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1789 ou l’insurrection de l’avenir !

mardi 17 janvier 2023

DE LA PROPRIÉTÉ

« Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » 1789

Article 16. - Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
Article 19. - Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
1793

 

1789 ou l’insurrection de l’avenir !

Extrait de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adopté par l’Assemblée constituante le 26 août 1789 [1].

« Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Très longtemps, beaucoup se sont contentés de cette brève formule extraite de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pour expliciter le sens de la Révolution française et son objectif.

Ainsi, 80 ans plus tard, Jean-Baptiste Clément en rédigeant les paroles de L’Internationale pouvait dire dans deux de ses couplets : 

L’État comprime et la loi triche,

L’impôt saigne le malheureux ;

Nul devoir ne s’impose au riche,

Le droit du pauvre est un mot creux.

C’est assez languir en tutelle,

L’égalité veut d’autres lois :

« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,

Égaux, pas de devoirs sans droits !

 .....

Hideux dans leur apothéose,

Les rois de la mine et du rail,

Ont-ils jamais fait autre chose,

Que dévaliser le travail ?

Dans les coffres forts de la bande,

Ce qu’il a créé s’est fondu.

En décrétant qu’on le lui rende,

Le peuple ne veut que son dû.

 

Ces deux couplets de L’Internationale, écrite au lendemain de la Commune de Paris, annoncent l’analyse que vont faire la plupart des dirigeants se réclamant de la place et du rôle de la classe ouvrière à la fin du XIXe siècle ; ils sont souvent nourris par une lecture approximative de Marx et d’Engels [2]. Pour eux, la Révolution française de 1789 n’est qu’une révolution bourgeoise.

Soyons clairs, elle ne pouvait pas être, d’une façon ou d’une autre, l’expression des luttes ouvrières. La préface que rédigea Henri Guillemin lors de la publication des volumes concernant la Commune de Paris, paru en 1971, est d’une sensibilité analogue.

Pouvons-nous satisfaire d’analyses aussi sommaires et réductrices ?

Pouvons-nous en ce premier quart du XXIe siècle ne pas relire la Déclaration des Droits et du Citoyens en tenant compte des expériences construites par les Révolutions du XXe siècle, des luttes des peuples pour se soustraire du colonialisme ou du néocolonialisme, des combats menés pour une émancipation de l’humanité dans le cadre fécond de l’universalisme ?

L’expérience de 1789 : 1989, bicentenaire de la Révolution française 

Un vaste courant reprend la dénonciation de la Révolution française, des thèmes qui furent portés par le courant révolutionnaire, les valeurs et transformations fruits de cette révolution. Certes, nous savons que la période de la Révolution française comporte plusieurs phases. Dans ce bref article, nous nous limiterons volontairement à l’analyse de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen [3].

Elle est devenue, la nature ayant horreur du vide, la « bible » des sectateurs du libéralisme économique et aujourd’hui de la finance ; elle est leur alpha et oméga. Cette déclaration adoptée le 26 août 1789 par la toute jeune Assemblée constituante ne mérite-t-elle pas une analyse plus approfondie ?

Puis-je évoquer un souvenir ? Ainsi, j’ai parcouru la France pour rencontrer des publics souvent avides de mieux comprendre ce qu’avait été ce grand moment de l’Histoire de France et de l’Histoire du monde. Au mois d’août 1989, l’association « Loisirs, Vacances, Jeunesse » me demandait d’animer dans leur siège, rue Paul Painlevé, à Paris, un débat sur la Révolution française avec des jeunes venus de République Démocratique Allemande et d’Union Soviétique ; un interprète était prévu pour chacune des deux langues. Quelques peu intrigué par cette expérience, j’acceptais. Je devais résoudre deux obstacles :

  • La brièveté de l’exposé ; chacun de mes propos serait traduit ; je ne pouvais donc pas dépasser une conférence de vingt à trente minutes,
  • J’avais face à moi des jeunes âgés de 20 à 30 ans ayant sans aucun doute, connaissant moi-même les programmes des lycées de RDA et de l’URSS, de bonnes bases historiques. Mais leur approche de la Révolution française était, sans doute, marquée par une analyse dogmatique plaçant Octobre 1917 dans l’Olympe exemplaire des mouvements populaires révolutionnaires.
    Ainsi, j’avais à peine terminé ma prise de parole, que les jeunes soviétiques, sauf deux, se levèrent et quittèrent la réunion… Sans doute, allaient-ils faire du « lèche-vitrine » aux grands magasins de la rue Lafayette ou des Champs Élysées. Les jeunes venus d’Allemagne Démocratique demeurèrent, eux, prêts à participer au débat annoncé. Le plus âgé des deux Soviétiques souleva tout de suite la question selon lui essentielle : « La Révolution française est une Révolution bourgeoise. Nous, en Union-Soviétiques, sommes contre la propriété privée. Nous, nous avons construit la révolution prolétarienne et nous construisons aujourd’hui le socialisme… » Ces derniers mots furent prononcés avec un grand sourire de satisfaction et même une pointe de suffisance.

Nous étions quelques semaines avant la chute du mur de Berlin que ni moi, ni aucun d’entre nous présents ce jour ne pouvait ou n’osait deviner. Je lui répondis posément que la Révolution Française avait, certes, amené la bourgeoisie au pouvoir. Mais nous ne pouvons oublier que la mobilisation populaire dans les villes et dans les campagnes avait été nécessaire pour briser l’appareil d’État fondé autour de la monarchie absolue de droit divin et de la puissance des ordres privilégiés, noblesse et clergé. Je rappelais le 14 Juillet parisien et dans les campagnes les émeutes paysannes de juillet 1789 connues sous le nom de Grand’Peur. Et avec un sourire taquin, je répondais aussi que Lénine avait un regard beaucoup plus riche et dialectique que ses propos simplificateurs : quelques mois après la Révolution d’Octobre 1917, Lénine fit rapidement ériger, à Petrograd, une statue de Danton et une autre de Robespierre.

À cette époque, ce regard restrictif étroit et non dialectique existait aussi chez un grand nombre de militants de gauche, socialistes, et surtout trotskistes et communistes. 

Personne ne peut nier que durant la dernière décennie du XVIIIe siècle, la bourgeoise, dans sa diversité, parvint à briser l’appareil d’État de la monarchie absolue et à mettre en cause fondamentalement les privilèges que détenaient à leur naissance ou obtenaient durant le court de leur vie les membres de la noblesse et du clergé. Ainsi, la vie économique et sociale de la France se remodela-t-elle profondément. Mais est-ce à dire que ce succès de la bourgeoisie fut absolu et que dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et dans les actes de la Révolution française ne se sont pas « glissés » des éléments susceptibles de fragiliser, voire de bouleverser l’ordre économique, politique et culturel bourgeois ?

Cet ordre bourgeois, tel qu’il s’impose au XIXe siècle est fondé sur :

  • La propriété privée ;
  • Des relations [4], en apparence [5] , égales entre l’employeur et son ouvrier ; le premier achète la force de travail du second et a le droit d’en user comme bon lui semble ;
  • La philosophie de la bienveillance. La bienveillance est une attitude liée à un choix individuel, non réglementé, non obligatoire - par exemple, le concept économique du ruissellement dépend de la bienveillance de celui qui possédant des richesses est prêt généreusement à en mettre une partie à disposition du bien commun ; 
  • Une vision des rapports sociaux, considérée comme immuable.

L’article 17 qui achève cette Déclaration commence, comme nous l’avons dit, à évoquer le caractère inviolable et sacré de la propriété privée. Tout semble avoir été dit dans cette formule resserrée. Mais cela n’est pas un point final. La suite de l’article est beaucoup plus prometteuse et féconde :

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.  ».

Ainsi, la propriété privée n’est plus cet astre éblouissant autour duquel tout tournerait. Le cœur de cette démarche universelle et émancipatrice définit par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est le bien commun, la communauté des intérêts. Questions universelles !

Si nous relisons les 16 premiers articles à l’aune de ce 17e et dernier, nous entrevoyons toute la cohérence de ces textes fondateurs et des possibilités émancipatrices qu’il contient :

  • « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit… » en droit certes ! Mais qui limite le droit si ce n’est l’expression de la volonté humaine. Ainsi, le droit peut prendre en compte les conséquences des inégalités de fortune et l’action à mener pour les réduire, voire même les abolir. 

Dans l’article 2, nous comptons quatre droits fondamentaux parmi lesquels la sûreté et la résistance à l’oppression. En ce XVIIIe, la sûreté signifie la sécurité. Il faudra attendre plus de 150 ans pour que la République issue de la Libération et de la victoire contre les fascismes reconnaisse à chaque citoyen le droit d’avoir une vie sécurisée grâce à la sécurité sociale, mise en place par le ministre communiste du travail Ambroise Croizat. Aujourd’hui, se pose la question de la sécurisation à l’accès au travail durant toute la vie par l’alternance de périodes de travail, de formation, de repos… Le 4e de ces droits fondamentaux est souvent oublié : la résistance à l’oppression, donnant à chaque Citoyen et à chaque Homme (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) le droit à la résistance. Une résistance tous azimuts, car la répression a, comme Janus, de multiples visages. Aujourd’hui, une des formes les plus violentes de l’oppression est le poids que fait peser le capitalisme financier, la marchandisation de tous les aspects de la vie et la mondialisation.

« Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

« Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

De ces deux articles, se construit le lien entre le « je » et le « nous ». Je ne peux être inquiété quelle que soit mon opinion, même en matière de religion, pourvue qu’elle ne soit pas contraire à la loi. La loi renvoie au « nous » puisqu’elle doit être l’expression d’une liberté commune qui n’écarterait personne dans ses principes fondamentaux, et ce « nous » renvoie au bien commun.

Ainsi, dans l’époque troublée où ressurgissent les traits hideux des bêtes immondes, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, devrait nourrir notre pensée et nos actes. Elle contient tous les outils conceptuels nécessaires pour nous émanciper des dogmes et pour engager des batailles communes au nom de l’émancipation universelle. Le XXe siècle a été nourri de ces combats : 

  • Celui pour la laïcité, ou pour le dire mieux, reprenant la formule de Jaurès en 1906 : « faire de la France et aussi du monde entier, une République laïque et sociale »
  • Celui de la décolonisation. Des millions de nos semblables, qui n’étaient pas encore perçus comme citoyens, se dressèrent en tant qu’Hommes pour combattre l’oppression coloniale.
  • L’ensemble des lois ne réduisant pas l’égalité à l’égalitarisme car prenant en compte, entre autres, la situation des enfants, des femmes, où des personnes victimes d’un handicap, sachant ainsi faire de la résolution des différences un bien universel.
Pierre Outteryck
Agrégé d’histoire, Doctorant en histoire Contemporaine
Membre du CA de l’ARBR

[1Quelques mois auparavant, le roi, monarque absolu de droit divin, était lui défini comme inviolable et sacré. N’oublions pas que le sacre était un des sacrements, au même titre pour l’église catholique que le baptême, la confession, la communion, la confirmation, le mariage, l’ordination à la prêtrise et l’extrême onction.

[2La plupart ne pratiquaient pas l’allemand, et jusqu’aux années 50 les travaux de Marx et d’Engels ne sont pas tous traduits et beaucoup de traductions qui circulent sont approximatives ou partielles

[3Universelle dans sa destinée car déclarée et prononcée « sous les Auspices de l’Être Suprême »

[4Le Code du travail précise que le « contrat de travail » est fondé sur un lien de subordination : définition « Quel que soit le type de contrat de travail, lien par lequel l’employeur exerce son pouvoir de direction sur l’employé : pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner la mauvaise exécution des ordres. » Source : Code du travail numérique -Legifrance.

[5Un lien de subordination ne peut jamais être imposé au salarié. Ce dernier doit y avoir pleinement consenti, soit par la signature de son contrat de travail, soit par son comportement non équivoque ne laissant aucun doute sur son acceptation.