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Une lettre inédite de Billaud-Varenne, déporté en Guyane, à son père, en Thermidor an VIII

samedi 22 mai 2021


Bruno DECRIEM nous encourage de lire une longue lettre inedite, écrite de Guyane par Billaud-Varenne à son père en 1800. Elle réunit bien des différents aspects de la difficile existence du déporté politique (vingt-et-un ans en Guyane, trois ans en Haïti).
Voir aussi : Pourquoi faut-il lire Billaud-Varenne ?

Une lettre inédite de Billaud-Varenne, déporté en Guyane, à son père, en Thermidor an VIII [1]

 [2] A l’habitation Dorvilliers, le 27 Thermidor, l’an 8, de la République française. [3]
 
 [4]Mon cher Papa, [5]

Si vous vous faites une juste idée de l’attachement que je vous dois et que je vous ai voué, vous n’aurez pas de peine à concevoir, de quelles inquiétudes j’étais tourmenté à l’égard des tendres et chers auteurs de mes jours ; lorsque vous saurez que votre précédente lettre qui était la seule de toutes celles que vous avez eu l’attention de m’écrire qui me fut encore parvenue jusqu’alors date déjà du 29 fructidor an 5e. [6]J’avais pressenti d’avance que vous n’aviez point reçu non plus celles que je vous avais adressées dans le cours de cet espace de temps : parce que, sans occasions directes et sûres, on ne peut guère compter sur une correspondance suivie ; et la guerre, en multipliant les obstacles aux relations maritimes, restreint en outre dans les colonies la possibilité des envois. Car quoique j’eusse fait une réponse à votre dernière lettre du 10 brumaire, an 8e [7] dès le 27 nivôse suivant [8] elle est restée là, faute de bâtiments pour qu’elle parte et l’ayant recommencée dans l’intervalle, j’ignore quand je serai plus heureux pour celle-ci, que je tiens prête afin de profiter du premier vaisseau. Vous sentez sans doute, combien cette privation réciproque aggrave ma situation par les cruelles alarmes qu’elle me suscite : et le ciel m’est témoin, que de tous mes soucis, ce n’est pas celui qui me coûte le moins à dévorer.

Enfin, mon cher Papa, votre dernière, en m’apprenant que vous jouissiez d’une bonne santé, quand vous me l’avez adressée, m’a comblé de satisfaction. Puissiez-vous en obtenir la continuation soutenue ! C’est un de mes vœux les plus ardents, et dont l’accomplissement me procurera le plus de joie. Quant à moi, mon physique usé par les revers, par les chagrins, par la misère, par les infirmités, suites d’un climat dévorant et malsain, ne se maintient que d’une manière chancelante. [9] Fréquemment je suis assailli de maladies aiguës, et auxquelles il est inconcevable que j’ai pu échapper jusqu’à ce jour. Je vous dirais même que votre lettre, par son expression affectueuse et consolante, m’a causé une jouissance d’autant plus douce qu’elle m’a trouvé au commencement d’une convalescence à l’issue d’une fièvre accablante qui dans le cours du mois frimaire dernier, et pour la sixième fois, depuis que j’habite la Guyane française, m’a conduit aux portes du trépas. [10] Si je compte ces époques funèbres, ce n’est ni pour vous navrer, ni pour m’en plaindre. Car le mal passé n’est plus rien : et d’ailleurs il semble que la nature m’avait moulé pour le sort qui m’attendait puisque quand j’ai à lutter contre une adversité, peut-être sans exemple, j’ai du moins à lui opposer un courage, et une constance à toute épreuve. [11]

Au lieu donc de vous parler de mes souffrances, je vous apprendrai, mon cher Papa, que je viens à la fin d’atténuer celle qui m’était le plus pénible, parce qu’elle blessait davantage ma délicatesse. Jusqu’ici commandé par la nécessité, et cherchant aussi un peu trop à soulager mes ennuis, en me berçant de chimères j’avais vécu sans ressources, et pour ainsi dire, sans asile, ne devant qu’à la commisération la retraite qu’elle m’avait accordée sur l’habitation Chevreuil. [12] Heureusement, l’affreuse détresse où j’ai été plongé, pendant ma dernière maladie, m’a fait sentir l’urgence de m’arracher au moins, à un état si précaire et si diséteux. Dès ce moment, j’ai banni de ma pensée toute illusion trompeuse, pour considérer ma situation, dans son exacte réalité. J’ai vu que c’était trop, d’être exposé sans cesse à manquer de tout, et d’être en outre à charge à autrui. Cette pénible et honteuse extrémité ne convient point aux sentiments de l’éducation que vous m’avez donnée, et je suis encore à concevoir comment j’ai pu y languir si longtemps, quand il était en moi, de ne devoir mes ressources qu’à mon travail. Revenu soudain de cet état froissant et croupissant, pour ne plus avoir, ni à en gémir, ni à en rougir, je me suis mis sans délai, à recommencer encore une fois à gagner ma vie. Or le pays, ainsi que mes facultés, ne m’offrant qu’un seul moyen, pour exécuter cette résolution, celui de l’entreprise du bail d’une habitation, je l’ai saisi sur le champ. Et malgré que je ne sois entré en jouissance que depuis deux mois, je m’en trouve déjà très bien.
 [13] Indépendamment que mon existence a cessé d’être onéreuse à qui que ce soit, ce qui est pour moi une vive peine de moins, j’ai avec le temps, de quoi satisfaire à mes engagements : et de plus sont annulés l’embarras et la difficulté de me procurer mes besoins, que ma ferme me fournit suffisamment. Je suis même délivré, tant que j’en jouirai, de l’inquiétude torturante d’un avenir, me menaçant sans relâche, des atteintes de la misère. Je n’ai jamais recherché la fortune mais être continuellement dénué du plus étroit nécessaire, est un supplice à la longue insupportable à la plus ferme résignation. Voilà donc votre fils devenu un bon fermier, et cet emploi me convient d’autant mieux, que j’ai toujours passionnément aimé la vie champêtre. Aussi depuis que je porte ce titre, me semble-t-il que j’ai presque oublié tous mes malheurs : ou préoccupé des soins et des travaux de l’agriculture, ils absorbent en partie les idées sinistres de ma position : je vis content, parce que je vis tranquille, et je me complais à vous l’annoncer, pour faire partager à votre âme sensible, l’allégement que la mienne vient de recevoir.
 
Par cela même, que le mieux que je goûte, ne me montre le malaise d’où je sors. Que plus horrible, je redoute davantage d’y retomber, et quoique ma ferme soit de cinq ans, j’en aperçois d’avance le terme avec sollicitude. Ce qui augmente ce déplaisir est l’embarras où je retomberais à l’expiration de mon bail, si j’étais forcé de déguerpir, avant d’avoir pu profiter du fruit de mes peines et de mes dépenses, puisque ce domaine ne commencera guère qu’à ce terme, à être en pleine valeur. [14]

Enfin la propension que j’ai de m’attacher infiniment aux endroits où je demeure, entre pareillement pour beaucoup dans le regret que j’aurais a être dépossédé. Car ici cette habitude devient d’autant plus forte, que les soins que je me donne pour améliorer cette habitation, me la rendent chaque jour plus agréable. Je désirerais donc pouvoir l’acheter. Mais j’ignore à qui il faut précisément s’adresser à cet effet. La ferme m’en a été passée par un citoyen de Cayenne, nommé Francony, fondé de procuration de la citoyenne Dorvillier, veuve, ou héritière du propriétaire, portant le même nom, qui est également celui de l’habitation. [15] Je présume que cette famille doit demeurer à Rochefort, et j’ose vous prier, mon cher Papa, de vouloir bien prendre quelques renseignements à cet égard. Car depuis mon bail, on a fait rentrer cette habitation, dans le nombre des domaines nationaux : et je me propose d’écrire à ce sujet à ma femme, pour qu’en cas que ce bien appartienne à la République, elle fasse auprès du gouvernement les démarches nécessaires. [16] Du reste le Procès-verbal qui vient d’être dressé, pour régler le prix du bail, d’après une estimation constatée par experts, en porte la valeur foncière et mobilière à vingt-mille livres, argent des colonies, et j’en paye douze-cent livres de ferme : ce qui est à peu près tout ce qu’elle peut valoir. Ayant été excessivement négligée, puisque cette année, il m’en coûtera plus de trois-mille francs de frais extraordinaires, pour commencer à la remonter, et qu’elle doit à son précédent gérant, quatre-mille livres. Néanmoins j’offre de l’acheter à constitution de rente, sur le pied de son estimation, ou même de ma ferme, c’est-à-dire, j’en donnerai de vingt à vingt-quatre mille francs, suivant que le propriétaire sera plus ou moins traitable. A ce dernier prix fixé, je pourrai encore me tirer d’affaire, parce qu’ici, malgré que les frais d’exploitation soient assez considérables, vu le grand nombre de bras qui y sont employés, les biens, quand ils sont administrés comme il faut, rendent pour l’ordinaire plus amplement qu’en France, à cause de la variété des productions, dont les récoltes tombent successivement dans toutes les saisons, et qui plus est chacune d’elles est double. Car par exemple, le cacao, le coton, et le café se cueillent tous les six mois. [17] De sorte qu’en toutes dépenses payées, j’espère avoir un excédent chaque année, au moyen des améliorations que je fais, qui me mettra en état de rembourser le capital, sans un trop long délai : et pour en restreindre l’attente, si le vendeur l’exige, je le lui ferai passer à mesure, par quelque maison de commerce, afin d’éviter les chances de la guerre. Au surplus ce ne sera sûrement pas un mauvais marché pour le propriétaire, puisque j’ai tout lieu de présumer, que depuis peut-être dix ans, il n’a pas touché un sol de ce domaine, que dans ce moment, il est grevé de quatre-mille livres, dues au porteur de procuration, ce qui, en absorbant le prix de près de quatre années de bail, atteste que jusqu’alors les frais ont excédé les revenus. S’il y a en France quelqu’un qui ait des droits légitimes sur cette habitation, il ne sera pas difficile à découvrir, en s’informant des héritiers d’un Dorvillier qui était gouverneur de cette colonie, il y a environ trente ans. [18] Macaye m’a dit qu’il avait laissé une veuve, un fils et deux filles, qui demeuraient à Rochefort. Si ces personnes sont toujours-là, elles pourraient envoyer leur pouvoir de me vendre au prix et aux conditions que je viens de vous détailler, en joignant à cette procuration, les titres justificatifs de leurs droits actuels : ce qui est une formalité indispensable, attendu que faute de l’avoir remplie, le gouvernement s’est mis en possession de ce domaine. Ainsi vu la proximité de votre résidence, avec celle des propriétaires, s’il y en a, j’ose vous prier de vouloir bien traiter avec eux cette affaire, dont la conclusion, en fixant ma destinée, contribuera beaucoup à me la rendre moins douloureuse. Je crois devoir vous observer, à l’égard de la procuration de vente que je désire, qu’il importe qu’elle soit spéciale, c’est-à-dire nominative, en me désignant formellement. En sorte qu’elle soit rédigée, comme un marché décidément conclu avec moi, autrement, et si elle était conçue en termes vagues, je serais exposé aux désagréments, d’une concurrence, d’autant plus envieuse, que les accroissements de culture que je fais, ne serviraient que mieux à l’exciter. Si donc ce n’est point un bien de la République, je chargerai ma femme, de vous faire passer l’extrait de l’arrêté de l’administration de Cayenne, qui, déclarant cette habitation dans la classe des domaines nationaux, prouve aux propriétaires, la nécessité de se mettre en règle, et une expédition du procès verbal d’estimation, et de l’acte de ferme afin de constater quelle est l’exacte valeur de cette habitation, et de justifier que j’en offre le juste prix. [19] Du reste quand vous avez déjà eu la bonté de tout faire, pour me procurer un bien être, je ne dois rien ajouter pour vous solliciter avec plus d’instances, de contribuer à m’obtenir définitivement celui-ci.
 
Mais c’est assez, si ce n’est pas trop vous avoir entretenu de ce qui me concerne. Je reviens à votre lettre, pour vous l’exprimer, mon cher Papa, combien les nouvelles que vous me donnez de mon pauvre frère Henri, ont concouru à accroître l’allégresse qui a fait tressaillir mon cœur à la lecture de ses précieuses lignes. [20] Car je vous l’avoue, je ne les espérais point, dans la sinistre persuasion qui me faisait craindre, que l’Amérique si fatale à vos enfants, n’eût déjà servi de tombeau à celui qui m’y avait précédé. Rassuré par la longueur du séjour qu’il a fait dans les colonies, et qui a du l’acclimater, ce que vous me dites du dérangement de sa santé, en m’affectant beaucoup , m’alarme moins parce que cet hémisphère, tout dévorant qu’il soit, semble perdre un peu de sa prise, sur les tempéraments qu’il a déjà usés.

Cependant je désire avec ardeur, pour votre commun contentement, que mon frère se rende à l’invitation que vous lui avez adressée, de se rapprocher de vous. Il appartient à un si bon père de ne vivre pleinement satisfait, qu’entouré au moins du plus grand nombre de ses enfants. Je souhaite donc que son heureuse arrivée, vous comblant de joie, vous fasse oublier qu’il en reste encore un, derrière lui. Certes je ne puis être fâché de savoir que, distrait par les soins du plus grand nombre de votre famille, vous songiez moins à moi, puisque votre âme sensible ne peut s’en occuper qu’avec amertume.

On m’a remis la malle que vous m’avez envoyée, et je vous remercie des peines que vous vous êtes donnée pour me la faire parvenir. Toutefois n’étant composée, que d’effets nullement propres aux colonies, et qui d’ailleurs n’ont pu que s’avarier, dans l’intervalle de cinq ans ; Peut-être ma femme eût-elle aussi bien fait de la garder. [21]

A cet égard, je vous avoue, que le silence absolu, que vous gardez dans vos deux lettres sur son compte, ne m’a point échappé : et connaissant la tendresse de votre cœur, il me paraît l’indication funeste, que vous n’êtes pas satisfait d’elle, ou du moins il me le fait appréhender. Je ne sais quel sujet de mécontentement elle a pu vous procurer. [22] Mais si elle avait eu ce malheur, quel-qu’en fut le genre, songez je vous en conjure, mon cher Papa, dans quel gouffre d’adversité, les revers l’ont aussi plongée. Ils sont trop rares ceux qui en butte à des coups si terribles et si bouleversants, ont la tête assez forte pour ne la pas perdre : et tel qui dans la prospérité, eût mené toute sa vie une conduite exemplaire, accablé soudain par l’infortune, et se laissant entraîner par le désespoir,se précipite de là dans des écarts. C’est alors qu’on a plus besoin que jamais des monitions de la sagesse. C’est alors que le délaissement des gens vertueux, achève de concourir à la perte de l’être abandonné. C’est donc sous ce rapport, c’est au nom de la tendresse que vous me témoignez, c’est en comptant sur votre irrésistible penchant à vous intéresser à tout ce qui a des droits sur votre âme, que je vous rappelle ceux que lui ont acquis auprès de vous, le titre de mon épouse. Si toutefois elle a été capable de manquer à ce qu’elle vous devait, pardonnez quelque chose à la morosité qui accompagne le malheur. On est bien près de déplaire à autrui, dans la tourmente d’une affreuse situation, qui fait qu’on devient insupportable à soi-même. Mais quand la force de l’orage a faibli, plus de calme restitue la réflexion, et l’on est plus disposé à réparer ses déviations. Depuis la tempête la retraite et l’obscurité, l’austérité de principes, et la régularité de mœurs forment le modèle, que je m’applique à présenter à ma femme, il est vrai, d’un peu loin, pour qu’elle puisse s’en pénétrer, en le contemplant. Que vos bons conseils l’y ramènent, si elle s’en est écartée ! A qui appartient-il davantage, qu’à la voix imposante de la paternité de faire rentrer l’égarement dans le doit chemin ! D’ailleurs tant que nous avons vécus ensemble, il faut le dire à sa louange, sa conduite a constamment été sans reproches, et je suis loin de croire, qu’elle ait oublié que l’observation rigoureuse des vertus, est le premier devoir, comme l’unique source d’une satisfaction pure.
 
Je l’apprends par moi-même : puis qu’en dépit de l’aigreur de mes souffrances, j’en trouve l’ample dédommagement dans la sérénité, et le témoignage consolateur d’une conscience intacte, dans la certitude que tant de persévérance et de fermeté, opposées à tant de sacrifices douloureux, me rendent de plus ne plus digne de votre attachement, et par conséquent de l’estime de tous les gens de bien ; enfin dans l’espoir si flatteur, et qui a toujours été mon objet, de recueillir la gloire immortelle qui attend tôt ou tard l’homme probe, qui ne s’est pas plus démenti, étant assailli par les angoisses des revers, que lorsqu’il fut bercé par les prestiges séduisants de la prospérité. [23]
 
Je vous réitère mes sensibles remerciements de l’assurance que contient votre lettre de faire tout ce qui dépendra de vous pour alléger mon sort. Après les marques que j’ai reçues de votre tendre bienveillance, j’en aurais été convaincu, quand même vous ne m’en eussiez point parlé. Mais est-ce à mon âge, que je dois encore devenir onéreux ? Et quoique, si j’en étais réduit-là, ce serait sans doute plus la faute des circonstances, que la mienne ; encore en serais-je honteux, et profondément affligé. Sans sûrement rien retrancher de toute la reconnaissance que je vous dois, je ne me félicite, que mieux, de m’être enfin mis en état de suffire à mes besoins. Et c’est pour m’épargner à jamais le pénible déplaisir de retomber quelque jour à votre charge, par le renouvellement de la dure nécessité de recourir à votre âme bienfaisante pour obtenir des secours, que je n’ai point hésité aujourd’hui de m’adresser à vous, pour que vous vouliez bien avoir la complaisance de vous occuper de l’acquisition que j’ai en vu, afin de m’assurer, s’il est possible, la seule ressource qui me délivrant de la gêne et de la pénurie, me dispensera, en même temps de mettre votre générosité à contribution. Que du moins, s’il ne m’est pas permis de vous restituer à mon tour, une partie du bien dont vous m’avez comblé, fassent le ciel et mon travail, que je sois désormais dispensé de vous prier derechef d’en prolonger la série trop aggravante au grès de ma délicatesse.

Je vous renouvelle, mon cher Papa, les vœux ardents que je fais pour la continuation de votre bonne santé, et pour votre inappréciable conservation. J’y joins toutes les vives inspirations du plus sincère et du plus brûlant attachement, ainsi que les doux embrassements du fils le plus tendre. [24]

 Salut et Respect,

 BILLAUD-VARENNE.

 
P.S. Sous le couvert de cette lettre, il y en a une seconde, pour ma chère maman, [25] et une troisième, pour mon frère Benjamin, [26] que je vous prie, d’avoir la bonté de leur remettre. [[Devenu portugaise en 1809, la Guyane fut restituée à la France en 1815. Craignant sans doute la Restauration et le retour des Bourbons, Louis XVIII, le frère de Louis XVI, Billaud-Varenne décida de quitter rapidement la Guyane française et s’embarqua pour les États-Unis avec Virginie sa compagne, en mai 1816, après avoir vendu son domaine de l’Hermitage ainsi que ses esclaves en février 1816. Malade de dysenterie chronique, désormais âgé de soixante ans, il se rendit à Newport puis à New-York et espérait, un temps, se fixer à la Nouvelle-Orléans. Mais le froid trop vif du pays, la barrière de la langue, les coutumes des habitants, la trop grande importance de l’argent, le firent renoncer à ses premières intentions.

Charles Vellay, Billaud-Varenne aux États-Unis (5 mai-18 juillet 1816) dans : Revue historique de la Révolution française, avril-juin 1911.

Il gagna donc Haïti dont la partie de Port-au-Prince s’était constituée en République en 1804, où régnaient enfin le calme et la tranquillité. Il y fut accueilli favorablement par le président Alexandre Pétion qui lui attribua même un traitement mensuel comme conseiller. Billaud-Varenne s’installa avec Virginie dans une case située non-loin de Port-au-Prince. Cette case était constituée de deux pièces et d’une alcôve. Billaud, fatigué, recevait ses visiteurs dans un fauteuil originaire de France ! Il se lia d’amitié avec plusieurs personnes, Colombel, jeune mulâtre né à Saint-Domingue, secrétaire du président Pétion, admirateur et respectueux de Billaud-Varenne, et Frédéric Martin, ancien chef de bureau au ministère de la guerre sous l’Empire, arrivé à Port-au-Prince en janvier 1817.

Souvent malade, usé, de rechutes en rechutes, sa santé s’aggrave encore en raison du climat peu clément. Le docteur Nicolas Chervin, de passage un temps à Haïti, spécialiste de la fièvre jaune, le visite régulièrement et laissera plus tard des souvenirs intéressants sur le Conventionnel.

Il semblerait que c’est à cette époque que Billaud-Varenne reprit l’écriture et qu’il conversa avec les uns et les autres sur la Révolution française, laissant des notes où il « regrettait » sa participation au 9 Thermidor, voire à l’élimination de Danton.

« La Révolution puritaine a été perdue le 9 thermidor ; depuis, combien de fois j’ai déploré d’y avoir agi de colère ! […] J’ai vu la réaction qui fit naître le 9 thermidor, c’était affreux ; la calomnie venait de partout. Cela dégoûte bien des révolutions. » (Bégis, 234.)

« Je reste avec la conviction intime qu’il n’y avait pas de 18 brumaire possible, si Danton, Robespierre et Camille (Desmoulins) fussent restés unis aux pieds de la tribune. » (Bégis, 237.)

Tous ces « remords tardifs » sont extrêmement suspects, venus de propos rapportés et publiés bien après la mort de Billaud-Varenne. Il convient aussi de les situer dans le contexte politique de l’agitation républicaine des années 1830.

Il semble plus plausible qu’il voulut rédiger, sur commande, une histoire de la Révolution de Saint-Domingue, comme il avait envisagé une histoire de la Guyane. Seules douze feuilles du premier ouvrage furent imprimées et l’ouvrage abandonné. Le second serait parvenu dans les papiers de Frédéric Martin.

D’autres manuscrits (sur Saint-Domingue, et la Question de droit des gens, sur les républicains d’Haïti) auraient disparus, victimes d’un naufrage en 1823 quand Colombel les ramenait à Londres, avec l’intention de les publier en France.

Tous ces documents, réels ou supposés, sont maintenant perdus. Dans les documents inédits de Virginie, on retrouve une adresse politique « Aux Républicains d’Haïti suivant la mort de Pétion » tendant à montrer son engagement politique en faveur de la République d’Haïti dirigée par Alexandre Pétion puis, après sa mort, par le général Jean-Pierre Boyer.

En mars 1819, Billlaud tomba à nouveau malade et se remit difficilement, grâce aux soins de Virginie et de son médecin M. Mirambeau.

Le 30 mai 1819, il écrivit à son ami Guillemet (Est-ce sa dernière lettre ?) :

« Je jouirais ici, d’un contentement parfait, y vivant dans une tranquillité profonde et environné même d’une considération très flatteuse, si ma santé, toujours mauvaise, voulait m’accorder quelque relâche. Mais je viens encore d’assurer une quatrième maladie, plus terrible que les trois précédentes et qui m’a réduit à la dernière extrémité. Enfin, à force de courage et de bons soins, grâces au ciel, je suis parvenu à la surmonter, et, quoique excessivement faible pendant ma convalescence, je suis pourtant aussi bien qu’on peut l’être, dans un pareil état. Billaud-Varenne. » (Bégis, 245-250.)

Le 7 juin 1819, il se rendit dans une pauvre cabane des Mornes-Charbonnières qui appartenait à sa blanchisseuse, Marie-Jeanne Brousse. Veillé par Virginie, ce fut l’agonie. Billaud-Varenne s’éteignit paisiblement le 13 juin 1819.

Plus tard, pour rester fidèle au personnage, on lui attribua des dernières paroles, tirées du dialogue d’Eucrate et de Sylla, de Montesquieu, sans doute apocryphes : « Mes ossements, du moins, reposeront sur une terre qui veut la liberté ; mais j’entends la voix de la postérité qui m’accuse d’avoir trop ménagé le sang des tyrans d’Europe. » (Bégis, 249-250.)

Les funérailles de Billaud-Varenne furent organisées aux frais de la République d’Haïti. Il fut inhumé au cimetière de Port-au-Prince en présence de Frédéric Martin. Sa sépulture serait située dans l’angle nord-ouest de l’ancien cimetière intérieur.

Malheureusement, le site sera réutilisé pour la construction d’une église, l’église Sainte-Anne en 1877, et sa sépulture n’a pas été préservée. Des recherches, lors du Bicentenaire de la Révolution, effectuées par quelques érudits locaux, n’ont pas abouties.

Seul son acte de décès a été conservé dans le registre des actes de décès de la commune de Port-au-Prince :

« Du 31e jour du mois de décembre 1819,

16e année de l’indépendance d’Haïti.

Acte de décès de Jacques-Nicolas Billaud Varenne, Français, âgé d’environ 60 ans, natif de la Rochelle, décédé le 13 juin, présente année, à 4 heures de relevée, dans la maison de la citoyenne Marie-Jeanne Brousse, rue des Frontforts.

Suivant la déclaration faite par devant moi, officier de l’état civil en cette ville, par le citoyen Guy-Joseph Bonnet, général de division, commandant l’arrondissement des Gonaïves, présentement en cette ville, assisté des citoyens Jean-Baptiste Viau, âgé d’environ 40 ans, capitaine, aide de camp du Président d’Haïti, interprète juré, propriétaire en cette ville, et Colombel, âgé de 33 ans, témoins requis. Dont acte que nous avons signé, avec le déclarant et lesdits témoins. Ainsi signé aux registres : Bonnet, Viau jeune, Colombel et Jérôme Coustard, officier civil.

Collationné : Jérôme Coustard. » (Bégis, 250-251.)

De la main de Billaud-Varenne. Archives Départementales de Charente-Maritime, 4 J 4647.

Notes de Bruno DECRIEM, Vice-Président de l’ARBR


Voir en ligne : Pourquoi faut-il lire Billaud-Varenne ?


[1Cette lettre originale écrite par Billaud-Varenne a été acquise par les Archives Départementales de Charente-Maritime de La Rochelle, sa ville natale. Elle a été achetée à Paris le 13 novembre 2013. Elle est conservée sous la cote 4 J 4647. Elle comprend huit pages. Dans son intégralité, elle est inédite. Les Archives Départementales de Charente-Maritime ont eu la gentille de m’en adresser une copie numérisée ainsi qu’une version papier. Je leur renouvelle ici toute ma gratitude.

Alfred Bégis en a cependant publié des extraits dans sa vaste notice biographique sur Billaud-Varenne, en préambule des mémoires de Billaud-Varenne. p. 122-127.

« Curiosités Révolutionnaires Billaud-Varenne membre du Comité de Salut public, Mémoires inédits et correspondance accompagnés de notices biographiques sur Billaud-Varenne et Collot -d’Herbois par Alfred Bégis, de la Société des Amis des Livres, Paris, Librairie de la Nouvelle Revue, 1893, 455 p. » (Abréviation : Bégis)

Par le plus grand des hasards, je possède l’exemplaire de ce livre ayant appartenu à Denise Centore-Bineau (1911-1989), auteure notamment d’une biographie remarquée de Saint-Just, publiée aux éditions Payot, en 1936.

Cette correspondance de Billaud-Varenne, reçue par la famille de Billaud, à La Rochelle, Alfred Bégis, érudit et bibliophile l’a obtenue des héritiers de Gabriel Bellion (1824-1880) fils de Clémentine-Henriette Billaud, fille de Benjamin Billaud, le frère cadet de Jacques-Nicolas, seule descendance de la famille Billaud. Cette correspondance du grand-oncle a d’abord été léguée à sa mort à Anne-Marie Foehr par Gabriel Bellion par reconnaissance à celle qui l’avait élevé, sa mère étant décédée en 1828. Sans descendance, Anne-Marie Foehr la céda à l’Académie des Sciences où Bégis put l’utiliser pour sa notice érudite. Il semble désormais que cette correspondance originale est désormais hélas dispersée et vendue. Cette lettre présentée ici faisait partie, à l’évidence, du fond Gabriel Bellion.

Cette pratique mercantile a d’ailleurs scellé le sort d’une autre correspondance des Billaud-Varenne, celle que conservait Virginie, (ou Brigitte selon son véritable nom), la compagne originaire de Guadeloupe « esclave noire libre » de Billaud en Guyane puis à Haïti. Un ensemble de trente-trois documents exceptionnels et inédits dont plusieurs lettres, était vendu aux enchères chez Sotheby’s le 9 novembre 2011, pour la somme de 12.500 euros. Ainsi, un patrimoine exceptionnel d’un acteur majeur de la Révolution française disparaissait dans des mains privées en empêchant donc les historiens d’avoir accès à ces importantes sources de la dernière période d’existence de Billaud-Varenne. (Abréviation : Documents inédits-Virginie)

[2Sur une page qui précède la lettre, on trouve, d’une écriture non identifiée, ces lignes : « Lettre de Jean-Nicolas Billaud-Varenne député à la Convention à Paris à son père, de son habitation « Dorvillier » en Guyane pendant sa déportation (8 pages) 15 août 1800. »

Sur la Guyane sous la Révolution française :

Yves Bénot, La Guyane sous la Révolution ou l’impasse de la Révolution pacifique, Paris, Ibis Rouge Éditions, 1997, 222 p.

L’acte de baptême de Billaud-Varenne écrit le 26 avril 1756, paroisse Saint-Barthélémy, de la Rochelle est conservée aux archives municipales de la ville. Il précise les véritables prénoms du nouveau-né : Jacques-Nicolas. Je remercie le Conservateur du Patrimoine des archives municipales de La Rochelle de m’avoir octroyé une copie de cet acte de naissance de Billaud-Varenne. (28 mai 1993)

[3Au crayon à papier, la date du 15 août 1800 est notée. D’une autre écriture, peut-être de celle du père de Billaud-Varenne, on peut lire sous cette ligne : « Reçu le 15 prairial an 9 ». Le même crayon à papier traduit la date du calendrier républicain : 4 juin 1801.

Il aura donc fallu dix mois pour que la lettre parvient à son destinataire ! Et comme on le verra, pour de multiples raisons, cette longueur de distribution du courrier entre la France et la Guyane fut récurrente, et parfois même, hélas, volontaire, en ce qui concerne Billaud-Varenne.

« Le courrier familial ne fut transmis au prisonnier que plusieurs années après son arrivée à Cayenne, résultat de brimades à son encontre de la part du gouverneur Jeannet. » (Documents inédits-Virginie)

[4Il existe plusieurs biographies de Billaud-Varenne. Aucune n’est réellement satisfaisante. Elles reflètent trop souvent les tendances de l’époque, et ne sont pas d’ailleurs exemptes d’erreurs. Elles ont cependant le mérite de sortir de l’ombre ce grand révolutionnaire par trop méconnu :

Jacques Guilaine, Billaud-Varenne L’ultra de la Révolution, Paris, Fayard, 1969, 377 p.

Arthur Conte, Billaud-Varenne, Géant de la Révolution, Paris, Olivier Orban, 1989, 529 p.

Françoise Brunel (Introduction et notes) dans : Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du système social, Paris, publications de la Sorbonne, 1993, 271 p.

Bruno Decriem, Billaud-Varenne/Robespierre ou le malentendu de Thermidor, Lille, Éditions E.M.R., (A.R.B.R.), 1993, 109 p.

François Boddaert, De la vertu, disparue des Tribunes (Pour réhabiliter Billaud-Varenne), Éditions Obsidiane, 2017, 113p.

Thomas Primerano, Rééduquer le peuple après la Terreur La philosophie politique et sociale de Billaud-Varenne, Paris, Books on Demand, 2020, 317 p.

De nombreux articles souvent savants ont été publiés sur certains aspects de l’œuvre politique de Billaud-Varenne. Parmi ceux-ci, on lira avantageusement :
Françoise Brunel, L’acculturation d’un révolutionnaire : L’exemple de Billaud-Varenne (1786-1791) dans :

La revue : « Dix-Huitième siècle n° 23, 1991, pp. 261-274. thème : Physiologie et médecine. »

[5Le père de Billaud, Nicolas-Simon-Marie Billaud est né en 1726. Il est issu d’une famille bourgeoise de notoriété importante, installée dès le XVIe siècle à La Rochelle. Magistrat de tradition, maître Simon Billaud, son père, était avocat au présidial. Nicolas devient lui-aussi avocat au siège présidial de La Rochelle, conseiller du roi, lieutenant des traites foraines et domaniales, Substitut du procureur général de la cour des aides. Il se marie en septembre 1752 avec Henriette Suzanne Marchant. Ils auront trois enfants, trois garçons, Jacques-Nicolas né en 1756, Henri en 1762 et Benjamin en 1768. Billaud père décède le 31 mars 1809.

[615 septembre 1797. Cette lettre est restée inédite. (Documents inédits-Virginie)

Les communications entre la France et la Guyane étaient difficiles. Outre l’inévitable traversée de l’Océan Atlantique : Le voyage de Billaud et de Collot d’Herbois, déportés avait duré plus de 45 jours ( du 7 prairial au 18 messidor an II- 26 mai au 6 juillet 1795), la guerre contre l’Angleterre compliquait encore les trajets rendus peu sûrs. Le rôle du gouverneur de Guyane Jeannet (du 6 floréal an IV au 15 brumaire an VII-25 avril 1796 au 5 novembre 1798), un parent de Danton, est également à souligner, multipliant de nombreuses brimades à l’égard de Billaud-Varenne, parmi lesquelles la rétention de son courrier. Dans une brochure « Notes sur quelques passages du mémoire de Ramel » publiée rapidement en l’an VIII, Jeannet se défendit contre ces accusations de brimades à l’égard des déportés essentiellement royalistes et autres modérés à la suite du coup d’état du 18 fructidor an V-4 septembre 1797. Sur les déportés de germinal an III Jeannet écrit : « L’ami de Danton ne pouvait être ni celui de Collot ni celui de Billaud : mais si l’homme public n’est pas toujours impartial au fond de son cœur, il doit du moins se montrer comme tel ; et ce principe a constamment dirigé ma conduite avec Collot et Billlaud. » L’arrivée du nouveau gouverneur Victor Hugues, le 17 nivôse an VIII-6 janvier 1800, ancien accusateur public du tribunal révolutionnaire de Rochefort, ancien ami des Montagnards Lequinio, Laignelot et donc de Billaud-Varenne lui-même, améliora grandement les conditions d’existence de Billaud, et de nombreuses lettres de ses amis et de sa famille furent amenées de France par le gouverneur lui-même.

[71er novembre 1799.
Quelques jours plus tard, le coup d’état des 18 et 19 brumaire an VIII-9-10 novembre 1799 renversait le Directoire et amenait Napoléon Bonaparte au pouvoir. Par un arrêté du 5 nivôse an VIII-26 décembre 1799, Le Consulat autorisait le retour de Billaud-Varenne en France. Selon le capitaine Bernard, aide de camp du gouverneur Hugues, Billaud-Varenne refusa cette « grâce » en ces termes écrits : « Je sais par l’histoire que les consuls romains tenaient du peuple certains droits, mais le droit de faire grâce, que s’arrogent les consuls français, n’ayant pas été puisé à la même source, je ne puis accepter l’amnistie qu’ils prétendent m’accorder. » (Bégis, 132.)

[816 janvier 1800

[9Ce « climat dévorant et malsain », ces difficultés extrêmes d’existence des déportés politiques en Guyane sont analysées dans l’article suivant :

Mette Harder, Survivre en milieu hostile ? Les relations entre les déportés exilés en Guyane, an III-VIII, p. 201-209 dans :

François Antoine, Michel Biard, Philippe Bourdin, Hervé Leuwers et Côme Simien ( Sous la direction de), Déportations et exils des Conventionnels, Paris, Société des études robespierristes, Collection études révolutionnaires, n° 19, 2018.

La déportation de Billaud-Varenne en Guyane a été principalement étudiée par Alfred Bégis, dans sa note biographique, en utilisant sa correspondance détenue par l’auteur , (Bégis, essentiellement p. 58-259).

De nombreux mémoires ont été rédigés par les députés et autres politiques souvent d’obédience royalistes épurés par le Directoire lors du coup d’état du 18 fructidor an V-4 septembre 1797, et condamnés, à leur tour, à la déportation en Guyane. Ces intéressants mémoires racontent leur improbable rencontre avec Billaud-Varenne, et surtout nous donnent de très nombreux renseignements sur son existence d’exilé et de proscrit. Il convient néanmoins de ne pas les accepter sans critique, dans la mesure où ces « députés fructidorisés » ont des opinions politiques aux antipodes de celles de Billaud-Varenne, resté fidèle aux idéaux Montagnards de l’an II.

Ces nombreux mémoires publiés dès le retour de leurs auteurs, montrent avec réalisme la tragédie de la déportation en Guyane, notamment en raison des maladies, fièvres tropicales, et autres. On lira donc les mémoires, tous disponibles sur Gallica, la bibliothèque de la B.N.F. :

Jean-Pierre Ramel, Relation de la déportation à Cayenne des citoyens Barthélémy, Pichegru, Willot, etc. à la suite de la journée du 18 fructidor 5e année, Hambourg : Londres, J. Wright, 1799, 271 p.

André-Daniel Laffon-Ladebat, Anecdotes secrètes sur le 18 fructidor, et nouveaux mémoires des déportés à la Guiane, écrits par eux-mêmes, et faisant suite au journal de Ramel, Paris, Giguet, 179 ?, 252 p.

André-Daniel Laffon-Ladebat, Journal de ma déportation à la Guyane française (Fructidor an V- Ventôse an VIII) publié d’après les manuscrits inédits avec une introduction par Frédéric Masson, Paris, Paul Ollendorff, 1912, 382 p.

François de Barbe-Marbois, Journal d’un déporté non jugé ou déportation en violation des lois décrétée le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), Paris, Firmin Didot, 1834, 2 vols., 268 et 312 p.

Ange Pitou, Voyage forcé à Cayenne, Paris, Tallandier, 2011.

Albert Savine ( dir.), Les déportés de fructidor : Journal d’Ange Pitou annoté d’après les documents d’archives et les mémoires, Paris, Louis-Michaud, 1909, 189 p.

Tous ces très nombreux témoignages corroborent les expressions de Billaud-Varenne sur la dureté de la déportation en Guyane :

« La Guyane est toujours un pays malsain qui dévore dans l’année la moitié de ce qu’on y envoie. » (Ange Pitou)

« Nous ne tardâmes pas à éprouver les influences désastreuses du climat. » (Laffon-Ladebat)

Alfred Bégis a relaté les déportations de Billaud-Varenne et des seize politiques du coup d’état du 18 fructidor en décrivant avec saisissement la ville de Sinnamary de ces années de l’an IV à VI :

« Des vapeurs malfaisantes s’élevaient des marais entourant le bourg, et pendant les mois de juillet, août et septembre, pendant lesquels la chaleur du soleil est le plus ardente, elles rendaient le climat meurtrier. De plus, l’air était rempli pendant toute l’année de milliers d’insectes ailés et dont la piqûre était douloureuse et souvent venimeuse. Sur le sol grouillaient des myriades de scorpions, de mille-pattes, de couleuvres, qui pénétraient dans les cases et jusque dans les vêtements.

Telle était cette affreuse contrée, lors de l’arrivée du proscrit. » (Bégis, 97.)

[10Tous les déportés de Guyane possédait cette certitude de côtoyer en permanence la mort. Les débuts de Billaud-Varenne avaient été tragiques. D’abord enfermé au fort de Cayenne lors de son arrivée en messidor an III, il fut transporté à Sinnamary le 3 frimaire an IV-24 novembre 1795. Il tomba gravement malade : « L’air malsain de ce pays ne tarda pas à lui être fatal. Atteint d’une fièvre chaude très violente, il fut reconduit à Cayenne, et placé le 1er pluviôse à l’hôpital militaire de cette ville, dirigé par les sœurs grises de Saint-Paul de Chartres. » (Bégis, 85.)

Un temps convalescent, « Billaud venait de payer un premier tribut au climat meurtrier du pays. […] Il venait d’être repris des fièvres, mais plus fortement que la première fois, et sa maladie s’était aggravée d’une dysenterie violente. » (Bégis, 86 et 90.)

Malade et affaibli, il se retrouve à nouveau à l’hôpital militaire de Cayenne, mais en compagnie de Collot d’Herbois, lui aussi pris de fortes fièvres tropicales. Collot meurt à côté de lui, dans un lit d’hôpital, le 20 prairial an IV-8 juin 1796. « Resté seul dans un état d’agonie, il en était réduit à espérer bientôt aussi dans la mort le terme de ses souffrances. » (Bégis, 93.)

Une fois encore les Sœurs réussirent à le soulager et finalement à le sauver. Il regagna sa case de Sinnamary le 6 frimaire an V-26 novembre 1796.

Les seize déportés de fructidor connaissaient les mêmes mésaventures. Laffont-Ladebat a laissé dans son journal des lignes tragiques :

« 17 fructidor an VI : Les maladies ravagent toute la colonie ; il y en a beaucoup à Cayenne, dit-on, il y a vingt malades à Conanama, sans aucun secours ! […] 20 fructidor : Les images de la mort frappent nos sens et nous entourent. […] 24 fructidor : Rovère est plus mal ce soir, il n’y a plus aucune lueur d’espoir. 25 fructidor : Rovère a cessé de vivre à trois heures ce matin...Combien il a dû souffrir ! […] De cinq membres du Conseil des Anciens, il n’y a plus sur cette terre dévorante que Marbois et moi : ce volume de mon journal est bien un registre de mort, elle semble nous poursuivre et nous menacer de toutes parts ! […] Quatorze des nouveaux déportés sont déjà morts. […] Ce malheureux Brottier, après une agonie très longue et très violente, a cessé de vivre à dix heures. Quel spectacle ! Dans les lieux même que la peste ravage, il est impossible que la destruction soit plus rapide et plus douloureuse ! » (Laffon-Ladebat, Journal de ma déportation à la Guyane française, op. Cit.)

Le 17 thermidor an VIII-5 août 1800, Billaud-Varenne écrivit à son père ces lignes déchirantes : « Mon physique, usé par les revers, par les chagrins, par la misère, par les infirmités, suites d’un climat dévorant et malsain, ne se maintient que d’une manière chancelante. Fréquemment, je suis assailli de maladies aiguës, et auxquelles il est inconcevable que j’ai pu échapper jusqu’à ce jour. Je vous dirai même que votre dernière lettre, par son expression affectueuse et consolante, m’a causé une jouissance d’autant plus douce, qu’elle m’a trouvé au commencement d’une convalescence, à l’issue d’une fièvre accablante qui, dans le cours de frimaire dernier, et pour la sixième fois, depuis que j’habite la Guyane, m’a conduit aux postes du tombeau. Si je compte ces époques funèbres, ce n’est ni pour vous navrer, ni pour m’en plaindre, car le mal passé n’est plus rien. Et d’ailleurs, il semble que la nature m’avait moulé pour le sort qui m’attendait, puisque, quand j’ai à lutter contre une adversité, peut-être sans exemple, j’ai du moins à lui opposer un courage et une contenance à toute épreuve. » (Bégis, 114-115.)

Plus tard, Billaud évoquera dans une lettre à son père datée du 5 nivôse an IX-26 décembre 1800 son usure et son épuisement : « Vous concevez que ma santé déjà assez frêle et horriblement usée, ne fût-ce que par les maladies graves et fréquentes que j’ai éprouvées. Et vous en serez persuadé quand vous saurez que, pour m’acclimater, j’ai eu une dysenterie qui m’a duré dix-huit mois. » Plus loin il parle même d’agonie ! « Je n’eusse pas été tant de fois à l’agonie. » (Bégis, 136.)

[11Billaud-Varenne se drapera en Guyane dans la posture du proscrit et du persécuté qui reste fidèle à ses convictions. Jusqu’à sa mort, avec son intransigeance habituelle, il n’en démordra plus. A l’origine, c’est l’éloignement et l’absence de nouvelles de ses proches ( sa famille et son épouse) qui lui pèsent naturellement. Dès le 3 Ventôse an IV-22 février 1796, il écrit à son père : « Combien il est douloureux de vivre à une si grande distance et d’être si longtemps sans recevoir de nouvelles les uns des autres. » (Bégis, 87.)

Et il déclare rapidement, dans un lexique qui lui est si caractéristique que : « Sans doute, je n’ai sous les pieds qu’un sol douloureux et des volcans prêts à m’engloutir, mais aussi une palme glorieuse n’est-elle pas le but de ma carrière, et, qui sent tout le prix de la mériter, peut-il trouver qu’elle lui coûtera trop cher ? » (Bégis, 100.)

A son épouse, dans une lettre du 7 frimaire an VI-27 novembre 1797, il demande de lui conserver à l’abri ses manuscrits politiques car « C’est la meilleure réponse que j’aie à faire aux calomnies dont je suis noircie. » (Bégis, 101.)

A partir du début de l’année de l’an VII, sa posture du persécuté perpétuel est clairement établie. Il l’explique longuement dans une lettre à son père, le 29 vendémiaire an VII-20 octobre 1798 : « Quoique ma vie soit un tissu de sacrifice. […] Ne tenant plus à la vie que pour les sentiments qu’aucuns revers ne peuvent ni détruire ni atténuer, je m’en nourris, je m’en pénètre plus que jamais. J’en ai besoin pour endurer plus patiemment l’injustice des hommes. […] C’est que je n’ai tant à souffrir que parce que je suis vertueux. […] Né pour dévorer tant de revers, la nature m’a pourvu du courage nécessaire pour pouvoir les affronter. […] Ne suis-je pas un modèle, peu commun, de patience et de force d’âme ? Je vous affirme qu’il m’en a fallu pour ne pas succomber mille et mille fois sous des coups si multipliés, si variés, si atterrants. » (Bégis, 107.)

Le 2 thermidor an VII-20 juillet 1799, il résume son état d’esprit à sa femme : « Quel courage il me faut, pour ne pas succomber ! » (Bégis, 111.)

Le lendemain, 3 thermidor an VII-21 juillet 1799, il écrit à son père en évoquant « L’abandon où je me trouve », et ses valeurs restées intactes malgré les épreuves « Vous pouvez avoir à vous plaindre d’avoir mi sur la terre un modèle d’infortune, mais je ne crains pas que vous ayez jamais à rougir de sa conduite. Lorsque je m’applique, avec tant d’attention, à la rendre irréprochable. » (Bégis, 111-113.)

Dès le début de sa déportation, Billaud décourage Angélique, son épouse à venir se joindre à lui en Guyane. Il lui précise dans un courrier du 3 ventôse an IV-22 février 1796 que c’est dans leur intérêt commun.

Et il demande à son père de veiller sur son épouse, et la faire renoncer à ses projets de venue en Guyane. Le 9 frimaire an V-29 novembre 1796, dans une lettre à son père, s’inquiétant pour la santé de sa femme, il demande : « J’ose même vous prier de ne rien négliger pour la faire renoncer au projet qu’elle a conçu de venir me rejoindre pendant la guerre. Il ne faut pas qu’elle soit la victime de sa générosité. » (Bégis, 148) Pour Alfred Bégis « Outre les dangers de toutes sortes qu’offrait un si long voyage, il y avait encore à craindre pour la femme de Billaud, dès qu’elle serait arrivée, les terribles fièvres qui n’épargnent personne. » (Bégis, 150)

A partir du Consulat installé par le coup d’état de Brumaire an VIII, Billaud semble avoir pris la décision de refuser de rentrer, et envisage donc de s’installer définitivement en Guyane. A son père, peut-être pour le ménager, lui qui voulait évidemment absolument le revoir, il avance d’abord l’argument de sa santé : « Vu le dépérissement de mes forces physiques, je doute que je puisse supporter une longue traversée, étant très fatigué du mal de mer, et moi, si sensible au froid, le climat de la France ne pourrait plus me convenir aujourd’hui. » ( Lettre du 5 nivôse an IX-26 décembre 1800) (Bégis, 136) Rappelons cependant que Billaud n’était âgé que de quarante-quatre ans en 1800. Billaud utilise alors, dans la même lettre, une métaphore maritime afin de justifier sa décision : « Non, ce n’est pas, après avoir été si violemment et si longuement battu par la tempête, qu’on doit quitter la plage qui permet d’y respirer en paix, quand on en a si grand besoin. » (Bégis, 136.)

Ensuite, il avance un autre argument plus politique. Il veut plus que la tranquillité, l’oubli ! « D’ailleurs, à vous parler franchement, je crois que le vœu le plus sage que je puisse former, c’est qu’on veuille m’oublier. » (Bégis, 136-137)

Nicolas Billaud, âgé lui de soixante-quinze ans, comprend que son fils ne rentrera plus jamais en France, à La Rochelle et qu’il ne le reverra plus. Le 3 frimaire an X-24 novembre 1801, il lui écrit ces paroles émouvantes : « A mon âge je n’ai plus d’espoir de vous revoir. […] C’était la seule satisfaction à laquelle j’aspirais. » (Documents inédits-Virginie)

En réponse, Billaud justifia encore sa décision, notamment dans une lettre à son père, le 9 germinal an X-29 mars 1802 : « Mais après avoir été si rudement ballotté par les événements et par les hommes, l’éloignement le plus étendu est désormais ce qu’il me faut. Vivre en paix, sans troubler celle des personnes qui me sont chères, voilà uniquement à quoi j’aspire... » (Bégis, 181-182.)

Un an après, toujours dans un courrier à son père, du 27 floréal an XIII-17 mai 1803, il revendique sa solitude face à tant d’épreuves : « J’ai été pendant ma vie en butte à tant de revers, que je dois encore m’applaudir de n’avoir à les faire partager à aucun ordre. » (Bégis, 188.)

[12Dans le courant de l’an VI-1798, Billaud-Varenne vit dans une cabane en ruine, isolée à l’extrémité du canton de Makouria ( ou Macouria). Sa cabane se nomme effectivement « Le Chevreuil ». Alfred Bégis donne quelques précisions dans sa notice biographique : « A la fin de l’an VI, ne recevant plus les secours que le Gouvernement lui avait fournis jusque-là, il accepta pour asile une petite propriété isolée, située dans le canton de Makouria, appelée Chevreuil, et appartenant au citoyen Lambert, qui s’était vivement intéressé à son sort et qui, plus tard, devint son ami très dévoué.

Cette habitation ne se composait que d’une case et de quelques arpents de terre. » (Bégis, 106-107.)

Billaud annonca dans une lettre à sa femme le 2 thermidor an VII-20 juillet 1799 sa nouvelle habitation. « Il venait de quitter Sinnamary pour une habitation solitaire, qui convenait autant à son caractère qu’à sa situation. » (Bégis, 111.)

Selon l’un de ses biographes « Il y vécut pendant un an la vie d’un Robinson. » (Jacques Guilaine, 350.)

Pourtant, Billaud ne supportait pas ce qu’il assimilait à de l’assistanat, et il chercha à subvenir à ses besoins sans l’aide de quiconque, et ainsi il décida de devenir fermier, en louant un petit domaine agricole.

[13Le 24 prairial an VIII-15 juin 1800 Billaud-Varenne loue la ferme d’Orvilliers, ancien domaine de la comtesse d’Orvilliers, veuve de l’ancien gouverneur, absente comme émigrée. Cette ferme située sur l’île de Cayenne dans le canton de la Côte, située près de Cayenne au milieu de la végétation, est composée d’une maison de maître, dépendances et douze cases pour les ouvriers agricoles. Après avoir signé le bail, il s’y installe le 1er messidor an VIII-19 juin 1800.

Alfred Bégis précisa les conditions d’octroi de la location : « Le prix du loyer de cette ferme fut fixé à 1200 francs par an ; mais comme Billaud n’avait rien pour répondre de cette somme, un colon, devenu son ami, J. Lambert, se rendit caution pour lui. » (Bégis, 121.)

Billaud-Varenne dira simplement à son père : « Elle m’a été louée par le porteur de la procuration des anciens propriétaires, appelés comme elle d’Orvilliers. » ( 5 nivôse an IX-26 décembre 1800) ( Bégis, 138.)

Bégis relate avec moult détails descriptifs son installation dans ce domaine, dans lequel Billaud mettait énormément d’espoir d’une vie nouvelle apaisée et indépendante : « Le 24 prairial an VIII, il prit à ferme pour cinq ans le domaine de la citoyenne d’Orvilliers. Peu de temps après ce bail fut prorogé pour sept années, par l’administration de la Marine, qui s’était emparée de cette propriété, considérée par elle comme domaine national, provenant d’émigré ou d’absent.

Cette habitation était située dans la canton de la Côte et dans l’île de Cayenne. Elle était abritée par une montagne qui s’étendait jusqu’à la mer. On y arrivait par un étroit sentier, taillé dans le rocher, et qui était commun à toutes les habitations voisines. La végétation, dans ces parages, était d’une richesse splendide ; la principale culture de cette propriété consistait en cotonniers, caféiers, magnocs et cacaoyers.

L’habitation se composait d’une maison de maître avec une terrasse en avant, un grenier, une salle, deux chambres et quatre petits cabinets ; une cuisine était attenante à ce corps de bâtiment. Il y avait, en outre, à côté de l’habitation du maître, douze cases, couvertes en paille et servant à loger les ouvriers activateurs ; plus une grande case pour sécher le cacao et pour faire la cassave. » (Bégis, 120-121.)

Billaud s’enthousiasme pour ce domaine, et en parle longuement à son père : « Indépendamment que la situation de ce domaine est très agréable, mon goût dominant pour la solitude et la campagne, fortifié par les soins que je me donne depuis six mois, pour mettre ce bien en valeur, me le rendent d’autant plus précieux que c’est l’asile ou le refuge où j’ai cessé, dans cette contrée, d’exister si fort à la gêne. Quoique mon bail soit de sept années, c’est toujours une jouissance si précaire ! » (5 nivôse an IX-26 décembre 1800.)

[14Dans ses domaines successifs, la ferme d’Orvilliers puis l’Hermitage, Billaud-Varenne utilisera le système de la traite, l’esclavage ayant d’ailleurs été rétabli par Bonaparte le 30 floréal an X-20 mai 1802. En Guyane le rétablissement de l’esclavage est acté par un arrêté du 16 frimaire an XI-7 décembre 1802, présentant les esclaves comme des « conscrits » « attachés à la glèbe ». Les ennemis (fort nombreux) de Billaud ont beaucoup glosé sur l’utilisation des esclaves comme ouvriers agricoles dans ses domaines en soulignant les contradictions entre les idées progressistes du conventionnel et ses pratiques guyanaises . Une correspondance inédite de Billaud avec Sieger, un jeune commerçant suisse réfugié à Cayenne, devenu son ami, qui lui fournit des esclaves, comprend une cinquantaine de lettres dans une collection particulière. Dans son article, Charles Vellay, évoque une correspondance inédite entre les deux hommes, qui s’échelonne sur cinq années, entre 1812 et 1816. Un « Ensemble de 11 lettres sur les achats et ventes d’esclaves de Billaud-Varenne dont une signée de lui et une autre de sa main, de Cayenne, composé de 23 pages, entre 1812 et 1813 » demeure inédit. (Documents inédits-Virginie)

Bégis nous renseigne sur la population de la Guyane française vers 1809, qui serait peuplée de 16 500 habitants, dont 700 blancs, 800 affranchis et 15 000 esclaves ! (Bégis, 216)

Dans un article fort documenté, Monique Pouliquen précise ces chiffres : en 1807, la Guyane comptait sur une population totale de 15 483 personnes 969 blancs et 1040 gens de couleurs libres, 13 474 noirs esclaves et relève 1311 nouveaux arrivants noirs de 803 à 1807. ( Monique Pouliquen : L’esclavage subi, aboli, rétabli en Guyane de 1789 à 1809 dans : Philippe Hordèj ( dir.) L’esclave et les plantations, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 344 p., P. 241-263.)

Pour Billaud-Varenne et cette épineuse question, on se reportera à l’article :

Charles Vellay, Billaud-Varenne esclavagiste dans : Revue Historique de la Révolution française et de l’Empire, Juillet-décembre 1914, tome sixième, p. 275-280.

Globalement Billaud-Varenne ne sera ni heureux ni satisfait de ses esclaves, à l’exception de Virginie, qui deviendra sa compagne, après la rupture avec son épouse, et qui le soutiendra contre vents et marées, dans l’adversité !

« Une pauvre esclave noire, du nom de Virginie, créole de la Guadeloupe, se consacra entièrement aux soins et au soulagement du sort misérable de Billaud-Varenne. » (Bégis, 116.)

Billaud la présente ainsi à son père dans une lettre du 27 floréal an XIII-17 mai 1805 : « Je dois vous dire que j’ai, avec moi, depuis huit ans, une ménagère à qui je dois la prolongation de ma triste existence, par les soins inouïs qu’elle a pris de moi, dans les maladies fréquentes et aiguës qu’elle a pris de moi, dans les maladies fréquentes et aiguës que j’ai éprouvées ici et lorsque j’étais dans un abandon et dans un dénuement absolus. Aussi, dès que le retour de l’esclavage fut arrivé, l’ai-je achetée et payée comptant et lui ai-je donné de suite la liberté. Je ne présume donc pas que ma famille puisse trouver mauvais, après les services précieux que cette fille m’a rendus et qu’elle continue à me rendre journellement, par l’ordre et l’économie qu’elle fait régner dans ma maison et par la surveillance et la bonne tenue qu’elle maintient parmi mes nègres, que je tâche de la soustraire à la misère, en cas qu’elle vienne à me perdre, en lui assurant la jouissance du bien dont ici je pourrai disposer, et qui lui revient bien légitimement, ayant pour le moins autant contribué que moi, par ses travaux, à le gagner..... » (Bégis, 193-194.)

Billaud revient dans ses mémoires écrits vers 1813 sur le soutien indéfectible de Virginie : « Combien de fois, pendant qu’une langueur morbifique me rendait incapable de pourvoir à mes besoins, l’infatigable activité de Virginie n’a-t-elle pas suppléé à mon insuffisance ! Tombais-je dans l’abattement, l’attentive affection de Virginie me rappelait à moi-même, en me disant : Comment, Monsieur, c’est vous qui avez affronté tant de dangers et qui paraissez succomber. » (Bégis, 117-118.)

Billaud-Varenne rédigea son testament juste avant son départ pour les États-Unis, et légua effectivement à Brigitte autre prénom de Virginie, ses biens de Guyane :

« Ayant vendu à Cayenne et ce qui m’appartenait dans cette colonie, et ce que j’avais reconnu à Brigitte, négresse libre, créole de la Guadeloupe, qui m’accompagne, je lui lègue universellement, en cas de mort, tout ce que je pourrai avoir en ma possession, c’est-à-dire : argent comptant, lettres de change et effets de quelque nature qu’ils puissent être, comme faisant partie de ce que j’ai annoncé lui appartenir dans mon précédent testament, pareillement olographe ; et, quant au surplus, il est à moi en propre ; je donne cet excédent, quelle qu’en soit la valeur, à cette honnête fille ; autant pour m’acquitter envers elle des immenses services qu’elle m’a rendus depuis plus de dix-huit ans, que pour reconnaître le nouveau et le plus complet témoignage de son inviolable attachement, en consentant à me suivre, quelque part que j’aille. En conséquence, je veux que Brigitte entre ne propriété, aussitôt mon décès, de la totalité des objets quelconques qui se trouveront alors entre mes mains ; pour qu’elle en jouisse comme lui appartenant de plein droit, à l’exclusion de tout autre et sans que qui que ce soit, à l’exclusion de tout autre et sans que qui que ce soit puisse la troubler dans cette propriété, lui étant dès lors entièrement dévolue, d’après mon expresse volonté.

Fait et clos à Cayenne, le 3 avril 1816.

Signé : Billaud-Varenne. » (Bégis, 253-254.)

Après la mort de Billaud-Varenne le 13 juin 1819, Brigitte retourna à Port-au-Prince, et logea un court temps chez l’habitant. Un exceptionnel reçue a été conservé : « Reçu douze gourdes de Mlle Virginie pour solde de loyer d’une chambre qu’elle occupait chez moi. Port-au-Prince le 1er juillet 1819. Signée : Mme Brousse Berdery. » (Documents inédits-Virginie)

Des sources bien informées précisent que Virginie était toujours vivante en 1874 ! Les documents de Billaud-Varenne vendus aux enchères proviennent de sa succession : « C’est de ce legs à Virginie que provient ce précieux ensemble personnel du conventionnel déchu. » « C’est bien de la compagne d’exil de Billaud-Varenne que provient ce très précieux ensemble de papiers. » (Documents inédits-Virginie)

[15Les Guillouet, vieille noblesse bourbonnaise sont gouverneurs de Guyane de père en fils.

Rémy Guillouet d’Orvilliers ( né vers 1633, décédé le 18 août 1713) est le père de Claude, grand-père de Gilbert et Louis Guillouet d’Orvilliers. Il est lieutenant du roi et gouverneur par intérim de la dite Isle de Cayenne entre 1700 et 1701, puis Gouverneur particulier de la dite Isle de Cayenne entre 1706 et juillet 1713.

Claude Guillouet d’Orvilliers ( vers 1670-vers 1740), seigneur d’Orvilliers, fils de Rémy Guillouet d’Orvilliers, père de Gilbert et Louis Guillouet d’Orvilliers, Gouverneur de 1716 jusqu’à décembre 1720, puis de 1722 à 1728.

Gilbert Guillouet d’Orvilliers ( 1708-1764), fils de Claude Guillouet d’Orvilliers, frère de Louis Guillouet d’Orvilliers, commandant pour le roi et gouverneur par intérim : 1730, 1736-1737, 1743-1749, gouverneur entre 1749 et 1763 ( absent de 1751 à 1752 et de 1753 à 1757).

« La comtesse d’Orvilliers, née Renée-Justine de Brach, veuve en 1764 de Gilbert Guillouet, comte d’Orvilliers, Gouverneur de la Guyane depuis la mort de Claude Guillouet, comte d’Orvilliers, son père, jusqu’au mois de mai 1763. Elle était absente et considérée comme émigrée. » (Bégis, 120, note 1.)

[16La femme de Billaud-Varenne se nomme Anne-Angélique Doye. Elle est née à Osnabrück en en Westphalie en 1766. Billaud la présente ainsi à son père : « Des mœurs honnêtes, un caractère doux, une humeur toujours égale, l’âme la plus belle, voilà l’ensemble de celle que je chéris. […] Une constance de deux ans est la preuve que je ne changerai jamais. » (Bégis, 7-8.) Billaud s’engagea ainsi auprès d’un des frères d’Angélique : « Toujours elle sera la compagne de ma vie, l’épouse adorée que mon cœur a choisie. » (Bégis, 9.)

Ils se sont mariés en 1786 à Paris. Alfred Bégis a publié leur acte de mariage dont l’original a brûlé lors de la répression de la Commune de Paris en 1871 :

Paroisse de Saint-André-des-Arts (1786)

Le mardi 12 septembre 1786, après la publication des trois bans faite sans opposition dans cette église, les fiançailles ayant été célébrées la veille et les témoins ci-dessous nommés nous ayant certifié les noms, âges, qualités, domiciles, libertés et catholicité, des contractants, ont été mariés par nous sous-signé, curé de cette paroisse : Jacques-Nicolas Billaud, avocat au Parlement, fils majeur de Nicolas-Simon-Marie Billaud, avocat au Présidial de La Rochelle, et de dame Suzanne Marchand, son épouse,

Et Anne-Angélique Doye, fille majeure de défunt François Doye et de dame Anne-Angélique Tebbing ; demeurant rue de Savoie, de cette paroisse ;

En présence du sieur Jules-François de Legall, marquis de Legall, ancien capitaine de cavalerie, demeurant rue du Bac, paroisse Saint-Sulpice ; de Charles Lebouc de Forges, procureur au Parlement, demeurant rue du Cimetière, paroisse Saint-André-des-Arts ; de Jean-Pierre Lesecq, bourgeois de cette paroisse ; et Benoît-Louis Coïn, bourgeois de Paris, demeurant rue de Montmartre, paroisse Saint-Eustache.

Soussigné : Anne-Angélique Doye, Billaud de Varenne, de Le Gall, Lebouc de Forges, Lesecq, Delisle, Doye.

Desbois de Rochefort, curé. » (Bégis, 9-11.)

Ils quittent la rue de Savoie et s’installent au numéro 43 rue Saint-André-des-Arts, au 4e étage, quartier populaire de Paris où se trouve notamment l’imprimerie de Marat. Ils y resteront jusqu’au jour fatidique du 12 germinal an III- 1er avril 1795, où Billaud-Varenne, déjà arrêté et assigné à résidence chez lui, sera transféré et enfermé au château-prison de l’Ile d’Oléron, dans des conditions difficiles et rocambolesques, avant la déportation vers la Guyane en prairial an III.
Dant ce laps de temps, Angélique remue ciel et terre pour aider son mari, et envisage de le rejoindre dès que possible. A son beau-père, elle louange Billaud- excellent mari : « Je fais toujours toutes les démarches possibles pour me réunir à mon mari et j’espère réussir à partager son sort quel qu’il soit. Trop heureuse si je puis obtenir de rejoindre celui qui a fait mon bonheur pendant dix années. » (Lettre du 15 floréal en III-4 mai 1795, Bégis, 60.)

Elle revient sur l’injustice qui touche son mari, et le considère comme une victime calomniée, lui qui est « cette belle âme et pure, qui chérit autant sa patrie que sa famille. »

Elle avance une analyse politique de cette situation, ce qui est rare dans ses courriers : « Au surplus, ce sont là des événements inséparables des révolutions ; toujours les hommes qui les ont faites en ont été les victimes ; mais un jour viendra....et l’on distinguera l’innocent du coupable. »

Et elle en fera de même, toujours dans un courrier au père de Billaud, le 7 prairial an III-26 mai 1795, révoltée par la nouvelle de l’annonce du départ de son mari pour la déportation en Guyane : « Ce pauvre malheureux, lui qui s’est sacrifié pour son pays, lui qui n’a cessé de travailler pour le bonheur du peuple ! Voilà la récompense de tous les grands hommes et on les regrette quand il n’est plus temps, mais leur mémoire reste chère à tous les cœurs. […] son innocence est déjà bien connue, mais c’est en vain. » (Bégis, 68.)

Dans ce courrier, Angélique accuse le coup de la nouvelle du départ de son mari et totalement désespérée se rend compte que leur séparation est désormais inévitable : « Je viens d’apprendre une nouvelle qui met la mort dans mon cœur. […] Je suis au désespoir ; je ne pourrai pas me réunir à lui, et ce pauvre malheureux n’a rien. » « Il connaît mon cœur et il sait combien je l’aime. […] Je suis affligée jusqu’à la mort ; toutes mes forces m’abandonnent, je ne puis plus me soutenir ; pauvre Billaud, lui qui était mon père, ma patrie et mon tout. […] Si je pouvais le voir encore une fois, je mourrais contente. » (Bégis, 69.)

Angélique doit quitter son domicile et même changer provisoirement de nom, devenu si décrié et calomnié, afin d’éviter les multiples désagréments et vexations qu’elle subit quotidiennement. Elle se fait appeler la citoyenne Galart, résidant à la maison du citoyen Pajou, sculpteur, en face du Louvre. Pourtant ses résolutions demeurent intactes. Elle écrit à Benjamin Billaud le 17 prairial an III-5 juin 1795 : « J’ai repris tout mon courage, et j’espère venir à bout de mes desseins. J’irai rejoindre mon mari, en quelque endroit du monde qu’il soit. » (Bégis, 71.)

Nicolas Billaud rassure sa bru et lui écrit le 30 prairial an III-18 juin 1795 : « Vous trouverez toujours en moi un véritable ami, qui ne vous oubliera jamais. » (Bégis, 73.)

Au moment de cette lettre étudiée, cinq ans plus tard, en 1800, Billaud-Varenne a renoncé à revenir en France, mais sollicite une aide de sa femme, pour l’aider à la transaction d’achat de son domaine d’Orvilliers :

« Billaud-Varenne écrivait aussi à sa femme une lettre [5 nivôse an IX-26 décembre 1800] dans laquelle il se félicitait de sa nouvelle profession d’agriculteur, qui le mettait à l’abri du besoin, et il lui déclarait qu’il n’avait aucune envie de rentrer en Europe : « puisqu’on a si violemment brisé les nœuds qui m’attachaient à l’espère humaine, dit-il, on m’a dispensé de rester, de devenir envieux de les renouer. »

Il lui donnait des renseignements sur la propriété d’Orvilliers, lui envoyant un pouvoir pour l’acheter, et il lui recommandait, en terminant, de le remplacer auprès de ses parents et de les consoler en son absence. » (Bégis, 144.)

« C’est grâce à Victor Hughes, le nouveau gouverneur de Guyane (1800) que Billaud peut acheter la ferme d’Orvilliers, laissée par la veuve émigrée de l’ancien gouverneur qu’il a chargé son père de retrouver afin de lui acheter légalement son bien. Il en rédige ici l’offre d’achat. » (Documents inédits-Virginie)

[17On notait en 1737 la prédominance des cultures de rocou, coton, café et cacao. Les principales cultures destinées à l’exportation de Guyane lors de la fin du XVIIIe siècle étaient le coton, rocou, café, épices et cacao. La canne à sucre se développa dans la première moitié du XIXe siècle.

En 1866, la liste des productions s’allongea : cannes à sucre, café, coton, girofle, rocou, fourrages, poivre, cannelle, muscade, vanille, coco, vivres diverses.

L’élevage était composé en 1786 de Bovins, Ovins, Équidés et Porcins, animaux dont le nombre était recensé à 11 674.

Billaud-Varenne exploita du café et du cacao. Le 5 nivôse an IX-26 décembre 1800, il termina sa lettre à son père par ces lignes : « J’aurais eu bien plus de satisfaction, si mes récoltes plus avancées m’eussent permis de vous envoyer du café et du chocolat. Bien sûr que vos déjeuners de famille vous paraîtront plus savoureux, quand ils seront composés des productions que j’aurai moi-même cultivées. […] Je souris à la perspective d’avoir des denrées de ce genre à vous offrir à la première occasion. Que le plaisir soit égal de votre part en les recevant. » (Bégis, 143.)

Plus tard, il envisagera d’augmenter son domaine pour peu qu’il devienne enfin propriétaire, et l’expliquera à son père, par lettre du 8 germinal an X-29 mars 1802 : « Deux manufactures à cacao et à coton restent à construire et, ne pouvant pas édifier sur le terrain d’autrui, lorsque je n’ai droit à aucune indemnités pour les augmentations, je suis, en attendant, on ne peut plus gêné pour loger et pour préparer les denrées. Enfin, les autres bâtiments sont également très dégradés, et tant de dépenses exigent qu’au moins je ne les fasse qu’à mon profit. » (Bégis, 179-180.)

[18Les héritiers des d’Orvilliers de Rochefort ne furent pas retrouvés par la famille de Billaud-Varenne malgré les multiples insistances du fils à son père : « Aussi ne voulant point qu’il reste de doute à cet égard, vous verrez, mon cher papa, par ma précédente lettre, que j’ai l’intention d’acheter l’habitation que j’ai prise à ferme. […] Et si j’étais dépossédé, ce serait un terrible malheur pour moi, puisque non seulement je retomberais dans la misère, mais de plus elle serait aggravée par le poids accablant des dettes qu’il m’a fallu faire en avances d’emprunts indispensables. […] Le moyen de prévenir ces revers et ces désagréments est de me rendre, s’il est possible, acquéreur de cette habitation. » ( 5 nivôse an IX- 26 décembre 1800. Bégis, 137-138.)

[19En mars 1802, Billaud relança encore son père sur l’achat de son domaine, qui le préoccupait tant : « Je suis très fâché que vos recherches des propriétaires de ma ferme soient restées infructueuses. Vous ne sauriez croire combien cela me gêne et me nuit en même temps. […] Vous voyez donc combien le retard de cette acquisition est à mon désavantage, et quelle perte j’essuierais si je venais à être dépossédé. […] Telles sont les raisons, mon cher papa, qui m’obligent à vous solliciter derechef à faire de nouvelles démarches. Dans la situation dans laquelle je me trouve, je ne puis me promettre d’avoir une existence fixe et tranquille qu’autant que je serai muni d’un titre de propriété. » (8 germinal an X-29 mars 1802, Bégis, 179-180.)

Pourtant Billaud allait encore être victime des changements politiques. Alfred Bégis le relate :

« Un nouveau régime fut établi dans cette colonie vers le commencement de l’an XII, par suite de la suppression des listes des émigrés formées dans les Colonies et de la restitution qui devait être faite à ces derniers de leurs biens séquestrés, en exécution d’un arrêté du 28 brumaire an XI. Il fut ainsi forcé de résilier le bail de sa ferme de d’Orvilliers. » (Bégis, op. cit., 182-183.)

Désormais, il s’inquiétait de savoir si son père n’avait pas, dans l’intervalle, retrouvé les héritiers pour conclure un éventuel achat, qu’il ne désirait donc plus, ayant résilier le bail, et commencé à bâtir un nouveau domaine. Il s’en ouvre à son père dans une lettre du 27 floréal an XIII-17 mai 1805 :

« Il est résulté du nouveau régime établi depuis environ dix-huit mois dans les colonies, que je me suis trouvé tout à coup aux prises avec la gêne la plus embarrassante, car le bail de ma ferme de d’Orvilliers a été résilié, comme celui de toutes les autres, et j’ai perdu par conséquent toutes les dépenses que j’avais eu la folie de faire sur cette habitation, dans l’intention où j’étais d’abord de l’acquérir. Comme je vous avais prié d’avoir la bonté de vous en occuper, je n’ai pas été sans inquiétude à ce sujet ; connaissant votre bienveillance pour moi, j’ai craint que vous n’eussiez fait le marché avant l’époque du changement opéré ici. » (Bégis, 180.)

D’ailleurs, il avait du s’absenter de sa propriété pour s’occuper de la nouvelle, et de nouvelles mésaventures clôturaient ces cinq ans d’investissement dans ce domaine d’Orvilliers :

« Ayant été contraint de profiter de cette année, pour commencer mon nouvel établissement, je mis à d’Orvilliers un économe pour surveiller mes intérêts. Pendant mon absence, celui-ci s’est entendu avec les nègres, et ils m’ont volé presque toute ma récolte. » ( Lettre à son père, 27 floréal an XIII-17 mai 1805, Bégis, 190-191.)

Dans le même courrier Billaud raconte son installation, difficile, suite à un litige sur la propriété du terrain, qui l’entraînera dans un procès judiciaire, sur un nouveau ( et dernier) domaine de Guyane. Il l’appellera « L’Hermitage » en hommage à Jean-Jacques Rousseau qu’il adorait, et y restera plus de dix ans, jusqu’en 1816, au moment de son départ de Guyane.

« Je me suis borné à prendre un terrain nu, beaucoup moins cher qu’une habitation toute formée. A la vérité cette entreprise est infiniment plus pénible ; mais le travail ne me fait pas peur. […] Ce terrain, situé sur le bord de la rivière du Tour-de-l’Isle. […] Comme j’ai chez moi de superbes pâturages, j’ai aussi acheté comptant 10 têtes de bétail : 2 taureaux et 8 vaches pleines. […] Je paye comptant tous les travaux que je fais faire à la journée, en construction de bâtiments. Car ici n’ayant trouvé que la terre, il a fallu tout créer. […] La position où je suis est aussi agréable qu’avantageuse. Le paysage est fort joli, et la vie très aisée, à cause de l’abondance du gibier et du poisson.

La distance de Cayenne n’est que de 3 lieues, avec un chemin par terre et par eau. Pour tout dire, je suis aussi bien maintenant qu’on peut l’être dans un pareil pays. » (Bégis, 190-193.)

[20L’un des deux frères de Billaud, Henri, né en 1762, était parti à Saint-Domingue en 1782, sans le consentement paternel, et n’était plus rentré depuis. Il exerçait la profession de juge de paix. Le 14 août 1792, Benjamin, le troisième fils Billaud, et le cadet, écrivait à Jacques-Nicolas afin de le féliciter de sa nomination comme procureur adjoint de la Commune de Paris, et ajoutait cette sombre prédiction : « Je vous avoue que j’avais besoin de cela pour m’aider à supporter la perte d’une partie de nos biens et celle de notre malheureux frère qui, peut-être en ce moment, ne vit plus. » (Bégis, 24)

Et en effet les nouvelles des révoltes des esclaves noirs de Saint-Domingue en 1791 étaient arrivées jusqu’en métropole.

Pourtant, ainsi qu’on peut le lire ici, en 1800, Nicolas Billaud père reçut enfin des nouvelles d’Henri, qui se proposait, enfin, de revenir à La Rochelle, pour le printemps 1801. Billaud se réjouit de cette nouvelle inespérée, d’autant plus qu’il était lui-même définitivement éloigné physiquement de ses parents. Il écrivit à son père : « Mon cher papa, l’attente où vous êtes du retour de mon frère Henri en Europe, me complaît autant qu’à vous, et je souhaite avec bien de l’ardeur qu’il arrive de Saint-Domingue au printemps prochain, comme vous me dites qu’il vous l’a promis. Depuis dix-huit ans , ce me semble, qu’il est parti, il est temps qu’il vienne enfin respirer l’air natal. Je me féliciterai d’autant mieux de son séjour à la Rochelle, que le plaisir que vous en éprouverez contribuera à atténuer ce qui peut vous déplaire dans mon éloignement. » (5 nivôse an IX-26 décembre 1800, Bégis, 142.)

Pourtant, hélas, le printemps 1801 ne vit pas le retour d’Henri Billaud chez ses parents. Il n’y eut plus de nouvelles durant des années. Les rumeurs de sa mort circulèrent. Billaud tâcha d’atténuer le choc de ses rumeurs auprès de son père, dans un courrier de 1805. mais, déjà, il évoquait la descendance de son frère et les éventuels problèmes engendrés par sa succession :

« Quels que soient les bruits qui courent au sujet de la triste destinée de mon malheureux frère Henri, je pense qu’il ne faut pas y ajouter encore une croyance entière. Plus une nouvelle est funeste, plus il est sage pour s’en convaincre et s’en affliger d’attendre une preuve authentique et infaillible ; mais dans la supposition que ce triste événement soit positif, et qu’il soit également vrai que mon frère Henri ne se soit point marié, quoiqu’il eût eu plusieurs enfants d’une femme de couleur, ils ne peuvent dans aucun cas troubler votre tranquillité, car il est contre les lois des colonies de pouvoir légitimer de pareils enfants. Tout ce qu’il est permis de faire en leur faveur : c’est, s’ils sont nés en état d’esclavage, de leur donner la liberté et de leur léguer des portions du bien dont on jouit dans la colonie où l’on réside seulement. » ( 27 floréal an XIII-17 mai 1805, Bégis, 187-188.)

Les informations de Billaud, qui s’était renseigné, étaient malheureusement exactes, son frère Henri était décédé en février 1801, peu de temps avant son retour prévu dans sa famille : « Son fils Henri, juge de paix à Plaisance, dans l’Ile de Saint-Domingue, lui avait annoncé son intention de rentrer bientôt en France ; mais depuis 1800 il n’en avait plus reçu aucunes nouvelles, et les troubles survenus dans cette île ne faisaient qu’augmenter ses inquiétudes. Depuis, son fils avait appris que leur frère Henri était mort à plaisance au mois de février 1801. » (Bégis, op. cit., 205-206.)

Sur Saint-Domingue :

Bernard Gainot, La Révolution des Esclaves Haïti, 1763-1803, Paris, Vendémiaire, 2017, 285 p.

[21L’affaire des malles envoyées par Angélique à Billaud et les extrêmes difficultés d’acheminement pour la Guyane est particulièrement complexe.

Dès le 15 floréal an III-4 mai 1795, et alors que Billaud est encore emprisonné à Oléron, Angélique prépare une malle avec des effets personnels de son mari afin de lui transmettre : « Je me propose de faire charger à la diligence une petite malle, à votre adresse, avec les hardes de première nécessité. Je vous prie, mon cher papa, de vouloir bien la faire passer au commandant du fort de l’île d’Oléron pour les remettre à mon mari. » (Bégis, 60-61.) Malheureusement,il semble que cette malle ne put être remise à Billaud, et vraisemblablement, ce fut celle-ci qui parvint enfin à Billaud en l’an VIII, avec déception d’ailleurs du destinataire, les vêtements n’étant pas adaptés au climat de Guyane, et donc inutiles.

Le 7 prairial an III-26 mai 1795, au moment du départ de Billaud pour la Guyane, Angélique croit encore en la possibilité de lui remettre cette malle et l’explique à Nicolas Billaud : « S’il est encore temps de lui procurer quelques louis, à quelque prix que ce soit, je vous les rendrai fidèlement. » « Je fais mettre au roulage deux caisses, l’une contient 300 volumes et dans l’autre il y a une pendule. Vous pouvez, si vous voulez, mon cher papa, les faire vendre tout de suite. J’ai fait également charger à la diligence deux malles, avec des effets à moi, et je crois que la citoyenne Collot a fait mettre aussi une malle à votre adresse. » (Bégis, 67.)

Le 17 prairial an III-5 juin 1795, Angélique demande à Benjamin Billaud de se renseigner afin de savoir si la malle initiale a été réceptionnée par son mari avant son départ forcé : « Je te prie aussi de vouloir bien t’informer si ton malheureux frère a reçu sa malle avant de partir. » Elle lui signale les caisses envoyées pour vente des contenus : « Je te prie de dire à mon papa qu’il recevra incessamment deux ballots : l’un contiendra des livres et l’autre une pendule. Quant à mes malles, elles ont été retirées pour l’instant. » (Bégis, 71.)
Le 30 prairial an III-18 juin 1795, le père de Billaud annonce à Angélique la réception des caisses : « J’ai reçu, citoyenne, le 28 du courant, les deux caisses que vous m’aviez annoncés par votre lettre du 7 du courant. » (Bégis, 72.)

Angélique lui répondit le 3 messidor an III-21 juin 1795 : « J’ai reçu votre lettre, par laquelle vous m’annoncez l’arrivée des caisses. Vous avez eu la bonté d’en payer le port, je vous le remettrai fidèlement. Quant à la destination desdites caisses, je ne puis rien décider pour l’instant, puisqu’il est vrai qu’il n’y a rien de décidé sur mon sort ; seulement je vous prie de vouloir bien les mettre dans un endroit sec. » (Bégis, 73-74.)

Dans une lettre inédite du 29 fructidor an V-15 septembre 1797 écrite par le père Billaud à son fils, la « fameuse malle à effets personnels » qu’avait tenté de faire convoyer Angélique, est mentionnée.

Billaud-Varenne lui répondit le 29 vendémiaire an VII-20 octobre 1798 : « La malle que vous m’aviez annoncée ne m’est point parvenue, il faut sans doute l’attribuer à la même cause qui m’a privé de vos lettres. » (Bégis, 109.)

Ces problèmes d’acheminement du courrier et des malles sont insupportables pour Billaud. Deux ans auparavant il le signalait à son père, dans une lettre du 9 frimaire an V-29 novembre 1796 : « Ma femme m’annonce une lettre de vous, qui ne m’est point encore parvenue. Je l’attends avec autant d’impatience que je la recevrai avec plaisir. […] On a si peu de soin à cet égard dans les vaisseaux, que c’est un hasard quand celles qu’on leur confie sont remises à leur adresse. » (Bégis, 99.)

De son côté, « La femme de Billaud, ne pouvant rejoindre son mari, n’avait pas cessé de faire des démarches pour lui venir en aide et adoucir, autant que possible, sa captivité. Elle essaya vainement de lui faire parvenir des effets et de l’argent, par des navires qui malheureusement furent toujours capturés. » (Bégis, 149-150.)

Billaud recommandait à sa femme de conserver des manuscrits importants à ses yeux, car ils offraient des justifications pour la postérité : « Tu sais que c’est le fruit de dix ans d’étude et de travail. […] Je te recommande donc ce dépôt, non pour le présenter à mes contemporains, de qui je n’attends plus rien, mais pour qu’il serve du moins, après ma mort, à me justifier aux yeux de la postérité. » (Lettre du 7 frimaire an VI-27 novembre 1797. Bégis, 104.)

Billaud envoya une lettre à Georges Radelet, commandant de la corvette « La Curieuse », le 28 nivôse an VIII-18 janvier 1800 : « Je vous remercie de m’apporter les objets que ma femme m’envoie. » (Lettre inédite) Il semblerait que le commandant Radelet coula avec sa corvette dix jours après l’envoi de cette lettre, devant la Barbade !!

Après la déception sur le contenu de la malle pourtant enfin reçue des premiers effets, inutilisables, Billaud envoya un courrier à son épouse le 21 vendémiaire an IX-13 octobre 1800, dans lequel « Il lui reprochait doucement son oubli et lui rappelait qu’elle ne lui avait point envoyés de livres, à lui, dont la lecture était la principale et la plus agréable occupation, et qui, en France, s’était composé si soigneusement une petite bibliothèque, sur ses épargnes. Il ajoutait que c’était les mêmes livres qu’il lisait autrefois qu’il voulait relire encore. […] Il donnait aussi la liste d’objets qu’il désirait, puis il remerciait d’un envoi qui lui avait fait un de ses amis et qui lui avait permis de satisfaire « une fantaisie que j’ai négligée dans la prospérité, qui est l’envie, tu le sais, d’avoir de beau linge. » » (Bégis, 133-135.)

Billaud listait un nombre d’ouvrages et d’auteurs qui voulait lire et relire. Il est bien un homme des Lumières et du XVIIIe siècle, particulièrement attaché à l’histoire, la philosophie et la littérature :

Homère (VIII AV JC)

Virgile (70-19 AV JC)

Salluste (86-35 AV JC)

Cicéron (106-43 AV JC) avec leur traduction.

Tacite (58-120), traduit par Dotteville.

Plutarque (46-125), œuvres complètes, traduites par Brotier.

Montaigne (1533-1592)

Charron ( 1541-1603)

Locke (1632-1704)

Montesquieu ( 1689-1755)

Jean-Jacques Rousseau ( 1712-1778)

Mably (1709-1785)

Voltaire (1694-1778)

Raynal (1713-1796)

Newton (1642-1727)

Pope (1688-1744)

Young (1741-1820)

Ces livres, malheureusement, n’ont jamais été envoyés à Billaud. Plus tard, dans une lettre du 29 février 1812, il remerciait un jeune commerçant suisse, Sieger, pour lui avoir prêter plusieurs livres de sa bibliothèque :

Le poème de Milton (1608-1674)

Les Géorgiques de Virgile, traduites par Delille.

Bourrit, Description des Alpes (1739-1819)

L’analyse de ce dernier ouvrage ouvrira ses mémoires rédigés à cette même époque, en 1813.

Billaud continua également à s’intéresser à la vie politique française, du moins, au début de sa déportation. On a retrouvé dans ses papiers des « journaux politiques français et américains sur la France datés de 1795, avec des « Extraits des nouvelles ». » Détail émouvant, dans une enveloppe, soigneusement conservée, on trouvera sa cocarde tricolore ! (Documents inédits-Virginie)

Quant à Angélique, après la rupture, il ne lui reste plus qu’à écrire au père de Billaud, le 22 fructidor an X-9 septembre 1802, afin de lui demander de lui renvoyer sa malle et ses effets restés chez lui : « J’ose vous prier de m’envoyer la malle et les quelques effets qui sont restés chez vous. Cependant, il y a dans cette malle un manuscrit que je vous prie d’envelopper et de garder. Il était sacré pour moi, il appartient à Billaud. Je ne puis mieux le placer qu’entre vos mains. » (Bégis, 178.)

[22Le silence de Nicolas Billaud sur l’épouse de son fils est motivé par le divorce incroyable puis le remariage d’Angélique, sans que Billaud-Varenne, de son exil guyanais, ne se doute de rien !

Le nouveau marié était un riche armateur américain, naturalisé français, Henry Johnson, né à Boston en 1744. « Fixé en France depuis longtemps et devenu républicain exalté, s’était attaché de bonne heure à la ligne politique suivie par Billaud-Varenne. » (Bégis, 145.)

Soutenant Angélique dans son désir de se battre pour son mari, il lui fit cette proposition stupéfiante, après le renoncement d’Angélique de rejoindre Billaud en Guyane : « Ce fut alors que Johnson lui proposa de faire prononcer son divorce et de l’épouser, afin qu’il pût lui donner toute sa fortune, dont Billaud pourrait ensuite profiter. » (Bégis, 151.)

« C’est plus de dix-huit mois après le départ de son mari que la femme de Billaud-Varenne demanda son divorce. Elle obtient, le 25 nivôse an V, devant le Tribunal civil de la Seine, un jugement qui admit le divorce, pour cause d’absence du mari, et ce divorce fut prononcé devant la XIe municipalité de Paris, le 29 du même mois (18 janvier 1797). » (Bégis, 152)

Dix jours après le divorce, le mariage entre Angélique Doye, ex-madame Billaud-Varenne et Henry Johnson était célébré à Paris, à la XIe municipalité, le 9 pluviôse an V-28 janvier 1797.

L’acte de mariage est extrait de l’état-civil du 24 pluviôse an V-12 février 1797 :

« Onzième arrondissement de Paris an V,

Du neuf pluviôse an V de la République.

Acte de mariage de Henry Johnson, propriétaire, né à Boston, en Amérique, domicilié à Paris, passage des Petits-Pères, n°9, division de Guillaume Tell, fils majeur de défunt Henry et de Marie Stuart sa veuve, domiciliée à Boston ;

Et de dame Angélique Doye, divorcée de Jacques-Nicolas Billaud, née à Verden, près d’Osnabruck, Westphalie, fille majeure de défunt François et dame Angélique Tebbing, son épouse.

Les époux ont déclaré à haute voix prendre en mariage l’un Anne-Angélique Doye, l’autre Henry Johnson, en présence de quatre témoins majeurs.

Pierre-Antoine-François Dhangard, officier public, a prononcé que, au nom de la loi, les dits époux sont unis en mariage et a signé aux registres avec les époux et les témoins.

Collationné par moi, officier public de l’état civil pour le onzième arrondissement de Paris.

Signé Leblond. » (Bégis, 153-154)

Un témoin de ce revirement complet de la femme de Billaud-Varenne, Georges Duval, peu suspect de sympathie pour l’ancien Conventionnel, a laissé un témoignage cruel et sans concession de cette « trahison féminine » :

« Mais il fut d’autres femmes, et j’ai regret à le dire, que la loi du divorce ne présenta sous un jour aussi avantageux. Combien n’en vit-on pas qui, au lieu de s’associer aux périls de leurs époux incarcérés, cachés ou proscrits, s’empressèrent de profiter de la loi du divorce pour rompre des liens qui ne leur offraient plus que des dangers à courir ! Je n’en citerai qu’une parce que je l’ai connue : c’était la femme de Billaud-Varenne, qui fit sa demande en divorce le jour même où son mari fut condamné à la déportation, et qui se remaria huit jours après celui où il partit pour Cayenne. Et j’en sais quelque chose, car c’est moi qui rédigeai son contrat de mariage, dans l’étude de Me Dubos, notaire, rue Saint-Jacques, et qui fus l’un des témoins de son mariage, à la municipalité de la rue Mignon. En supposant que Billaud-Varenne fût aussi peu aimable comme mari que comme personnage politique, il me semble que la citoyenne son épouse, d’ailleurs une des plus belles femmes que j’aie vues, aurait pu attendre, pour divorcer et convoler, qu’il fût arrivé à sa destination, c’était l’affaire de quelques semaines, et les convenances auraient été mieux gardées. » (Bégis, 155-156. Georges Duval, Souvenirs thermidoriens, Paris, Magen, 1844, t. 1, p. 62-63.)

Ne connaissant pas la raison pour laquelle son père ne lui parle plus de son épouse, et pensant à une brouille, Billaud-Varenne la défend dans ses courriers adressés à son père, comme celle-ci du 29 vendémiaire an VII-10 octobre 1798 :

« Poursuivi par le malheur, son âme aigrie vous ait paru moins susceptible de répondre aux bontés de la vôtre. L’excès de l’affliction conduit au désespoir, et le désespoir n’est lui-même qu’un vertige. C’est ce qui fait que les infortunés sont d’autant plus à plaindre que leur mauvaise humeur n’exhale que mécontentements qui déplaisent et qui lassent. [Le caractère] de cette malheureuse m’a toujours paru rempli de candeur. » (Bégis, 157-158.)

Désormais riche, Angélique continuait à entretenir une correspondance avec le père de Billaud, et ainsi le 25 pluviôse an VII-15 février 1799 : « Le désir ferme que j’ai de secourir le plus vertueux et le plus infortuné des hommes. C’est votre fils et l’ami choisi de mon cœur, dont l’injustice des hommes m’a séparée, après une union parfaite de dix années. C’est donc mon devoir, […] de ne pas laisser périr de misère l’innocent. » (Bégis, 159.) Et elle envoya à Billaud 50 louis en deux fois.

Le 26 ventôse an VII-16 mars 1799, elle précisait à son ex-beau-père : « Si j’ai conservé mes tristes jours, c’était dans l’unique espérance d’être utile à cet innocent opprimé. Pourvu que notre secours arrive encore à temps ! » (Bégis, 163.)

Le 5 nivôse an VIII-26 décembre 1799, Henry Johnson mourrait, et devenue veuve, Angélique héritait d’une fortune importante estimée à cinq cent mille francs, dont plusieurs immeubles à paris et en Normandie.

Nicolas Billaud, malgré son désappointement, mettait donc ses derniers espoirs de revoir son fils dans Angélique désormais fortunée. Il lui écrivit le 18 nivôse an VIII-8 janvier 1800 : « Mon seul souhait, avant de mourir, est de pouvoir l’embrasser encore une fois et de vous voir réunis. Dieu veuille, qu’avant ce terme, j’aie cette satisfaction. Je ne doute pas que, dans la circonstance, vous ne fassiez toutes les démarches nécessaires pour me la procurer. » (Bégis, 168.)

En décembre 1801, Billaud apprit, par hasard ou peut-être par des gens malintentionnés, l’affreuse nouvelle de la trahison d’Angélique. Alfred Bégis raconte cette nouvelle épreuve : « Quand, au commencement de l’an X, il apprit d’une source certaine qu’elle avait fait prononcé son divorce, il en fut atterré. Ce coup lui fut d’autant plus sensible qu’il était pour lui tout-à-fait imprévu, et la douleur qu’il en ressentit fut si profonde, que rien ne put désormais l’effacer. » (Bégis, op. Cit., 145.) Sa résolution était prise, il rompait définitivement les ponts avec Angélique, à tout jamais.

Le 27 nivôse an X-31 décembre 1801, il écrivit à son père : « Ayant ignoré trop longtemps, le mystère que le silence de vos lettres eût dû m’indiquer, c’est à une personne qui ne m’est plus rien, que j’avais envoyé mon autorisation pour conclure l’achat de ma ferme. » (Bégis, 175.)

De cette personne qui ne lui était plus rien, Billaud en reparla à son père dans une lettre du 9 germinal an X-28 mars 1802 : « Le silence que vous gardiez sur son compte dans vos lettres, de même que l’entortillage des siennes et les conseils déplacés que j’y trouvais, m’indiquaient assez qu’il y avait quelque chose de malséant dans sa conduite ; mais de ces vagues soupçons à la réalité, il y avait loin sans doute. Et si ce n’était la bonté de votre cœur, qui a craint sûrement de trop affecter ma sensibilité, je ne concevrais pas que vous ayez été si longtemps sans me parler ouvertement à ce sujet car il n’y a que trois mois que je sais, que non seulement elle a fait divorce peu de temps après mon départ de France, mais qu’elle avait épousé je ne sais quel vieillard, qui, dit-on, lui a donné beaucoup de fortune, et que même elle était veuve. Quoique je dusse m’attendre à cette indignité, après toutes celles dont on m’a abreuvé, ayant reçu cette nouvelle inopinément, elle ne m’a fait qu’une plus profonde impression. Enfin j’ai dévoré ce chagrin, comme tant d’autres, et je n’y songe plus. » (Bégis, 175-176.)

Ce terrible coup, Billaud l’encaissa et tout en pudeur renonça ensuite à en parler, gardant pour lui cette blessure béante : « Quel calme et quelle dignité touchante il montrait dans ces quelques lignes, en recevant ce nouveau coup. » « Il ne voulut plus jamais accorder aucun pardon à celle qui désormais ne devait plus rien être pour lui. » (Bégis, 176-177.)

Désormais « Toutes les lettres qu’elle lui avait adressées, il les avait déchirées sans les lire. » (Bégis, 199.) Ce qui explique qu’on ne trouvera pas dans les papiers de Billaud de lettres d’Angélique.

Celle-ci se plaignait de cette situation au père de Billaud : « Ce qui me fait le plus de peine, c’est de le regarder comme mort pour moi, et de ne jamais songer à le revoir. […] Maintenant le voile est déchiré. Je ne vois plus que le néant et un ennui éternel. Au moins que le ciel fasse qu’il soit heureux, car il n’y a pas d’homme qui le mérite plus que lui. […] vous avez pour fils le modèle de la vertu. » (Bégis, 177.)

Dans un courrier daté du 17 frimaire an XI adressé au père de Billaud, Angélique constatait amèrement : « Je n’ai reçu aucune nouvelle de Billaud ; sans doute il m’a oubliée pour jamais. » (Bégis, 200.)

Elle essaya une dernière tentative de le toucher en remettant une lettre au général Bertrand, ancien aide de camp de Victor Hugues, et voisin de Billaud-Varenne à Cayenne. En cette année 1806, Bertrand était de passage à Paris et Angélique put le rencontrer. Malheureusement, cette lettre s’égara sur le bateau du retour, mais Bertrand raconta l’histoire à Billaud. Ce dernier, inexorable, lui répondit : « Ne regrettez pas la perte de cette lettre ; je l’aurais déchirée sans la lire ; il est des fautes irréparables. » (Bégis, 204.)

Lors d’un courrier à son père, le 5 novembre 1808, Billaud-Varenne fera une dernière allusion à cette trahison féminine : « Pour moi, qui par tant de raisons n’aurais jamais dû sans doute me marier. » (Bégis, 209.)

Angélique,veuve Johnson, se remaria le 2 avril 1808 avec un riche négociant nommé Cousin-Duparc. Elle meurt à Paris le 14 février 1815. Billaud l’a-t-il su ? Finalement, elle laissa toute sa fortune à son troisième mari.

[23Françoise Brunel a présenté la construction du mythe du proscrit, mythe que Billaud a lui-même bâti patiemment, repris ensuite sur la génération des républicains des années 1830. Le long silence politique et public de Billaud participe également aux interrogations des contemporains et des historiens :

« Le 12 germinal an III (1er avril 1795) est prononcé la condamnation à la déportation. C’est Cayenne et pour Billaud, un ultime silence de vingt-quatre ans jusqu’à la mort en Haïti, en 1819. »

« Du silence, toutefois, va naître le mythe. Billaud fait alors figure d’archétype du proscrit. Il se tait, il refuse l’amnistie consulaire, mais on parle de lui. Après sa mort, on lui publie de faux Mémoires, récits d’aventures rocambolesques au Mexique. On lui prête des manuscrits disparus comme il se doit dans un naufrage. Au cours des années 1830, certains libéraux, fascinés par la Révolution, la proscription, Cayenne, évoquent son souvenir en Romantiques. »

Ses propos souvent rapportés, et sans doute déformés, modèlent « l’image du solitaire, trahi dans ses affections, incompris mais toujours inflexibles. » (Billaud-Varenne, Principes Régénérateurs du système social, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992. Introduction et notes de Françoise Brunel, p. 17-18.)

De nombreux témoignages, notamment des déportés du coup d’état du 18 Fructidor, insistent sur sa tenue, hautaine mais digne. Ainsi, Ange Pitou, évoquant le départ de Billaud de Cayenne pour Sinnamary, devant une foule hostile : « Billaud tranquille marchait à pas comptés, la tête haute, un perroquet sur son doigt qu’il agaçait d’une main nonchalante, se tournant par degrés vers les flots de la multitude à qui il donnait un rire sardonique. […] Quand à Billaud, transféré à Sinnamary puis à Cayenne, il travaillait sans relâche à l’histoire de la Révolution. » (Ange Pitou, Voyage forcé à Cayenne, Paris, Tallandier, 2011, p. 190-191.)

Un autre témoignage, anonyme, insiste sur le courage des déportés Billaud et Collot : « La déportation dans la Guyane française substituée par la Convention, à la peine de mort qu’avaient encourue quelques-uns de ses membres, ne fut appliquée qu’à Billaud-Varennes et à Collot-d’Herbois. […] Collot et Billaud furent déportés à la Guyane. Collot est mort à Cayenne. Billaud-Varennes vit encore. L’un et l’autre ont été traités très durement dans la traversée. »

(Anecdotes secrètes sur le 18 fructidor, et nouveaux mémoires des déportés à la Guyane, écrits par eux-mêmes, et faisant suite au journal de Ramel, Paris, Giguet et Cie, p. 69-70.)

[24Billaud était particulièrement attaché à son père, et réciproquement. On a retrouvé dans les affaires de Billlaud léguées à Virginie, cinq lettres de Nicolas Billaud à son fils, gardées précieusement par ce dernier. Parfois, un post-scriptum y était ajouté par sa mère ou son frère cadet.

Ces lettres sont datées du 29 fructidor an V-15 septembre 1797, 30 brumaire an IX-21 novembre 1800, 3 frimaire an X-24 novembre 1801, 20 prairial an X-9 juin 1802 et 22 prairial an X-11 juin 1802.

Dans celle du 3 frimaire an X, le père de Billaud lui avouait : « A mon âge je n’ai plus d’espoir de vous revoir. […] C’était la seule satisfaction à laquelle j’aspirais. » (Documents inédits-Virginie.)

De son côté, Billaud-Varenne conservait ses brouillons de lettres destinées à son père, celles du 12 thermidor l’an 14-2 août 1806, du 29 novembre 1806, une non datée mais visiblement de 1800, et une quatrième d’une longue lettre à MCP. (Mon cher Papa.)

Sept ans plus tard, au soir de son existence, Nicolas Billaud écrivit à son fils en juillet 1808 : « Tout ce que je désire maintenant, c’est d’avoir de vos nouvelles. Il y a lieu de croire que, vu mon âge avancé, ce sera les dernières que je recevrai de vous. Tâchez donc de me les procurer le plus tôt possible, et soyez persuadé que je ne cesserai de vous être utile autant que mes facultés pourront me le permettre. » (Bégis, 206.)

Pourtant les dernières années de Billaud père allaient être contrariées. Benjamin Billaud, le fils cadet, avait noué des « relations irrégulières » avec une jeune domestique de La Rochelle, Jeanne Auger. Une fille, Clémentine, était née de cette liaison, le 25 mai 1807, et Benjamin avait reconnu l’enfant.

Le père Billaud, qui rêvait sans doute d’une meilleure union pour son fils, ne le supporta pas et ne l’accepta pas, ce qui entraîna sa colère, puis une brouille avec son fils.

Billaud-Varenne joua, à cette occasion, les médiateurs, et écrivit, le 5 novembre 1808, tout d’abord à son père des paroles d’apaisement remplies de bon sens et d’amour filial :

« J’apprends, par mon frère, que vous avez maintenant sous les yeux un être qui ne doit pas simplement vous intéresser par la candeur de l’enfance. Outre qu’il est dans la nature de se complaire à se voir reproduire, l’aimable Clémentine est votre portrait, et mon frère joint actuellement l’avantage et le mérite de pouvoir lui seul vous prodiguer tous ses soins et d’offrir encore à votre âme bienveillante un enfant dont il est le père. Songez que c’est l’unique de votre famille qui en perpétue la race, du moins sans mélange. […]

Mon pauvre frère Henri avait laissé de très beaux mulâtres, mais la différence de couleur en produit surtout en Europe, dans les sentiments ; et d’ailleurs, l’état déplorable de la colonie où ils sont, ne permet pas de s’en occuper et fait même douter de leur existence.

Il n’y a donc que l’aimable Clémentine qui doive concentrer toutes nos affections. Et, par suite, la mère de cette enfant ne doit en être que plus estimable à vos yeux. […] Ce tableau, qui vous appartient par les liens du sang, doit d’autant mieux vous plaire qu’il n’est propre qu’à distraire les ennuis, dont on ne manque jamais d’être assailli plus ou moins. […] Eh bien ! Vous voici en mesure de vous occuper de nouveau de ces doux passe-temps. » (Bégis, 208-209.)

Nicolas Billaud reçut-il « à temps » cette lettre de son fils ? On peut en douter.

Trois jours plus tard, le 8 novembre 1908, Billaud-Varenne répondit à son frère, afin de le féliciter de la naissance de sa fille, mais aussi afin de raccommoder le différent avec leur père :

« Enfin, mon bon ami, te voilà donc père, et père d’une si intéressante créature ! Je t’en fais mon compliment du plus profond de mon cœur. Je conçois que mon père, gouverné par ses anciennes idées, a eu de la peine à se familiariser avec celle de devenir le grand-papa de l’enfant d’une autre Agar. Mais je n’en aime que davantage ta chère Clémentine qui, après avoir suscité l’orage, a su bientôt le dissiper par ses grâces enfantines. […] Tu aurais commis une grande faute en te séparant de lui. […] Que serait devenu ce respectable vieillard, si tu l’eusses abandonné à son âge et quand ton attention et tes soins lui sont devenus plus que jamais nécessaires ! […] Une pareille séparation n’eût pas tardé à le plonger dans le tombeau ! […] Sans doute, mon père a des mouvements de vivacité, mais c’est à lui que nous devons l’existence, et si la mère de Clémentine te fait trouver quelques charmes dans la vie, à tout prendre, tu les dois à celui de qui tu la tiens. Enfin, c’est notre père. [….] Embrasse donc pour moi l’intéressante mère de l’aimable Clémentine. » (Bégis, 210-215.)

Et notons-le, c’est très rare, il terminait avec optimisme sa lettre, avec une possibilité de retrouvailles possibles, qui, hélas, ne se réalisera pas : « Au reste, la mer ne sera peut-être pas toujours obstinément barrée. »

Le 31 mai 1809, à quatre-vingt-quatre ans, Nicolas Billaud père mourrait. Benjamin prévint son père, puis se maria avec Jeanne Auger, la mère de ses enfants, le 5 juillet 1809. Ils venaient d’avoir une seconde fille, Zélie, née le 5 février 1809.

Dans les documents inédits de Virginie, on trouvera un long brouillon concernant la succession de ses père et mère, daté du 2 avril 1818, au dos d’un document administratif du Grand juge d’Haïti.

[25Les parents de Billaud-Varenne se sont mariés le 18 septembre 1752. Nicolas avait 27 ans et Henriette-Suzanne Marchand ( ou Marchant) 23 ans.

Billaud aura des paroles d’une grande tendresse envers sa mère. Ainsi, dans une lettre du 3 thermidor an VIII-22 juillet 1800 à son père : « Dans ma jeunesse, cette tendre et digne mère a été si souvent et si heureusement mon organe auprès de vous, qu’elle m’a appris que je ne puis pas en choisir un meilleur auprès d’elle. » « Quelles qu’aient été les situations bien différentes de ma vie, vous savez qu’ils ne se sont jamais démentis. Et comment pourraient-ils changer à votre égard, lorsque la sensibilité la plus profonde me pénètre pour vous et pour ma chère maman, de tout ce que l’attachement le plus inviolable et la reconnaissance la plus impérieuse peuvent inspirer. Veuillez vous charger, je vous en supplie, d’en transmettre l’expression à celle qui partage avec vous cet hommage. » (Bégis, 114.)

Dans une lettre du 29 vendémiaire an VII-10 octobre 1798, Billaud parle de l’amour qu’il porte à sa famille : « Cette recommandation en faveur de votre fille s’adresse donc aussi à ma chère maman. Vos sentiments étant uniformes, je ne vous sépare pas plus dans ce que je vous écris que dans mon cœur. » « Elle qui a tant désiré une fille, elle continuera d’accorder, j’en suis certain, l’amour qu’elle lui réservait à celle que je lui ai donné. » (Bégis, 158.)

Dans un post-scriptum d’une lettre de Nicolas destinée à leur fils du 3 frimaire an X-24 novembre 1801, Henriette lui écrit ses mots déchirants : « Je désire ainsi que ton père de t’embrasser avant de mourir. » Et elle a ensuite biffé les mots : « de tristesse. » (Documents inédits-Virginie.)

Malheureusement, son désir le plus cher ne fut pas exaucé. Le 1er messidor an XII-30 juin 1804, Henriette-Suzanne Billaud mourrait à l’âge de soixante-quinze ans. Son mari envoya une lettre douloureuse à son fils, le 1er thermidor an XII-20 juillet 1804, afin de le prévenir de cette triste nouvelle. Billaud lui répondit bien plus tard, lors de la réception de cette lettre, le 17 floréal an XIII-17 mai 1805 :

« Ce n’est que dans un de ces voyages assez rares que j’ai fait, il y a quelques jours à Cayenne, que j’ai reçu votre douloureuse lettre du 1er thermidor an XII (20 juillet 1804). Les désagréments qui m’avaient assailli depuis dix-huit mois semblaient me présager un malheur infiniment plus amer et plus accablant. Moi, dont toute la consolation était, au milieu du déluge de chagrins qu’il m’a fallu dévorer pendant plus de dix ans, de savoir ou du moins d’espérer que le ciel accueillait les vœux ardents que je lui adressais pour la conservation des auteurs de mes jours, me voilà donc frustré en partie du seul bien auquel je fusse désormais sensible ! Toutefois, je ne chercherai point à aigrir votre propre douleur, en vous peignant celle dont je suis pénétré. Au contraire, mon cher papa, je vous adjure de rappeler toute votre raison pour supporter avec courage ce cruel événement. Songez que vous avez des enfants qui vous chérissent et dont votre existence forme tout le bien-être. Veuillez donc la ménager pour l’amour d’eux-mêmes. Ne sont-ils pas assez profondément affligés sans qu’un nouveau malheur, et le pire de tous, achève de les réduire au désespoir.....

Billaud-Varenne. » (Bégis, 183-184.)

Ces échanges de lettres entre Billaud et sa famille sont présentés ainsi, lors d’une vente aux enchères : « Un très touchant ensemble, témoignant de la délicatesse, du respect et de l’amour non démentis de la famille du proscrit malgré l’ostracisme dont ils seront l’objet par sa condamnation. »

(Documents inédits-Virginie.)Retour ligne automatique

[26Billaud-Varenne avait toujours entretenu de bonnes relations avec son frère cadet, Benjamin, né le 15 janvier 1768. Celui-ci avait renoncé à la profession d’avocat pour celle d’homme de lettres. Il était entré à l’Académie des belles-lettres, sciences et arts de La Rochelle comme académicien titulaire le 19 prairial an XI. Une carte civique professionnelle lui fut délivrée le 22 août 1807.

Une correspondance suivie s’est établie entre les deux frères. Les archives nationales conservent des lettres de Benjamin, conservées par Billaud, comme par exemple celle du 19 juin 1786, où il annonce l’envoi du manuscrit d’un de ses ouvrages, Les mémoires du comte de Warwick.

Durant l’exil de Billaud-Varenne, Benjamin lui écrivit régulièrement. Billaud conserva l’une de ses lettres, datée du 30 brumaire an X-21 novembre 1801.

Dans un post-scriptum d’une lettre de ses parents, Benjamin suppliait presque son frère de revenir à La Rochelle, en acceptant l’amnistie accordée par le Consulat :

« Je joins mes vœux mon cher frère à ceux de ma mère pour vous engager à vous arracher d’un pays dont le climat nuit tôt ou tard pour altérer votre santé. Abandonnez cette vie torride qui vous dévore et venez sous un ciel plus doux goûter de votre famille la douceur de vivre au milieu de ceux qui vous aiment autant qu’ils vous sont chers. Je vous embrasse tendrement.

B. Billaud. » (Documents inédits-Virginie.)

Après les décès de son frère Henri en 1801, puis ceux de ses parents en 1804 et 1809, Benjamin restait la seule famille de Billaud-Varenne.

Benjamin et son épouse ouvrirent un petite librairie à Sens en 1809, puis revinrent vivre à Paris l’année suivante de leurs modestes ressources. Les courriers avec la Guyane s’espacèrent et Billaud-Varenne lui en fit le reproche dans un courrier du 27 mars 1815 :

« Tous les liens qui m’attachaient à la vie ont à peu près été brisés, hormis ceux qui m’unissent à toi et que l’amitié ne cimente pas moins que la nature. Quand je compare, mon cher Benjamin, la longueur de mes lettres avec le laconisme des tiennes, je ne puis concevoir d’où vient cette différence. A peine me parles-tu de ta situation, comme si ta destinée pouvait m’être indifférente. […] Tu es le seul frère qui me reste, d’une famille si tendrement aimée. […] Ainsi, je t’en conjure, parle-moi beaucoup de toi, de ta digne épouse, de ma chère Clémentine. […] dans l’isolement où je vis, tu dois comprendre que je mets un grand prix à tout ce qui peut venir de toi. » (Bégis, 222-223.)

Malheureusement, à la fin de 1817, Billaud apprit la mort de Benjamin, survenue le 26 mars 1817, qui succédait d’ailleurs à celle de son épouse Jeanne le 13 septembre 1816.

Désormais totalement seul, et désespéré, il écrivit à l’un de ses amis, Guillemet, entrevu à Cayenne qui s’en était revenu à La Rochelle, dans une lettre du 23 mars 1818 : « Ainsi, pour surcroît de malheur, en survivant à toute ma famille, je suis condamné à pleurer sa perte jusqu’à mon dernier soupir. » (Bégis, 242.)