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Que devinrent les biens confisqués des émigrés ?

Au pays de Robespierre sous la Révolution n°5

vendredi 11 septembre 2015

Comme la plupart, des départements frontaliers, le département du Pas-de-Calais fut particulièrement touché par l’émigration. L’Angleterre et la Belgique étaient proches et les relations assez fréquentes avec ces pays. Certaines familles artésiennes, nobles ou bourgeoises, avaient des propriétés et des parents de part et d’autre de la frontière.

En 1792. sur les quelques 2200 nobles que comptait le Pas-de-Calais à la veille de la révolution. on en dénombrait 840 enfuis à l’étranger dont un quart de femmes et d’enfants et 240 militaires [1]

Caricature du Prince de Condé
Marche du Don Quichotte moderne pour la défense du Moulin des Abus ; caricature anonyme de 1791 montrant le prince de Condé en Don Quichotte accompagné du vicomte de Mirabeau (Mirabeau Tonneau) en Sancho Panza, entourés d’une armée de contre-révolutionnaires se portant à la défense du « moulin des abus » surmonté d’un buste de Louis XVI.

Certains avaient emmené leurs serviteurs comme ce comte de Charost de Béthune qui tenta de passer en Angleterre avec ses 17 domestiques.

Ensuite, dès la Terreur en 1792-94, ce sont surtout les commerçants artisans, agriculteurs, professions libérales, « rentiers » du département qui par peur ou autres raisons, décidèrent d’émigrer. On en compta plus de 1300 hors du département.

Divers décrets successifs, déjà sous,Louis XVI furent pris contre les émigrés, et c’est en août 1972 qu’il fut décidé que leurs biens seraient saisis et vendus à la criée. Le directoire de chacun des huit districts du Pas-de-Calais fut chargé du sort des propriétés de ces émigrés.

Celui d’Arras, le plus peuplé, y consacra une part importante de ses décisions. Il faut dire qu’on y comptait plus de 300 émigrés, rien que dans la ville . De. nombreux hôtels particuliers (des nobles, hauts ecclésiastiques ou riches bourgeois) et bien des manoirs et châteaux dans les bourgs et la campagne environnante se trouvèrent du jour au lendemain abandonnés.

Deux citoyens furent désignés pour recenser les émigrés dans chaque commune. Deux commissaires du district (entourés d’employés) étaient chargés d’administrer les propriétés désertées.

On y apposait d’abord les scellés puis, en présence de deux officiers municipaux de la commune concernée, on on établissait patiemment un inventaire précis des lieux : bâtiments, terrains, dépendances, écuries, meubles, vêtements et provisions découverts de la cave au grenier. Une estimation était faite de leur valeur.

Un citoyen voisin volontaire était désigné pour assurer le gardiennage de la propriété moyennant 25 sols par jour.

Tout ou partie de la propriété pouvait être louée pour un an ou parfois mise à la disposition d’un personnage important, comme, par exemple, en mai 1793 pour loger, dans la maison meublée du ci-devant comte de la Basecque [2]

à Arras, le Général de Division Duval, nommé commandant de la place ; ou le 13 juin, la maison de l’émigré Beauval pour loger les représentants du peuple à l’armée du Nord après y avoir transféré les meubles du comte de Diesbach.

Hôtel des La Basecque Arras
Cet hôtel vendu comme bien national est situé rue Emile Legrelle à Arras

Le bien de l’émigré pouvait être vendu à la chandelle, telle celui de l’émigré Mathelin curé de la riche paroisse de Saint-Géry, en centre ville. La foule y assistait si nombreuse, dès huit heures du matin, qu’il fallait recourir à la garde nationale pour assurer l’ordre.

On récupérait tout ce qui pouvait servir à l’effort de guerre : les réserves de bois et de charbon recensés ici et là étaient affectés aux forges de l’atelier d’affûts de canon, les chaudières en cuivre aux ateliers de fabrication du salpêtre, les draps et le linge attribués à l’hôpital militaire, les chevaux à l’armée, etc.

En juin 1793 les représentants du peuple à l’armée du Nord ont fait rassembler pour leurs troupes mille bouteilles de vin de bourgogne découvertes dans les caves de quelques émigrés.

Autour de la cathédrale, les caves des chanoines étaient particulièrement bien garnies. Dans celle du chanoine Mercier on recensa 300 bouteilles de Bourgogne, une pièce de Bordeaux encore cerclée, et 150 bouteilles de Roussillon.

Il arrivait que les émigrés aient abandonné leurs bêtes dans les prés ou dans les étables. Elles étaient alors acheminées et vendues au marché d’Arras.

Il y avait aussi à s’occuper d’attribuer à des paysans des récoltes à faire, la culture des près et des champs laissés incultes.

Le citoyen Doncre, célèbre peintre arrageois, était chargé lui, de faire le tri des tableaux, sculptures et œuvres d’art des belles demeures et des religieux et d’assurer la vente de ceux qui en valaient la peine. Le citoyen Isnardy, au tarif de 130 livres par mois, avait été désigné comme commissaire pour la formation des catalogues des riches bibliothèques des émigrés et des maisons religieuses y compris celle si prestigieuse de la ci-devant abbaye Saint-Vaast. La tâche était si lourde qu’il demanda du renfort.

Le directoire du district avait aussi à régler aux artisans les nombreuses factures laissées impayées par les émigrés, ou à récupérer dans les demeures les biens personnels des domestiques, ce qui donnait lieu à bien des contestations.

Autre préoccupation récurrente, la difficile surveillance des propriétés boisées des émigrés, nombreuses au sud du district et qui compte-tenu de la misère du petit peuple étaient régulièrement l’objet de coupes nocturnes.

Ajoutée à la vente des biens nationaux, celle des propriétés des émigrés donnèrent lieu, dans Arras surtout, à des transferts de propriétés assez conséquents.

Christian Lescureux,

L’incorruptible n° 81, 4e trimestre 2013


[1{}Selon G. Sangnier : Les émigrés dans le Pas-de-Calais. Référence : Archives départementales du Pas-de-Calais. Registre des districts 2.L.1.6

[2Albert François Imbert de La Basecque Comte de la Basecque, député du Nord
Né le 10 décembre 1755 - Lille (59) Décédé le 1er janvier 1840 - Aire-sur-la-Lys (62) , à l’âge de 84 ans. Colonel de cavalerie, député du Nord