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Discours de Robespierre après la fuite du roi

samedi 3 décembre 2022

Robespierre adresse un avertissement d’une guerre civile après la fuite du roi.

Le moment du danger n’est pas celui de la pusillanimité : je ne m’arrête point aux calomnies répandues à dessein contre cette société ; quand des hommes libres parlent, leurs œuvres et leur conscience suffisent ; mais quand on vous harcelle par des perfidies, devez-vous vous détourner de la route du bien public pour repousser de vaines accusations ? Messieurs, lorsqu’une infernale coalition de ces hommes à privilèges, de ces hommes qui ont juré de les recouvrer, lorsqu’ils ont droit au despotisme, lorsque l’on compte sur des espérances, sur des projets d’ambition, lorsque la majorité des représentans du peuple sont corrompus, gangrenés, il ne faut rien attendre d’eux pour le salut de la nation.

Messieurs, lorsque les grandes assemblées veulent se prolonger au-delà du terme marqué par la nature, elles doivent comme les individus se ressentir de leur foiblesse : ce n’est pas que la majorité de vos représentans ne se soient jusqu’à ce moment refusés à la corruption, ce n’est pas que la plupart ne soient restés purs ; mais à la suite de leurs travaux, la calomnie, les haines, les intrigues les ont détournés de leur but, les ont rendu l’objet, je ne dirai pas de l’indifférence, mais d’un sentiment moins estimable pour l’homme sage et le bon citoyen : cependant les représentans qui sont les vrais représentans du peuple des communes devroient se ressouvenir de leur caractère (applaudi). N’est-il pas vrai qu’ils devroient se respecter ? que des hommes qui ont passé les deux tiers de leur vie à cajoler les despotes, à ramper à leurs pieds ou devant ceux qu’ils avoient choisi pour leurs premiers esclaves, devroient compter un peu moins sur une sorte de succès qui s’éclipsera comme leurs intrigues ?

N’est-il pas vrai que l’ouvrage des factieux disparoîtra de la constitution comme l’ombre s’éclipse devant la lumière ? Vrais représentans du peuple, c’est à vous que je m’adresse ; osez me dire qu’il n’est pas certain que lorsqu’une grande nation a remis ses pouvoirs à une assemblée d’hommes, dont le plus grand nombre sont les ennemis de la majorité de cette même nation, et si cette assemblée est malheureusement conduite par les Comités, osez me dire qu’il n’est pas vrai que ce soit l’esprit de ces comités qui la dominent ?

Eh bien, jettez les yeux sur ces Comités, et voyez si ceux qui les composent ne sont pas les députés des ci-devant ordres privilégiés (Applaudi). Daignez donc considérer avec moi le précipice où l’on vous conduit !

Ce n’est pas pour vous diviser que je propose cet examen : mais considérez si la majeure partie de ces hommes qui vous gouvernent, n’a pas été mue plutôt par son intérêt personnel que par l’intérêt du peuple ?

Si, dans le tems, ils eurent l’air de se prêter à un nouvel ordre de choses, c’est qu’ils espéroient se perpétuer dans de nouveaux avantages. Des hommes ambitieux, élevés pour la plupart dans les cours, attendoient de réunir dans leurs mains le ministère et les pouvoirs du peuple : des décrets de l’assemblée nationale leur enlevèrent tout espoir ; dès ce moment, ils changèrent de patriotisme ; ils se dirigèrent dans une autre route.

Quelque tems après, le roi partit et les voilà qui furent aux nues ; alors ils concentrèrent les pouvoirs dans leurs mains ; alors ils suspendirent les élections ; ensuite ils ont prononcé des décrets inconstitutionnels ; tel est l’état où ils nous réduisent.

Quand je considère que la fuite du roi était sue de l’étranger, que parmi nous plusieurs membres le savoient, je ne puis me persuader que de grands desseins, que de prétendues transactions, qu’un lâche et vil agiotage des droits, de la propriété des peuples, n’aient pas existé ! Je dis que, contre leur attente, l’individu royal étant arrêté, les mêmes vues se perpétuent encore, et ces vues ne peuvent être que la coalition des privilégiés de l’aristocratie qui se reproduit sous de nouvelles formes, et cette coalition se fait avec les membres mêmes connus du côté droit, cette coalition…

[…]

Je dis que je suis allarmé de la guerre civile, de toutes les causes qu’elle nous présente ; je dis que mépriser, écarter la calomnie, montrer par tous les moyens la vérité, ce sont les points où il faut nous attacher pour prévenir tous les troubles.

La cause des troubles, c’est la lutte des amis de la liberté contre quelques individus qui ne sont pas représentans du peuple, qui se coalisent pour s’opposer par la force, par la violence, à des vues de justice pour remettre la Nation sous le joug de l’esclavage ; la cause des troubles est d’appliquer aux plus fiers défenseurs de la patrie les mots de factieux, de séditieux ; la cause des troubles, c’est d’un côté l’énergie des vrais citoyens, de l’autre, l’intrigue, la scélératesse des hommes faux et perfides qui veulent soumettre le peuple pour régner, si ce n’est en apparence, c’est du moins en réalité ; et je leur dis, à ces hommes qui veulent mettre la Patrie aux fers, à ces hommes qui entourent le sanctuaire de la nation de milliers de bayonnettes parce qu’ils redoutent les haines équitables du peuple, je leur dis : Soyez justes, soyez vrais, et vous n’aurez pas besoin de vous environner de tous les appareils du despotisme.

Quand je vois leurs tribunes fermées, désertes, pour se dérober à l’opinion publique, à la juste indignation des citoyens, quand je vois le temple de la législature environné de cet appareil formidable de guerre, pour se préserver, dit-on, des factieux que soi-même on soudoit pour se préserver des troubles que soi-même on fait naître, à cette abominable conduite je m’indigne et m’écrie : Ecartez, écartez de vos tribunes, et sur-tout de vos comités, les citoyens qui vous surveillent : s’ils la voyaient cette conduite vous leur feriez honneur. Vous vous entourez d’armes et de bayonnettes ; sommes-nous donc dans ces jours d’alarmes où le despotisme mettroit nos jours en danger ? Craignez-vous les troubles du Champ de Mars ? Ne les connoissez-vous pas mieux que nous ? Mais la calomnie est aujourd’hui le grand moyen, l’édifiant mobile de la révolution ; par la calomnie, on soulève la garde nationale, on fait arriver des émeutes, on se venge de ceux dont on croit avoir à se venger.

[…]

Mais Messieurs, c’est ici, au milieu de vous, que réside l’étendart de la liberté ; il est au milieu de ses plus fermes appuis, et rien ne pourra l’en arracher. »

Maximilien Robespierre à la Société des amis de la constitution séante aux Jacobins de Paris, 16 juillet 1791 (OMR, t. VII, p. 587-590).