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Essai. Le retour de Robespierre fait débat

vendredi 7 décembre 2018

« Robespierre. L’homme qui nous divise le plus »

Marcel Gauchet Gallimard, 288 pages, 21 euros

Revenant sur le cheminement de l’Incorruptible, l’historien Marcel Gauchet entend interroger, non sans contradictions et nuances, l’homme-utopie.

ESSAI. LE RETOUR DE ROBESPIERRE FAIT DÉBAT

in l’Humanité Jeudi, 8 Novembre, 2018

Hervé Leuwers

Alors que le Robespierre (joué par Louis Garrel), exigeant, désintéressé, parle et écrit dans Un peuple et son roi (le film de Pierre Schoeller), un autre Robespierre arrive en librairie. Le conventionnel continue à parler à notre époque. Il croise et recroise les chemins des cinéastes, des historiens, des philosophes, sans que tous rencontrent le même homme.

Marcel Gauchet saisit son Robespierre entre 1789 et 1794, jusqu’aux traces qu’il a laissées parmi nous. L’auteur n’esquisse pas une biographie, mais poursuit, au travers d’un parcours révolutionnaire, ses interrogations sur la dynamique des droits de l’homme, la difficile invention de la République et l’étrangeté de notre démocratie – une République logée « dans l’État bâti par les pouvoirs autoritaires ». Tout en partageant avec Furet la conviction que la révolution est terminée, l’auteur assure pourtant qu’elle se prolonge désormais d’une « révolution interminable », qui transparaîtrait dans la sympathie renouvelée pour le Robespierre de 1789. Le constat vaut interrogation sur notre présent, sur les potentialités politiques des droits de l’homme et sur la mémoire de la Révolution et de l’un de ses principaux acteurs ; une interrogation inquiète. En revenant sur le cheminement de l’Incorruptible, Marcel Gauchet entend démontrer l’impasse d’une pensée en action.

Un climat émotionnel hors norme

Le tableau n’est pas sans nuances. Plutôt qu’un monstre, Robespierre devient un vertueux qui s’égare, un tyran qui s’ignore, sans que l’on puisse le placer à l’origine du totalitarisme. C’est que Marcel Gauchet n’impute pas l’échec de l’an II aux circonstances, aux principes défendus ou à un climat émotionnel hors norme, mais d’abord à la conception mythique d’un peuple vertueux, que le conventionnel aurait fini par incarner, en 1792, et plus encore avec son entrée au Comité de salut public (juillet 1793). La métamorphose l’aurait aveuglé, l’empêchant d’analyser efficacement les divisions du pays ; elle l’aurait conduit au gouvernement d’exception et à la Terreur. À l’issue d’un détour par une uchronie, imaginant une victoire de Robespierre en thermidor an II, l’auteur conclut que « l’échéance n’eût été que reculée ». La République de Robespierre aurait été irréalisable. D’une certaine manière, l’homme-principe jadis célébré par Laponneraye se transformerait en homme-utopie. La démonstration est subtile, bien documentée, mais son déterminisme l’éloigne par instants de l’analyse historique. Parce qu’elle postule une contradiction impossible à dépasser, la nécessité d’un échec, elle est aussi l’expression d’une conviction politique. D’ailleurs, peut-on à la fois reconnaître l’impénétrabilité de la psychologie du personnage et conclure à son « narcissisme vertuiste » ? Comment convaincre qu’une conception du peuple, portée par l’un des douze du Comité de salut public, soit un moteur historique plus puissant que la guerre, la contre-révolution, la peur ou l’enthousiasme ? Comment croire qu’il serait « vain » de rechercher chez l’avocat ou l’homme de lettres inspiré par l’Antiquité les origines de certains de ses choix ?

Le livre invite au débat. C’était son objectif premier. Au-delà, le « Robespierre » de Gauchet, ni monstre ni héros, démontre la possibilité d’une réflexion sereine sur le personnage. Nourri d’interrogations politiques sur le présent, l’essai rappelle la puissance créatrice des droits de l’homme et l’actualité de la mémoire révolutionnaire, d’une mémoire toujours divisée.

Hervé Leuwers Historien