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Marion Pouffary : « Robespierre, monstre ou héros ? »

mardi 3 octobre 2023

Voilà un ouvrage novateur tout-à-fait remarquable, issu de sa thèse, écrit par une brillante historienne, Marion Pouffary.

La préface a été rédigée par Hervé Leuwers, professeur à l’Université de Lille et spécialiste de Robespierre.

Marion Pouffary :

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« Robespierre, monstre ou héros ? »

Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2023, 339 pages.

LE LIVRE RÉFÉRENCE SUR L’UTILISATION DE ROBESPIERRE DANS LES ASSEMBLÉES DU XIXe SIÈCLE.

Voilà un ouvrage novateur tout-à-fait remarquable, issu de sa thèse, écrit par une brillante historienne, Marion Pouffary.

La préface a été rédigée par Hervé Leuwers, professeur à l’Université de Lille et spécialiste de Robespierre.

En introduction la méthode de travail de « reconstruction de Robespierre au XIXe siècle » est explicitée clairement.

Nous nous retrouvons en plein XIXe siècle, entre la Restauration et la stabilisation de la IIIe République à la fin du siècle. Durant cette longue période aux régimes politiques nombreux et opposés, l’auteure s’attache à retracer minutieusement l’utilisation de l’image posthume de Robespierre à des fins politiques par les parlementaires des différentes assemblées politiques successives.

Le champ des recherches est particulièrement vaste, les occurrences mentionnées avec précision, le texte est dense mais Marion Pouffary fait preuve de pédagogie rigoureuse en contextualisant les interventions des députés, selon leur orientation politique, l’effet recherché et la période concernée.

Nous sommes entraînés chronologiquement avec la Restauration, la Monarchie de Juillet, la Révolution de 1848 et la IIe République, le second Empire et la IIIe République. Nous y retrouvons non seulement les grands noms des époques mais aussi d’obscurs parlementaires qui sont intervenus d’une manière ou d’une autre en citant Robespierre et en l’utilisant dans une argumentation politique du moment.

L’auteure précise les enjeux ainsi : « La figure de Robespierre est marquée tout au long du XIXe siècle par une ambivalence : repoussoir pour certains, emblème pour d’autres. »

Et tandis que certains chapitres s’attardent avec justesse sur les particularismes des idées de Robespierre ( Certains sont particulièrement étudiés : le judiciaire, la religion, la question scolaire) et leur diffusion efficace dans l’espace public, d’autres nous montrent la naissance de la « légende dorée » de Robespierre grâce à Buonarroti et Laponneraye. Des historiens suivants continuent à le louer comme Buchez-Roux, Louis Blanc, Lamartine notamment pour sa politique démocratique et égalitaire.

Le profil de Robespierre
Trois gravures et le buste par Deseine.
Domaine public/l’auteur

Mais le cœur du livre concerne la création puis la diffusion pour des raisons politiques des « légendes noires » héritées des Thermidoriens.

« N’entendez-vous pas tous les jours crier la proclamation de Robespierre avec son portrait ? » déplorait un Garde des Sceaux aux députés au début de la Monarchie de Juillet.

L’auteure étudie ces légendes noires plurielles, de différentes tendances politiques, toujours en lien avec l’histoire, les débats et les événements du XIXe siècle.

C’est dans un véritable récit très érudit, fourmillant de connaissances, présentant les politiques, souvent aussi journalistes et historiens que nous suivons ce XIXe siècle, siècle de la Révolution industrielle et ouvrière, mais aussi celui de la lente maturation du legs des idées et valeurs de la Révolution française.

Clémenceau parlait de la Révolution comme un bloc à accepter entièrement et affirmait en 1891 : « Cette admirable Révolution, par qui nous sommes, n’est pas finie ».

On retrouve donc plusieurs légendes noires à droite, bien sûr, mais aussi à gauche ! Robespierre est trop souvent présenté comme un tyran, mais aussi un anarchiste, un impie ou un clérical ( selon !).

Tout le mérite de Marion Pouffary est de replacer ces représentations en fonction des idéologies et des vues politiques des parlementaires les énonçant de la tribune.

L’auteure conclut avec justesse : « L’étude de la pensée de Robespierre, qui reste encore aujourd’hui un élément présent dans le discours politique, est loin d’être finie. »

Les nombreuses notes en bas de page, complétées par les sources et la bibliographie de fin d’ouvrage sont d’une grande richesse.

À l’évidence, un livre majeur qui fera date dans l’utilisation de la figure de Robespierre à des fins politiques par le XIXe siècle ! A se procurer absolument !

Table des matières de l’ouvrage

Préface – Hervé Leuwers
Introduction
Chapitre 1. Le retour de Robespierre sur la scène politique en 1830
Chapitre 2. L’influence des idées. L’image d’un théoricien de la révolution démocratique et sociale
Chapitre 3. Le poids des mots
Chapitre 4. Homme-principe et génie de la Révolution
Chapitre 5. Naissance et évolution du « tyrannarchiste » : apparition et consolidation des légendes noires de droite
Chapitre 6. Naissance et consolidation des légendes noires de gauche
Chapitre 7. Naissance et diffusion de la légende noire libérale-républicaine
Chapitre 8. L’incarnation des promesses et des dangers de la Révolution. Robespierre, de la Restauration à la fin du Second Empire
Chapitre 9. Radical mais plus socialiste : l’image de Robespierre dans les débats parlementaires des débuts de la Troisième République
Chapitre 10. Des débats parlementaires reflétant moins la spécialisation parlementaire de Robespierre que ses légendes
Chapitre 11. Une référence récurrente dans les débats sur les questions religieuses et scolaires
Conclusion.

Bruno DECRIEM, vice-président des Amis de Robespierre (A.R.B.R.), Août 2023.

Quelques notes de lecture : une invitation à se procurer l’ouvrage

MARION POUFFARY : ROBESPIERRE MONSTRE OU
HEROS ? ( Presses Universitaires du Septentrion, 2023)

Attention, ces notes de lecture concernent surtout les chapitres 5 à 11 ( « Légende noire » de Robespierre) Les chapitres 1 à 4 sont davantage consacrés à la « légende dorée » et nécessiteraient également des notes de lecture plus développées. En aucun cas, ces notes ne se substituent à la lecture de l’ouvrage mais on espère qu’elles inciteront les personnes intéressées à lire la totalité du livre !

« Voulez-vous savoir ce que l’on publie tous les jours dans les rues ? Œuvres choisies de Maximilien Robespierre » ( 5 février 1834, le Garde des Sceaux Félix Barthe aux députés)

Au moment de la Révolution de 1830, c’est autour de la notion d’égalité et du développement des sociétés « socialistes » qu’Albert Laponneraye ( qui éditera les mémoires de Charlotte Robespierre) et Philippe Buonarroti perpétuent la « mémoire dorée » de Robespierre.
La question de l’égalité politique et sociale est rattachée à la déclaration des Droits de l’Homme que Robespierre présente à la convention en avril 1793.
Le déisme rousseauiste de Robespierre est proche des socialistes de la monarchie de Juillet : Buchez-Roux, Louis Blanc, Lamartine, Esquiros, Barbès, Cabet.

A l’époque de la Révolution, Robespierre diffuse ses idées avec habilité et modernité. Les différents textes ( discours, motions, journaux) sont accessibles au public.
Le style et le contenu des discours de Robespierre sont appréciés des préromantiques : entre le « je » de Rousseau et l’ironie de Voltaire) Robespierre apparaît d’ailleurs comme un écrivain littéraire.

Pour les radicaux-socialistes comme Laponneraye et Lamartine, Robespierre incarne la Révolution dans ses principes et son « Génie ». Il finit en martyr, lui qui a osé croire en Dieu. Avec Thermidor, la Révolution peut-elle être considérée terminée ? Michelet, qui lui est portant hostile, arrête en Thermidor son histoire de la Révolution. D’autres historiens s’opposent à Robespierre, comme Thiers, Mignet.

La construction de l’image de Robespierre-le tyran a été étudié très longuement.
Dès la Révolution, par ses ennemis (Royalistes, Girondins, Thermidoriens) l’image du « Tyrannarchiste » se construit ! En 1790, un journal royaliste accusait Robespierre d’être « un homme qui propage l’anarchie ». La définition de l’anarchie peut alors être celle-ci : « celui qui professe un excès de liberté, et incite à la désobéissance aux lois. »

Pour les Thermidoriens, qui écrivent de multiples ouvrages contre Robespierre entre 1795 et 1815, Robespierre c’est le niveleur : Abbé Proyart, Montjoie, Desessart, Courtois, Vilate, Dussault, Duperron.
Certaines histoires mêlent l’anarchiste niveleur et le tyran sanguinaire : Désodoards, Lacretelle.

Pour Madame de Staël, Robespierre incarne la figure du tyran dictateur et celle du niveleur. Pour les « libéraux », reprenant les attaques girondines, Robespierre est un tyran clérical qui raffole des idolâtries.

Deux « légendes noires » de droite dominent dans les années 1815-1840 : une histoire contre-révolutionnaire, et une histoire libérale.

A partir des années 1840, se constituent des « légendes noires » de gauche, et Hébert est préféré à Robespierre, retour des« néobabouvistes » autour de la figure de Sylvain Maréchal. Des polémiques éclatent notamment autour de la question religieuse, déisme et athéisme, matérialisme, notamment entre Cabet, son ancien secrétaire Théodore Dezamy, Gabriel Charavay.
C’est Blanqui « L’Enfermé », mort en 1880, qui exerce une grande influence dans ces milieux. Il éprouve une aversion envers Robespierre « Le grand bourgeois de l’être suprême ». « Robespierre a tué la Révolution en trois coups : l’échafaud d’Hébert, celui de Danton, l’autel de l’Être suprême. » Gustave Tridon, militant blanquiste, réhabilite les Hébertistes et attaque violemment Robespierre. Entre 1864- 1871, une historiographie hébertiste s’oppose à l’historiographie robespierriste. Albert Regnard réhabilite Chaumette et la Commune de Paris de 1793. Au sein de l’extrême gauche du début des années 1840 on assiste au remplacement de Robespierre par Hébert dans le panthéon révolutionnaire.

De même Proudhon, le « socialiste-anarchiste », est très hostile à Robespierre durant ces années 1840-1860, qu’il traite de « démagogue » « Robespierre bourgeois, clérical et autoritariste-tyran. »
Proudhon considère que Robespierre en 1793 est une menace essentielle pour la liberté. Pour lui en 1793 il y eut une révolution politique alors qu’en 1849 c’est une révolution sociale qui éclatait. On ne peut donc pas dire que la Révolution de 1848 répète celle de 1789-1793.
Proudhon s’oppose donc à Robespierre et aux Jacobins, qui ont exercé, selon lui, un despotisme, une exploitation bourgeoise et un « nouveau brumaire » en raison de la religion, du gouvernement et du droit de propriété.
Chez Proudhon, il y a un refus de tout système autoritaire, de tout gouvernement et de toute autorité centralisée. Le pouvoir même aux dictateurs, aux proscriptions et à la guillotine : « C’est le pouvoir qui a perdu les Jacobins. »
Louis Blanc répond à Proudhon en défendant les « héros du Comité de salut public » et accuse Proudhon d’avancer les mêmes arguments que les Thermidoriens. La polémique politique éclate dans les années 1849-1850 sur fond de seconde République et d’idéologie socialiste.

L’anarchisme de Pierre Kropotkine (« La Grande Révolution » publiée en 1909) considère Robespierre comme un modéré : « Robespierre a peur du grand inconnu, le peuple descendu dans la rue […] peur de la révolution égalitaire. »
Déjà Jules Vallès critiquait ceux qui, comme Vermorel admirateur de Robespierre, identifiaient la Commune de 1871 à 1793. Vallès s’est d’ailleurs opposé, comme Gustave Courbet, à la création du Comité de salut public en avril 1871. Une scission est alors intervenue entre les néo-jacobins et les blanquistes qui refusaient « l’imitation des ancêtres de 1793. »
Max Stirner est le premier théoricien du courant anarchiste individuel.
Les anarchistes se refusent à personnifier la Révolution. Et pourtant pour Kropotkine, les « grands ancêtres » sont les Enragés : Roux, Varlet, Dolivier ainsi que les militants sectionnaires, des anarchistes selon lui. Sylvain Maréchal serait celui qui aspire au communisme anarchiste.
Le discours des Enragés annoncerait le mutuellisme et la Banque du peuple de Proudhon.

Ainsi on peut identifier deux légendes noires « de gauche », celle dans le mouvement anarchiste et celle « communiste » de l’extrême-gauche.

A partir du milieu du XIXe siècle, une légende noire libérale-républicaine se développe autour de l’Histoire de la Révolution française de Michelet et de la querelle entre Edgar Quinet et les « Jacobins » Louis Blanc et Peyrat sur les notions de terreur et de dictature. Le camp républicain se fracture.

Déjà, les Républicains modérés ( Armand Carrel, Jean Duplan) de la Monarchie de Juillet se montraient hostiles à Robespierre au nom de la liberté et d’une méfiance contre l’égalité sociale. D’autres personnages sont pris en exemple : les hommes de 1789, Bailly, La Fayette.

Dans son Histoire de la Révolution française, ( durant les années 1840-1869) Michelet présente un Robespierre-tyran, mais nullement niveleur, bourgeois, développant le culte de sa personnalité et surtout défenseur de la religion catholique et des ecclésiastiques « Il était né prêtre » : un Robespierre clérical qui pontifie comme lors de la fête de l’Être suprême.
Quinet partage ces analyses et insiste sur l’absence d’idées sociales, selon lui, de Robespierre et de la Montagne.

A l’inverse, Ernest Hamel publie une volumineuse biographie de Robespierre (1865-1867), véritable plaidoyer de l’Incorruptible et réfute les erreurs et approximations de Michelet. Hamel insiste sur l’admirable « Déclaration des Droits de l’Homme » de Robespierre et loue ses sentiments religieux.

Alphonse Aulard, premier titulaire de la chaire de la Révolution française, critique Hamel et reprend les arguments de Michelet et Quinet : Robespierre déiste, pontife, chef d’église et de secte jacobine, dictateur qui instaure la Terreur. Dans ces années 1880, aux débuts de la IIIe République, c’est la figure de Danton qui est mise en avant : pragmatique, laïc, défenseur de la Patrie comme Gambetta.
La gauche républicaine se divise alors entre les partisans de Robespierre et ceux de Danton.

Les interventions politiques dans les débats parlementaires sous la Restauration ( 1814-1830) :

Robespierre est évoqué à 28 reprises, dont 14 fois comme anarchiste et 12 fois comme tyran.
Les débats entre les ultras et les libéraux royalistes portent beaucoup sur la nécessité de la censure et la limitation de la liberté de la presse. Les penseurs contre-révolutionnaires ( Burke, De Maistre, De Bonald) exercent une grande influence.
Les hommes politiques de la Restauration ont connu la Révolution et la terreur, les ultras comme émigrés, et les libéraux qui étaient acquis à 1789 mais qui rejetaient 1793 ont souvent été emprisonnés.

Les interventions politiques dans les débats parlementaires sous la monarchie de Juillet (1830-1848) :

La période 1831-1834 est faite de manifestations, d’émeutes et de révoltes sociales ( Révolte des Canuts à Lyon en 1831) Robespierre est souvent associé dans le discours des parlementaires à l’égalité politique et sociale, destructeur du droits de propriété ( le niveleur). Douze occurrences pour l’anarchiste, et sept pour le tyran. Les politiques ( comme Guizot) défendent l’héritage de 1789 mais rejettent 1793. Seule une minorité de députés de l’extrême-gauche défend la déclaration de Robespierre en déclarant le droit de propriété comme droit non naturel !

Les interventions politiques dans les débats parlementaires sous la Deuxième République (1848-1852)

Robespierre devient une référence individuelle incontournable : 34 occurrences. « La Révolution de 1848 est vue comme le prolongement de la Révolution française. » Les clivages parlementaires sont très prononcés : « bloc néo-jacobin » et Montagne de juin 1848 à décembre 1851 contre parti de l’Ordre. Robespierre est au centre des débats, notamment sur la question de la garde nationale ouverte à tous. On oppose souvent dans les discours le Robespierre de 1791 et celui de 1793. « Les idées de Robespierre influencent le programme électoral de 1849 de la gauche. » Pour la droite bourgeoise c’est « Robespierre ou le spectre de l’insurrection socialiste. »

Les interventions politiques dans les débats parlementaires sous le Second Empire ( 1852-1870)

Le nouveau régime utilise la répression politique. La censure et la pression sont fortes sur les rédacteurs des séances parlementaires. 17 occurrences concernent Robespierre dans les débats parlementaires entre 1860 et 1870. Son image n’évolue pas : le tyran et l’anarchiste ( tyrannarchiste)
Les parlementaires n’ont pas connu la Révolution, autrement que par leurs pères et les livres. Ils sont issus de la notabilité, du conservatisme élitaire du régime.
Jean André s’oppose à Thiers et refuse la liberté de la presse et la libéralisation du régime par peur des mouvements populaires ( 11 janvier 1864) : « Robespierre impuissant à contenir le flot »
Garnier de Cassagnac compare Robespierre à Attila et le considère comme impie, niveleur et désorganisateur.
L’opposition républicaine se divise sur l’interprétation donnée à la Révolution, notamment entre l’aile libérale et les socialistes.
Ainsi l’opposition libérale, Émile Ollivier, soutient Quinet en 1866 dans 3 articles du journal « La Presse » : Robespierre a déshonoré la Révolution par sa politique liberticide et intolérante. La liberté s’incarne dans Mirabeau, les Constitutionnels et Vergniaud.

Les interventions politiques dans les débats parlementaires sous les débuts de la IIIe République (1870-1905) :

Plus d’une centaine d’occurrences entre 1870 et 1898.
L’image de Robespierre l’anarchiste disparaît tandis que les Républicains radicaux prennent de la distance avec lui.
70 % des parlementaires ont une formation secondaire avec l’Histoire comme matière importante. Les Catholiques se rallient progressivement à la République.
Pour la droite ( les boulangistes, Paul de Cassagnac, Déroulède) Robespierre reste le tyran.
Pour les Radicaux, Robespierre reste associé au cléricalisme.
Mais le 29 janvier 1891, Clemenceau précise que « La Révolution est un bloc. »
L’héritage de Robespierre n’est que pourtant que partiellement revendiqué par les radicaux. Ils se rallient à la mutation de Gambetta : du programme de Belleville à l’opportunisme.
Clemenceau reprend les principes de Robespierre dans son programme politique de 1881, même si on peut constater ensuite des différences notamment avec la suppression du budget des cultes et la séparation des Églises et de l’État.
Durant le centenaire de la Révolution en 1889, c’est Danton qui est mis en avant : inauguration de sa statue au carrefour de l’Odéon à Paris, par Auguste Dide. Danton est considéré comme modéré et patriote, Robespierre comme étroit, défiant et suffisant.
« L’affaire Thermidor » en 1891, pièce de théâtre Victorien Sardou, auteur antirobespierriste : La pièce est suspendue en raison d’un chahut relatif au contenu de la pièce qui présente Danton comme Gambetta et Robespierre comme Tartuffe : vive polémique.
En présentant la Révolution comme un bloc, Clemenceau positionne la majorité des Républicains contre la droite et les socialistes qui se reconstruisent après la Commune.
La droite est désormais attachée à 1789 et Barrès est fasciné par la Révolution et la figure de Robespierre.

Ainsi on évoque Robespierre dans les débats politiques de la Restauration à la fin du XIXe siècle, et les députés l’utilisent selon leur spécialisation
Robespierre était d’ailleurs un spécialiste de la justice, de part son métier d’avocat jusqu’à ses grands principes défendus à la Constituante, puis comme membre du Comité de Salut public en 1793-1794 avec particulièrement la loi du 22 prairial an II. Cette dernière est très souvent utilisée comme argument de la « légende noire. »
les combats contre la peine de mort s’appuient sur son discours du 30 mai 1791. Son positionnement sera différent en 1793-1794.
Robespierre est souvent évoqué vers la fin du siècle pour ses positions sociales : progressivité de l’impôt, question de l’héritage, droit aux secours, droit au travail pour tous, etc.
Il est souvent inspirateur par les Républicains qui font de lui « un argument d’autorité », les socialistes qui se structurent à la fin du XIXe siècle l’apprécient souvent mais le jugent parfois trop modéré.

Robespierre et la question religieuse au XIXe siècle : L’image du grand pontife de l’être Suprême, chef de la secte fanatique des Jacobins s’oppose à celle du prophète du nouveau contrat sociale égalitaire et fraternel. L’anarchiste impie est souvent l’apanage de la légende noire contre-révolutionnaire et conservatrice, comme l’abbé Barruel sous la Restauration.
Sous la IIIe république, les républicains radicaux veulent construire une République fondée sur la laïcité. Robespierre et son déisme, ainsi que ceux de Rousseau et de Voltaire sont alors utilisés contre eux par la droite (Monseigneur Freppel) notamment lors du centenaire de la Révolution, ainsi que l’athéisme d’Hébert.
Robespierre dans les débats scolaires du XIXe siècle est comparé dès la Convention thermidorienne par Daunou comme le « tyran des consciences ». Pourtant le plan Lepeletier repris par Robespierre, détaillé chez Blanc et Hamel apparaît chez Lamartine comme le « communisme des enfants ».
En 1895, Jules Guesde, vulgarisateur en France du marxisme approuve les idées éducatives de Robespierre et de Lepeletier permettant de nourrir tous les enfants gratuitement dans les cantines scolaires.
Cependant, idéologiquement, Guesde constate que la Révolution française est bourgeoise et qu’elle n’est donc pas un modèle pour une révolution prolétarienne. Robespierre est donc cet ancêtre politique aux convictions louables mais un peu dépassé. Pour la droite réactionnaire, le personnage est désormais dérisoire.

Conclusion :

L’émergence d’une « légende dorée » a permis de présenter Robespierre comme l’incarnation de la République démocratique et sociale.
Quatre « légendes noires » se sont développées issues de quatre courants politiques différents qui parfois se retrouvent. Ainsi Daniel Guérin et François Furet voient en Robespierre le précurseur du totalitarisme.
A l’inverse Albert Mathiez reprend l’interprétation de Buonarroti, qui voit Robespierre et particulièrement celui de l’an II en précurseur du socialisme.
Au XXe siècle si la lecture marxiste s’inspire du néobabouvisme en voyant la Révolution comme bourgeoise, Robespierre est mis cependant au panthéon historique du Parti Communiste. Le culte de l’Être Suprême est interprété par les historiens jacobins ( Lefebvre, Soboul, Vovelle) comme une « fuite en avant métaphysique ».
La « légende noire » contre-révolutionnaire est devenue résiduelle ( De Viguerie).
Une « légende noire » libérale subsiste ( Gauchet qui voit en Robespierre une dictature de principes) mais la « légende dorée » elle aussi a survécu : Georges Labica, et à un niveau moindre Gérard Walter.

Bruno DECRIEM, vice-président des Amis de Robespierre. (A.R.B.R.) Août 2023.