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Discours de Robespierre sur le plan d’éducation nationale de Michel Lepeletier
samedi 3 décembre 2022
La Révolution française a connu de nombreux projets d’éducation et d’instruction publiques. Celui que Robespierre a présenté à la Convention pour la première fois le 13 juillet 1793, puis le 29 juillet, a été conçu par Michel Lepeletier. Le « plan Lepeletier » prévoyait l’éducation primaire gratuite et obligatoire — même si Robespierre lui-même penchait plutôt pour l’incitation — pour tous les enfants.
« La Convention nationale doit trois monuments à l’histoire : la Constitution, le code des lois civiles, l’éducation publique.
Je mets à peu près sur la même ligne l’importance comme la difficulté de chacun de ses grands ouvrages. […]
Tout le système du comité porte sur cette base, l’établissement de quatre degrés d’enseignement ; savoir, les écoles primaires, les écoles secondaires, les instituts, les lycées.
Je trouve dans ces trois derniers cours un plan qui me paraît sagement conçu pour la conservation, la propagation et le perfectionnement des connaissances humaines. Ces trois degrés successifs ouvrent à l’instruction une source féconde et habilement ménagée et j’y vois des moyens tout à la fois convenables et efficaces pour seconder les talents des citoyens qui se livreront à la culture des lettres, des sciences et des beaux-arts.
Mais avant ces degrés supérieurs, qui ne peuvent devenir utiles qu’à un petit nombre d’hommes, je cherche une instruction générale pour tous, convenable aux besoins de tous, qui est la dette de la République envers tous ; en un mot, une éducation vraiment et universellement nationale ; et j’avoue que le premier degré que le comité vous propose, sous le nom d’écoles primaires, me semble bien éloigné de présenter tous ces avantages. […]
Osons faire une loi qui aplanisse tous les obstacles, qui rende faciles les plans les plus parfaits d’éducation, qui appelle et réalise toutes les belles institutions ; une loi qui sera faite avant dix ans si nous nous privons de l’honneur de l’avoir portée ; une loi toute en faveur du pauvre, puisqu’elle reporte sur lui le superflu de l’opulence, que le riche lui-même doit approuver s’il réfléchit, qu’il doit aimer s’il est sensible. Cette loi consiste à fonder une éducation vraiment nationale, vraiment républicaine, également et efficacement commune à tous, la seule capable de régénérer l’espèce humaine, soit pour les dons physiques, soit pour le caractère moral ; en un mot, cette loi est l’établissement de l’institution publique. […]
Je demande que vous décrétiez que, depuis l’âge de 5 ans jusqu’à 12 pour les garçons et jusqu’à 11 pour les filles, tous les enfants, sans distinction et sans exception, seront élevés en commun, aux dépens de la République ; et que tous, sous la sainte loi de l’égalité, recevront mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins. […]
Jusqu’à 12 ans l’éducation commune est bonne, parce qu’il s’agit de donner aux enfants les qualités physiques et morales, les habitudes et les connaissances qui, pour tous, ont une commune utilité.
Lorsque l’âge des professions est arrivé, l’éducation commune doit cesser, parce que, pour chacune, l’instruction doit être différente ; réunir dans une même école l’apprentissage de toutes, est impossible. […]
Je propose que, pour les filles, le terme de l’institution publique soit fixé à 11 ans ; leur développement est plus précoce, et d’ailleurs elles peuvent commencer plutôt [sic] l’apprentissage des métiers auxquels elles sont propres parce que ces métiers exigent moins de force. […]
Je désire que pour les besoins ordinaires de la vie, les enfants privés de toute espèce de superfluité, soient restreints à l’absolu nécessaire.
Ils seront couchés durement, leur nourriture sera saine, mais frugale ; leur vêtement commode, mais grossier.
Il importe que pour tous, l’habitude de l’enfance soit telle, qu’aucun n’ait à souffrir du passage de l’institution aux divers états de la société. L’enfant qui rentrera dans le sein d’une famille pauvre, retrouvera toujours ce qu’il quitte ; il aura été accoutumé à vivre de peu, il n’aura pas changé d’existence ; quant à l’enfant du riche, d’autres habitudes plus douces l’attendent, mais celles-là se contractent facilement. Et pour le riche lui-même, il peut exister dans la vie telles circonstances où il bénira l’âpre austérité et la salutaire rudesse de l’éducation de ses premiers ans.
Après la force et la santé, il est un bien que l’institution publique doit à tous, parce que pour tous il est d’un avantage inestimable, je veux dire l’accoutumance au travail. […]
J’aborde maintenant l’enseignement, cette partie de l’éducation, la seule que le comité ait traitée, et ici je marcherai d’accord avec lui.
Quelles sont les notions, quelles sont les connaissances que nous devons à nos élèves ? Toujours celles qui leur sont nécessaires pour l’état de citoyen, et dont l’utilité est commune à toutes les professions.
J’adopte entièrement, pour l’institution publique, la nomenclature que le comité vous a présentée pour le cours des écoles primaires : apprendre à lire, écrire, compter, mesurer, recevoir des principes de morale, une connaissance sommaire de la Constitution, des notions d’économie domestique et rurale, développer le don de la mémoire en y gravant les plus beaux récits de l’histoire des peuples libres et de la Révolution française ; voilà le nécessaire pour chaque citoyen ; voilà l’instruction qui est due à tous. […]
Je désirerais que, pendant le cours entier de l’institution publique, l’enfant ne reçût que les instructions de la morale universelle, et non les enseignements d’aucune croyance particulière.
Je désirerais que ce ne fût qu’à 12 ans, lorsqu’il sera rentré dans la société, qu’il adoptât un culte avec réflexion. Il me semble qu’il ne devrait choisir que lorsqu’il pourrait juger. […]
Ainsi, depuis 5 ans jusqu’à 12, c’est-à-dire dans cette portion de la vie si décisive pour donner à l’être physique et moral la modification, l’impression, l’habitude qu’il conservera toujours, tout ce qui doit composer la République, sera jeté dans un moule républicain. […]
Ainsi la pauvreté est secourue dans ce qui lui manque : ainsi la richesse est dépouillée d’une portion de son superflu ; et sans crise ni convulsion, ces deux maladies du corps politique s’atténuent insensiblement.
Depuis longtemps elle est attendue, cette occasion de secourir une portion nombreuse et intéressante de la société ; les révolutions qui se sont passées depuis trois ans ont tout fait pour les autres classes de citoyens, presque rien encore pour la plus nécessaire peut-être, pour les citoyens prolétaires dont la seule propriété est dans le travail. […]
Ici est la révolution du pauvre… mais révolution douce et paisible, révolution qui s’opère sans alarmer la propriété et sans offenser la justice. Adoptez les enfants des citoyens sans propriété et il n’existe plus pour eux d’indigence. Adoptez leurs enfants, et vous les secourez dans la portion la plus chère de leur être. Que ces jeunes arbres soient transplantés dans la pépinière nationale ; qu’un même sol leur fournisse ses sucs nutritifs, qu’une culture vigoureuse les façonne ; que, pressés les uns contre les autres, vivifiés comme par les rayons d’un astre bienfaisant, ils croissent, se développent, s’élancent tous ensemble et à l’envi sous les regards et sous la douce influence de la patrie. »
Robespierre lit le plan d’éducation nationale de Michel Lepeletier à la Convention, 29 juillet 1793, OMR, t. X, p. 12-33
Pour aller plus loin, voir Philippe Bourdin, « L’éducation selon Robespierre » dans M. Biard et Ph. Bourdin, éd., Robespierre. Portraits croisés, Paris, Armand Colin, 2014 [2012], p. 109-127.
Texte sélectionné et présenté par Suzanne Levin, docteure en histoire.