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Maximilien de Robespierre et l’abolition de la peine de mort
mardi 30 janvier 2024
En français
Le 30 mai 1791, Robespierre s’exprime devant l’Assemblée constituante.
« La nouvelle ayant été portée à Athènes que des citoyens avaient été condamnés à mort dans la ville d’Argos, on courut dans les temples, et on conjura les dieux de détourner des Athéniens des pensées si cruelles et si funestes. Je viens prier non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la Divinité a dictées aux hommes, d’effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle. Je veux leur prouver, 1° que la peine de mort est essentiellement injuste ; 2° qu’elle n’est pas la plus réprimante des peines, et qu’elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient.
Hors de la société civile, qu’un ennemi acharné vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont cultivé, puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue ; et la loi de la défense naturelle me justifie et m’approuve. Mais dans la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l’autoriser à lui donner la mort ? Quelle nécessité peut l’en absoudre ? Un vainqueur qui fait mourir ses ennemis captifs est appelé barbare ! Un homme qui égorge un enfant qu’il peut désarmer et punir, paraît un monstre ! Un accusé que la société condamne n’est tout au plus pour elle qu’un ennemi vaincu et impuissant ; il est devant elle plus faible qu’un enfant devant un homme fait.
Ainsi, aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de mort, qu’elle ordonne avec tant d’appareil, ne sont autre chose que de lâches assassinats, que des crimes solennels, commis, non par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales. Quelque cruelles, quelque extravagantes que soient ces lois, ne vous en étonnez plus : elles sont l’ouvrage de quelques tyrans ; elles sont les chaînes dont ils accablent l’espèce humaine ; elles sont les armes avec lesquelles ils la subjuguent : elles furent écrites avec du sang. Il n’est point permis de mettre à mort un citoyen romain : telle était la loi que le peuple avait portée. Mais Sylla vainquit, et dit : Tous ceux qui ont porté les armes contre moi sont dignes de mort. Octave et les compagnons de ses forfaits confirmèrent cette loi.
Sous Tibère, avoir loué Brutus fut un crime digne de mort. Caligula condamna à mort ceux qui étaient assez sacrilèges pour se déshabiller devant l’image de l’empereur. Quand la tyrannie eut inventé les crimes de lèse-majesté, qui étaient ou des actions indifférentes ou des actions héroïques, qui eût osé penser qu’elles pouvaient mériter une peine plus douce que la mort, à moins de se rendre coupable lui-même de lèse-majesté ?
Quand le fanatisme, né de l’union monstrueuse de l’ignorance et du despotisme, inventa à son tour les crimes de lèse-majesté divine, quand il conçut, dans son délire, le projet de venger Dieu lui-même, ne fallut-il pas qu’il lui offrît aussi du sang, et qu’il le mît au moins au niveau des monstres qui se disaient ses images ?
La peine de mort est nécessaire, disent les partisans de l’antique et barbare routine ; sans elle il n’est point de frein assez puissant pour le crime. Qui vous l’a dit ? Avez-vous calculé tous les ressorts par lesquels les lois pénales peuvent agir sur la sensibilité humaine ? Hélas ! Avant la mort, combien de douleurs physiques et morales l’homme ne peut-il pas endurer !
Le désir de vivre cède à l’orgueil, la plus impérieuse de toutes les passions qui maîtrisent le cœur de l’homme. La plus terrible de toutes les peines pour l’homme social, c’est l’opprobre, c’est l’accablant témoignage de l’exécration publique. Quand le législateur peut frapper les citoyens par tant d’endroits sensibles et de tant de manières, comment pourrait il se croire réduit à employer la peine de mort ? Les peines ne sont pas faites pour tourmenter les coupables, mais pour prévenir le crime par la crainte de les encourir.
Le législateur qui préfère la mort et les peines atroces aux moyens plus doux qui sont en son pouvoir, outrage la délicatesse publique, émousse le sentiment moral chez le peuple qu’il gouverne, semblable à un précepteur mal habile qui, par le fréquent usage des châtiments cruels, abrutit et dégrade l’âme de son élève ; enfin, il use et affaiblit les ressorts du gouvernement, en voulant les tendre avec trop de force.
Le législateur qui établit cette peine renonce à ce principe salutaire, que le moyen le plus efficace de réprimer les crimes est d’adapter les peines au caractère des différentes passions qui les produisent, et de les punir, pour ainsi dire, par elles-mêmes. Il confond toutes les idées, il trouble tous les rapports, et contrarie ouvertement le but des lois pénales.
La peine de mort est nécessaire, dites-vous. Si cela est, pourquoi plusieurs peuples ont-ils su s’en passer ? Par quelle fatalité ces peuples ont-ils été les plus sages, les plus heureux et les plus libres ? Si la peine de mort est la plus propre à prévenir de grands crimes, il faut donc qu’ils aient été plus rares chez les peuples qui l’ont adoptée et prodiguée. Or, c’est précisément tout le contraire. Voyez le Japon : nulle part la peine de mort et les supplices ne sont autant prodigués ; nulle part les crimes ne sont ni si fréquents ni si atroces. On dirait que les Japonais, veulent disputer de férocité avec les lois barbares qui les outragent et qui les irritent. Les républiques de la Grèce, où les peines étaient modérées, où la peine de mort était ou infiniment rare, ou absolument inconnue, offraient-elles plus de crimes et moins de vertu que les pays gouvernés par des lois de sang ? Croyez-vous que Rome fut souillée par plus de forfaits, lorsque, dans les jours de sa gloire, la loi Porcia eut anéanti les peines sévères portées par les rois et par les décemvirs, qu’elle ne le fut sous Sylla, qui les fit revivre, et sous les empereurs, qui en portèrent la rigueur à un excès digne de leur infâme tyrannie. La Russie a-t-elle été bouleversée depuis que le despote qui la gouverne a entièrement supprimé la peine de mort, comme s’il eût voulu expier par cet acte d’humanité et de philosophie le crime de retenir des millions d’hommes sous le joug du pouvoir absolu.
Écoutez la voix de la justice et de la raison ; elle vous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d’autres hommes sujets à l’erreur. Eussiez-vous imaginé l’ordre judiciaire le plus parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus éclairés, il restera toujours quelque place à l’erreur ou à la prévention. Pourquoi vous interdire le moyen de les réparer ? pourquoi vous condamner à l’impuissance de tendre une main secourable à l’innocence opprimée ? Qu’importent ces stériles regrets, ces réparations illusoires que vous accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible ! Elles sont les tristes témoignages de la barbare témérité de vos lois pénales. Ravir à l’homme la possibilité d’expier son forfait par son repentir ou par des actes de vertu, lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, l’estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau encore tout couvert de la tache récente de son crime, est à mes yeux le plus horrible raffinement de la cruauté.
Le premier devoir du législateur est de former et de conserver les mœurs publiques, source de toute liberté, source de tout bonheur social. Lorsque, pour courir à un but particulier, il s’écarte de ce but général et essentiel, il commet la plus grossière et la plus funeste des erreurs ; il faut donc que la loi présente toujours au peuple le modèle le plus pur de la justice et de la raison. Si, à la place de cette sévérité puissante, calme, modérée qui doit les caractériser, elles mettent la colère et la vengeance ; si elles font couler le sang humain, qu’elles peuvent épargner et qu’elles n’ont pas le droit de répandre ; si elles étalent aux yeux du peuple des scènes cruelles et des cadavres meurtris par des tortures, alors elles altèrent dans le cœur des citoyens les idées du juste et de l’injuste, elles font germer au sein de la société des préjugés féroces qui en produisent d’autres à leur tour. L’homme n’est plus pour l’homme un objet si sacré : on a une idée moins grande de sa dignité quand l’autorité publique se joue de sa vie. L’idée du meurtre inspire bien moins d’effroi lorsque la loi-même en donne l’exemple et le spectacle ; l’horreur du crime diminue dès qu’elle ne le punit plus que par un autre crime. Gardez-vous bien de confondre l’efficacité des peines avec l’excès de la sévérité : l’un est absolument opposé à l’autre. Tout seconde les lois modérées ; tout conspire contre les lois cruelles.
On a observé que dans les pays libres, les crimes étaient plus rares et les lois pénales plus douces. Toutes les idées se tiennent. Les pays libres sont ceux où les droits de l’homme sont respectés, et où, par conséquent, les lois sont justes. Partout où elles offensent l’humanité par un excès de rigueur, c’est une preuve que la dignité de l’homme n’y est pas connue, que celle du citoyen n’existe pas : c’est une preuve que le législateur n’est qu’un maître qui commande à des esclaves, et qui les châtie impitoyablement suivant sa fantaisie. Je conclus à ce que la peine de mort soit abrogée. »
In English
On 30 May 1791, Robespierre addresses the Constituant Assembly :
"The news having been brought to Athens that the citizens had been condemned to death in the city of Argos, they ran into the temples and entreated the gods to turn the Athenians from such cruel and fatal thoughts. I come to pray not the gods, but the legislators, who ought to be the organs and interpreters of the eternal laws which the Deity has dictated to men, to efface from the legal code of the French the bloody laws which command judicial murder, and which are repulsive to their morals and to their new constitution. I wish to prove, firstly, that the death penalty is essentially unjust ; secondly, that it is not the most repressive of penalties, and that it increases crimes much more than it prevents them.
Outside civil society, whether a relentless enemy comes to attack my life, or whether, repulsed twenty times, he still returns to ravage the field that my hands have cultivated, since I can only oppose my individual strength to his, I must perish or kill him and the law of natural defence justifies me and approves me. But in society, when the might of all is armed against one individual, what principle of justice can authorise putting him to death ? What necessity can absolve him ? A conqueror who kills his captive enemies is called a barbarian ! A man who slaughters a child he can disarm and punish, seems like a monster ! A defendant whom society condemns is at most a defeated and helpless enemy ; he is weaker before it than a child before a grown man.
Thus, in the eyes of truth and of justice, these scenes of death, which she orders with so much apparatus, are nothing but cowardly assassinations, solemn crimes, committed not by individuals, but by entire nations, with the forms of law. However cruel, however extravagant these laws may be, do not be surprised : they are the work of a few tyrants ; they are the chains with which they overwhelm the human species ; they are the weapons with which they subjugate it : they were written with blood. It is not permitted to put to death a Roman citizen : such was the law that the people had carried. But Sylla was victorious, and said : All those who bore arms against me are deserving of death. Octavian and his companions in crime confirmed this law.
Under Tiberius, praising Brutus was a crime worthy of death. Caligula condemned to death those who were sacrilegious enough to undress before the image of the emperor. When tyranny invented crimes of lèse-majesté, which were either indifferent actions or heroic actions, who would have dared to think that they could deserve a sentence gentler than death, unless they themselves were guilty of lèse-majesté ?
When fanaticism, born of the monstrous union of ignorance and despotism, in turn invented the crimes of divine lèse-majesté, when it conceived, in its raving, the project of avenging God himself, was it not necessary that it also offered him blood, and brought him at least to the level of the monsters who said his images ?
The death penalty is necessary, say the advocates of the ancient and barbaric custom ; without it it there is no restraint powerful enough for crime. Who told you that ? Have you calculated all the means by which the penal laws can act on human sensibility ? Alas ! Before death, how much physical and moral pain can man endure !
The desire to live yields to pride, the most imperious of all passions that dominate the human heart. The most terrible of all the penalties for man as a social being is opprobrium, it is the overwhelming evidence of public execration. When the legislator can strike citizens in so many sensitive places and in so many ways, how can believe himself reduced to using the death penalty ? Punishments are not meant to torment the guilty, but to prevent crime by fear of incurring them.
The legislator who prefers death and atrocious punishment to the gentler means in his power outrages public delicacy, dulls the moral feeling among the people he governs, similar to an badly-skilled teacher who, by the frequent use of cruel punishments, dulls and degrades the soul of his pupil ; finally, he wears out and weakens the springs of government, wanting to stretch them with too much force.
The legislator who establishes this sentence renounces this salutary principle, that the most effective way to punish crimes is to adapt the punishments to the character of the different passions that produce them, and to punish them, so to speak, by themselves. It confounds all ideas, it disturbs all relationships, and openly frustrates the purpose of criminal laws.
The death penalty is necessary, you say. If that is the case, why have many peoples been able to do without it ? By what destiny were these peoples the wisest, happiest and freest ? If the death penalty is the most appropriate to prevent great crimes, they must therefore have been rarer among the peoples who have adopted and used it lavishly. However, it is precisely the opposite. Look at Japan : nowhere is the death penalty and torture so widespread ; nowhere are crimes so frequent and atrocious. One might say that the Japanese want to fight ferocity with the barbaric laws that outrage and irritate them. Did the republics of Greece, where sentences were moderate, where the death penalty was either infinitely rare, or absolutely unknown, offer more crimes and less virtue than the countries governed by bloody laws ? Do you believe that Rome was defiled by more crimes, when, in the days of its glory, the Porcia law had annulled the severe penalties carried by the kings and decemvirs, than it was under Sylla, who revived them, and under the emperors, who carried the rigour of it to an excess worthy of their infamous tyranny. Has Russia been turned upside down since the despot who governs it completely abolished the death penalty, as if wishing to atone by this act of humanity and philosophy for the crime of keeping millions of humans under the yoke of absolute power ?
Listen to the voice of justice and reason ; it cries out to you that human judgements are never sure enough for society to kill a man condemned by other men who are subject to error. Had you imagined the most perfect judicial order, had you found the most honest and enlightened judges, there will always be room for error or prejudice. Why forbid yourself the means to repair them ? Why condemn yourself to the powerlessness of reaching out a helping hand to oppressed innocence ? What do sterile regrets matter, the illusory reparations you grant to a vain shadow, to senseless ashes ! They are the sad testimonies of the barbaric temerity of your criminal laws. To rob a man of the possibility of atoning for his crime by repentance or by acts of virtue, to pitilessly close off to him any return to virtue, or self-esteem, to hasten to make him descend, one might say, into the tomb still all covered in the fresh stain of his crime, is to my eyes the most horrible refinement of cruelty.
The first duty of the legislator is to shape and preserve public morals, the source of all liberty and of all social happiness. When, in order to reach a particular goal, he deviates from that general and essential goal, he commits the grossest and most fatal of errors ; the law must therefore always present the purest model of justice and reason to the people. If, instead of the powerful, calm, moderate severity that should characterise them, they bring anger and revenge ; if they spill human blood, which they can spare and which they do not have the right to shed ; if they spread before the eyes of the people cruel scenes and cadavers ravaged by torture, then they alter in the hearts of the citizens the ideas of the just and the unjust, they germinate within the society ferocious prejudices which in turn produce others. Man is no longer such a sacred object for man : the idea of his dignity is less great when public authority plays with his life. The idea of murder is far less frightening when the law itself makes an example and show of it ; the horror of crime diminishes when it is punished only by another crime. Take care not to confuse the effectiveness of punishments with excess of severity : the one is absolutely opposed to the other. Everything supports moderate laws ; everything conspires against cruel laws.
It has been observed that in free countries, crimes were rarer and criminal laws more lenient. All these ideas make sense. Free countries are those where human rights are respected, and therefore laws are just. Wherever they offend humanity by an excess of rigour, it is proof that the dignity of man is not known there, that that of the citizen does not exist : it is proof that the legislator is only a master who commands slaves, and who punishes them mercilessly according to his whim. My conclusion is that the death penalty should be abrogated."