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La politique sociale de l’an II : un « collectivisme individualiste » ?

mardi 25 avril 2023

La politique sociale de l’an II : un « collectivisme individualiste » ?
Françoise Brunel

Contribution à l’ouvrage collectif, sous la direction de Pierre Crétois et Stéphanie Roza, Le républicanisme social : une exception française ?, Paris, Publications de la Sorbonne, collection La Philosophie à l’œuvre, 2014, p. 107-128.

Il convient de rendre compte de la cohérence et de la force d’un projet social que Jean Jaurès a, dans l’Histoire socialiste, qualifié de « collectivisme individualiste » en exposant les propositions de Billaud-Varenne dans ses Éléments du républicanisme (1793). Le comité de Salut public et un certain nombre de députés montagnards ont, au printemps de l’an II, envisagé de « terminer la révolution » en fondant la République sur des « institutions civiles » démocratiques qui inscriraient la citoyenneté de tous dans une société égalitaire pérenne. Ce projet prend ainsi sa place dans la généalogie des luttes pour « la Sociale » au XIXe siècle, voire au-delà.

La politique sociale de l’an II : un « collectivisme individualiste » ?

par Françoise Brunel

Peut-on associer, même sous forme interrogative, un objet d’étude très (trop) vaste et une formulation apparemment paradoxale de Jean Jaurès ? La réalité d’une politique sociale (au sens où nous l’entendons depuis le XIXe siècle) menée en l’an II (classiquement, le moment qui va de juin 1793 au 9 thermidor) ne fait unanimité, ni dans l’historiographie progressiste d’hier, ni dans les questionnements d’aujourd’hui où elle n’occupe, quantitativement, qu’une place modeste [1]. Il convient, toutefois, de resituer historiquement la notion-concept de « collectivisme individualiste » que nombre de nos contemporains qualifieraient sans doute d’oxymore. Dans l’œuvre foisonnante de Jaurès et la construction philosophique et politique de son « républicanisme socialiste » [2], celle-ci est empruntée au tome IV de l’Histoire socialiste. (1789-1900), publié en décembre 1903 et consacré à la Convention nationale jusqu’au 9 thermidor [3], période initialement dévolue à Jules Guesde qui se retira très rapidement du vaste projet éditorial et politique initié par Jaurès sur la proposition de Jules Rouff en 1898. Jaurès, je n’y insisterai pas, battu aux élections législatives de mai 1898 à Carmaux, a déjà accumulé une importante documentation sur la Révolution française lorsqu’il s’engage dans la rédaction des premiers volumes dont il s’était initialement chargé, documentation qu’il complète encore par un travail exceptionnel de dépouillement de sources multiples et diverses (alors souvent négligées) tant manuscrites qu’imprimées et étayées par une vaste bibliographie. Les deux premiers tomes de l’Histoire socialiste…, publiés en 1901 et 1902, La Constituante et La Législative, demeurent des modèles peu contestés d’ « histoire totale » et à la méthode d’une impeccable érudition scientifique et critique. Réélu aux élections de 1902, Jaurès se trouve de nouveau totalement immergé dans l’action politique, alliant le militantisme qu’il n’a jamais abandonné à une intense activité législative. Il puise alors essentiellement dans les sources imprimées, profitant de la riche bibliothèque de la Chambre des députés et de l’exceptionnelle Collection Portiez de l’Oise. Les deux volumes consacrés à la Convention nationale présentent ainsi de plus longues citations entrecoupées de commentaires directement politiques sur cette période si « sensible » de la Révolution française.

Rééditant l’œuvre magistrale du grand socialiste dont ils se déclarent tous deux les « héritiers », Albert Mathiez (en 1922-1924), puis Albert Soboul (en 1968-1973) ont aéré un ensemble très dense, qu’explique sans doute la publication en fascicules, dès 1900, et introduit des têtes de chapitres et de paragraphes, tout en augmentant la tomaison [4]. Dans l’édition Soboul (notre édition de référence), le tome VI et dernier dénommé Le Gouvernement révolutionnaire, s’ouvre sur un premier chapitre, « Idées sociales de la Convention ». Après avoir examiné les problèmes de l’instruction publique et de l’éducation nationale (les projets de Condorcet et le Plan de Michel Le Peletier), Jaurès aborde la question fondamentale de la propriété et consacre plusieurs pages denses à la brochure de Billaud-Varenne, Eléments du Républicanisme, publiée en février 1793, essentiellement au livre III « De la propriété » [5]. Citant de larges extraits du texte, Jaurès récuse formellement les qualificatifs « d’utopie patriarcale » ou « réactionnaire » et identifie deux grandes mesures dans le projet social du député de Paris [6]. La première, « particulièrement applicable à la propriété foncière », instaure une forme de maximum, mesure au demeurant largement évoquée lors du grand débat « sur les subsistances » qui a occupé la Convention de la mi-octobre au début décembre 1792. La seconde, plus cruciale encore dans l’élaboration de la pensée socialiste, touche toutes les formes de la richesse, mobilière et immobilière : « c’est par une conception hardie et par un emploi vraiment socialiste de l’héritage, écrit Jaurès, que Billaud-Varenne veut prévenir la trop grande inégalité de fortune et assurer à tous les citoyens un minimum de vie et d’indépendance » [7]. Le projet de transformation radicale des lois successorales alors proposé par Billaud est antérieur aux décisions que prendra en la matière la Convention, de mars 1793 à nivôse an II (janvier 1794), j’y reviendrai, mais il est à mettre en parallèle avec les propositions de Le Peletier dans son Plan d’éducation nationale, élaboré dans le même moment : attention identique portée aux enfants (nombreux) des familles pauvres, même recours à la « collectivité » que forme la Patrie pour constituer un peuple de citoyens égaux, non seulement en droit, mais en fait, même justification, surtout, par une législation « régénératrice » et transformatrice : « ici est la révolution du pauvre…mais révolution douce et paisible, révolution qui s’opère sans alarmer la propriété et sans offenser la justice » écrit Le Peletier, auquel Billaud semble faire écho : « on parviendra à diviser les fortunes sans secousse et sans bouleversement, ce qui, dans une réforme, n’est point à négliger, puisque l’expérience démontre que rien n’en fait échouer les succès et même la tentative, comme les convulsions et le cahos (sic) qui en résultent le plus ordinairement » [8].C’est, après l’analyse des propositions de « succession nationale » que Jaurès conclut : « [il] formule donc pour les hommes le droit à la vie, le droit au travail, le droit à la propriété (…). S’il n’y avait toujours quelque chose de factice à appliquer à une période de l’évolution intellectuelle et sociale des termes qui n’ont apparu que plus tard, je dirais que le système de Billaud-Varenne est une sorte de collectivisme individualiste » [9].

Cette énonciation d’un « collectivisme individualiste » inscrit dans la pensée des « révolutionnaires démocrates extrêmes » du XVIIIe siècle marque, me semble-t-il, un tournant important dans la construction de « l’hypothèse socialiste » qu’élabore, philosophiquement et politiquement, Jaurès depuis 1892 et la soutenance de ses thèses, en particulier la thèse en latin, Les origines du socialisme allemand [10]. Deux textes postérieurs bien connus renforcent cette approche, le Discours prononcé le 21 novembre à la Chambre, intitulé « L’émancipation sociale des travailleurs » : « le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, dit Jaurès, le socialisme sort du mouvement républicain », et surtout l’article donné à la Revue de Paris, dirigée par Lavisse et dont le secrétaire de rédaction est Lucien Herr, « Socialisme et liberté ». Dans ce texte, sans doute l’un des plus connus, Jaurès souligne clairement l’abîme entre le « collectivisme et le socialisme d’État » et défend la « communisme moderne » comme héritier « du prodigieux mouvement capitaliste et de l’individualisme révolutionnaire » : « le socialisme, écrit-il, est l’affirmation suprême du droit individuel » et il précise sous forme programmatique : « l’éducation universelle, le suffrage universel, la propriété universelle, voilà, si je puis dire, le vrai postulat de l’individu humain. Le socialisme est l’individualisme logique et complet. Il continue, en l’agrandissant, l’individualisme révolutionnaire (…). La Révolution travaillait pour l’individu, mais contre la propriété individuelle, car les progrès techniques vont développer la grande production et monopoliser aux mains d’une nouvelle oligarchie la puissance industrielle, la puissance sociale. De là, au nom même de la Révolution ou au nom de l’individu, l’idéal communiste » [11]

Dernier point, enfin : dans ces pages profondes de l’Histoire socialiste…évoque, dans, à travers l’un des principaux acteurs de la « politique montagnarde de l’an II », une pensée révolutionnaire « extrême » et « radicale » ce qu’il nomme le « marxisme évolutionniste » de Vandervelde et de Kautsky. Je m’en tiendrai prudemment à Émile Vandervelde et à son livre, publié en 1898, Le socialisme en Belgique [12]. Vandervelde, député à la Chambre des représentants de Belgique et professeur à l’Université nouvelle de Bruxelles, expose les principes du Parti Ouvrier belge et y insère une lettre qu’il a publiée dans un journal conservateur catholique, en 1895, le Courrier de Bruxelles. Il y défend sa conception du « collectivisme » (toujours par opposition au « socialisme d’État » qui renvoie implicitement à la situation allemande) : « l’appropriation collective, écrit-il, n’est socialement utile que dans les branches d’industrie où la concentration des capitaux a fait disparaître la petite propriété, fondée sur le travail » et il évoque l’expropriation, pour cause d’utilité publique, des mines et du sous-sol, des grands moyens de production et de transport. Et, résumant le programme du Parti Ouvrier belge, il en rappelle quelques axes majeurs concernant les successions : 1° suppression de l’hérédité ab intestat, sauf en ligne directe et dans des limites à déterminer ; 2° impôt progressif sur les legs et donations entre vifs (sauf en cas de libéralités faites à des œuvres d’utilité publique) ». « Grâce, conclut-il, à cet impôt progressif, qui deviendrait de plus en plus sévère et absorberait une part de plus en plus grande des successions et donations entre vifs, l’État disposerait de ressources suffisantes pour augmenter progressivement le domaine collectif » [13]. Pour Jaurès, comme pour Vandervelde, les lois successorales constituent donc un dispositif majeur comme moyens de transition au véritable « collectivisme » et l’émergence d’une politique « socialiste ». Nul, en effet, ne peut aujourd’hui douter que les choix effectués en matière d’impôt sur les successions ne relèvent essentiellement de choix politiques de société, parfois radicalement antinomiques. On devra revenir sur cet aspect, l’un des moins connus sans doute, de la politique sociale de l’an II.

À la recherche d’une « politique sociale »…

L’hypothèse d’un projet cohérent de politique sociale élaboré en l’an II, en continuité, mais aussi en rupture, avec les pensées et actions d’extinction du paupérisme, des Lumières au moment « constituant » de la Révolution (1789-1791), ne fait guère consensus chez les historiens favorables à ce qu’on nomme (abusivement et schématiquement) le « jacobinisme ». Le « moment montagnard » (désignant tout aussi réducteur que le syntagme « jacobin ») pose un réel problème quant à son inscription dans les luttes pour la « Sociale », si prégnantes dans les révolutions du XIXe siècle : en caricaturant, si la « question sociale » est bien au cœur du projet babouviste, elle semble évanescente chez les « bourgeois » qui dominent la politique de l’an II. Cet an II, au mieux « le temps des anticipations » formulé par Ernest Labrousse, exceptionnel exégète de la pensée et de l’action jaurésiennes, s’est progressivement affadi, nourri des « contradictions du jacobinisme », en « rêve d’une Cité idéale », une utopie/uchronie (anachronie) qui ne contredit pas la réalité de la « révolution bourgeoise » [14]. Ayant déjà évoqué ce point aveugle de l’historiographie favorable à la Révolution (et au « moment » an II), placée, peu ou prou, dans le sillage de la pensée marxiste, je résumerai les arguments qui me semblent indispensables pour lever tout malentendu [15].

Nous savons tous que la « République sociale » est le mot d’ordre des révolutionnaires radicaux de 1848 et des Communards de 1871 : « Le cri de « République sociale », auquel la révolution de Février avait été proclamée par le prolétariat de Paris, n’exprimait guère qu’une vague aspiration à une République qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même », écrit Marx en 1871 et « La Commune fut la forme positive de cette République [16]. Mais, si la notion de « république sociale » est bien inscrite au cœur des luttes ouvrières du XIXe siècle, des canuts lyonnais, aux ouvriers anglais ou aux tisserands de Silésie, nous devons signaler que, à se placer dans la perspective d’une compréhension historienne, lorsqu’en l’an II (ou au début du « moment thermidorien ») les adresses envoyées à la Convention portent la mention « République une, indivisible et démocratique », le dernier qualificatif renvoie toujours à des thèmes proprement « sociaux », selon notre jugement contemporain [17]. Au demeurant, il est évident que les acteurs de la Révolution française n’ignorent pas la « question sociale », débat majeur des « philanthropes et réformateurs sociaux de la fin de l’Ancien Régime », diffusé, tant pas de multiples brochures ou ouvrages, que par les concours académiques si prisés des futurs membres des assemblées révolutionnaires [18]. Le droit du pauvre se trouve déjà clairement exprimé, comme le rappelle Catherine Duprat, par Montesquieu : « Quelques aumônes que l’on fait à un homme dans les rues ne remplissent point les obligation de l’État, qui doit à tous les citoyens uns subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé » [19]. Or, pour les juristes, hommes de lettres ou médecins qui, à la Convention, peuplaient les bancs de la Montagne, l’œuvre de Montesquieu demeure, tout autant que le strict rousseauisme dont on les pare souvent, un « flambeau », « immortel » [20]. Et, je l’espère, sans faire de contresens sur la formulation qui est autant « politique » que « sociale », il convient d’évoquer Robespierre, dans le premier numéro de son journal Le Défenseur de la Constitution (mai 1792). Attaquant violemment le « républicanisme » prématuré de Brissot et Condorcet en juillet 1791 et imputant à cette « légèreté » le massacre du Champ de Mars, Robespierre écrit : « Je suis républicain ! (…) Je n’aime pas plus Cromwel (sic) que Charles 1er ; et je ne puis pas plus supporter le joug des Décemvirs que celui de Tarquin. Est-ce dans les mots de république ou de monarchie que réside la solution du grand problème social ? » [21]. Même si, par ce syntagme de « problème social » Robespierre se réfère à l’exercice entier de la souveraineté populaire, à « l’égalité civile et politique », on ne peut nier, comme le démontre Jean-Pierre Gross, que Robespierre ait toujours lié liberté et égalité, tant politique que sociale. Ainsi, le 5 avril 1791, à propos du débat « Sur l’inégalité dans les successions » , il déclarait à la Constituante : « Toute institution qui tend à augmenter l’inégalité des fortunes est mauvaise et contraire au bonheur social. Je sais bien qu’il est impossible d’établir une égalité parfaite (…) [mais] L’égalité est la source de tous les biens : l’extrême inégalité est la source de tous les maux. C’est elle que suit les tyrans et les esclaves, les oppresseurs et les opprimés » [22].

Pourquoi la tradition marxiste, celle en tout cas par laquelle j’ai été formée, avec d’autres, au tournant des années 1960-1970, a-t-elle retenu avec force la fameuse « illusion » tragique qui induit que « la Révolution fut ratée » [23] ? Revenons sur ce « tournant de 1844 », qui marquerait la rupture de Marx avec la philosophie idéaliste allemande, pour ne retenir que les analyses concernant la Révolution française et, en particulier, la Convention dont, en 1843-début 1844, il veut écrire l’histoire [24]. Marx dénonce alors l’idée d’une « communauté morale » ignorant les aspirations et les intérêts de la « Masse réelle ». C’est pourquoi Jacobins/Montagnards sont tragiquement morts de leur « illusion politique ». « Robespierre, Saint-Just et leur parti ont succombé parce qu’ils ont confondu la société à démocratie réaliste de l’antiquité, reposant sur la base de l’esclavage réel, avec l’État représentatif moderne à démocratie spiritualiste, qui repose sur l’esclavage émancipé, sur la société bourgeoise. (…) Quelle colossale illusion ! » [25]. Notons tout de même que la critique, déjà perceptible, de la politique sociale de l’an II, était plus « nuancée » en août 1844, lorsque Marx publie dans Vorwärts ! « Gloses critiques en marge de l’article ’Le roi de Prusse et la réforme sociale’ par un Prussien » [26], au cœur de la révolte et de la répression des tisserands silésiens. S’inspirant directement des Mémoires du Conventionnel Levasseur (de la Sarthe) [27], Marx écrit : « La Convention eut un moment le courage d’ordonner la suppression du paupérisme (…) après avoir chargé le Comité de salut public d’élaborer les projets et les propositions nécessaires, et après que ce Comité eut utilisé les enquêtes minutieuses de l’Assemblée constituante sur la situation de la misère en France et proposé, par la bouche de Barère, l’établissement du Livre de la bienfaisance nationale, etc. Quelle fut la conséquence de cette ordonnance de la Convention ? Il y eut une ordonnance de plus au monde et, un an après, des femmes affamées assiégèrent la Convention. La Convention, c’était pourtant le maximum de l’énergie politique, du pouvoir politique et de l’intelligence politique » [28]. Mais Marx ne retient pas le commentaire que propose Levasseur des mesures prises autour de floréal an II : « Soyez justes avant tout, hommes qui gouvernez les nations, vous serez politiques ensuite si vous pouvez » dit le vieux Conventionnel et il conclut : « Tandis que la Convention procédait ainsi à des améliorations progressives de notre régime intérieur, le Comité de salut public songeait à terminer la Révolution » [29]. Là, s’observe indéniablement la rupture épistémologique majeure entre la dialectique historique marxiste et « l’idéal jacobin » dont Jean-Pierre Gross souligne la dimension de « libéralisme égalitaire » [30].

C’est ainsi la lecture de la thèse de Jaurès et de l’essai de Franck Fischbach, « Jean Jaurès et l’hypothèse socialiste » qui ont éclairé ma compréhension de certaines approches marxistes de la politique sociale de l’an II. De Fichte, dont nous savons qu’il fut le philosophe le plus proche de l’événement révolutionnaire français alors qu’il construisait son « système de la Doctrine de la Science, entre 1793 et 1797, Jaurès écrit : « Fichte dédaigne l’histoire, recherchant moins ce qui est ou a été que ce qui doit être (…). Son socialisme est moral, non pas historique. (…) Fichte, et par son ardent amour de la justice pure et par les généreuses impulsions de son âme, se rapproche bien plus des Français, qui en 1789 et en 1848, ont proclamé pour ainsi dire un Évangile de la justice, que de ces Allemands qui ont accepté la sévère dialectique historique de Karl Marx » [31]. Et Franck Fischbach commente ainsi le rapport de Fichte à la Révolution française : « son système est bien la philosophie de la Révolution, (…) au sens où sa philosophie n’est pas autre chose que la Révolution se pensant elle-même, ou la pensée de soi de la Révolution » [32]. C’est pourquoi il ne m’avait pas semblé incongru de m’appuyer sur certains concepts fichtéens pour établir l’édition critique des Principes régénérateurs… publiés par Billaud-Varenne en l’an III : « Il nous a semblé, écrivais-je, que le philosophe allemand et le révolutionnaire français s’étaient engagés dans une même recherche, trouver au problème politique une solution qui ne soit pas un « doux rêve », créer un espace public de réciprocité où seul commanderait à tous un droit conforme au droit naturel et dont la force serait ainsi ’l’assentiment général’ » [33]. Certains historiens, tel Jacques Guilhaumou, ont compris l’entreprise, d’autres, comme Claude Mazauric, l’ont trouvée « d’une audace dont on peut valablement mettre en question l’utilité » [34]. Mais, si, pour le philosophe allemand comme pour les législateurs français de cette fin du XVIIIe siècle, l’action politique « démocratique » s’inscrit dans la recherche « du bonheur et de la liberté », il convient de circonscrire mon propos à deux éléments essentiels de la pensée sociale de l’époque, l’émergence d’une nouvelle approche du droit de propriété, et l’affirmation d’une « bienfaisance nationale », fondement d’une « république véritable » : c’est pourquoi je me limiterai à ces deux problèmes et à cette « dernière période d’action sociale intensive » de la Montagne (pluviôse-prairial an II), comme le dit Catherine Duprat dans un découpage aussi fin que pertinent « des » politiques sociales de la Révolution française [35].

Repenser la propriété ?

Une évidence s’impose, au-delà de polémiques, parfois acerbes, sur le « libéralisme », l’« économie morale » ou encore « l’économie politique populaire » : ce « moment » de l’an II est pour moi le temps du « projet » pour « terminer la révolution » et fonder la République sur des institutions civiles (et démocratiques) [36].

Sans reprendre un catalogue, aussi pédagogique que fastidieux, de toutes les mesures sociales prises dans le domaine agraire en juin-juillet 1793 (partage des communaux, lotissement des biens nationaux, abolition totale de la féodalité), je renverrai aux spécialistes de l’histoire rurale révolutionnaire, de l’œuvre magistrale d’Anatoli Ado aux travaux de Florence Gauthier, Guy-Robert Ikni et bien d’autres [37]. On notera, en revanche, que les lois successorales, dont l’interprétation terme de « conception idéologique » de la propriété ne peut être mise en doute, n’ont guère retenu l’attention des historiens (et à peine, celle des historiens du droit). Pourtant, les lois des 5, 12 brumaire et 17 nivôse an II (26 octobre, 2 novembre 1793 et 4 janvier 1794) doivent retenir l’attention, au point que, pour certaines, elles subiront un effacement depuis l’an III et le Code civil napoléonien, jusqu’à 1975, voire 2005 [38]. Chacun peut mesurer, toutefois, les conséquences du droit successoral dans les politiques sociales menées, de la Constituante à l’apogée égalitaire de la Convention, politique étayée par des principes totalement à rebours du « malthusianisme social » bientôt dominant, qui entend « relativiser » le droit de propriété par des principes redistributifs. Les propositions de Billaud-Varenne qui servent de linéaments à mon propos, n’ont été ni soumises, ni adoptées par la Convention : pas de maximum des successions, pas « d’héritiers de la patrie », pas de « succession nationale », mais les lois de brumaire et nivôse an II imposent une totale égalité successorale, entre aînés et cadets, bien sûr, entre filles et garçons, enfants légitimes et illégitimes (sauf adultérins, certes). Ces lois, dont nul ne peut nier la radicalité révolutionnaire, sont en outre dotées d’un « effet rétroactif » au 14 juillet 1789 : on peut effectivement en déduire le « désordre des familles ». Les réclamations et contestations, en notant que celles-ci ne se multiplient vraiment qu’après thermidor an II et le renouvellement de nombre de représentants en mission, ce n’est nullement un hasard, tiennent une place centrale dans la déconstruction de la politique de l’an II, en messidor-fructidor an III [39].

En simplifiant à l’extrême, observons que les décrets des 8 et 13 ventôse (26 février et 3 mars 1794) présentés par Saint-Just à la Convention sont un point majeur des controverses sur la Révolution française. Publiant, en 1993, un manuel de synthèse sur la période, Jean-Pierre Jessenne (fin connaisseur de l’histoire sociale) présentait « un exemple de débat historiographique : le sens de la politique sociale de l’an II », centré sur les interprétations divergentes des décrets de ventôse, de Jaurès à Mathiez, Lefèbvre, Soboul, Jean-Paul Bertaud, François Furet et, enfin, à l’article que j’avais rédigé pour le Dictionnaire historique de la Révolution française [40]. Opportunisme ou cohérence, interrogeait J.-P. Jessenne ? Et, concluait-il, « le choix est largement illusoire ; le propre des périodes révolutionnaires et de rupture n’est-il pas justement de susciter une incessante dialectique de confrontation et d’ajustement entre les principes et la pratique politiques », mais « la question des liens entre le combat pour l’égalité et la nature du régime politique susceptible de mener ce combat demeure d’une actualité jamais démentie ». Résumons donc ce débat majeur. Jaurès aborde assez longuement les décrets de ventôse an II dans l’Histoire socialiste de la Révolution française [41]. Mettant l’accent sur la dramatique « lutte des factions » et l’offensive contre les Cordeliers (« exagérés », « hébertistes »), il parle d’un « expédient d’égalité révolutionnaire », formule abrupte et qui peut sembler rédhibitoire, mais sa lecture est plus complexe, voire contradictoire, puisque cet « expédient » « préparera et annoncera les institutions de justice, les institutions sociales sans lesquelles la Révolution n’aurait point de base » [42]. Par ailleurs, Jaurès insiste sur la mise en perspective des décrets de ventôse par de nombreuses références aux Fragments sur les Institutions républicaines de Saint-Just, dont il ne connaît, évidemment, que la publication très « remaniée » de 1800 [43]. Georges Lefèbvre, en 1932, dans le premier chapitre de son livre Questions agraires au temps de la Terreur, durcit encore le jugement jaurésien [44] : focalisant son attention sur le « poids des circonstances » (qui, certes, n’est pas neutre), il juge les décrets de ventôse « insuffisants en tant que programme agraire », plus une « manœuvre politique » qu’un projet, au demeurant bientôt « noyés dans une loi d’assistance » (la loi du 22 floréal sur la Bienfaisance nationale), Barère jouant, comme à l’habitude, le rôle du politicien roué. C’est, avec des variantes, cette approche qui a inspiré Albert Soboul, Jean-Paul Bertaud et d’autres historiens, peu suspects d’hostilité aux « Jacobins » (contrairement à l’interprétation furétienne).

Albert Mathiez, pourtant, avait, en 1928 décelé un fil conducteur (une « cohérence » ?) dans la politique sociale menée de ventôse à floréal an II. Dans un article, repris sous le titre, avouons-le, particulièrement malencontreux, « La Terreur, instrument de la politique sociale des Robespierristes » dans le volume Girondins et Montagnards [45]. Citant en exergue la phrase de Saint-Just « la force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n’avons pas pensé » (Rapport « Sur les personnes incarcérées », 8 ventôse), Mathiez est sans doute l’historien qui a le mieux compris et intégré « l’hypothèse socialiste » jaurésienne : la « force des choses » ne se réduit pas aux circonstances, difficultés de la guerre, grave crise politique et sociale, mais fait écho à ce qu’écrit le philosophe dans sa thèse de 1892 : « Si l’homme comprend le véritable cours des choses, il l’aide et le précipite, et il est vraiment révolutionnaire. Si au contraire, il ne comprend pas le vrai procès des choses, il lui fait obstacle et, même en vivant au milieu des séditions et des ardeurs de rénovation, il est réactionnaire » [46] . Mathiez forçait certainement le trait (dans la continuité de sa brochure Le bolchévisme et le jacobinisme, publiée en 1920) en évoquant « l’expropriation d’une classe au profit d’une autre », mais la question qu’il posait était heuristiquement pertinente : « La Révolution politique allait-elle donc s’achever en Révolution sociale ? en Révolution universelle ? » [47]. Albert Mathiez, quoiqu’en demi-teinte, associait donc, dans une cohérente politique sociale, décrets de ventôse, Rapport programmatique présenté par Billaud-Varenne le 1er floréal an II (20 avril 1794), Rapport de Robespierre du 18 floréal (7 mai 1794), insistant sur l’inclusion dans les cérémonies décadaires d’une fête « Au malheur », enfin Rapport et décret proposés par Barère, le 22 floréal (11 mai), « Sur le moyen d’extirper la mendicité dans les campagnes, et sur les secours que doit apporter la République aux citoyens indigens ». J’ai, comme le souligne Jean-Pierre Jessenne, sans doute développé à l’excès cette thèse de la cohérence, parce que j’ai fait, depuis longtemps dans ma recherche, du Rapport de Billaud-Varenne (au nom du comité de Salut public) le point central du programme démocratique d’un certain nombre de « Montagnards » [48], le moment où, après « le drame de germinal » (A. Soboul), l’ouverture de l’avenir semble possible, comme en témoigne le bref décret rédigé au futur : « La Convention nationale, (…) appuyée sur les vertus du Peuple français, (…) fera triompher la République démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis » [49]. Établissant un lien fort entre les décrets de ventôse et la législation à venir sur la « bienfaisance nationale », Billaud déclare : « La République est la fusion de toutes les volontés, de tous les intérêts, de tous les talents, de tous les efforts, pour que chacun trouve dans cet ensemble d ressources communes, une portion de bien égale à sa mise. Prétendre au-delà, c’est être injuste ; s’emparer, c’est devenir coupable. Une seule exception est légitime, celle qui réclame en faveur des infirmités, de la vieillesse, des revers imprévus. Citoyens, nous avons promis d’honorer le malheur, il sera bien plus beau de le faire disparaître » [50]. Écho de la fulgurante formule énoncée par Saint-Just, le 8 ventôse : « Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre ; les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour tous les malheureux » [51]. Georges Lefèbvre, puis Albert Soboul, ont souligné le flou des désignants sociaux « malheureux », « pauvres », « indigents » etc. Mais, si comme il semble de bonne méthode de restituer « des contextes d’énonciation dénonciation des argumentaires et de l’outillage mental des acteurs » [52], les contemporains percevaient fort bien qui constituait « la classe immense du pauvre ». Au demeurant, le comité de Salut public n’était pas isolé dans cette entreprise d’action sociale, Jean-Pierre Gross l’a montré avec pertinence et érudition, analysant finement les politiques menées par des représentants en mission montagnards dans le Sud-Ouest : nombre d’entre eux, Baudot, Bo, Romme, Roux-Fazillac, Dartigoeyete par exemple, avaient anticipé les mesures de séquestre des biens des suspects et approuvaient totalement les décrets de ventôse [53].

Inapplicables, les décrets de ventôse ? Le tri des suspects entre « patriotes » injustement incarcérés et « personnes reconnues ennemis de la Révolution » était, certes, une opération à moyen terme (comme, au demeurant, l’élaboration des tableaux du maximum l’avait été), mais la recension des « patriotes indigents » pouvait se heurter, Barère le souligne dans le Rapport du 22 floréal an II (11 mai 1794), aux « bruits répandus par des malfaisans pour faire croire aux habitans des campagnes que le but de ces états est de faire connoître les indigens, pour les transporter à la Vendée, ou pour les mettre en état de réclusion » [54]. Inappliqués, ces décrets de ventôse ? Nuançons ce jugement rapide. Dans certains départements, le Puy-de-Dôme ou la région du Sud-Ouest déjà citée, le séquestre fut parfois effectué avant tout jugement des suspects. L’exemple du Haut-Doubs, récemment étudié par Danièle Pingué, confirme que certaines communes ont méticuleusement établi les tableaux des « patriotes indigents », ces mêmes communes qui vont d’ailleurs accueillir très favorablement la loi du 22 floréal an II [55]. On ne peut donc douter du lien établi par les contemporains entre décrets de ventôse et loi de la Bienfaisance nationale [56]. Que les décrets de ventôse aient été subrepticement abrogés le 11 brumaire an III (1er novembre 1794), au moment où la Convention précise et définit sa politique de « sortie de la Terreur », où les « suspects » sont libérés en masse, témoigne de leur importance reconnue et crainte dans le dispositif de politique sociale de l’an II, désormais globalement qualifié de « système de terreur ». En revanche, la Convention n’osait pas immédiatement remettre en cause la politique des secours publics, affirmée par l’article XXI de la Déclarations des droits de la Constitution de juin 1793 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».

La Bienfaisance nationale, ou la « morale en action »

Reprenant, en l’an III, le leitmotiv de la « révolution totale », Billaud-Varenne écrit : « Il faut que la révolution devienne à la fois morale et matérielle » et, plus loin : « ce n’est pas une tâche si difficile que de mettre en action la morale, que de la donner pour base à la politique ainsi qu’à toutes les opérations du gouvernement » [57]. Pour comprendre les enjeux de la politique sociale de l’an II, il faut évidemment insister sur les concepts forts de « dette sociale », de « don », de « secours réciproques : « la société est un échange journalier de secours réciproques », déclare Billaud dans le Rapport du 1er floréal, « et celui-là n’est pas bon citoyen dont l’âme ne s’épanouit pas quand il trouve l’occasion d’obliger son semblable » [58]. La thèse de Catherine Duprat a totalement renouvelé l’approche de l’œuvre sociale de la Révolution française, marquant bien ses moments et ses dynamiques intellectuelles et idéologiques [59], thème qui n’était, en général, qu’effleuré en termes souvent peu flatteurs pour la politique dite « jacobine » : « L’action sociale des philanthropes et démocrates, cette fois confondus [du Directoire aux années 1840, je résume grossièrement], ne devait plus être évoquée qu’en termes de vains projets, discours en trompe l’œil, chimères, lois inapplicables et inappliquées. S’est ainsi trouvé occulté et travesti ce dont philanthropes et démocrates faisaient l’axe central de la Révolution, son œuvre sociale et ses ’institutions civiles’, fondements de la cité régénérée » [60]. Inscrivant son étude dans une approche très fine des multiples réflexions et propositions des philanthropes des Lumières, elle passe au crible le travail considérable mené par le comité de Mendicité de l’Assemblée constituante et les Rapports de son président, le duc de Liancourt, et récuse l’approche banalisée de la « Révolution et des pauvres » [61]. Catherine Duprat montre avec pertinence que cette politique fut « celle d’un libéralisme social, (…) aux antipodes de la conception de l’’État-Providence’ dont une légende tenace veut que le Comité se soit fait l’initiateur » [62]. En revanche, sont soulignés les innombrables gestes de dons « civiques » des particuliers, encouragés par la presse, le relais des sociétés populaires, les représentants en mission, alors que la Convention nationale alloue des secours aux défenseurs de la patrie et à leurs familles, aux dkverses catégories de citoyens et citoyennes « indigents » : l’assistance, écrit l’auteur « est devenue une priorité politique nationale » [63].

Déjà, les décrets du 19 mars 1793 (le Montagnard Bo étant rapporteur) et surtout celui du 28 juin 1793, adopté sur la proposition du Montagnard Maignet, quatre jours après la Constitution et la Déclaration des droits du 24 juin, avaient défini les grands principes de l’action sociale montagnarde, assistance aux non-valides et vieillards, soins médicaux à domicile, mais surtout « à l’enfance et la famille », « propositions particulièrement novatrices » [64] : les « filles-mères » sont traitées, pour les secours versés, comme les mères et veuves allaitant, ou chargées d’ enfants en bas âge (jusqu’à trois ans).. Cette loi pose, en pratique, les fondements des secours à domicile et d’une assistance qui assimile les mères célibataires aux femmes mariées ou aux jeunes veuves. Mais, compte tenu, tout de même, des insurrections et guerre civiles du second semestre de 1793, puis de l’organisation (le 14 frimaire an II-4 décembre 1793) du Gouvernement révolutionnaire privant les autorités départementales, suspectes de « fédéralisme », de la plupart des attributions (y compris en matière de « secours publics »), la loi du 28 juin fut très inégalement, irrégulièrement, voire pas appliquée. C’est la raison pour laquelle, dès pluviôse an II, des circulaires impératives étaient adressées aux agents nationaux des districts, leur signifiant l’obligation d’appliquer les lois et de verser les secours aux indigents. Le 13 pluviôse an II (1er février 1794), dix millions de livres étaient alloués aux communes pour secourir les familles indigentes.

C’est Barère, au nom du comité de Salut public (et non un membre du comité des Secours publics, pourtant alors dominé par les Montagnards) qui, pour mieux souligner la complémentarité avec les décrets de ventôse, présente à la Convention, le 22 floréal an II, le vaste programme d’assistance dans les campagnes (la France compte alors, environ, 85% de ruraux) et annonce la création d’un grand Livre de la Bienfaisance nationale. D’emblée, il s’inscrit dans la continuité de ventôse : « Je viens exciter de nouveaux votre patriotisme, déclare-t-il aux Conventionnels, et vous rappeler le plus saint de vos devoirs. Je vais vous parler des indigens dont le spectacle afflige encore la République. Il y a peu de jours, vous applaudissiez à ces paroles :’ ’Les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernemens qui les négligent » [65] et il précise, plus loin, « Les comités de Salut public et de Sûreté générale ont reçu, en vertu du décret des 8 et 13 ventôse (sic), environ quarante mille décisions des comités révolutionnaires sur les détenus et ils se flattent qu’avant six semaines, ils vous feront connoître le tableau nominatif de la population indigente de la toute la République [66]. Ne nous étonnons pas de voir Barère rapporteur de ce grand travail, pas simplement parce qu’il est le porte-parole « habituel » du comité de Salut public, mais parce qu’il est un excellent connaisseur des vues philanthropiques exposées depuis les années 1770, ancien membre du comité de Mendicité de la Constituante et lui-même précocement et fortement engagé dans ce combat [67]. Ce Rapport, souligne Catherine Duprat, est à la fois un « exposé doctrinal », un « projet politique » et « l’annonce d’une création d’institution » [68]. Résumons brièvement le très riche Rapport et le long décret qui le suit. Sont décidés des secours et pensions aux vieillards et infirmes, agriculteurs et artisans, aux mères et aux veuves chargées d’enfants. Les pensions aux « vieillards » (plus de 60 ans pour les cultivateurs, 65 ans pour les professions des « arts mécaniques », ayant travaillé 20 ans, pour les premiers, 25 ans pour les autres) sont de 160 à 120 livres (par an), dotation limitée à 400 agriculteurs et 200 artisans par département dont la population rurale dépasse 100 000 habitants. Les mères (allaitantes) et les veuves chargées d’enfants peuvent recevoir 60 livres, leur nombre étant limité à 500 par département. Enfin, des officiers de santé munis de « boîtes à pharmacie », sont aussi destinés à assurer des secours à domicile [69]. Mais plus que le montant global de ces secours, respectueux de la dignité du « pauvre », évalué par Barère à la somme, finalement assez modique, de 13,5 millions de livres, c’est la « signification politique » qui est évidemment fondamentale [70].

Finalement, la loi du 22 floréal an II ne fut rapportée qu’en l’an V, sous le Directoire, mais le travail récent d’Armelle Ponsot illustre, pour le département de la Seine-Inférieure, le « long et patient travail des districts » pour sa mise en œuvre [71]. Et Barère lui-même, alors dans la clandestinité, mais élu au Conseil des Cinq-Cents en germinal an V, élection évidemment invalidée en prairial an V (mai 1797), publiant De pensée du gouvernement républicain [72], consacre le chapitre XX de son opuscule aux « Institutions » (« républicaines », précise la table des matières). Il évoque avec émotion la « fête du malheur » célébrée à Rouen, en floréal an III, « des vieillards indigens des campagnes, des mères nombreuses de famille, rassemblés » et il interroge : « Pourquoi des impressions si bienfaisantes sont-elles devenues stériles... ? » [73]. Barère avait compris le tournant pris par la Révolution française : des « secours publics », certes, la « scolarisation » et la vaccination obligatoires pour les enfants des indigents inscrits sur les rôles, mais la négation de la « dette sociale », la politique du « Peu donner, mais bien donner », liée au contrôle social, la fin de la société des « secours réciproques » [74], de la « fraternité » de ce qui demeure, quoiqu’on dise, le souvenir de la première « Sociale ».

Que conclure brièvement après ce trop long, et sans doute fastidieux, développement ? La parole revient, sans aucun doute, à Victor Hugo parvenu, en 1874, au terme radical de son évolution politique et de son immense poétique : la Convention, écrit-il dans Quatrevingt-treize ; « déclarait l’indigence sacrée ; elle déclarait l’infirmité sacrée dans l’aveugle et dans le sourd-muet devenus pupilles de l’État, la maternité sacrée dans la fille-mère qu’elle consolait et relevait, l’enfance sacrée dans l’orphelin qu’elle faisait adopter par la patrie, l’innocence sacrée dans l’accusé acquitté qu’elle indemnisait. Elle flétrissait la traite des noirs ; elle abolissait l’esclavage. Elle proclamait la solidarité civique. Elle décrétait l’instruction gratuite » [75]. Le jeune Jaurès connaissait, avant d’être « socialiste », les combats du plus célèbre sénateur de Paris en faveur de l’amnistie des Communards. Et, comme l’écrit Maurice Agulhon dans sa « Préface » à la thèse de Catherine Duprat, « qui peut nier que les Misérables aient, dans l’histoire morale de notre pays, procuré plus de recrues au camp du socialisme humanitaire qu’à celui de l’Ordre conservateur ? » [76]. Poursuivant, politiquement, un peu plus du « côté gauche », je renverrai à l’introduction aux actes du Colloque organisé en juin 2008 par le Collectif « L’esprit des Lumières et de la Révolution » : La réinscription du politique dans les problématiques du droit naturel moderne, travaillées par le mouvement populaire et le débat d’assemblée, a ouvert des pistes fécondes. L’approche de la question républicaine a gagné en complexité en sortant du débat sur les formes du gouvernement pour s’attacher aux principes qui définissent ce qu’est une société véritablement libre et juste et comment la réaliser » [77]. Ou, pour le dire autrement, avec Jean-Pierre Gross, « L’idéal jacobin, débarrassé de sa gangue, apparaît ainsi fidèle à lui-même : à la fois consécration de l’individualisme bourgeois, critiqué par Marx, mais prôné par Tocqueville, et validation du préalable social, critiqué par Tocqueville, mais prôné par Jaurès : seul l’amalgame de ces deux conditions pouvant assurer le bonheur de la société » [78]. C’est la raison pour laquelle Jaurès, s’il affirmait qu’il aurait siégé aux côtés de Robespierre, pouvait à la fois entendre les propositions de Condorcet et celles de Billaud-Varenne : « Vous devinez qu’entre notre conception socialiste et la conception bourgeoise des démocrates, les plus républicains, déclare-t-il à Denain en 1903, il y a souvent une terrible distance (…) ; [mais si] par la loi où l’État laïque, la société laïque, au lieu d’abandonner ignominieusement à l’Église le soin des malades, les soins des vieillards, aura pris sur elle ce qui est son devoir : assurer la vie des orphelins, des vieillards et des pauvres ; si cela est entendu, la lutte contre la congrégation nous aura conduit bientôt à la lutte contre la servitude et contre la misère » [79]. La compréhension de la politique sociale de l’an II est bien, ici, inscrite.


[1. Un indicateur peut se relever dans la distribution thématique des vingt-sept communications présentées au colloque international de Rouen de janvier 2007 : trois communications sont essentiellement consacrées, non à l’histoire sociale, mais à la mise en œuvre de la « politique sociale » de l’an II. Voir Michel Biard, dir., Les politiques de la Terreur 1793-1794, Presses universitaires de Rennes et Société des études robespierristes, 2008.

[2. Voir infra Jean-Numa Ducange, « Fonder le républicanisme socialiste : Jean Jaurès et la Révolution française », p. …

[3. Histoire Socialiste (1789-1900), sous la direction de Jean Jaurès, par Jean Jaurès, Jules Guesde, Gabriel Deville, Brousse, Turot, Viviani, Fournière et Rouanet, Millerand, Andler et Herr, Jean Jaurès, Dubreuilh, John Labusquière, Gérault-Richard, Jean Jaurès (conclusion), nombreuses illustrations, Paris, Jules Rouff et Cie éditeurs, 1901-1908. Sur cette vaste entreprise politique et scientifique, voir, outre l’avant-propos de Madeleine Rebérioux, « Le Livre et l’Homme » à la réédition Soboul, l’article de Bruno Antonini, « Jaurès historien de l’avenir : gestation philosophique d’une « méthode socialiste » dans l’Histoire socialiste de la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, n° 337, juillet-septembre 2004, p. 117-142.

[4. Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, éd. revue par Albert Mathiez, Paris, Librairie de « l’Humanité, 1922-1924, huit volumes ; Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française, éd. par Albert Soboul, préface d’Ernest Labrousse, avant-propos par Madeleine Rebérioux, Paris, Éditions sociales, 1968-1973, 6 volumes + 1 volume d’index.

[5. Elémens du Républicanisme,, Paris, Patris imp., an I, 132 p. Voir AN. AD XVIIIA 8, BnF, 8° LB41 2383. Le texte a été publié dans Archives Parlementaires, 1re série, t. LXVII, Paris, 1905, p. 220-246. Il a été repris dans Le Cahier du Collège international de philosophie, n° 7, Paris, Osiris, 1989, suivi des pages de Jaurés et de deux articles de Myriam Revault d’Allonnes et de Marc Richir, qui ne s’intéressent guère au projet social décliné par Billaud. ; il est disponible en version numérisée sur http://gallica.bnf.fr/ark&nbsp ; :/12148/bpt6k85390f.

[6. HSRF, éd. A. Soboul, op. cit., t. VI, p. 53-66.

[7. Ibid., p. 60.

[8. Pour Le Peletier, voir Robespierre, Œuvres, tome X, Paris, PUF, 1967, p. 32-33 et Billaud-Varenne, Elémens du Républicanisme, op. cit., p. 128.

[9.Voir tome IV, p. 1510, de l’édition originale (1903) et t. VI, p. 64, de l’édition Albert Soboul.

[10. Jean Jaurès, Les origines du socialisme allemand, suivi de « Jean Jaurès et l’hypothèse socialiste » par Franck Fischbach, Toulouse, Librairie Ombres blanches, collection Rue des Gestes, 2010. L’étude de Franck Fischbach

est particulièrement stimulante (p. 101-156). J’oserai, pour ma part, parler à propos de ce concept de « collectivisme individualiste », du premier jalon de la « synthèse » jaurésienne du « socialisme républicain ».

[11. Le texte est disponible sur le site http://www.jaures.info/dossiers/dossiers.php..., 21 pages, voir p. 9 et 10.

[12. Jules Destrée et Émile Vandervelde, Le socialisme en Belgique, avec un appendice sur le socialisme belge par Deutscher, Paris, V. Giard et E. Brière, 1898

[13. E. Vandervelde et J. Destrée, op. cit., p. 293-296.

[14. Camille-Ernest Labrousse, La crise de l’économie française à la fin de l’Ancien régime et au début de la Révolution…, I, thèse de Lettres, Paris, 1939, publiée Paris, PUF, 1944 (voir l’introduction). Sur les quelques pages consacrées à la politique sociale de l’an II sous ce titre de paragraphe « Le rêve d’une Cité idéale », Michel Biard et Pascal Dupuy, La Révolution française. Dynamiques, influences, débats (1787-1804), Paris, Armand Colin, coll. U, 2004, p. 89-93.

[15. Sur les historiens « progressistes » et la pensée marxiste de la Révolution française, voir Claude Mazauric, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, Paris, PUF, coll. Actuel Marx confrontations, 2009 et Julien Louvrier, « Marx, le marxisme et les historiens de la Révolution française au XXe siècle », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 109, 2007, p. 147-167.

[16. Karl Marx, La guerre civile en France, mai 1871, trad.., Paris, Édition sociales, 1952, repris dans Marx-Engels, Œuvres choisies, Moscou, Éditions du Progrès, 1955, tome 1, p. 551.

[17« Démocratique », souligné par moi. On peut consulter les volumes des Archives Parlementaires, 1re série, 1787-1799, dont j’ai assuré la direction de publication, du tome XCII (messidor an II) au tome CII (1er au 12 brumaire an III), Paris, CNRS Éditions, 1980-2012 et, bien sûr la série C des Archives Nationales (AN).

[18. La référence essentielle est ici Catherine Duprat, Le temps des philanthropes. La philanthropie parisienne des Lumières à la monarchie de Juillet, XXVII + 2 200 p. thèse d’État, sous la direction de Maurice Agulhon, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, juin 1991. Le premier volume a été publié sous le titre « Pour l’amour de l’humanité ». Le temps des philanthropes, Paris CTHS, 1993, XXXIV + 486 p. ; deux autres volumes reprenant la suite de la thèse ne se limitant pas au XIXe siècle, mais offrant, en de riches chapitres de synthèse, une vue d’ensemble des approches politiques et actions sociales du paupérisme, des Lumières au début des années 1840, sont parus sous le titre Usage et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social à Paris…, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 1996-1997, XIII + 1 395 p. Trop longue lecture, sans doute, qui fait que la « politique sociale » de l’an II est traitée en « vue cavalière » par les manuels récents d’histoire de la Révolution française.

[19. Montesquieu, De l’Esprit des lois, livre XXIII, chap. XXIX « Des hôpitaux » (1748), cité par Catherine Duprat, Le temps des philanthropes…, op. cit., Paris, 1993, p. 292.

[20. Voir Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du sytême social (an III), Introduction et notes par Françoise Brunel, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992, p. 30-31.

[21. Maximilien Robespierre, Œuvres complètes, t. IV, éd. Gustave Laurent, Nancy, G. Tomas, 1939, p. 9.

[22. Maximilien Robespierre, Ibid., t. VII, éd. Marc Bouloiseau, Georges Lefèbvre, Albert Soboul, Paris, PUF, 1952, p. 181 (débat sur les successions des biens ci-devant nobles). Voir Jean-Pierre Gross, « Robespierre, militant des droits de l’homme et du citoyen », Robespierre. Portraits croisés, Michel Biard et Philippe Bourdin dir., Paris, Armand Colin, 2012, p. 60.

[23. Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille ou Critique de la Critique critique. Contre Bruno Bauer et consorts, février 1845, édition française, Paris, Éditions sociales, 1969, p. 103-104.

[24. Sur ce problème, nous nous permettons de renvoyer à notre article, Françoise Brunel et Jacques Guilhaumou, « Extrême, extrêmes : réflexions sur Marx, le côté gauche et les Montagnards », Extrême » ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe (XVIIIe – XXe siècle, sous la direction de Michel Biard, Bernard Gainot, Paul Pasteur, Pierre Serna, Rennes, PUR, 2012, p. 95-106.

[25. Marx et Engels, La Sainte Famille, op. cit., p. 148.

[26.Nous utilisons la traduction de Lucien Calvié, dans François Furet, Marx et la Révolution française…, Paris, Flammarion, 1986, p. 156-162.

[27. Les Mémoires de René Levasseur ont été publiés à Paris, 4 volumes, 1829-1831. Voir la réédition des Mémoires de R. Levasseur (de la Sarthe), ex-Conventionnel par Christine Peyrard, Paris, Messidor / Éditions sociales, 1989.

[28François Furet et Lucien Calvié, op. cit., p. 158.

[29Mémoires de R. Levasseur…, op. cit., p. 471.

[30. Jean-Pierre Gross, Fair Shares for All : Jacobin Egalitarism in Practice, Cambridge, 1997, traduction française, revue et corrigée par l’auteur, Égalitarisme jacobin et droits de l’homme, 1793-1794 (La Grande famille et la Terreur), Paris, Arcantères, 2000.

[31. Jean Jaurès, Les origines du socialisme allemand, op. cit., p. 66-67.

[32. Ibid., p. 111-112.

[33. Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du systême social, op. cit, introduction par Françoise Brunel, p. 38.

[34. Voir le compte rendu de cet ouvrage par Claude Mazauric, dans AHRF, 1994, n° 297, p. 620.

[35. Catherine Duprat, Le temps des philanthropes…, op. cit., Paris, CTHS, 1993, p. 342.

[36. Sur ces polémiques, voir AHRF, 2008, n° 352, Les temps composés de l’économie, l’article de Dominique Margairaz et Philippe Minard, « Marché des subsistances et économie morale : ce que « taxer » veut dire », p.76-78 en particulier ? Le concept « d’économie morale » vient, on le sait d’Edward P. Thompson dont l’article fondamental, publié en 1971 dans Past and Present, a été traduit et présenté dans le recueil collectif dirigé par Florence Gauthier et Guy-Robert Ikni, La guerre du blé au XVIIIe siècle, Montreuil, Les Éditions de la Passion, 1988. « Économie politique populaire » se rencontre dans le discours de Maximilien Robespierre du 10 mai 1793. On comprendra pourquoi je n’évoquerai pas la « politique du maximum » et m’en tiendrai à ce que je connais le « moins mal ».

[37. L’histoire rurale est, sans nul doute, un domaine de recherche qui se porte bien dans l’histoire sociale de la Révolution française. Hommage doit être rendu à Anatoli Ado, dont la thèse magistrale Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie 1789-1794, publiée à Moscou en 1971, n’a été finalement traduite et publiée en France qu’en 1996 (après le décès d’A. Ado). Tous les historiens de la Révolution française sont redevables à Albert Soboul, puis Michel Vovelle qui, après nous avoir fait connaître la (les) thèse(s) d’Anatoli Ado, se sont tous deux évertués à faire publier ce travail majeur en français, Paris, Société des Études robespierristes, 1996.

[38. Sur le droit successoral, délaissé par les historiens, voir les historiens du droit, Marcel Garaud et Romuald Szramkiewicz, La Révolution française et la famille, Paris, PUF, 1978 et, entre autres articles du même auteur, Jean Bart, « Les anticipations de l’an II dans le droit de la famille », AHRF, 1995, n° 300, p. 187-196.

[39. Sur ce point, voir Françoise Brunel, « Partis politiques en Révolution », La Pensée, n° 246, 1985, p. 113-123, Françoise Brunel, « Une extrême minorité ne prouve pas le tort… sur quelques derniers Montagnards , ou l’an II en l’an III », Minorités politiques en Révolution, 1789-1799,sous la direction de Christine Peyrard, Aix , Publications de l’Université de Provence, 2007, p. 63-76 et Suzanne Desan, « Reconstitution the Social after the Terror : Family, Property, and the Law in Popular Politics », Past and Present,, n° 164, 1999, p. 81-121 er son livre essentiel, The Family on Trial in Revolutionary France. Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 2004. Le livre est fondé sur les conflits issus des nouvelles lois successorales, d’après les papiers du comité de Législation (série D III des Archives nationales).

[40.Jean-Pierre Jessenne, Révolution et Empire, 1783-1815, coll. Histoire de la France, Paris, Hachette, 1993, p. 160. Voir Albert Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, sous la direction de Jean-René Suratteau et François Gendron, Paris, PUF, 1989, article « Décrets de ventôse » (F. Brunel), p. 1081-1083.

[41. HSRF, op. cit. , tome VI, p. 396-406.

[42Ibid., p. 398.

[43. Sur les diverses éditions du manuscrit inachevé de Saint-Just, voir la mise au point dans Saint-Just, Œuvres complètes, édition par Anne Kupiec et Miguel Abensour, Paris, Gallimard, collection Folio histoire, 2004, p. 1085 et suivantes.

[44. Georges Lefèbvre, Questions agraires au temps de la Terreur, 2e édition revue et augmentée, Collection de documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution française (la « commission Jaurès »), Pothier, La Roche-sur-Yon, 1954, p. 1-57.

[45. Albert Mathiez, « Les décrets de ventôse sur le séquestre des biens des suspects et leur application », AHRF, 1928 et Girondins et Montagnards, Paris, Firmin Didot, 1930, chap. V, p. 109-138.

[46. Jean Jaurès, Les origines du socialisme allemand, op. cit., p. 91.

[47. Mathiez vient de citer la fameuse formule de Saint-Just dans le Rapport du 13 ventôse « Sur le mode d’exécution du décret contre les ennemis de la Révolution » : « Le bonheur est une idée neuve en Europe ! ». Voir Saint-Just, Discours et rapports, édition Albert Soboul, Paris, Éditions sociales, 1957, p. 150. Nos références aux Rapports de Saint-Just et aux décrets de ventôse sont extraites de cette édition.

[48. Les désignants politico-historiographiques constituent un mur opacifiant dans une démarche de retour aux textes, qu’il s’agisse de « robespierristes » (le mot est franchement « thermidorien »), de « Jacobins » et de « Montagnards. Ceci étant, en ce qui concerne la « politique sociale », l’historien(ne) doit trouver des qualificatifs intelligibles à tous. Sur l’action sociale la plus « avancée » proposée en l’an II, l’historien Robert R. Palmer (peu suspect de « jacobino-léninisme ») identifiait, pour sa part, un « trio » au sein du comité de Salut public, soudé par une nouvelle approche du droit de propriété et favorable à une « révolution sociale » : Saint-Just, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, Twelve Who Ruled…,, Princeton, Princeton University Press, 1941, p. 285, traduction française Le Gouvernement de la Terreur. L’année du comité de Salut public, Paris, A. Colin, 1989, p. 253-254.

[49. Archives Parlementaires, 1re série, tome LXXXIX, Paris, CNRS, 1971, p. 100. Le Rapport présenté par Billaud-Varenne, se trouve aux pages 94-101.

[50. Ibid., p. 100.

[51. Saint-Just, Discours et Rapports, op. cit., « Sur les personnes incarcérées », 8 ventôse an II, p. 145.

[52. Dominique Margairaz et Philippe Minard, op. cit., AHRF, 2008, n° 352, p. 78.

[53. Jean-Pierre Gross, Égalitarisme jacobin et droits de l’homme…, op. cit., p. 256-266.{}

[54. Bertrand Barère, Premier rapport… Sur le moyen d’extirper la mendicité dans les campagnes, et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigens, op. cit ;, Archives Parlementaires, tome XC, Paris, CNRS, 1972, p. 248. Le Rapport et le décret sont reproduits p. 246-259.

[55. Danièle Pingué, « Secours publics et bienfaisance nationale dans les campagnes franc-comtoises », Les politiques de la Terreur, op. cit., p. 321-330.

[56. Je suis ici en total désaccord avec Michel Biard et Pascal Dupuy, La Révolution française…, op. cit., p. 91 : « Le 22 floréal an II (…), un vaste programme d’assistance aux pauvres, présenté à la Convention par Barère, se contente d’évoquer les biens nationaux encore invendus et ne mentionne pas les décrets de ventôse ».

[57. Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du systême social, op. cit., p. 82 et 92 et les notes de mon édition critique..

[58. Billaud-Varenne, op. cit., Archives Parlementaires, tome LXXXIX, p. 99. Je dois exprimer ma reconnaissance à Catherine Duprat pour les longs et riches échanges intellectuels que nous avons eus sur la Montagne et la question sociale.

[59. Catherine Duprat, Le temps des philanthropes…, op. cit. Je vais citer ici le tome I, Paris, CTHS, 1993.

[60. Ibid., p. 210.

[61. Alan Forrest, La Révolution et les pauvres (1981) traduction française, Paris, Perrin, 1986 : l’historien britannique, quoique favorable à la Révolution française, reprend, de fait, les clichés de la littérature « contre-révolutionnaire ».

[62. Catherine Duprat, op. cit., p. 317.

[63. Ibid., p. 344.

[64. Ibid., p. 337.

[65. Archives Parlementaires, tome XC, p. 246.

[66. Ibid., p. 247.

[67. Voir Christine Dousset, « Honorer la vieillesse et le malheur : Bertrand Barère et la bienfaisance nationale », dans Maïté Bouyssy, José Cubero, Robert Vié, Bertrand Barère 1755-1841. De Tarbes à Paris… et retour, Actes du colloque de Tarbes, septembre 2005, Tarbes, Association Guillaume Mauran, 2012, p. 59-73.

[68. Catherine Duprat, op. cit., p. 347.

[69. Voir le décret, Archives Parlementaires, op. cit., p. 256-259.

[70. L’analyse de Catherine Duprat me semble exemplaire, voir op. cit., p. 349.

[71. Armelle Ponsot, « L’application de la loi du 22 floréal an II » dans Les politiques de la Terreur, op. cit., p. 331-346.

[72. Bertrand Barère, De la pensée du gouvernement républicain, imprimé en France, floréal an V (seconde édition), XXXIX + 180 pages.

[73Barère, op. cit., p. 107. Voir Françoise Brunel, « Les institutions républicaines : projet démocratique, horizon d’attente et/ou utopie (an II-an V) ? », dans La Révolution française. Idéaux, singularités, influences, Journées d’études en hommage à Albert Soboul, Jacques Godechot et Jean-René Suratteau, Musée de La Révolution française, Vizille, septembre 2001, textes réunis par Robert Chagny, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p. 319-328.

[74. Voir les remarquables chapitres que Catherine Duprat consacre aux secours publics au début du XIXe siècle, Usages et pratiques de la philanthropie…, op. cit., tome I (1996), p. 213-309.

[75. Victor Hugo, Quatrevingt-treize, Paris, 1874, édition par Yves Gohin, Paris, Gallimard, collection Folio, 1979, p. 214.

[76. Maurice Agulhon, « Préface », dans Catherine Duprat, Le temps des philanthropes…, op. cit., p. X.

[77. Républicanismes et droit naturel. Des humanistes aux révolutions des droits de l’homme et du citoyen, coordonné par Marc Belissa, Yannick Bosc, Florence Gauthier, Paris, éditions
Kimé, 2009, p. 9.

[78. Jean-Pierre Gross, Égalitarisme et droits de l’homme…, op. cit., p. 16.

[79. Jean Jaurès, « Le programme socialiste. Discours prononcé par Jaurès à Denain », La Revue socialiste, avril 1903, n° 297, p. 426.