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Robespierre en Grande-Bretagne

(Robespierre in Britain)

samedi 6 juillet 2024, par Marianne Gilchrist

“quiconque lit le récit de Carlyle aura sous les yeux une image très vivante... Mais lorsqu’il l’examinera minutieusement, il découvrira que presque tous les détails sont inexacts, et que certains d’entre eux sont tout à fait erronés et trompeurs. Tel est le danger de l’école pittoresque des historiens. Ils sont pittoresques à tout prix.”

Oscar Browning

Robespierre en Grande-Bretagne

par Marianne M Gilchrist

En français

Il n’y a jamais eu une seule vision britannique ou anglophone de Robespierre. Il y a toujours eu plusieurs récits concurrents.

À l’époque de la Révolution, la démocratie en Grande-Bretagne était extrêmement limitée : à peine 3 % de la population (hommes uniquement) avaient le droit de vote (l’égalité des droits de vote pour tous n’est intervenue qu’en 1928).

La révolution bénéficiait d’un soutien populaire radical, donc le gouvernement de Pitt craint l’insurrection. Les ’écrits séditieux’ sont interdits. Thomas Paine s’enfuit en France, mais ses effigies sont brûlées. La déclaration de guerre avec la France en 1793 fait des sympathies révolutionnaires une trahison.

La répression gouvernementale s’intensifie : L’habeas corpus est suspendu. Certains radicaux écossais sont transportés en Australie et l’insurrection irlandaise de 1798 est écrasée au prix de lourdes pertes humaines.

James Sayer - Caricature de Fox, appellé ’Robespierre’ (BNF - Gallica)

Les politiciens whigs sont associés au ’jacobinisme’ dans des caricatures pro-gouvernementales : Charles James Fox est caricaturé en Robespierre et Marat, ou vénérant les bustes de Robespierre et de Napoléon dans sa maison à St Ann’s Hill.

La présence de la cour française en exil - Charles, comte d’Artois, à Édimbourg et à Londres, et (à partir de 1807) son frère aîné Louis, comte de Provence, à Buckinghamshire - a également influencé les récits.

La vision populaire radicale de la révolution a survécu au cours du XIXe siècle dans le mouvement chartiste. James Bronterre O’Brien (1804-64), chartiste irlandais à Londres, a publié ses traductions de Babeuf et de Buonarrotti et a commencé une biographie sympathique de Robespierre. Seul le premier volume a été publié, les manuscrits ayant été saisis par la police en 1838. L’ouvrage comporte quelques inexactitudes, dues à la difficulté des recherches à l’époque, mais son ton est très différent de celui des autres récits anglophones de la période.

Ces derniers étaient dominés par l’ouvrage polémique et antidémocratique de Thomas Carlyle, La Révolution française : une histoire (1837). Comme l’a noté Oscar Browning en 1886 :

quiconque lit le récit de Carlyle aura sous les yeux une image très vivante... Mais lorsqu’il l’examinera minutieusement, il découvrira que presque tous les détails sont inexacts, et que certains d’entre eux sont tout à fait erronés et trompeurs. Tel est le danger de l’école pittoresque des historiens. Ils sont pittoresques à tout prix.

Carlyle a imposé à Robespierre ses préjugés personnels à l’encontre des radicaux politiques actuels, le comparant à un ’canting Methodist parson” (“un Tartuffe en curé méthodiste”), et l’a désigné comme ’Autocrate de France’, un ’Automate’, et ’sea-green Incorruptible’ (d’après la description gothique de Germaine de Staël, publiée à titre posthume en 1818). Les descriptions enthousiastes des Brissotines par Carlyle sont renforcées par l’Histoire des Girondins de Lamartine, publiée en anglais en 1848. Dans beaucoup de ’livres d’héroïnes’ destinés aux jeunes filles, Manon Roland et Charlotte Corday (qui Lamartine a appellée “la Jeanne d’Arc de la liberté’) étaient présentées comme les seules révolutionnaires que l’on était censé admirer. C’est ainsi que je les ai rencontrées vers 1970.

À la même époque, Marx et Engels - qui habitaient en Angleterre et faisaient partie intégrante de la gauche britannique - ont mis l’accent sur une vision de la Révolution française comme une ’révolution bourgeoise’. Le jacobinisme est encore souvent perçu à travers ce prisme par la gauche de nos jours : comme un mouvement autoritaire et descendant, en contradiction avec le ’socialisme d’en bas’. Robespierre est dépeint souvent par la gauche comme un ’bourgeois’ ou inauthentique, signifié par sa culotte et de sa perruque poudrée.

William H Fisk - Robespierre Receives Letters from the Friends of His Victims, Threatening Him with Assassination (1863) (Musée de la Révolution, Vizille)

Un récit populaire a été établi par Marie Tussaud, qui a apporté son spectacle de cire et des souvenirs napoléoniens de Paris en 1802, exagérant son importance dans les évènements et promouvant des récits historiques trompeurs. Des têtes de personnes ’telles qu’elles sont apparues après la guillotine’ (c’est-à-dire des impressions d’artistes) ont été commercialisées plus tard comme des moulages de têtes coupées (le faux ’masque de mort de Robespierre’). Elle a défendu l’image thermidorienne et libertine de Robespierre, qu’il avait fait exécuter quelqu’un pour donner sa maison à sa maîtresse.

Mme Tussaud et ses descendants ont présenté leur exposition comme « éducative », et non comme un simple divertissement, et leurs affirmations n’ont pas toujours fait l’objet d’un examen minutieux. Par exemple, elle prétendait que sa « Belle au bois dormant », Mme de Sainte-Amaranthe, était une jeune veuve vertueuse exécutée pour avoir refusé de devenir la maîtresse de Robespierre – et pas parce que sa maison de plaisir au Palais Royal était un centre d’espionnage. Depuis 1971, ce personnage est rebaptisé « Mme du Barry », de façon tout à fait fallacieuse.

Mme Tussaud et Carlyle ont inspiré des romans et des pièces de théâtre, notamment Paris et Londres 1793 de Charles Dickens (1859), popularisé sur scène, puis au cinéma et à la télévision. Dickens affirmait dans sa préface que « personne ne peut espérer ajouter quoi que ce soit à la philosophie du merveilleux livre de M. Carlyle ».

Henry Irving - ’Robespierre’ (Sardou)

En 1899, Henry Irving commanda une pièce, Robespierre, à Victorien Sardou, dont la pièce Thermidor (1891) avait provoqué des protestations et un débat politique à Paris. Dans la pièce de Sardou, Robespierre se tue pour sauver son fils adulte illégitime de la guillotine : un scénario plus plausible pour Irving, qui avait 61 ans, que pour Maximilien, mort à 36 ans.

Emmuska Orczy, fille d’un baron hongrois, a poursuivi dans cette voie avec Le Mouron Rouge (1903) et les suites jusqu’en 1940. Son Robespierre, grand et cadavérique, ressemble à Irving. Il ’régnait sur eux tous par la force de sa propre sauvagerie à sang froid, par la puissance inébranlable de son impitoyable cruauté’, ’le démagogue le plus ambitieux et le plus égoïste de son temps’ (L’insaisissable Mouron Rouge (1908)). Son héros, Sir Percy Blakeney, sauve des aristocrates et inspire Tallien à organiser le coup de thermidor dans Le triomphe du Mouron Rouge (1922). Dans les années 1930, Hodder & Stoughton a commercialisé Le Mouron Rouge en tant que ressource éducative, laissant entendre que le personnage principal fictif était une figure historique ’qui peut leur [les enfants] en apprendre plus sur la Révolution française que tous les manuels scolaires réunis’. Une aventure ’historique’ de Doctor Who, Le règne de la Terreur (1964), reprenait également des motifs du Mouron Rouge et présentait Robespierre comme ’le tyran de la France’.

La déformation par les Bolcheviks de la tradition révolutionnaire française a conduit à considérer Robespierre comme une figure de Lénine ou de Staline. L’influence de Furet est également devenue forte, car son travail était facilement disponible en anglais en raison de sa carrière américaine. Citoyens de Simon Schama - produit pour le bicentenaire, mais basé sur ses recherches des années 1970, donc déjà quelque peu daté au moment de la publication - s’inscrit dans cette tradition. Il reste influent au niveau populaire en raison de la présence médiatique de Schama en tant qu’« historien public ».

Avec la romancière Hilary Mantel, Schama a dominé un documentaire de la BBC, La Terreur ! - Robespierre et la Révolution française (2009), fortement biaisé en faveur de Lazare Carnot : une interview de Marisa Linton a été réduite à trois minutes à peine.

L’image principale de Robespierre en Grande-Bretagne provient encore de la fiction/littérature, pas de l’histoire. La pièce de Büchner La mort de Danton a été diffusée à la télévision en 1978, et est toujours jouée sur scène. Le film de Wajda, Danton, réalisé en 1983, est traité par certains comme un documentaire, notamment parce qu’il présente Robespierre et Saint-Just comme des amants. Les productions télévisées et théâtrales basées sur les romans d’Orczy, Le Mouron Rouge, renforcent sa représentation de Robespierre comme un dandy tyrannique. Le jeu vidéo canadien Assassin’s Creed : Unity a également diffusé cette représentation erronée. Dans le journalisme politique, le nom de Robespierre est utilisé pour désigner un ’extrémiste’ ou un ’tyran populiste’. Même des écrivains de gauche assimilent à Robespierre des hommes politiques d’extrême droite, dont il aurait combattu les idées et les valeurs.

Actuellement, la Révolution française tend à être commercialisée au niveau populaire comme une « histoire de filles », centrée sur Marie-Antoinette et mettant l’accent sur le glamour et la tragédie de l’élite. Cette tendance est fortement influencée par le film de Sofia Coppola (2006).

Lors de l’émission télévisée de la BBC Royal History’s Biggest Fibs’ (“Les plus gros mensonges de l’histoire royale”) (2020), Lucy Worsley, conservatrice aux palais royaux britanniques, a exprimé sa surprise lorsque Marisa Linton lui a dit que Robespierre avait également été injustement déformé dans les représentations historiques populaires.

Le plus grand problème est le temps nécessaire pour que les travaux universitaires soient diffusés au niveau populaire. Les ouvrages de vulgarisation ont des décennies de retard sur les ouvrages universitaires, et très peu d’ouvrages français récents ont été traduits. Le livre de Michel Biard et Marisa Linton sur la Terreur est disponible en anglais - sans doute parce que l’un des auteurs est britannique. Le Robespierre de Gauchet a été traduit, mais pas la biographie d’Hervé Leuwers, ni l’examen du mythe Robespierre par Marc Bosc et Yannick Bélissa.

In English

There has never has been a single British or Anglophone view of Robespierre. There have always been several competing narratives.

At the time of the Revolution, democracy in Britain was extremely limited : barely 3% of the population (men only) had the vote (equal voting rights for all only came in 1928). There was popular radical support for the Revolution. Pitt’s government feared insurrection. ‘Seditious writing’ was outlawed. Thomas Paine fled to France but effigies of him were burned. The declaration of war with France in 1793 made Revolutionary sympathies treasonous.

Government repression intensified : Habeas Corpus was suspended. Some Scots Radicals were transported to Australia, and the Irish insurrection of 1798 crushed with heavy loss of life.

James Sayer - Caricature de Fox, appellé ’Robespierre’ (BNF - Gallica)

Whig politicians were associated with ‘Jacobinism’ in pro-government cartoons : Charles James Fox was caricatured as Robespierre and Marat, and was depicted as worshipping busts of Robespierre and Napoléon at his house at St Ann’s Hill.

The presence of the exiled French court – Charles, Comte d’Artois, in Edinburgh and London, and (from 1807) his older brother Louis, Comte de Provence, in Buckinghamshire – also influenced narratives.

The popular Radical view of the Revolution survived during the 19C in the Chartist movement. James Bronterre O’Brien (1804-64), an Irish-born Chartist based in London, published translations of Babeuf and Buonarrotti, and began a sympathetic biography of Robespierre. However, only the first volume was published, as O’Brien’s manuscripts were seized in a police raid in 1838. It has a number of inaccuracies, due to the difficulty of research at the time, but is very different in tone from other Anglophone narratives of the period.

These were dominated by Thomas Carlyle’s polemical and anti-democratic The French Revolution : A History (1837). As Oscar Browning noted in 1886 :
any one who reads Carlyle’s narrative will have before his eyes a very vivid picture… But when he looks minutely into it he will discover that almost every detail is inexact, some of them quite wrong and misleading. This is the danger of the picturesque school of historians. They will be picturesque at any price.

Carlyle imposed his personal prejudices against present-day political radicals on to Robespierre, likening him to a canting ‘Methodist parson’, and designated him ‘Autocrat of France’, an ‘Automaton’, and ‘the sea-green Incorruptible’ (from Germaine de Staël’s Gothic description, published posthumously in 1818).

Carlyle’s effusive descriptions of the Brissotin women were reinforced by Lamartine’s romantic and melodramatic History of the Girondins, published in English in 1848. In ‘Books of Heroines’ aimed at young girls, Manon Roland and Charlotte Corday (Lamartine’s “Jeanne d’Arc de la liberté”) were presented as the only Revolutionaries you were supposed to admire. This was how I encountered them c. 1970.

At the same time, Marx and Engels – who settled in England and were very much part of the British Left – emphasised a view of the French Revolution as a “bourgeois revolution”. Jacobinism is still often seen through that prism by the present-day Left : as an authoritarian, top-down movement, at odds with grass-roots ‘socialism from below’, and Robespierre viewed as a “bourgeois” or inauthentic figure, because of his culotte and powdered wig.

William H Fisk - Robespierre Receives Letters from the Friends of His Victims, Threatening Him with Assassination (1863) (Musée de la Révolution, Vizille)

A popular narrative was established by Marie Tussaud, who brought her waxwork show and Napoleonic memorabilia from Paris in 1802, exaggerating her importance in events and promoting misleading historical narratives. Heads of people ‘as they appeared after the guillotine’ (i.e. artist’s impressions) were marketed later as casts taken from severed heads (including the false ‘death-mask of Robespierre’). She championed the Thermidorian ‘libertine’ image of Robespierre, claiming he had someone executed to give their house to his mistress.

Tussaud and her descendants promoted their exhibition as ‘educational’, not simply entertainment, and their claims have not always been closely scrutinised. For example, she claimed that her ‘Sleeping Beauty’, Madame de Sainte-Amaranthe, was a virtuous widow executed for refusing to become Robespierre’s mistress. In fact, she was executed because her ‘gaming house’ in the Palais Royal was a centre for spying. Since 1971, the figure has been relabelled as ‘Madame du Barry’, quite spuriously.

Tussaud and Carlyle inspired novels and plays, notably Charles Dickens’ A Tale of Two Cities (1859), popularised on stage, later on film and TV. Dickens claimed in his Preface ‘no one can hope to add anything to the philosophy of Mr Carlyle’s wonderful book’.

Henry Irving - ’Robespierre’ (Sardou)

In 1899, Henry Irving commissioned a play, Robespierre, from Victorien Sardou, whose Thermidor (1891) had provoked protests and political debate in Paris. In Sardou’s play, Robespierre shoots himself to save his adult illegitimate son from the guillotine. This was a more plausible storyline for 61-year-old Irving than for Maximilien at 36.

Emmuska Orczy, daughter of a Hungarian baron, followed this with The Scarlet Pimpernel (1903) and sequels until 1940. Her tall, cadaverous Robespierre in The Elusive Pimpernel (1908) resembles Irving. He ‘ruled over them all by the strength of his own cold-blooded savagery, by the resistless power of his merciless cruelty’, ‘the most ambitious, most self-seeking demagogue of his time’. Her hero, Sir Percy Blakeney, rescues aristocrats and inspires Tallien to stage the Thermidor coup in The Triumph of the Scarlet Pimpernel. In the 1930s Hodder & Stoughton marketed The Scarlet Pimpernel as an educational resource, implying that the fictional main character was an historical figure ‘who can teach them [children] more about the French Revolution than all the textbooks put together’. A ‘historical’ Doctor Who adventure, The Reign of Terror (1964), also used motifs from The Scarlet Pimpernel, and presented Robespierre as ‘The Tyrant of France’.

The Bolsheviks’ distortion of the French Revolutionary tradition led to Robespierre being seen as a Lenin or Stalin figure. Furet’s influence also became strong, since his work was readily available in English because of his American career. Simon Schama’s Citizens – produced for the bicentenary, but based on his 1970s research, so already somewhat dated by the time of publication, is part of that tradition. It remains influential at popular level because of Schama’s media presence as a ‘public historian’. He and the historical novelist Hilary Mantel dominated a BBC documentary, Terror ! – Robespierre and the French Revolution (2009), heavily biased towards Lazare Carnot : an interview with Marisa Linton was reduced to barely three minutes.

The main image of Robespierre in Britain still comes from fiction/literature, not from history. Büchner’s play Danton’s Death was televised in 1978and is still performed on stage. Wajda’s 1983 film, Danton, is treated by some people as if it were a documentary, including its depiction of Robespierre and Saint-Just as lovers. TV and stage productions based on Orczy’s Scarlet Pimpernel novels reinforce her depiction of Robespierre as a tyrannical fop. The Canadian computer game Assassin’s Creed : Unity has also spread its misrepresentation. In political journalism, Robespierre’s name is used as shorthand for ‘extremist’ or ‘populist tyrant’. Even writers on the Left liken extreme right-wing politicians, whose ideas and values he would have opposed, to Robespierre.

Currently, the French Revolution tends to be marketed at a popular level as ‘girls’ history’, focussed on Marie-Antoinette, with an emphasis on élite glamour and tragedy. This is heavily influenced by Sofia Coppola’s 2006 film. On the BBC television programme, Royal History’s Biggest Fibs (2020), Lucy Worsley (a curator at the Royal Palaces) expressed surprise when Marisa Linton told her that Robespierre had also been unjustly misrepresented in popular historical depictions.

The greatest problem is the length of time it takes for academic scholarship to be disseminated at popular level. Popular works are decades behind academic ones, and very little up-to-date French scholarship has been translated. Michel Biard and Marisa Linton’s book on the Terror is available in English – no doubt because one of the authors is British. Gauchet’s Robespierre has been translated, but not Hervé Leuwers’ biography, nor Marc Bosc and Yannick Bélissa’s examination of the Robespierre myth.

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