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Un représentant de « la Plaine » à la Convention : Bernard Saint-Affrique.

Opinions sur le jugement de Louis Capet

mercredi 16 avril 2025

Il est légitime de s’intéresser à ces hommes, dits de la Plaine, du Marais voir ou Centre, poussés par l’enthousiasme d’une liberté acquise depuis peu. L’histoire, de ces révolutionnaires est également l’histoire d’individus comme Bernard Saint Affrique.
Ses écrits, ses interventions et ses votes sont rares, mais nous apprennent davantage sur l’homme. Par exemple, le 20 mai 1791, il prononce un long discours à la société des Amis de la Constitution de Saint-Affrique : « Dans l’ordre social comme dans l’état de nature, l’homme qui voudrait s’isoler serait toujours faible et impuissant… la société seule qui confirme l’homme dans ses droits, qui avec le secours de tous assure la propriété de chaque individu, qui est garante de la liberté, de l’égalité… qui n’a d’autre ambition que le bonheur commun… »

Un représentant de « la Plaine » à la Convention : Bernard Saint-Affrique.

« Opinions sur le jugement de Louis Capet »

Les historiens qui étudient la Convention ont tendance dans leurs choix à privilégier les « hommes de la Montagne » et « ceux de la Gironde [1] ». Pourtant la survie de la Convention montagnarde et du Comité de Salut Public en l’an II n’aurait pu se faire sans l’appui des hommes de la Plaine. Ils auraient donc pu obtenir plus d’attention. Comme l’écrit Michel Biard : « Force est de reconnaître que la Plaine n’a encore suscité aucune étude d’ensemble [2] ».

Mon but, ici, n’est pas une étude de la dite Plaine, mais à travers un homme –Bernard de Saint-Affrique [3]- de montrer la complexité de cette « force politique ». Car elle est bien une « force politique », n’en déplaise à ses détracteurs contemporains et actuels.

Des tendances diverses existent dans cette force tant convoitée par les hommes aux pouvoirs. Mais il me semble que ces hommes dans leur grande majorité sont d’une part des révolutionnaires certes modérés et d’autres part, des républicains.

Bernard de Saint-Affrique par son discours lors du procès de Louis XVI, nous montre des convictions affirmées envers les acquis de la jeune République. Nous dégagerons donc, une personnalité révolutionnaire siégeant sur les bancs de la Plaine.

« Les groupes politiques n’étaient pas formés au sein de la Convention nationale dès sa réunion à l’automne 1792, ce qui explique en partie les difficultés rencontrées par tous ceux qui ont cherché à mieux cerner la Gironde, la Montagne et la Plaine [4] ». René Levasseur de la Sarthe portait déjà ce jugement. D’après ses mémoires, repris par Michel Biard en introduction, le conventionnel écrit : « On a paru croire jusqu’ici que, dès sa réunion, la Convention avait été divisée en partis bien distincts, bien marqués. On a placé d’un côté tous les talents et toutes les bonnes intentions, et l’on a dit : telle était la Gironde. On a montré de l’autre côté fureur et ignorance, et l’on a prétendu avoir peint la Montagne. Je ne saurai concevoir, je l’avoue, comment ces exagérations de parti ont pu tomber jusqu’à nous (…) Lors de notre réunion, les nouveaux députés dont je faisais partie, et qui composaient la majorité de la Montagne, ignoraient même qu’il y eût deux camps, et que les républicains ne fussent pas tous pénétrés des mêmes sentiments et des mêmes vœux. » [5]

Même si la Plaine est diverse, comme la Montagne et la Gironde, notre représentant du département de l’Aveyron ne représente qu’une tendance de cette Plaine, il n’en est pas moins, un exemple caractéristique de ces hommes du XVIIIe siècle qui se lancent dans l’aventure révolutionnaire sans idée de retour. D’où un soutien soit à la Gironde qui représente durant un temps l’espoir du nouveau régime à construire et à la Montagne qui prend en quelque sorte le flambeau du changement révolutionnaire et surtout d’un non-retour à l’Ancien Régime. Bernard de Saint-Affrique est républicain même si ce républicanisme est conservateur de certains acquis révolutionnaires ne désirant pas poursuivre plus loin les réformes. Bernard de Saint-Affrique est cependant républicain qui ne souhaite nul retour en arrière.

Bernard de Saint-Affrique représentant du peuple, du département de l’Aveyron à la Convention est un élu que l’on classe au « Centre » comme plus de 400 représentants sur plus de 700. Ces représentants forment le tronc du corps délibérant.

A la Constituante, il s’est appelé le Centre, à la Législative le Ventre, ici il se nomme la Plaine. De tout temps cette force a été le nombre dans les assemblés politiques. Cette Plaine se nuance et s’éparpille en aile droite et en aile gauche, suivant le degré d’affinité que ses membres ressentent pour l’un ou l’autre des camps opposés. Ces hommes médiateurs ou auxiliaires suivant les cas sont généralement peu bavards à la tribune. Les hommes qui composent ce Centre sont des hommes généralement compétent comme Bernard Saint-Affrique [6].

Dans un article précédent, nous nous étions intéressés au discours du représentant Montagnard Louchet, lors du procès de Louis XVI. Louchet nous est apparu, comme un fervent Montagnard, proche à cette date des convictions de Robespierre. Louchet et Robespierre sont Républicains. Qu’en est-il de Bernard Saint-Affrique ? Son discours au du procès du roi, nous apporte des éclairages.

En fait, y-a-t-il, entre Louchet le Montagnard lui aussi représentant de l’Aveyron et Bernard Saint-Affrique de la Plaine, une fracture philosophique, telle, que ces deux forces politiques sont à jamais séparées ? Les différences de points de vues qui les séparent sont-elles si éloignées ? Ne prennent-ils pas tous la même direction, même si les chemins pour y parvenir sont parfois éloignés ? Ne peut-on expliquer en partie, de ce fait, le soutien de la Plaine à la Montagne et au gouvernement de Salut public ?

Les discours, lors du procès du roi, nous montrent, des hommes dont l’écriture est grave car le moment marque une rupture définitive entre le passé et l’avenir. Bernard Saint-Affrique, entre dans ce schéma. Il est conscient de ce tournant et espère par son vote un avenir à cette République naissante. Celle-ci ne doit-elle pas être irréprochable pour nos révolutionnaires ?

Pour cette raison, Bernard Saint-Affrique ne vote pas la mort du roi. Pour lui, la République ne doit pas naître dans le sang, même si ce sang est celui d’un traître à la nation. Un homme nouveau doit naître par ce vote et ce vote ne doit-il pas pour Bernard Saint-Affrique en être le point de départ ?

N’est-il pas plus proche que l’on ne le pense, des Montagnards qui votent la mort ? Bernard Saint-Affrique ne fait-il pas de l’humanisme, voire de la vertu, l’idéologie de la République ? Est-il un opportuniste ? Nous ne le pensons pas. Car le gouvernement révolutionnaire n’a pu survivre que grâce à cette communion d’idées autour de l’idéal républicain. Les Montagnards [7] n’auraient pu gouverner sans ces hommes de la Plaine qui sont pour la plupart conscients que la République doit être « une et indivisible » pour survivre. Bernard Saint-Affrique ne fait-il pas parti de ses hommes ? Des hommes à l’exemple de Bernard Saint-Affrique ne détiennent-ils pas la clé de cette Révolution, et du monde nouveau qui semble s’ouvrir ?

Nous tenterons de comprendre dans ce discours et au-delà, de lancer des pistes pour répondre à nos interrogations.

Les débuts de la Convention (21 septembre-2 juin 1793) marquent une étape fondamentale dans le déroulement de la Révolution. Le 10 août a mis brutalement fin au premier essai de monarchie constitutionnelle en France. Une nouvelle constituante, la Convention, se réunit. Les députés semblent attachés à la Révolution. Dès la première séance, les députés arrivés à Paris ont voté à l’unanimité l’abolition de la royauté. Le lendemain 22 septembre, ils décident de dater les actes publics de l’an I de la République. Comme je l’ai déjà dit, les Girondins, Montagnards et la Plaine ne forment pas des partis organisés. Ce sont des groupements, des tendances légèrement différentes que les rivalités des personnes, leurs idées rangeront dans des « groupes perméables ». Au 10 août peu de choses séparaient Girondins et Montagnards. Rapidement, les Girondins sont surtout effrayés par les suites du 10 août, pour eux la Révolution est allée assez loin, il faut la stabiliser.

Leur désaccord avec les Montagnards porte sur plusieurs points dont : d’une part, l’attitude à l’égard du peuple, d’autre part, les mesures d’exception, enfin, sur le rôle de Paris. Les groupements ne sont pas rigides. Il s’en faut de beaucoup que tous les Girondins, tous les Montagnards et que toute la Plaine votent dans le même sens, ce qui explique parfois cette impression de flottement que donne la Convention. La Plaine soutient majoritairement la Gironde dans un premier temps, puis progressivement le fossé se creuse entre la Gironde, la Montagne et la Plaine qui semble dans sa majorité, progressivement, se détacher du soutien ou de l’indifférence qu’elle apportait à la Gironde. Le procès du roi divise en partie cette Plaine indécise. Celle-ci penche globalement pour la condamnation du monarque sans l’application de la peine de mort. Elle ne désire pas soutenir dans ce vote les Montagnards et la plupart des Girondins sont eux aussi divisés sur la peine à infliger au roi. Bernard Saint-Affrique ne veut pas prendre position pour l’un ou l’autre des partis (Girondins ou Montagnards). Ses raisons sont clairement mises en avant dans son opinion sur le jugement de Louis Capet.

Avant de développer celle-ci, présentons brièvement notre représentant dans les premiers temps de la Révolution : « En mai 1791, il adhère à la jeune Société des Amis de la Constitution de Saint-Affrique, entre au conseil politique y jouant un rôle important. [8] ».« A la Révolution, il exerçait son ministère à Saint-Affrique et faillit y perdre la vie, en mai 1792, dans des troubles excités par les prêtres réfractaires contre les protestants. A la Convention, il fut membre de la commission chargée d’inventorier les papiers trouvés dans l’armoire de fer. [9] »

Après la découverte de l’armoire de fer le 20 novembre 1792 aux Tuileries, le procès du roi devient incontournable. Les documents secrets qui y étaient conservés prouvent de manière irréfutable la correspondance du roi avec l’étranger depuis 1789.

Le procès débute en décembre devant la Convention. Bernard Saint-Affrique, par sa participation à la commission ne peut que constater, lui-même, la trahison du roi. Il ne pardonne pas cette trahison comme nous le montrera son opinion lors du procès, mais ses sentiments humains et son rejet de la peine capitale, le pousserons à ne pas condamner Louis Capet à la peine de mort.

« La tension montait à mesure qu’approchait la date du jugement, et l’on parlait d’une insurrection générale pour le 14 janvier, un comité insurrectionnel aurait même été constitué. Robespierre multipliait ses discours aux Jacobins pour inciter le peuple à ne pas tomber dans le piège qu’on lui tendait : pousser la Plaine dans les bras des Girondins. Le premier appel nominal, le 15 janvier 1793, se prononça sur la culpabilité de Louis Capet, qui fut confirmée par 691 députés sur 749 présents, pas un seul ne votant contre. Le même jour, un nouvel appel porta sur la ratification par le peuple du jugement prononcé par la Convention ; cette proposition fut repoussée par 427 députés contre 287, (Bernard Saint-Affrique repousse cette proposition) ; ces derniers désormais fustigés par Robespierre par le terme outrageant d’appelants. Le 16 janvier, la nature de la peine infligée au coupable nécessita un nouvel appel qui se prolongea le lendemain : 387 députés réclamèrent la peine de mort purement et simplement, 334 se prononcèrent pour la détention ou la mort conditionnelle, enfin 28 députés étaient absents ou s’abstenaient… Le 19 janvier, un ultime appel, jugé superflu par beaucoup de députés, concernait un possible sursis et se prolongea jusqu’au lendemain matin. Il donna 310 voix en faveur du sursis, 380 contre et 59 refus de vote, abstentions ou absence [10]. » Le roi est guillotiné le 21 janvier 1793.

Le 21 janvier au matin, la Commune rangea toute la garde nationale le long de la route que suivit le roi jusqu’à l’échafaud : Louis XVI fut guillotiné sur la place de la Révolution. A peu d’exceptions près, le pays demeura silencieux, mais l’impression fut profonde.

Et quelles étaient les questions ? Quels sont les votes des députés de l’Aveyron [11] ?

Le département de l’Aveyron compte neuf députés et trois suppléants. A la première question du mardi 15 janvier 1793, à la Convention nationale, a lieu l’appel nominal sur les deux premières questions ainsi conçues :

1° « Louis Capet est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d’attentats contre la sûreté générale de l’État, oui ou non ? »

2° « Le jugement de la Convention nationale contre Louis Capet sera-t-il soumis à la ratification du peuple, oui ou non ? »

Chaque département est appelé successivement en commençant par la lettre G, et les membres prononcent leur vœu à la tribune.

Du mercredi 16 janvier 1793 à six heures du soir au jeudi 17 janvier à sept heures du soir, sans interruption, en commençant par le département de la Haute-Garonne, a lieu l’appel nominal sur la troisième question :

3° « Quelle peine sera infligée à Louis ? »

4° « Y aura-t-il un sursis à l’exécution du jugement de Louis Capet ? et qu’il sera répondu par oui ou par non.

L’appel nominal a lieu par ordre alphabétique de département en commençant par le Gers.

Le résultat des votes à ces quatre questions est le suivant pour le département de l’Aveyron :

  • Bo (Jean-Baptiste-Jérôme), 1° oui, 2°non,la mort, 4° non.
  • Saint-Martin-Valogne (Charles), 1° oui, 2° oui,réclusion pendant la guerre et bannissement à la paix, 4° oui.
  • Lobinhes (Louis), 1° je déclare : oui comme législateur, ne voulant point prendre la qualité de juge, 2° oui, 3° détention pendant la guerre et exil à la paix, 4° oui.
  • Bernard Saint-Affrique (Louis), 1° oui, 2° non,emprisonnement pendant la durée de la guerre et bannissement ensuite lorsque l’Assemblée le jugera convenable, 4° oui.
  • Camboulas (Simon), 1° oui, 2° non,la mort, 4° non.
  • Seconds (Jean-Louis), 1° oui, 2° non,la mort, 4° non.
  • Lacombe (Joseph-Henri), 1° oui, 2° non,la mort avec l’amendement de Mailhe tendant à examiner s’il est politique et utile de presser ou de retarder l’exécution, 4° non.
  • Louchet (Louis), 1° oui, 2° non,la mort, 4° non.
  • Izarn de Valady (Jacques-Godefroy-Charles-Sébastien-Jean-Joseph), 1° s’abstient, et motive sa décision, 2° oui, 3° emprisonnement de Louis, sa femme et ses enfants au château de Saumur, et qu’ils y soient gardés en otages, jusqu’à ce que François d’Autriche ait reconnu la souveraineté de la République française et l’indépendance des Belges, 4° oui.
    La culpabilité de Louis XVI est votée à l’unanimité par les députés de l’Aveyron, ce fut également le cas pour l’ensemble de la Nation, sauf quelques abstentions.

La peine de mort voulue par les Montagnards est votée par cinq députés de l’Aveyron, (dont un pour mais avec possibilité de sursis), et quatre députés sont contre la peine de mort. Cinq députés ont donc suivi Robespierre et les Montagnards pour la question capitale. Quatre députés choisissent de suivre le vote du chef Girondin, Brissot c’est-à-dire l’emprisonnement. Sont-ils tous Girondins pour autant ? Non…et les représentants qui ont voté pour la mort du roi sont-ils tous vraiment Montagnards ? On peut en douter. Bernard de Saint-Afrique ne suit pas les Montagnards et les Girondins. Il siègera avec la masse des représentants dans « le Marais » comme un grand nombre de députés du département. D’après une liste établie par l’historienne Jacqueline Chaumié seul Yzarn de Valady fait partie des 136 Girondins déterminés [12]et deux députés sont définis comme Montagnards : Bo et Louchet [13]. La majorité des députés de l’Aveyron se trouvent au Centre c’est-à-dire la Plaine ou Marais, soit six députés sur neuf. Et si le Centre n’était qu’une illusion ? Il n’y aurait qu’un camp, celui de la Révolution et de la République donc du non retour à la Monarchie absolue de droit divin. On peut affirmer que cette force politique est fractionnée en tendances parfois contraires, néanmoins cette force appartient à une même famille qui a pour but d’établir la République. Il n’y a pas de retour possible pour ces hommes après le 21 janvier 1793. Dans son discours Bernard de Saint-Afrique nous montre sa motivation, et ses convictions républicaines, même s’il ne vote pas la mort du Roi.

Avant d’aborder le discours de Bernard Saint-Affrique revenons brièvement sur les événements qui provoqueront la chute de la Monarchie et la mort du Roi Louis XVI.

La Constituante crée un nouveau régime et dès lors, la Nation et le Roi peuvent-ils s’accorder ? On peut le croire puisque le Roi accepte de prêter serment de fidélité à la Constitution, au cours d’une grande cérémonie officielle : la fêtée de la Fédération. La date choisie est le premier anniversaire de la prise de la Bastille. On donne pour décor à cette manifestation le Champ de Mars. Y participent : le Roi, sa cour, la Nation en la personne de ses représentants, les députés, et de ses délégués, les gardes nationaux venus de tous les départements. La Nation montre ainsi sa force, son union ; comment le Roi pourrait-il décliner le serment ?

Des milliers de Parisiens assistent à l’union du Roi et de la Nation. Cependant quelques fausses notes apparaissent et marquent la fête : malgré les conseil de Mirabeau, le Roi a refusé de prononcer un discours. Il a prêté serment à la Constitution, mais de sa place dans les tribunes et non sur l’autel comme le prévoyait le cérémonial. Depuis l’été 1789, il faut noter que les nobles émigrent peu à peu vers les pays voisins, surtout l’Allemagne. A Coblence, le prince Condé s’efforce de mettre sur pied une armée d’émigrés. Ailleurs, les émigrés intriguent auprès des souverains étrangers pour obtenir leur appui contre le nouveau régime français. En mars 1791, le pape condamne la Constitution civile du clergé. Les croyants sont déchirés entre la religion et la Nation ; certaines régions comme l’Aveyron, restent attachées aux prêtres réfractaires. A Paris, dans les sociétés populaires, au club des Cordeliers, on organise sans cesse manifestations et pétitions. En province, notamment en Aveyron, les clubs se radicalisent progressivement. Au printemps 1791, l’agitation est extrême, des mouvements de grève éclatent. L’Assemblée réagit et limite le droit de pétition. Le 15 juin, avec la loi Le Chapelier, les regroupements professionnels sont interdits ainsi que les grèves et les coalitions. Le roi prend le parti de la contre-révolution et s’enfuit le 20 juin 1791. Il explique son attitude dans une lettre à l’Assemblée. Mais, reconnu, il est arrêté à Varennes et ramené à Paris. La fuite du roi entraîne la reprise de l’agitation révolutionnaire : l’émotion populaire est grande. Le roi est définitivement coupé de son peuple ; chez les citoyens passifs, l’idée de République fait son apparition tandis que les statues du roi sont abattues.

Pour sauver la monarchie constitutionnelle, l’Assemblée préfère, contre toute vraisemblance, répandre la thèse d’un prétendu enlèvement du roi.

« Cette évasion de Louis XVI met en lumières les contradictions du régime en place. Chacun comprenait qu’un roi ramené de force à Paris sous les insultes et gardé jour et nuit ne pourrait donner sa foi à la Révolution. Varennes assassine la royauté. La fuite présente aux yeux de tous, la séparation du Roi et de la Nation [14]. »

Avec la fuite du roi l’opinion publique prend conscience de ses nouveaux droits et la Constitution devient la nouvelle référence. la Monarchie de droit divin s’écroule donc avec la personnalité du roi. En effet, comme nous le rappelle le courrier qui est envoyé à l’Assemblée nationale, une rupture a eu lieux entre le roi et le peuple : « Entre le 21 juin et la fin juillet, les secrétaires de l’Assemblée nationale reçurent plus de 650 lettres de divers corps de tout le pays, de tous les départements, de presque toutes les villes, d’un nombre surprenant de villages. Le but ostensible de cette imposante correspondance était de réaffirmer son soutien à l’Assemblée dans ce qui était indiscutablement la plus grande crise politique depuis le début de la Révolution. Mais, face à cette crise, un grand nombre de lettres poignantes montrent un profond changement d’attitude à l’égard du roi… Prise dans son ensemble, cette correspondance constitue un échantillon de l’opinion provinciale du moment, alors que la population s’efforçait de trouver une solution au problème du roi et à sa place dans la nation dans les semaines qui suivirent Varennes [15]. »

En France, la guerre a de nombreux partisans, mais leurs raisons sont très diverses, voire opposées. le roi espère retrouver son trône d’une victoire des armées étrangères ; les modérés de l’Assemblée pensent qu’une guerre limitée stabilisera le régime constitutionnel. Les Brissotins estiment que la guerre fera tomber les masques des ennemis intérieurs de la Révolution ; ils veulent entreprendre « une croisade de la liberté en Europe » et répandre la Révolution dans les pays voisins. Robespierre est l’un des seuls à s’opposer à la guerre. Lorsque le roi propose de déclarer la guerre, toute l’Assemblée accepte dans l’enthousiasme.

La guerre commence mal, les défaites se succèdent. Les évènement sont denses : le roi oppose son veto au bannissement des prêtres réfractaires et à l’organisation d’un camp de 20 000 fédérés autour de Paris. Le 20 juin 1792, une manifestation populaire tente d’obtenir du roi qu’il renonce à son veto. C’est un échec.

Les Fédérés arrivent à Paris début juillet et l’Assemblée déclare la « Patrie en danger » le 11 juillet : les volontaires s’engagent dans l’enthousiasme. Les sections parisiennes multiplient les pétitions, demandant à l’Assemblée de proclamer la déchéance du roi. L’insurrection est préparée par les 48 sections parisiennes qui organisent une Commune insurrectionnelle. Le 10 août, l’assaut est donné aux Tuileries. La résidence royale tombe aux mains des insurgés. L’Assemblée vote la suspension du roi et décide de convoquer une Convention élue au suffrage universel. Elle rédigera une nouvelle Constitution.

La Convention se réunit le 20 septembre 1792, le jour même de la victoire de Valmy. C’est la première fois qu’une assemblée est élue au suffrage universel ; les abstentions ont été nombreuses ; la pression des révolutionnaires aidant, tous les députés sont des partisans de la République. Dès le 21 septembre, ils décrètent « à l’unanimité que la royauté est abolie en France »et la République est donc ainsi de fait proclamée.

Entre les Girondins et les Montagnards, la majorité de la Convention forme la Plaine, ou, comme on dit parfois, le Marais ; elle appuie tantôt les Girondins dans un premier temps puis les Montagnards. Pour les révolutionnaires, le roi n’a plus sa place dans la nouvelle société, il est l’opposant, la menace, le symbole du passé.

Avec le procès du roi et les opinions des députés qui nous sont parvenues, nous pouvons nous interroger et comprendre les motivations de ces hommes qui participent à une rupture historique majeure : la mise en place de la République. L’exemple de Bernard Saint-Affrique député de la Plaine nous éclaire sur ces hommes qui ne manquent pas de convictions.. Cette personnalité révolutionnaire siégeant sur les bancs de la Plaine par son opinion lors du procès du roi nous montrera qu’il se lance comme d’autres dans l’aventure révolutionnaire sans idée de retour. Il ne démérite pas moins que d’autres, malgré l’oubli des historiens sur leurs rôles qui est majeur sous la Révolution en cours. Comme le souligne Michel Biard, ils méritent toute notre attention.

Quelle est donc l’opinion du « Citoyen Louis Bernard, député du département de l’Aveyron sur le jugement de Louis Capet, imprimé par ordre de la Convention » ? {{}}

« Pour prononcer sur le sort d’un roi coupable, quelles objections n’a-t-on pas faites sur la forme et sur le fond ! La Convention ne peut pas juger Louis, disent les uns ; elle a été formée pour prononcer ce jugement, disent les autres : selon les premiers, cet acte vous est interdit ; d’après les second, il vous est ordonné.{}

Je n’adopte aucune de ces opinions ; nos commettants n’ont pas plus donné de permission, qu’ils ne nous ont fait de défenses. Ils nous ont donné des pouvoirs illimités, pour tout ce que nous jugerions utile au bonheur de tous. » Pour Bernard les pouvoirs des représentants sont illimités pour le bonheur de tous, la question du jugement est pour lui secondaire. En effet, la France est une République et les caractères propres à celle-ci dans la conception historique française telle qu’elle prend forme sous la Révolution sont : une République représentative et une République une et indivisible. Par son caractère représentatif, le peuple est reconnu comme souverain, mais il n’exerce pas son pouvoir lui-même, directement. Il le délègue à des représentants. Le peuple est donc à l’origine de toutes les décisions qui engagent la Nation puisqu’il a choisi ceux qui décideront en son nom. Bernard Saint Affrique pense que se débat est donc inutile et il a raison car l’essentiel pour le bien du peuple a été fait avant et notamment le 10 août et le 21-22 septembre 1792 jour de la naissance de la République.

Il poursuit : « Nous avons renversé le trône, parce-que nous avons cru que le bien général nous commandait cet acte de vigueur ; pouvons-nous juger le tyran qui l’occupait ? Certes, cette question me paraît du second ordre ; car, si vous avez pu juger et anéantir la royauté, à plus forte raison pouvez-vous décider du sort de l’homme coupable du crime de haute trahison.{}

Ne demandez donc pas de pouvoirs, vous en avez de suffisant. Consultez vos cœurs, consultez l’esprit public ; agitez d’après l’inspiration de l’un, suivez les lumières de l’autre, et ne vous créez plus de chimère pour les combattre. »{}

Il admet la trahison du roi envers son peuple, elle est indéniable, on peu juger le roi avec son cœur et avec l’esprit public c’est-à-dire avec « les sentiments du peuple ».

Saint Affrique poursuit : « Qu’un mandataire du peuple, qui ne pense pas être en droit de disposer strictement de la vie d’un homme, m’oppose sa répugnance individuelle ; je respecte ce sentiment. Mais que des politiques profonds, veuillent m’effrayer par des portraits qui ne ressemblent à rien, si ce n’est à l’imagination qui les a tracés, j’avoue qu’ils m’affectent peu.{}

L’un sourie que la mort de Louis sera une calamité publique ; l’autre, que son existence sera le malheur de notre patrie. L’un trouve le remède à tous les maux dans le renvoi au peuple ; l’autre voit, dans cette mesure, notre perte certaine, la guerre civile avec toutes ses horreurs ?{}

Pour moi, je ne vois aucuns des malheurs dont on nous menace, je ne vois que le peuple français, bon, généreux, sensible, humain. Je le vois surtout soumis à la loi : car, ne pensez pas, Citoyens, que je ne voie ce peuple que dans certaines positions où il vous paraît odieux ; non ce n’est pas ainsi que je dois le juger. Soyons juste et circonspects ; craignons de présumer le crime, nous serons convaincus que des actions que nous regardions comme portant le caractère de la multitude, ne décèlent que la perfidie d’un individu ».{}

Le peuple est pour notre représentant un peuple non violent. Seuls quelques individus peuvent l’égarer dans des rêveries et des dires qui n’ont lieu d’être. « Ils sont bien imprudents, ceux qui viennent nous annoncer leurs rêveries comme des êtres réels ; ceux qui votent la guerre civile dans la sanction du jugement de Capet par le peuple, ainsi que ceux qui la prédisent si cette sanction n’a pas lieu. Vous connaissez bien peu votre ascendant sur ce peuple docile. Qui doit, dites moi, de vous ou de lui former l’opinion ?… Pénétrez-vous de ce que vous êtes, sachez être vous mêmes, et vous pourrez être clément, ou sévères, selon que le bien public vous le commandera ».{}

Les représentants du peuple sont forts, ils ont des pouvoirs immenses. Le peuple lui a délégué ceux-ci. Il faut donc juger le roi selon l’esprit public.

« Ne vous occupez plus de ce que pouvez faire, mais pensez à ce que vous devez faire ; croyez que, quelle que soit votre détermination, vous trouverez partout des citoyens soumis à la loi. Et s’il en était autrement, je dirais que c’est la prédiction qui a été la cause de l’événement ; je dirais, oui je le dirais, qu’ils sont coupables tout au moins d’imprudence, ceux qui ont annoncé le désordre avant l’existence de la cause qui pouvez l’exciter.{}

Quelle est donc cette grande cause qui nous agite depuis si longtemps ? Le jugement d’un roi coupable. Quoi ! vous êtes Républicains et le souvenir d’un roi vous agite ! S’il meurt, dit l’un, vous verrez de suite un prétendant, et nous voilà encore exposés à lutter contre la royauté : s’il vit, dit l’autre, ce sera toujours la un point de ralliement. Eh quoi ! vous avez la témérité d’entreprendre de porter la liberté chez vos voisins esclaves, et l’idée d’un roi enchaîné vous faites la chasse au lion dans la forêt, et vous frémissez au souvenir de celui qui est enfermé ! quelle faiblesse ! {}

Non, citoyen ! la vie ni la mort de celui qui naguère était sur le trône, ne peut décider de votre liberté. S’il en était autrement, si ce bien précieux pouvait dépendre de cette cause, il faudrait convenir que nous sommes étrangement trompés. Nous n’étions pas mûr pour la liberté. » {}

Pour Bernard Saint-Affrique, seuls les représentants élus par le peuple décident car ils sont des républicains donc des hommes libres. Peu importe le roi vivant où mort, il ne compte plus, il n’est plus légitime, la souveraineté appartient au peuple qui délègue à ses représentants. Le 10 août, le 21 et 22 septembre marquent définitivement l’entrée de la Nation dans une ère de liberté.

« J’entends nos braves soldats murmurer des suppositions que j’ai faites bien gratuitement, je l’avoue ; je les entends, après avoir terrassé les soldats des despotes, nous répéter qu’ils veulent vivre libres, ou mourir. Et vous voudriez nous persuader que l’existence ou la mort de Louis peut changer notre situation politique ? Quel rapport peut donc avoir cet être avec la liberté de 25 millions d’hommes ? Quel rapport a ce peuple qui veut la liberté, avec ce roi qui voulait le rendre esclave ? Citoyens ! ce rapport est celui du fort au faible, du tout à la patrie, de l’être au néant. {}

Jugez Louis, condamnez Louis, prononcez la peine de mort contre Louis, condamnez-le à une prison perpétuelle, ces différents jugements ne peuvent influer en rien sur la cause sacrée de la liberté ; ce n’est donc pas ce qui doit vous occuper. Un roi coupable, un roi avili ne peut-être dangereux ».{}

Les citoyens soldats combattent pour la République et la liberté du peuple Français, ne nous posons pas de questions secondaires sur la vie ou la mort du roi car ces questions nous assujettissent à la personne du roi. En fait, il n’est plus rien, le roi est coupable aux yeux de tous les citoyens, donc il n’est plus dangereux. Ne perdons pas notre temps, sauvez la Nation des ennemis armées de l’extérieur.

« Ici je rappellerai une idée qu’un de mes collègues a manifestée à cette tribune, une idée délicate en morale, et qui, comme mesure de salut public, eût dû être accueillie avec moins de défaveur, si vos principes n’en avaient été alarmés. Si vous ne pouviez convaincre Louis de ses perfidies, s’il se justifiait, que feriez-vous ? disait cet orateur ; et il concluait d’après cette supposition, accompagnée d’autres considérations non moins pressantes, qu’il fallait considérer le ci-devant roi comme jugé par la nation dans le grand jour du 10 août ».{}

Cette date est pour notre représentant de la Plaine une date fondamentale, cette seconde Révolution populaire a mis fin à la royauté dans les faits et dans la symbolique. Que peut-on faire d’autre ? Un procès n’apportera rien de plus, la question a déjà été tranchée par la Révolution du 10 août. Avec un procès, il existe un risque qu’il ne faudrait pas courir : le roi se justifie ! Que fait-on ? Nous sommes en quelques sorte, pris au piège !

« En effet,citoyens, si Louis avait pu être justifié, que dis-je ? Si vous aviez été dans l’impossibilité de le convaincre, qu’auriez vous fait ? Qu’auriez-vous fait de ce roi détrôné ? C’est alors, et dans ce cas seulement, où vous auriez pu concevoir de justes sujets de sollicitudes. C’est dans ce cas, et dans ce cas seulement, où les suites auraient été embarrassantes. Auriez-vous pu sans injustice enfermer cet homme ? Auriez-vous pu, sans compromettre votre liberté, le rendre libre ? Auriez-vous pu sans outrager l’humanité, le condamner à mort ? Dans tous les cas, vous aviez approfondi cette question sous son vrai rapport politique, peut-être nous aurait-elle épargné beaucoup de temps, des discussions inutiles, et quelquefois bien plus qu’inutile ! … »{}

En fait, la représentation nationale parle pour ne rien dire, pour Bernard, le pays est encore en danger, les armées des monarques peuvent contre attaquer, même si « la croisade la liberté » à l’automne 1792 occasionnes les victoires des armées révolutionnaires. Ces victoires font croire.que la liberté est assise et se propagera au monde.

La « chose » a été jugée : Louis Capet est coupable de trahison, pour notre représentant le procès est inutile, peut-être néfaste à la jeune République et surtout à la liberté de tous.

« Je reviens aux autres suppositions qui ont porté Salles à vous faire un dilemme qui tendait à provoquer la sanction du peuple ; vous jugerez conformément au vœu du peuple, ou vous jugerez contre son vœu. Dans tous les cas, le peuple doit être consulté. Ce raisonnement serait concluant, vous étiez appelés à prononcer sur le sort d’un roi innocent. La nation, toujours juste, s’intéresserait à son sort ; et vous auriez raison de craindre, quelque parti que vous prissiez, quel que fut votre jugement. Mais, je l’ai déjà dit, un roi parjure, un perfide, un traître, le corrupteur et l’assassin de son peuple ! … Non, le sort d’un tel homme ne peut influer sur la tranquillité des citoyens, ni sur le jugement que vous allez porter.{}

J’ai cru pouvoir me dispenser de parler en détail des crimes de Louis ; d’autres avant moi les ont fait connaître ; ils sont la plupart prouvés par des pièces qui se trouvent entre les mains de tout le monde. »

L’appel au peuple n’est pas nécessaire, car Louis XVI est coupable, cela ne fait aucun doute. Donc le peuple ne peut se prononcer sur sa culpabilité, le roi n’est pas innocent. Si le cas avait été différent, le peuple devait être consulter et la tranquillité de celui-ci aurait été troublée ! Dès lors, comment punir ce roi ?

{}Le conventionnel poursuit : « De quel châtiment peut-on punir le roi, l’assassin du peuple ? Législateurs, c’est ici ou vous devez un grand exemple aux nations, à l’humanité ; car pour les rois, comme vous n’en voulez plus, l’exemple ne peut-être appliqué qu’à l’objet de la vengeance nationale. Que vous importe que les rois sachent comment vous traitez celui qui régnait sur vous ! Que dis-je, que vous importe ! Peut-être serait-il essentiel pour la liberté des peuples affligés de ce fléau, que leurs tyrans ignorassent le traitement que vous réservez au titre. Toujours aveuglés sur leur situation, ils fourniraient à leurs peuples esclaves, l’occasion de rompre leurs chaînes, tandis que vous allez éveiller leur cruelle vigilance ; je croirais plus important de bercer les despotes, de les endormir sur leurs trônes d’argile, que d’essayer de les effrayer par la terreur. Pendant leur sommeil, le peuple veille ; la liberté s’empare dessous les cœurs, elle triomphe.

Si l’exemple que vous allez faire, d’un roi détrôné, est indifférent à ses pareils, si trop de sévérité même, pouvait retarder la liberté des peuples, voyons ce que vous vous devez à vous-mêmes ; voyons ce que vous devez aux principes que vous consacrés ».{}

Votre ennemi est à votre disposition, il fait que sa vie est en vos mains, il vous a dit à cette barre, qu’il vous parlait peut-être pour la dernière fois. Ces paroles, je l’avoue, ont ranimé ma sensibilité. Que dirions-nous d’un homme qui, après avoir désarmé son semblable dans un combat singulier, le percerait de son glaive impitoyablement ? Nous dirions sans doute, c’est un lâche : et nous, parce-que nous sommes vingt-cinq millions contre un seul individu, serions nous moins coupables, s’il est vrai que le sentiment qui nous porte à nous venger, soit tout-à-la-fois la preuve de notre faiblesse, et de l’amour propre blessé ? Convenons qu’une grande nation, irritée contre un roi qu’elle a détrôné par sa volonté toute puissante, se montrerait bien faible, bien petite, en l’écrasant de son courroux, parce qu’elle le tient.{}

Qu’il serait généreux ce peuple, qui, tel qu’un homme, enlève le poignard des mains de son assassin, et a le courage de le jeter loin de lui, étouffe le sentiment de sa faiblesse, dit au lâche, retire toi. Je ne hais que le crime, je déteste la vengeance, et j’ai pitié du coupable, du méchant.{}

Ce peuple pour cette conduite loyale montrerait le sentiment de sa force ; je dis de sa force, car, tous ceux qui opinent pour l’appel au peuple, pour demander la sanction du peuple, tous ceux même qui opinent pour la mort de Louis, tous, dans toutes les opinions, dans celles même qui se combattent avec le plus de force, tous donnent unanimement la preuve de leur faiblesse. Ce sont des craintes, des terreurs paniques ; ce sont des opinions, des sentiments totalement contraires à ceux qui devraient nous animer ; je veux dire, qu’ils contrastent avec ceux de vrais républicains. Il me semble, lorsque j’analyse ces idées de crainte qu’on vous a si éloquemment développées, voir un guerrier vainqueur bravant encore l’ennemi qu’il a chassé de son territoire, et trembler à la vue d’un insecte, parce qu’il est couvert d’une peau bizarre. Le préjugé, la faiblesse de ce héros, me prouve que l’homme se manifeste partout.{}

Je ne crains, ni n’aime les rois, je ne redoute dans ce moment, que le sentiment de vengeance dont nous sommes animés ; je ne redoute en un mot, que notre faiblesse, qui ne nous permet pas de nous élever au-dessus des idées chimériques, qu’on nous a présentées sous une multitude de rapports.{}

Car, législateurs, je dois vous le dire, parce-que ma conscience me le dit : vous pouvez dans ce moment, vous pouvez dans la grande cause que vous allez juger, vous pouvez vous montrer sages, humains, généreux, grands et justes.{}

Supprimez la peine de mort de votre code criminel, commencez par faire grâce au plus grand coupable, mettez-le dans un lieu sûr ; vous apprendrez aux peuples que vous savez maîtriser vos tyrans, et vous même ; vous apprendrez, que les grands principes d’égalité et de liberté, que la nature grava dans tous les cœurs, sont inséparables de ceux de la clémence et de la justice ; vous leur montrerez que la véritable grandeur est exempte de faiblesse. Ainsi en fondant votre République, vous aurez renversé la tyrannie, et honoré l’humanité, en imprimant une peine qu’il n’appartenait point à l’homme d’infliger à son semblable ; vous attirerez à vos principes tous les peuples du monde ; et comme on vous l’a dit, le tyran sera témoin de votre bonheur ; ce supplice est le seul digne de votre jugement, et celui qui peut le plus sensiblement punir le coupable ; vous satisferez ceux qui veulent un grand exemple de justice sur un roi coupable du crime de haute trahison, et vous respecterez les droits sacrés de l’humanité.{}

Je vote donc, pour que Louis soit placé dans un lieu sûr, jusqu’à ce qu’il plaise à la nation d’en statuer autrement, je veux dire de le déporter dans la suite hors de la République ; quoi qu’il mérite à mon sens les peines les plus sévères, je ne pense pas avoir le droit de disposer froidement de la vie d’un homme. personne ne peut changer mes principes à cet égard ; pensez de telle manière qu’il vous plaira, vous dirai-je toujours ; mais ne tuez pas. J’ai cette faiblesse si c’en est est une ; et peut-être trouvera-t-on qu’il y a quelque courage à la manifester dans ce moment ; je le répète, je ne crois pas pouvoir prononcer sur la mort d’un homme quelque coupable qu’il puisse être ; et par cette considération je conclus, qu’il faut enfermer le ci-devant roi, que quand même chaque individu juge aurait le droit de prononcer ce jugement que j’appelle barbare, une grande nation ne peut l’appliquer à Louis sans perdre de sa dignité. Elle ne sera jamais plus grande, que lorsque pouvant anéantir son despote, elle le conservera pour le frapper chaque jour, à chaque heure, à tous les instants, du poids de sa toute puissance ; elle respectera les jours de Louis par la raison qu’elle peut en disposer ; s’il pouvait se défendre, elle le combattrait ; mais il est sans défense, elle ne peut exercer que la clémence, elle aurait décoré de lauriers le 10 août, la tête du soldat citoyen qui au moment du combat aurait terrassé le despote, elle flétrirait aujourd’hui le lâche qui insulterait son ennemi vaincu ».{}

Pour L. Bernard, il ne doit pas y avoir d’appel au peuple et le roi ne doit pas être condamné à mort car je suis républicain et un républicain n’a pas le droit de se laisser gouverner par ses émotions. La peur provoque la faiblesse ne faisons pas comme les tyrans qui assassinent le peuple, nous sommes un exemple pour l’humanité, celui-ci nous regarde !

Je suis pour la suppression de la peine de mort, je ne peux pas l’appliquer à Louis. Notre République a supprimé la peine de mort, comment pourrais-je dès lors condamner un homme même s’il est coupable des plus grands crimes ?

Nous sommes des hommes civilisés notre comportement ne doit pas être barbare, une grande nation est gouvernée par la Raison. Je demande la clémence envers Louis car il est sans défense nous dit Bernard Saint-Affrique. Le 10 août Louis aurait pu être tué, « la raison aurait décoré de lauriers, la tête du soldat citoyen » mais ce ne fut pas le cas et j’affirme que « la raison flétrirait aujourd’hui le lâche qui insulterait son ennemi vaincu ». Comme un grand nombre de révolutionnaires Bernard Saint-Affrique est en conflit entre son humanité et le devoir révolutionnaire qui n’est pas, ne peut pas être un rêveur ni un théoricien, il est un homme d’action et de combat, qui doit agir sans répit et sauver, coûte que coûte, son œuvre. Or l’action implique un sacrifice, parfois même une renonciation à un principe cher. Bernard Saint-Affrique choisit la clémence par principe d’humanité contrairement à la majorité de ses collègues qui votent la mort du roi par devoir révolutionnaire,voir par humanité !

Son collègue représentant de l’Aveyron Louis Louchet vote la mort de Louis en ces termes :

« Louis XVI a mérité la mort… Louis doit mourir, il a conspiré contre la liberté publique : ouvrez le code pénal ; le code pénal punit de mort cet attentat. Consultez-vous l’intérêt de l’humanité ? Louis doit mourir ; car l’intérêt de l’humanité demande que la loi soit égale pour tous ». Enfin, il conclut : « que le tyran meure, puisque nous reconnaissons tous qu’il est coupable du crime de haute trahison, et que par conséquent il a mérité la mort… » [16].

Les partisans de la mort, l’emportent avec une majorité indiscutable. Le procès-verbal des quatre appels nominaux fut clos et le décret comportant quatre articles définitifs fut décrété : l’article II stipule : « La Convention nationale décrète que Louis Capet subira la peine de mort [17]. »Bernard Saint-Affrique par son discours lors du procès de Louis XVI, n’a pas voté la mort, il n’est pas Montagnard et siège au Centre. Homme de la Plaine, il n’en demeure pas moins, un révolutionnaire engagé. Il incarne une conception du nouveau régime qui se met progressivement en place. Il participe au grand saut dans le vide, avec ses convictions qui diffèrent des révolutionnaires les plus radicaux, mais ce discours, nous montre que l’ensemble de la Convention est sur le même chemin, celui qui est sans retour.

En conclusion : {{}}

Bernard Saint Affrique est lui aussi un révolutionnaire comme les autres. Il participe avec cette force politique que l’on nomme la Plaine à l’élaboration d’un nouveau régime et surtout d’un autre monde. Certes, cette Plaine nous semble avoir des contours indécis, mais le plus important me semble-t-il est que ces hommes sont des révolutionnaires à part entière. Ils sont impliqués dans un long processus de changement global. Ils sont bien, une composante majeure des ruptures qui ont lieu. pour preuve, Robespierre et le Comité de Salut public s’appuient sur la Plaine pour soutenir l’action révolutionnaire. Le 8 thermidor an II, Robespierre s’avance vers la Plaine et s’écrie : « C’est à vous , hommes purs, que je m’adresse et non à ces brigands ». Manœuvre politicienne, peut-être ? Mais cette apostrophe prouve que la Plaine est incontournable. Il faut accepter que les hommes qui constituent la Plaine sont bien des hommes comme les autres. Robespierre est conscient qu’il faut accepter de composer avec le réel de la Convention. Ne recherchent-ils pas le 8 thermidor l’arrêt de la Révolution ?

Sans le poids de ces républicains « du Centre »la République ne peut survivre. Ils soutiennent le gouvernement en place, certains peuvent penser par opportunisme ?

Cependant, notre conventionnel, nous montre encore une fois, par son discours, que ces hommes ont bien des convictions républicaines affirmées. Le retour en arrière est impossible, la République est là comme solution à la Révolution qui doit prendre fin.

Quand les partis, politiques ne sont pas encore formés, des individualités comme notre représentant ont des affinités fortes avec les autres révolutionnaires. En fait, les différences sont réduites, le but à atteindre est identique, même s’il y a des Républiques et non pas une conception de la République. Les circonstances entraînent ces hommes pour l’instant vers le but ultime et relativement flou : un régime Républicain, même si ces hommes s’éparpillent en une « aile droite et gauche, avec quantités de nuances ».

La première originalité de cette Assemblée, n’est-elle pas qu’il ne peut pour ces révolutionnaires, avoir de retour possible ?

Créative de l’avenir, d’une conception nouvelle de la Nation, du devenir des hommes, cette assemblée ou siège Bernard Saint Affrique n’est-elle pas un point de départ et d’arrivée ?

Par ce discours, Bernard Saint Affrique montre son humanité, un homme vertueux et enfin,un républicain comme les autres. Ce représentant du peuple, ne diffère pas sur ces points, de l’ensemble de ses collègues.

Une étude, des discours, prises de positions (notamment lors du procès du roi), etc…, des hommes de la Plaine nous montrerait certainement des similitudes avec ce discours fort du Représentant de l’Aveyron.

Les révolutionnaires qui siègent au Centre, ne sont-ils pas des révolutionnaires comme les autres ? Des Républicains comme les autres ?

Bernard Saint Affrique est un exemple de la « Plaine », soudé à une conception nouvelle de la politique. Il y a bien, une rupture de ses homme avec le passé.

Que l’on ait voté pour la mort du roi ou non, les temps ont changé. Ce ne sera plus comme avant, nous sommes dans l’après. C’est pour ces diverses raisons, entre autre, que les hommes de la Plaine méritent toute notre attention. Comprendre ces révolutionnaires nous permettrait, peut-être de comprendre les échecs des différentes forces politiques de la Convention et le pourquoi de l’échec ?

Il est légitime de s’intéresser à ces hommes, dits de la Plaine, du Marais voir ou Centre, poussés par l’enthousiasme d’une liberté acquise depuis peu. L’histoire, de ces révolutionnaires est également l’histoire d’individus comme Bernard Saint Affrique [18] qui, par ce discours et ce vote lors du procès de Louis XVI nous dévoile un attachement fort à la révolution et sa fille, la République. Il était lancé dans cette aventure dont l’issue n’était pas connue, et il se lance comme tous les autres révolutionnaires.

Il mérite donc, comme les autres, que cette trace qu’il nous a laissé, prenne sa place dans l’ histoire de la révolution française qui a oublié ses enfants de « la Plaine » !


Vandeplas Bernard, docteur en histoire contemporaine,
membre de l’ARBR


[1. BIARD (Michel), « Entre Gironde et Montagne. Les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793 », Revue Historique,P.U.F, n°631, 2004.

[2. dem.

[3. DOUZIECH (Jacques), « Louis Bernard Saint-Affrique », Revue du Rouergue. « En 1745, naît à Vallergue, dans le futur département du Gard, Louis Bernard, plus connu sous le nom de Louis Bernard-Saint-Affrique. Issu d’une famille protestante, Louis Bernard suit des études à Nîmes, puis à Lausanne, au séminaire français où nous le retrouvons, en 1763, parmi les étudiants en théologie qui se destine à devenir pasteurs. En 1770, il se marie avec Jeanne de Barrau de Muratel, veuve de Joseph Mathieu, docteur en médecine à Saint-Affrique, mère d’un jeune orphelin, Maurice Mathieu, général sous la République et qui, sous l’Empire, a siégé à la chambre des Pairs. Madame Bernard donne naissance à cinq enfants. Le premier naît le 15 août 1771 deviendra intendant militaire sous l’Empire et créé baron de Saint-Affrique par Napoléon 1er (…) Il exerce son sacerdoce à valleraugue de 1771 à 1774, puis à Saint-Affrique jusqu’à la Révolution. Ses contemporains le décrivent comme un homme sympathique, d’une grande bonté, doté d’un physique agréable et possédant une parfaite élocution… »

[4. BIARD (Michel), op. cit.

[5. Mémoires de R. Levasseur (de la Sarthe), ex-conventionnel, édition préfacée par Michel Vovelle, présentée et annotée par Christine Peyrard (1re édition, 1829-1831), Paris, Messidor-éditions Sociales, 1989, p. 85.

[6. Le jésuite Cambacérès, l’abbé Sieyès ou l’évêque Grégoire etc…

[7. SOBOUL (Albert). Actes du colloque Girondins et Montagnards, Sorbonne, 14 décembre 1975, Paris, Société des études Robespierristes, 1980. Alison Patrick, The men of the First French Republic, Political alignements in the National Convention of 1792, University Press, Baltimore, 1972. Alison Patrick compte au total 302 Montagnards, et Françoise Brunel en a retenu 267, pour Kuscinski, dans son dictionnaire des conventionnels en retient 302. « L’historiographie considérant les Girondins comme un ensemble relativement homogène, s’est attachée à dresser des listes. Tels n’est point le cas du groupe montagnard, déchiré par les factions. Par ailleurs, les listes de proscription de juin-octobre 1793 permettaient un dénombrement relativement aisé des Girondins ».137 députés Girondins sont dénombrés par J. Chaumié, « Les Girondins et les Cent Jours… », A.H.R.F., n°205, juillet-septembre 1971, pp. 330-365. Le nombre total des députés à la Convention est de 749.

[8. DOUZIECH (Jacques), op. cit. p. 468.

[9. KUSCINSKI (A.),  Dictionnaire des Conventionnels , édition du Vexin Français, Brueil-en-Vexin, Yvelines, 1973. Première édition : 1916.

[10. DUPUY (Roger), « La République jacobine : Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire 1792-1794 », Paris, édition Point Seuil Histoire, 366p. 2005.

[11. Archives Parlementaires de 1789 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres française fondé sous la direction de M. J. Mavidal et M. E. Laurant, Paris, Dupont, 1900, tome LVII-57, pp. 70-71, 92, 391-392, 465.

[12. SOBOUL (A.) sous la direction de , Actes du Colloque Girondins et Montagnards, Paris, Société des études Robespierristes, 1980. Article Les Girondins, p.53-60.

[13. Idem, article de BRUNEL (Fr.), Les députés Montagnards, p. 343-346.

[14. OZOUF, (Mona), Varennes, la mort de la royauté (21 juin 1791), éd. Folio histoire, Paris, 591 p. 2011.

[15. TACKETT, (Timothy), Le roi s’enfuit : Varennes et l’origine de la Terreur. », édition La Découverte/poche, Paris, 2007, citation p. 219.

[16. Louis Louchet, opinions de Louchet lors du procès de Louis XVI, Archive privée.

[17. Op. cit., « Le procès de Louis XVI », présenté par Albert Soboul.

[18. Ses écrits, ses interventions et ses votes sont rares, mais nous apprennent davantage sur l’homme. Par exemple, le 20 mai 1791, il prononce un long discours à la société des Amis de la Constitution de Saint-Affrique : « Dans l’ordre social comme dans l’état de nature, l’homme qui voudrait s’isoler serait toujours faible et impuissant… la société seule qui confirme l’homme dans ses droits, qui avec le secours de tous assure la propriété de chaque individu, qui est garante de la liberté, de l’égalité… qui n’a d’autre ambition que le bonheur commun… » Le 3 fructidor an III (le 20 août), il s’élève, sans résultat, contre le mode de désignation des futurs députés dans les deux Conseils formant le corps législatif : « N’êtes-vous pas convaincus que, sans la confiance du peuple, vous ne sauriez faire son bonheur ? Et bien, représentants, cette confiance, je dois vous le dire, vous ne l’avez pas ; et pour vous convaincre de cette triste vérité, consultez l’opinion… de bonne foi, et le résultat de ces derniers sera le même que celui de vos détracteurs… Ses ennemis proclament qu’elle est indigne de la confiance nationale ; et les bons patriotes avouent en gémissant qu’elle n’en jouit plus… » Il conteste le 8 ventôse an IV (le 27.02.1796), une adresse, signée « des Toulousains ». « je vous demande qu’est-ce qu’une nation composée de deux classes d’hommes dont l’une est surveillante et l’autre surveillée ? Nous avons eu malheureusement trop d’occasions de nous convaincre combien il est dangereux d’admettre des distinctions qui divisent les citoyens. Nous avons assez à gémir sur les temps passés, sans nous préparer encore des regrets pour l’avenir… Je le déclare, ce titre de patriote exclusif me fait peur ; et ce n’est excès d’amour propre ou de vœux perfides, qui peuvent porter quelques individus à se l’arroger… » Bernard Saint-Affrique est un homme de tolérance, de réflexion celui-ci est élu au Conseil des Anciens le 23 vendémiaire an IV (le 15.10.1795), il ne se représente pas au Conseil des anciens et abandonne sa fonction législative le 1er prairial an VI, il décède à Saint-Affrique, le 3 pluviôse an VII (22.01.1799). D’après Douziech Jacques et Kuscinski, op. cit.