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La Terreur ou la valse triste de l’histoire

vendredi 27 octobre 2023

Nous remercions Jean- Clément Martin de nous autoriser à reproduire ici l’article qu’il a largement diffusé par ailleurs.

Il y aurait aussi bien des choses à dire sur le titre du dossier « 1793 vivre sous la Terreur »... mais la contribution de celui-ci nous a paru suffisante pour éveiller l’esprit critique des lecteurs de la revue.

Jean-Clément Martin sera en conférence à Arras le Samedi 6 avril2024 : 14 h 30 à l’espace Saint-Eloi, Place de l’ancien rivage, ARRAS

La Terreur ou la valse triste de l’histoire

Comment ne pas réagir à la lecture du dossier intitulé « Vivre sous la Terreur » paru dans le numéro d’octobre 2023 de la revue L’Histoire, plus précisément de l’éditorial et de l’article publié par Anne Simonin, « Le gouvernement des 500 jours » (p. 30-44).

Qu’elle soit écrite avec ou sans guillemets, avec un t ou T, ou mieux encore précédée d’un « La » majestueux, la Terreur, écrivons ainsi par commodité, n’a pas été seulement une « fracture » dans l’histoire vécue par les Français de 1793-1794 ; elle demeure, toujours, « La Fracture » autour de laquelle la mémoire tourne sempiternellement avec l’historiographie sur le même pas de valse, en trois temps.

Soit un, même si on n’arrive pas à savoir exactement quand elle aurait existé, la Terreur a bien été réelle ;

Deux, même si on ne peut pas distinguer entre massacres, exécutions ou règlements de compte, la Terreur a été une réaction à la guerre ;

Trois, même si Robespierre a été accusé de façon exagérée d’en être le principal responsable, la Terreur est bien finie après son exécution.

Le tout sur fond, et cela accentue la tristesse, d’un laisser-aller de l’argumentaire, prenant ses aises avec ce qui a été écrit, par d’autres, mais même par l’autrice de l’article, oubliant son livre paru en 2008, Le Déshonneur dans la République.

Alors reprenons et détaillons, argument par argument.

  • Vous avez dit Terreur ?
    Il aurait fallu dire « mettre la Terreur à l’ordre du jour ». C’est la formule qui court dans les rangs d’un groupe de sans-culottes à Paris au printemps de 1793. Si le sens est obscur : à l’ordre du jour de quoi ? de la Nation ?, sa signification politique est claire : les Conventionnels, Girondins au printemps, Montagnards après juin, ne prennent pas les mesures qu’il faut : terroriser les ennemis – c’est-à-dire tous ceux qui sont des « contre-révolutionnaires ».

Il s’agit donc d’employer « la terreur », traditionnellement considérée comme l’arme des « despotes », moyen que les républicains ne doivent pas utiliser, par principe, même pour se défendre.

Le débat qui a lieu le 5 septembre 1793 à la Convention sur cette question se conclut sur deux points : les députés refusent à la quasi-unanimité de mettre la Terreur à l’ordre du jour, tout en félicitant les « braves sans-culottes » d’avoir demandé de le faire. Ils accompagnent la mesure en limitant l’autonomie des dits sans-culottes et surtout des plus virulents, notamment en jetant Jacques Roux en prison, tout en promettant une « armée révolutionnaire » à l’un d’eux, Ronsin.

La position est politique et ambiguë. Dans l’immédiat, il est impossible que la Convention se passe des sans-culottes, mais le rejet par principe de la pratique de la Terreur est net. La démonstration d’Anne Simonin, faite en 2008, est sur ce point remarquable en tout point. Elle va même jusqu’à rédiger le décret qui aurait inscrit la terreur dans la loi [1], ce décret – fictif - qui n’a pas été pris. C’est sur cette base qu’elle parle de la situation de l’été 1793 comme celle d’un état de siège qu’elle qualifie ainsi de fictif puisqu’il a eu lieu sans avoir été décrété. C’est cela qu’elle reprend dans cet article en évoquant les propositions de Billaud-Varenne et de Saint-Just qui auraient installé cet état de siège fictif à partir d’octobre 1793.

Outre le fait qu’il faut attendre le 4 décembre 1793 pour qu’il y ait véritablement une réforme engagée par la Convention, il s’agit alors de l’institutionnalisation du « gouvernement révolutionnaire » qui consacre la centralité de la Convention – et pas seulement d’un comité – empêchant que des pouvoirs rivaux puissent limiter ses compétences – en l’occurrence les sans-culottes puisque les contre-révolutionnaires sont bien incapables à ce moment-là d’intervenir ! En même temps, cette institutionnalisation va éloigner la Convention de toutes les autres instances, ce qui fera que lorsque Robespierre sera mis en minorité, le reste du pays et même les Parisiens ne comprendront qu’avec retard ce qui s’est passé ! Nul besoin d’invoquer une catégorie intellectuelle, en citant Agamben, alors qu’il y a bien eu, au moment où Robespierre se détache des sans-culottes, une modification institutionnelle, qui n’a rien à voir avec la terreur, avec ou sans majuscule [2].

  • Le refus constant de la Terreur jusqu’en août 1794
    Cette position de l’Assemblée est constante en 1793 jusqu’en juillet 1794. A plusieurs reprises le refus de la Terreur est réaffirmé, et consacré quand les sans-culottes sont éliminés en mars. Soulignons que la Convention est alors composée pour plus de la majorité de députés du centre (« la Plaine » ou « le Marais ») qui arrivent au pouvoir après juillet 1794 et qui vont ensuite oublier cette situation pour dire que la Terreur avait bien été installée, sur ordre de Robespierre.

Il est vrai que Robespierre a une politique plus ambiguë et aussi plus subtile. Comme l’a écrit Anne Simonin avec une grande acuité, mais sans le rappeler ici, Robespierre a fait en septembre 1793 « de la Terreur une rhétorique » pour canaliser les demandes des sans-culottes et faire admettre la « fiction » (je la cite encore) de cet état de siège dont il ne veut pas [3] ! Il admet que la Terreur est nécessaire et efficace quand elle est associée à la vertu, soit quand elle est dans les mains des membres des grands Comités (salut public et sûreté générale) qui peuvent seuls exercer « le despotisme de la liberté ». En conséquence, les sans-culottes ou les députés envoyés en mission qui ont eu recours à des violences sans contrôle vont être désavoués, rappelés à Paris, voir exécutés en mars 1794.

Ensuite, Robespierre impose, le 22 prairial, 10 juin 1794, que les décisions du Tribunal révolutionnaire soient prises sous le contrôle des deux Comités et applicables à tout le monde, députés compris. C’est à la fois une simplification de la procédure, et l’augmentation potentielle des condamnations, mais c’est aussi le renforcement du contrôle des accusés puisqu’ils ne sont envoyés au tribunal révolutionnaire qu’après l’aval de commissions ad hoc sous la surveillance des comités. En aucun cas, on ne parle pas ce jour-là de Terreur ; quant au mot « Grande Terreur », il apparaît manifestement dans les années 1930, sans doute introduit par Georges Lefebvre.

Enfin, le 8 Thermidor, 26 juillet 1794, Robespierre dénonce ceux qui veulent mettre en place un système de terreur. Système ou régime qui n’a jamais été mis en place par un décret (ou une loi), au point où un certain nombre de grands acteurs ne savent pas s’ils peuvent, ou non, se réclamer de la Terreur.

Ce sera un mois plus tard, en août 1794, que Tallien accuse un groupe de députés, dont Robespierre serait le chef, d’avoir imposé un système de terreur. L’initiative de Tallien s’accompagne de la création du mot « terroriste » et de toute une série d’inventions (dont la « dépopulation » de la Vendée…) qui a façonné notre mémoire ! C’est à ce moment-là, donc en août 1794, que « la Terreur » entre dans le corpus législatif....

  • Le mythe est bien réel
    Pour le dire autrement, il n’y eut ni « système de la Terreur », ni terreur institutionnelle, mais bien invention, après le 9 Thermidor, du mot « terreur » pour justifier le coup d’Etat, qui a fait chuter Robespierre et le transformer en bouc émissaire. Il est rendu responsable des violences, crimes et atrocités commises auparavant, avec, sans ou même contre l’aval de la Convention et des comités de gouvernement.

C’est ainsi que l’expression « la Terreur » est rentrée dans l’historiographie et dans notre culture, parce qu’elle désigne tout à la fois une période imprécise de la Révolution française, un système de gouvernement qui n’a jamais été mis en place, des pratiques de répression communes à de nombreux régimes et qu’elle évoque enfin un recours atemporel à la violence d’Etat.

Conclusion pratique :

  • La Terreur n’a pas eu de réalité effective dans la loi. Le principe a toujours été rejeté. « La Terreur » de 1793-1794 est bien une invention de Tallien, un mythe.
  • Ce qui n’empêche pas que les violences considérables ont été couvertes par la Convention pendant toute cette période.
  • Je reconnais volontiers que je n’ai pas été assez audacieux pour proposer un mot qualifiant simplement cette situation. En considérant que la Terreur avait ET n’avait pas existé (écrit en 2006 dans Violence et Révolution) j’ai eu recours à une formulation trop abstraite.
    Je me suis contenté de parler de la « période appelée terreur » ce qui n’avait de sens que pour les connaisseurs. J’ai proposé que « la terreur » soit remplacée par d’autres formules (guerre civile généralisée, état d’exception, état de siège) pour libérer les analyses historiques des jugements a priori qu’elle comporte. Employer ici les mots « la terreur » n’est qu’une commodité. J’ai échoué. Au temps pour moi.
  • Mais en aucun cas, et depuis 2006, je n’ai sous-entendu que les actes de violences n’étaient qu’un mythe, qu’une pure chimère. L’accusation est disqualifiante et même injurieuse.
  • J’avoue ne pas comprendre que Timothy Tackett, Marisa Linton et Michel Biard qui refusent de considérer « la Terreur » comme la dérive de la Révolution puissent rattacher la violence de 1793-1794 aux pratiques de « terreur » auxquelles le pays était habitué depuis des siècles.
  • Massacres et exécutions
    La question immédiate est évidemment celle du nombre des personnes tuées d’une façon ou d’une autre. Anne Simonin avance ici des chiffres qui me surprennent.

Elle s’appuie, logiquement sur l’ouvrage The Incidence of the Terror de Donald Greer, paru en 1935. Il estimait d’abord que 500 000 personnes avaient été, à un moment ou un autre, sans doute emprisonnées et que 16 594 individus avaient été jugés et exécutés, auxquels s’ajoutaient entre 10 000 et 12 000 morts en prison, 10 000 à 12 000 autres individus tués sans procès. Au total, compte non tenu des événements de l’Ouest, précisait-il, le nombre des morts « de la Révolution » pouvait s’établir entre 35 000 à 40 000, ce que l’historien anglais Colin Jones reprenait en 1988, ajoutant 200 000 morts en Vendée – chiffre que j’avais proposé un an auparavant.

Cette estimation, 35 000 - 45 000 victimes de la Terreur, ne fut finalement jamais véritablement discutée. Elle entra d’autant plus facilement dans l’historiographie qu’elle était comparable à la répression de la Commune de 1870 qui selon une tradition datant de la fin du XIXe siècle aurait entraîné la mort de 30 000 personnes [4].

D. Greer n’avait pas dressé de bilan humain de la guerre de Vendée, si bien que le chiffre des 220 000 à 250 000 morts que j’avais avancé en 1987 ne peut pas être mis en rapport avec les estimations de Greer. Jusqu’en 1986 les estimations habituelles montaient à quelques dizaines de milliers, avant que Reynald Sécher avance le chiffre de 117 257 personnes disparues entre 1792 et 1802. Je n’ai pas multiplié les chiffres de Greer par 20, mais l’estimation de Sécher par deux, en refusant de parler de génocide. Quelques années plus tard Jacques Hussenet et son équipe recadrèrent le débat, parfois vigoureusement, en avançant que 170 000 individus avaient disparu dans la région, plus 30 000 républicains [5].

A cela, comme je l’avais relevé, devront s’ajouter, quand cela sera possible, les chiffres, à l’évidence effrayants, de la répression dans les colonies, à commencer par l’île de Saint-Domingue. S’il faut relever les fractures escamotées dans notre mémoire, celle-ci est d’une taille impressionnante et, quand nous en connaîtrons l’étendue, elle nous obligera à reprendre toute l’histoire de la Révolution française.

Restons encore dans notre pré carré français métropolitain n’envisageant que le cas parisien. On peut suivre Anne Simonin proposant 2 734 exécutions d’avril 1793 au 12 Thermidor (624 d’avril 1793 à mars 1794 plus 2110 d’avril au 12 Thermidor, en incluant donc 130 « robespierristes ») un peu plus que les 2 639 sentences de mort (contre 2 357 acquittements) rendues, selon l’historiographie, par le tribunal révolutionnaire de Paris de 1793 à 1795.

En revanche, il est contestable d’imputer à Robespierre et ses proches l’accélération impressionnante des condamnations après juin, après la fameuse loi de Prairial, quand on sait que les députés opposés à Robespierre, à commencer par Vadier - personnage bien trop méconnu alors qu’il a eu un rôle essentiel – ont réussi, en s’appuyant sur Fouquier-Tinville, à faire envoyer à la mort des centaines de prisonniers et à faire porter le chapeau à Robespierre. Celui-ci était conscient de la manipulation, comme de la campagne menée contre lui dès mai 1794, sans qu’il puisse l’empêcher.

Anne Simonin note, à raison, le déplacement de la guillotine dans Paris, jusqu’à la place (actuelle) de la Nation, en rappelant l’écœurement des Parisiens devant l’odeur du sang et la vue des charrettes de cadavres, ce que les rapports de police ont consigné scrupuleusement. En tablant sur une vingtaine, au moins, de condamnés quittant, chaque jour, la Conciergerie pour être exécutés place de la Nation, ce sont donc les quartiers populaires de l’Est parisien qui sont les premiers concernés, et les nombreux enfants qui y vivent.

E- Paris n’a pas été la forteresse assiégée, mais le siège d’un pouvoir divisé

Tout cet argumentaire, pointilleux mais indispensable, doit être maintenant corrélé avec l’argument essentiel de l’article : la Terreur participe-t-elle du « gouvernement de 500 jours », dit autrement du gouvernement de la première République du 21-22 septembre 1792 au 22 août 1795, naissance du Directoire ?

C’est ce que laisse à penser la carte de la page 33 intitulée « une forteresse assiégée ». Paris est au centre, évidemment, d’un pays attaqué sur toutes ses frontières et dans ses régions périphériques par les ennemis intérieurs. On ne dira rien des Vendéens, la région étant bien indiquée même si Cholet a été une ville républicaine ; en revanche pourquoi les « chouans » des Côtes du Nord, de l’Ille et Vilaine, de la Mayenne, du Cotentin, de la Sarthe, du Maine-et-Loire ont-ils été oubliés, ou, pourquoi faire du Finistère sud, bleu, une terre blanche, enfin on s’étonnera de voir Rennes présentée comme « ville insurgée ». On ne dira rien du Bordelais toujours présenté fédéraliste au mépris de ce qu’on en sait, tandis les contre-révolutionnaires ou insurgés de la vallée du Rhône, du pays basque, de la plaine alsacienne ne sont pas assez présents.

On retrouve l’idée, bien ancrée depuis plus de cent ans, qui oppose Paris, incarnant la Révolution en marche, aux forces centrifuges, toujours provinciales et réactionnaires, alliées aux étrangers, anglais perfides, autrichiens impériaux… le problème étant, d’une part, que « la terreur » n’a pas de lien immédiat avec le déroulement de la guerre surtout que, d’autre part, la guerre essentielle se déroule entre révolutionnaires, girondins contre montagnards, montagnards contre sans-culottes, sans-culottes partisans de Hébert contre ceux suivant Roux.

Ces « guerres civiles » intestines ont provoqué la succession de coups d’États (juin 1793, contre les « Girondins », mars 1794 contre les « Hébertistes », avril contre les « Dantonistes », Thermidor contre les « robespierristes ») mais seul le dernier a stabilisé la République, la gauche et l’ultra-gauche (si l’on peut désigner ainsi les jacobins et les sans-culottes) ayant été éliminés par les républicains de « l’extrême-centre », pour reprendre l’expression de Pierre Serna.

Non pas qu’il faille minimiser « la guerre », mais il faut en comprendre les mécanismes. Les Girondins avaient entraîné le pays dans la guerre pour contrer le pouvoir royal. En mars 1793, ils sont les premières « victimes » des insurrections de l’Ouest puisque c’est contre eux que les soulèvements survenus au sud de la Loire deviennent « la guerre de Vendée », preuve de la faiblesse de leur politique. La création de « la guerre » provoque une situation chaotique et des massacres paroxystiques. Pour respecter ce qui vraiment passé, nul ne devrait écrire : le soulèvement vendéen ou la guerre de Vendée entraîne... puisque c’est l’incohérence des ordres donnés depuis Paris qui ont permis le développement de cette guerre épouvantable alors qu’il aurait suffi de troupes bien commandées pour que les bandes armées soient dispersées comme elles l’ont été en Bretagne entre mars et mai 1793.

Or si les Montagnards et les sans-culottes s’emparent du contrôle de l’armée, en septembre, avec l’aval de Robespierre, les sans-culottes sont seuls en charge de la guerre. Ils battent certes « les Vendéens » en octobre, mais ne peuvent pas arrêter la guerre en décembre 1793, ayant montré leurs incompétences et leurs limites. Dit autrement, les affrontements violents de l’automne 1793 ont limité la menace vendéenne, Nantes et l’estuaire ne pouvant plus tomber aux mains des Anglais, mais ils ont aussi affaibli inexorablement les troupes sans-culottes que les Montagnards (et Carnot d’abord) peuvent dorénavant museler, avant de les réduire au silence. L’épisode tragique des colonnes infernales de Turreau et les dévastations qu’il provoque ne participe pas exactement de ce règlement de compte entre révolutionnaires, mais plutôt entre généraux républicains.

L’essentiel est qu’au printemps, les sans-culottes et les Vendéens (devenus « frères égarés) ne sont plus des dangers pour la Convention et que le vainqueur à Paris soit finalement Robespierre et son cercle de proches et de fidèles. On connaît la suite quand, en juillet, Robespierre perd ses soutiens au centre (Barère) et à gauche (Billaud-Varenne, Collot d’Herbois).

F-Traquer les mythes sans se tromper de cible

La nécessité d’abandonner la lecture mythologique de l’unité révolutionnaire depuis Paris gouvernant le pays dans sa lutte contre tous les empêcheurs de révolutionner en rond est illustrée, exemplairement, par la citation dans une marge de l’article d’Anne Simonin de la Déclaration des droits de 1793. L’article 35 de cette déclaration, reprenant mot pour mot l’article XXIX de la proposition de Robespierre doit être cité : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et plus indispensables des devoirs ».

La clause suspensive introduite par « quand » est régulièrement oubliée au profit de la liberté́ énoncée dans le reste de l’article. Suffit-il de constater qu’un gouvernement viole les droits pour pouvoir se soulever et, surtout, avoir une chance de ne pas se retrouver enfermé ou exécuté ? Robespierre avait prévu les limites puisque son article XXX rappelait que chaque citoyen « rentre dans le droit naturel de défendre lui-même ses droits » quand « la garantie sociale lui manque » et que le XXXI considérait qu’ « assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression, est le dernier raffinement de la tyrannie » ! Ces articles n’étant pas inscrits dans la Déclaration proclamée, le droit à l’insurrection est de facto affaibli, même simplement illusoire.

Preuve contradictoire est donnée par la déclaration « girondine » qui n’avait pas été acceptée, mais qui dans sont article 29 proposait : « Dans tout gouvernement libre, les hommes doivent avoir un moyen légal de résister à l’oppression ; et lorsque ce moyen est impuissant, l’insurrection est le plus saint des devoirs » ! Aucune clause suspensive, aucune fiction politique, simplement le rappel au rapport de force, à commencer par la difficile articulation entre les prétendants au pouvoir, qu’ils soient députés ou militants [6].

C’est tout cet enchaînement qui m’avait fait écrire, en 1987, que la « terreur » n’était pas un excès d’Etat mais un défaut d’Etat, la violence avait été permise parce que les mécanismes de contrôle que l’Etat met en œuvre, quel qu’il soit, pour garantir sa pérennité dans les conflits auxquels il est mêlé, étaient paralysés par les rivalités entre tous ceux qui pouvaient prétendre exercer la « violence légitime », pour prendre la formule de Max Weber.

Thermidor est la fin de cette aventure parce que les « représentants » en titre réussissent à établir leur propre fiction politique en créant un régime nouveau, le Directoire, qui a l’avantage de régler par la force les concurrences des sans-culottes et des royalistes. Les nouveaux maîtres de la France pourront dès lors réprimer les mécontentements, les soulèvements, les insurrections qui éclatent partout en France, en instituant l’état de siège, cette fois-ci pas du tout fictif, dans une centaine de ville, ils pourront terroriser les « barbets » de Nice, puis ravager des villes italiennes et allemandes, ils ne seront jamais concernés par une quelconque accusation de « terreur », pas plus que Napoléon dans ses campagnes jusqu’en 1815. Mais comme le veut la formule, ceci est une autre histoire.

En effet, tout autre.

Jean-Clément Martin
1er octobre 2023.


[1Anne Simonin, Le Déshonneur dans la République, Grasset, 2008, notamment p. 277-303, description minutieuse du 5 septembre 1793.

[2J. C. Martin, Nouvelle Histoire de la Révolution française, Perrin, 2012, p. 406-409, chp. 16.

[3Anne Simonin, op. cit., p. 392.

[4J.-C. Martin, « Dénombrer les victimes de la Terreur. La Vendée et au-delà », in Michel Biard et Hervé Leuwers dir., Visages de la Terreur, A. Colin, 2014, p. 155-166

[5Ce que reprend Patrice Guéniffey, La politique de la Terreur, Gallimard, 2000, p. 235 en s’étonnant du chiffre.

[6J. C. Martin, Robespierre. La fabrication d’un monstre, Tempus, 2018, p. 231-233.