base immuable de toutes ses opérations sera l’abolition de la royauté. »
Dans ses lettres à ses Commettants numéro I du 19 octobre 1792, Tableau des opérations de la Convention nationale depuis le premier moment de sa session, Robespierre relate ainsi cette prise de parole décisive :
« Collot-d’Herbois prend la parole, et prétend qu’il reste à l’assemblée un décret à porter, qu’elle ne peut différer d’un seul moment ; c’était l’abolition de la royauté. A ces mots, l’assemblée se lève presqu’entière, en mêlant ses acclamations à celles du public. »
C’est ensuite Grégoire qui argumente contre la royauté, et propose la loi : « Je demande donc que, par une loi solennelle, vous consacriez l’abolition de la royauté. […] Les rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique. […] L’histoire des rois est le martyrologe des nations. »
Les interventions de Grégoire sont relatées ainsi par Robespierre :
« Grégoire et quelques autres attaquent vivement la royauté, que personne n’ose défendre, et la royauté est abolie, au milieu des acclamations universelles de la Convention et des tribunes ; ce qui dût étonner un peu ceux qui naguère assuraient qu’une grande nation ne pouvait se passer de roi, et qui voulaient même nous persuader que nous raffolions tous de la monarchie. »
Une intervention est importante, celle qui fait le lien entre la chute de la royauté et la victoire des sans-culottes lors de la prise des Tuileries le 10 août 1792, véritable date fondatrice de la victoire de la Révolution populaire. Un membre rappelle « Les lumières qu’a répandues la journée du 10 août. »
La proposition de l’abbé Grégoire « La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France » est votée à l’unanimité sous les acclamations de joie et les cris de : Vive la nation !
Cependant, il est à noter que le mot de République n’est pas prononcée durant cette séance pourtant historique ! La royauté est abolie sans qu’on ne proclame officiellement la République.
En fin de séance, seule une compagnie de chasseurs, nommés « jeunes guerriers républicains », admis à la barre et qui s’éloignent vers l’armée au chant du ça ira ! montre que la République s’est bien substituée à la monarchie !
La séance est levée à quatre heures.
Séance du soir, sept heures : Présidence de Pétion puis de Condorcet. Ce dernier a été élu vice-président par 194 voix sur 349 votants.
Deux députations de citoyens attestent donc que la République existe désormais. Celle de citoyens de Versailles-Seine-et-Oise affirment à la barre qu’ils « étaient glorieux d’apprendre qu’ils ne combattraient plus pour des rois ; glorieux de venir les premiers prêter devant vous le serment de sauver la République. »
Une députation de l’une des sections sans-culottes de Paris, celle des Quatre-Nations, à la barre prêtent serment : « Les citoyens de la section des Quatre-Nations viennent faire devant vous le serment de vivre et de mourir républicains. »
Monge, le ministre de la marine ( et qui sera panthéonisé en 1989 avec justement Grégoire et Condorcet) se fait affirmatif. Il est fier d’être ministre du « premier conseil exécutif de la République française. » Il continue « Nous prenons l’engagement de mourir, s’il le faut, en dignes républicains pour la liberté et l’égalité, que vous allez fonder sur des bases inébranlables. »
La séance est levée à onze heures et demie ( du soir).
Au même moment, ce 21 septembre 1792 en soirée, aux Jacobins, sous la présidence de Choudieu, un membre, Gerbet jeune, propose qu’on rebaptise le club comme étant celui des « Amis de la République. » Un compte-rendu des débats parlementaires de la Convention de la séance de l’après-midi est d’ailleurs lu. Cependant, à l’unanimité, les membres du club préfèrent le titre de « Société des Jacobins, amis de la liberté et de l’égalité » proposé par Deperret.
A l’évidence, pour les Jacobins, patriotes prononcés, la notion de République apparaissait comme imprécise ou insuffisante, particulièrement, sur les valeurs sociales et révolutionnaires susceptibles de manquer, comme l’attachement non seulement à la liberté mais aussi à l’égalité.
Robespierre l’exprime parfaitement dans son journal :
« Ce n’est point assez d’avoir renversé le trône ; ce qui nous importe, c’est d’élever sur ses débris la sainte égalité et les droits imprescriptibles de l’homme. Ce n’est point un vain mot qui constitue la république, c’est le caractère des citoyens. L’âme de la république, c’est la vertu ; c’est-à-dire, l’amour de la patrie, le dévouement magnanime qui confond tous les intérêts privés dans l’intérêt général. »
Séance du samedi 22 septembre 1792, au matin.
Présidence de Pétion.
Billaud-Varenne insiste dès le début de la séance pour l’ajout du mot République dans tous les actes administratifs et autres, afin d’aborder la période neuve républicaine. Soutenue par Lasource, sa proposition est adoptée, sous les vifs applaudissements des tribunes.
« Billaud-Varenne demande qu’à compter de la journée d’hier, au lieu de dater les actes l’an quatrième de la liberté, etc. on date l’an premier de la République française. »
Cette décision peut ainsi clôturer ces trois jours, et faire du 21 septembre 1792 non seulement la journée de l’abolition de la royauté, mais aussi celle de l’établissement de la République.
La séance est levée à quatre heure et demie.
Au soir, six heures du soir.
Présidence de Condorcet.
Admise à la barre de la Convention, la section des Tuileries annonce qu’elle prend désormais le nom de Section des Républicains et précise que « ce beau nom appartient également à tous les Français. »
Anacharsis Cloots désire qu’on envoie en adresse cet acte fondateur aux États-Unis d’Amérique ainsi qu’à tous les peuples du monde : « Il faut qu’on sache partout que le premier acte de la Convention nationale a été la proclamation de la République et l’abolition de la royauté. »
Robespierre trouve cette motion puérile et argumente ainsi dans son journal, contredisant les beaux espoirs universalistes de Cloots :
« Cloots, le prussien, propose à l’assemblée d’envoyer une adresse aux États-Unis d’Amérique ; d’autres ajoutent, à tous les peuples libres, pour leur faire part du décret qui abolit la royauté. Où sont-ils, ces peuples libres ? En est-il un seul dans le monde, à qui nous puissions donner ce titre, sans abjurer nos principes, et sans trahir la cause de l’humanité ? »
La séance est levée à onze heures du soir.
D’ailleurs, pour Robespierre, le régime républicain d’un pays ne garantit aucunement le respect des droits imprescriptibles de l’homme dans cet état. Et, lucidement, il le montre avec l’exemple des États-Unis, dans une argumentation qui n’a rien perdu de son actualité aujourd’hui :
« Le nom de république ne suffit pas pour affermir son empire. Qui de nous voudrait descendre de la hauteur des principes éternels que nous avons proclamés, au gouvernement de la République de Berne, par exemple, de celle de Venise ou de Hollande ? Qui voudrait échanger les sublimes institutions du peuple français, contre la constitution de ces États-Unis d’Amérique qui, fondés sur l’aristocratie des richesses, déclinent déjà, par une pente irréversible, vers le despotisme monarchique ? »
Dès septembre 1792, Robespierre constatait que l’unanimité autour de la proclamation de la République n’était que de façade et que les motivations des deux camps, Gironde et Montagne, une fois la monarchie vaincue, étaient fort différentes et même rapidement irréconciliables :
« Aujourd’hui, que l’ennemi commun est terrassé, vous verrez ceux que l’on confondait sous le nom de patriotes se diviser nécessairement en deux classes. Les uns voudront constituer la république pour eux-mêmes, et les autres pour le peuple, suivant la nature des motifs qui avait jusques-là excité leur zèle révolutionnaire. Les premiers s’appliqueront à modifier la forme du gouvernement, suivant les principes aristocratiques et l’intérêt des riches et des fonctionnaires publics : les autres chercheront à la fonder sur les principes de l’égalité et sur l’intérêt général. »
Et il est vrai, que Collot-d’Herbois, député de Paris, et Montagnard prononcé ne dira pas autre chose, dès le 23 septembre 1792, aux Jacobins :
« Nous avons, il est vrai, reconnu la République à l’unanimité ; mais, parmi les membres qui ont voté pour cette République, il est facile de distinguer trois classes. Les uns ont reconnu la République avec enthousiasme, ceux-là sont les vrais Jacobins ; d’autres l’ont reconnue par obéissance pour la majorité, d’autres enfin par devoir. »
Robespierre reviendra sur ces trois jours de septembre 1792 bien plus tard, le 3 messidor an II-21 juin 1794, peu de temps avant Thermidor, aux Jacobins. Il rendra hommage à cette République qui a pu s’élever et finalement s’imposer malgré le poids de factions rivales contre-révolutionnaires, celle des Girondins tout d’abord qui dominaient la Convention, puis d’autres qui se sont succédées depuis.
« Nous ne sommes plus au temps des Brissot, des Guadet, des Gensonné : la République s’est glissée depuis entre les nombreuses factions, elle les a toutes abattues. […] La République existe quoiqu’elle n’ait pas été d’abord le but de la Révolution, car je le répète, elle s’est glissée comme furtivement, à travers une trouée révolutionnaire, au milieu des factions rivales qui toutes tendaient à établir un nouveau système de tyrannie : voilà pourquoi les vrais républicains ont été regardés comme des intrus : voilà pourquoi, lorsque la République s’est élevée, toutes les factions se sont agitées à la fois pour l’anéantir elle et ses défenseurs : voilà pourquoi il y a eu si peu de patriotes purs dans l’origine de la Révolution." [1]
Bruno DECRIEM. (A.R.B.R.)