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Serge Reggiani & Maximilien Robespierre

par ESTEBAN EVRARD, Charleville Mezières, Membre de l’ARBR

mercredi 20 avril 2022

Serge Reggiani, pour certains le grand comédien Italien qui s’est imposé sur les planches françaises à la sortie de la guerre, pour d’autres l’acteur, l’amant de Vérone ou le petit charpentier de Casque d’or, le garde-chasse du Prince Salinas, véritable voix du peuple dans le Guépard de Visconti,
mais pour beaucoup, l’interprète aux milles frissons, l’Italien qui chante sa solitude, sa liberté, qui pleure le petit garçon ou l’amour de femmes au printemps quand l’homme est un hiver. Un interprète qui « casse la baraque » en pleine période « Yé-yé ».
L’Homme qui est tout à la fois « populaire mais rare » comme le chantera Liliane Boucher

SERGE REGGIANI
Peu le savent, mais ce géant du XXe siècle était un fervent combattant de l’idéal républicain et il entendait faire passer cela par la voix de Robespierre, dont il connaissait et défendait l’œuvre.

Cette histoire entre Sergio et l’Incorruptible commence en 1962. Lui, l’Italien qui trois mois après son arrivée en France était déjà premier de sa classe en cours de français, maîtrisait parfaitement les deux langues.

C’est ce qui lui a permis d’incarner cette année-là le personnage de Robespierre dans Les Jacobins (Il Giacobini), une série de cinq épisodes de quatre-vingt-dix minutes, diffusée à l’heure de grande écoute sur la télévision italienne. C’est un grand succès populaire, un de ceux qui auront permis à le rendre célèbre dans son pays natal.

Cette rencontre avec Maximilien n’est qu’une première pierre posée au mur d’une relation qui durera, dans la chanson cette fois.

C’est quelques années plus tard que Reggiani se lance dans la chanson, sous les auspices de Jacques Canetti. Après des succès tels que « Sarah », l’Italien ou encore « Il ne suffirait de presque rien », il sort, en 1978, un double album consacré aux discours de Robespierre.

Il dira d’ailleurs la même année : « Pour ce qui me concerne, je pense que bien faire son métier, le faire avec exigence, c’est aussi un acte politique. Je ne fais pas du tout mon métier comme les gens qui prétendent que la politique ne les concerne pas. Quand je prends une position politique, lors d’un gala ou d’une manifestation, à travers une pétition (je n’en abuse pas, mais je le fais plus souvent que vous ne croyez), c’est le citoyen Reggiani qui exerce ses droits. Je suis citoyen comme tous les autres. Si mon appui peut être utile, tant mieux. ». [1]

C’est donc au cours de cette année 1978 qu’il réalise ce que Daniel Patchenko [2] qualifie d’une « sorte de rêve ». Un premier 30 cm est consacré au discours « sur la nécessité de révoquer le décret sur le Marc d’Argent ». Ce décret daté du 29 octobre 1789 avait institué un suffrage censitaire à trois niveaux de contribution. Trois niveaux explicites : être citoyen actif, être électeur, être éligible. Cette disposition est « essentiellement anticonstitutionnelle et antisociale » [3], excluant de fait les pauvres, le peuple travailleur. Ce disque rappelle toute l’importance que portait Reggiani à la citoyenneté.

C’est avec passion, éloquence et ferveur que celui-ci clame : « La loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peut concourir à sa formation ? Non. Cependant interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d’ouvriers le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l’Assemblée législative, qu’est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangère à la formation de la loi ? ». La conclusion est d’autant plus frappante : « Que serait votre Constitution ? Une véritable aristocratie. […] La plus insupportable de toutes, celle des riches. »

Le second 30 cm traite cette fois d’un discours émouvant, celui dit du Testament datant du 8 Thermidor An II. Il s’agit là de l’ultime intervention de Robespierre à la convention. Quel discours ! Quelle passion de la part de Serge Reggiani, dénonçant par les mots de Robespierre la corruption généralisée. Pour ce peuple « souverain reconnu qu’on traite toujours en esclave », il offre sa voix, son cœur et sa force.
C’est sur Antenne 2, en octobre de cette année 1978, qu’il explique les raisons de son choix : « On connaît le sanguinaire, on connaît tout ce qui s’est passé hystériquement après, mais le personnage pur, enfin, l’Incorruptible, le vrai incorruptible, le seul d’ailleurs de l’époque, on ne le connaît pas et on n’en parle pas assez […] j’ai enregistré les deux discours, mais en prenant garde de bien respecter tout ce qui a été écrit à propos de la voix et de la manière de parler, de la cadence, du rythme, et de cette drôle de voix que Robespierre avait. […] Il me semble que ces deux discours-là pourraient être dits à l’Assemblée aujourd’hui même. En changeant quelques mots et quelques noms. C’est extrêmement moderne. ». Georges Bégou, journaliste, lui demande alors : « Vous croyez qu’il y a encore des Robespierre à l’Assemblée ? », une réponse, simple et claire : « Justement pas !... En tout cas, ils se cachent bien. »

C’est enfin 20 ans plus tard, dans son album Reggiani 89, qu’il interpréta une chanson dédiée à l’Incorruptible. Signée Claude Lemesle, « Maximilien » est un texte que Reggiani lui demande d’écrire : « Il voulait en faire une ». [4]

Daniel Patchenko dira à propos de ce titre qu’il s’agit sans doute, en cette année d’un Bicentenaire de la Révolution française, peu fêté dans notre chanson, de marquer une fois pour toute l’idée tenace de briser une idée reçue : « En voilà un qui n’a jamais été à la mode. On n’a toujours retenu de lui que l’être sanguinaire, l’incorruptible. La chanson essaie d’évoquer ses doutes, dans ce que Claude Lemesle appelle très joliment « La charrette du silence. Evidemment, en quatre minutes, on n’a pas pu parler de tout. On peut dire ce qu’on veut sur lui, il reste quand même à la base des droits de l’homme : nous en vivons aujourd’hui. Il n’a jamais fait de concession à la ligne qu’il s’était fixée. » [5]

...Et s’il était mort sur la croix,
L’être suprême en qui je crois
S’il était le père et le fils ?..
Si le bon dieu des ci-devants
Passait dans le soleil levant,
Quand le bourreau fait son office ?..

...Et si les prêtres réfractaires
avaient, seuls, compris les mystères,
si c’était vrai, leurs oraisons ?..
Le doute, le doute, parfois,
Est plus solide que la foi,
Et si le doute avait raison ?..
_ Refrain
Ainsi pensait Maximilien
Dans la charrette du silence,
Avant que le couteau s’élance,
Les mains non jointes sous les liens.
Si l’enfant vertueux d’Arras
Était né de la même race

Que Danton, son frère corrompu ?..
Si j’avais obéi à la
Soif du pouvoir comme Attila
En croyant faire ce que j’ai pu ?..

Si la commune et la terreur
Avaient été moins qu’une erreur,
Un crime ou un pêché d’orgueil ?..

Et si les rois, les girondins
Venaient fouler avec dédain
Mon cimetière sans cercueil ?..

Second refrain

Ainsi pensait Maximilien
Un instant avant le silence,
Avant que le couteau s’élance,
Les mains non jointes sous les liens.
_
...Et si le peuple souverain,
Le peuple pur au cœur d’airain,
N’était pas ce que dit Rousseau ?..
Et si mon âme se trompait,
S’il y avait des petits Capet
Dans les ruelles et les ruisseaux ?..

Si la colère et la vertu
Qui m’ont conduit et qui me tuent
N’étaient pas de l’humanité ?..
Si à l’heure où la vie défile,
J’apercevais Fouquier-Tinville
Me reprochant mes vérités ?..
_ Dernier refrain
Ainsi pensait Maximilien
Un soupir avant le silence,
Avant que le couteau s’élance,
Les mains non jointes sous les liens.

_ Paroles : Claude Lemesle Musique : Alain Goraguer

Serge Réggiani, le garde-chasse du Prince Salinas dans le Guépard
Serge Réggiani les charpentier dans « Casque d’or » de Jacques Becker,

Article proposé par ESTEBAN EVRARD, Charleville Mezières, Membre de l’ARBR


Voir en ligne : Collection des chansons et des poèmes de Robespierre et sur Robespierre


[1L’Unité, article cité.

[2Journaliste spécialisé dans la chanson française. Auteur de la biographie Serge Reggiani, l’acteur de la chanson

[3Robespierre, Discours sur la nécessité de révoquer le décret sur le Marc d’Argent.

[4Claude Lemesle à propos de Serge Reggiani.

[5À l’auteur, L’Humanité-Dimanche, 14 avril 1989