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Catherine Dhérent en conférence : Guislain François Joseph Le Bon

Une conférence de Mme Catherine Dhérent

vendredi 20 mai 2022

Catherine Dhérent
Académie d’Arras

Lorsque Gérard Barbier [1]me demanda de faire une conférence sur LeBon, je refusai tout d’abord, me sentant incapable d’aborder ce personnage et cette époque si complexe. Enfin par amitié pour Gérard, j’acceptai, mais avec inquiétude. J’ai décidé de ne pas commencer par la bibliographie, mais, pour ne pas être influencée, d’aller directement aux sources d’archives, qui se sont avérées bien plus abondantes que je ne l’imaginais, trop pour le temps imparti.
Mme Catherine DHÉRENT, est docteure en histoire - Université de Paris I, archiviste-paléontologue, Conservateur général du Patrimoine, Conservateur général des Bibliothèques, Membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Arras

L’ARBR remercie chaleureusement Mme Dhérent et l’UPTA de lui permettre de publier ici cette conférence.

Guislain François Joseph Le Bon
Conférence donnée par Mme Catherine Dhérent, dans le cadre des conférences organisées par l’Université pour Tous d’ARRAS le 29 avril 2022

Guislain François Joseph LeBon, fils de Nicolas François est baptisé le 25 septembre 1765 dans l’église Saint-Aubert d’Arras. Nicolas s’est sans doute installé dans cette paroisse à la suite de son frère Martin, procureur au Conseil provincial d’Artois, qui lui a trouvé une place d’huissier au Conseil. Il a épousé en 1762, sa cousine au 3e degré, Marie Madeleine Regniez, de Saint-Pol.

Dans cette petite paroisse vivent des avocats du Conseil comme les grands-parents paternels de Maximilien de Robespierre, et des Guffroy, un nom qui reviendra souvent dans cette conférence.

Une famille de Saint-Pol

Les LeBon sont originaires de Saint-Pol dans le Ternois, où vit tout le reste de la famille. De Saint-Pol, sont aussi originaires Martial Herman, avocat au Conseil d’Artois, que nous voyons sur cette diapo, et son ami Emmanuel Lanne, d’une famille de robe lui aussi, de la même génération que Joseph LeBon. Les événements vont renforcer leurs liens.

Saint-Pol est donc la patrie de trois personnages qui auront ensemble un rôle national durant la Convention nationale dans les rangs de la Montagne jusqu’à la chute de Robespierre, et qui tous les trois finiront sur l’échafaud.

Education et formation

Joseph est le deuxième d’une famille de neuf enfants, dont quatre survivent. On vit modestement car Nicolas a perdu des sources de revenus « pour ne pas faillir à l’honnêteté ».

L’aînée de la famille étant une fille, c’est sur Joseph, le premier garçon, que reposent les espoirs de son père. Joseph admire ce père qui lui a donné l’exemple d’un honnête homme et qui lui a donné envie d’une société plus juste, moins inégalitaire. Joseph restera toute sa vie très attaché à ses parents, toujours inquiet à leur sujet et veillant à leur situation.

Repéré pour ses aptitudes, c’est un élève très brillant, et bénéficiant sans doute d’aides, il fait de bonnes études au collège de l’Oratoire d’Arras. Les méthodes d’enseignement de cet ordre sont innovantes : les élèves sont encouragés à participer en classe, on privilégie l’intelligence sur la mémoire, l’intérêt sur la coercition, on respecte l’individualité de l’élève, tout en conservant la sévérité nécessaire à une bonne éducation. Cette discipline convient au jeune LeBon. Il respecte ses professeurs comme son père.

En raison de ses capacités, il est envoyé pour compléter sa formation à l’institution mère de Juilly en Seine-et-Marne que nous voyons ici. Il acquiert dans ces institutions une grande culture classique (auteurs latins, histoire romaine), un art de la rhétorique, mais développe aussi un sens aigu de la discipline et du règlement.

Enseignant à l’Oratoire de Beaune

Les supérieurs de Juilly l’envoient à l’âge de 18 ans, en 1783, à Beaune dont on voit ici la chapelle, pour y enseigner à son tour. Il aime ce métier d’« instituteur », comme il l’appelle.

Cette fonction lui convient très bien. Il aime les enfants. Il applique avec eux les méthodes du traité Emile ou de l’éducation de Rousseau. Il est apprécié et on le supplie de ne pas se laisser séduire par d’autres établissements.

C’est un excellent professeur de rhétorique, technique qui lui servira dans ses discours pour entraîner les hommes. Appliquant les méthodes de l’Oratoire, il est rigoureux avec ses élèves, les exhorte à suivre les règlements de la congrégation et la parole de l’Evangile, à travailler, à faire le bien. Il les gronde gentiment mais fermement. Il les appelle « gros garçon », « mes chers enfants ». Même les cancres trouvent grâce à ses yeux : « les deux vétérans, Billardet et Rousseau, n’ont guère été que les derniers jusqu’ici ; mais ils ont bonne envie, et Billardet surtout deviendra excellent. »

Il est apprécié des familles. Il écrit à Masson, fils d’un négociant en soieries de Beaune en septembre 1788 :

Eh bien grand...

« Eh bien ! grand bidet, le temps approche, et je vois avec le plus grand plaisir que j’aurai bientôt celui de vous embrasser, ainsi que toute votre aimable famille. Ma foi, ce voyage d’Arras à Beaune est un peu bien long, mais je ne saurai me détacher d’un endroit où j’ai fait une connaissance comme celle de vos parents… Cette agitation, ce tracas d’écoliers, etc., me plaisent infiniment, et le repos serait maintenant pour moi le dernier des supplices. » [Et dans une autre de décembre à Millié, il conclut] « Aimez-moi toujours comme je vous aime. Tout à vous en JC ».

Il reste sept ans enseignant à Beaune. Il est ordonné diacre à Mâcon, en décembre 1788, puis prêtre par Talleyrand, évêque d’Autun, en décembre 1789.

LeBon et les idéaux révolutionnaires

Epris d’égalité, nourri des textes des philosophes des Lumières, notamment de l’abbé Mably, précurseur du socialisme utopique, il embrasse rapidement la cause de la révolution.

Il s’inscrit à la société des Amis de la Constitution de Beaune. Il y prête le serment civique et le fait prêter à ses élèves au printemps 1790.

On prépare en province la Fête de la fédération parisienne. Le 5 mai 1790, ses élèves, auxquels il a transmis son enthousiasme, s’échappent du collège pour aller voir ce qui se passe à Dijon. Devant la colère de ses supérieurs, LeBon court pour les rattraper. Le maire de Beaune atteste qu’au retour, « après avoir fait trois lieues à pied en une heure (soit 14 km !), par la plus forte chaleur du jour, pour obéir à son devoir, M. Lebon prêtre de l’Oratoire, dans un moment d’yvresse involontaire, jetta publiquement son collet sur la place » mais que « jusqu’à cette époque malheureuse ledit sr Lebon a été d’une conduite irréprochable ». Un coup de colère compréhensible, dû à un sentiment d’injustice, où certains verront très exagérément les prémices d’une folie criminelle.

Ses élèves veulent le soutenir.

il les retient

Il les en retient. « Je bénis le ciel, mes bons amis, de ce qu’il a mis obstacle à votre premier dessein ; si vous l’aviez exécuté, c’est alors seulement que je me serais cru malheureux... Seul avec Dieu et ma conscience, je n’en sens que mieux ce que je vous ai répété souvent, que la vertu est le premier des biens et que la fortune n’a aucune prise sur un chrétien véritable… Souvenez-vous que, dans tous les temps, les hommes vertueux ont été en butte aux persécutions… » Voilà un sentiment fort chez LeBon que lui ont procuré les grands exemples de l’histoire romaine et que nous retrouverons au cours de sa vie : la fierté d’être un martyr au nom de la vertu.

Le 6 juin 1790, il est exclu du collège de Beaune. Il accepte le châtiment et reste stoïque. Cette affaire ne remet pas en cause sa foi. Il n’en veut pas moins aux prêtres qui l’ont exclu de l’établissement où il se sentait si bien.

Le 8 juin 1790, les membres de la société des amis de la Constitution de Beaune, lui délivrent un certificat : « Mr Lebon… est patriote zélé et véritablement attaché à la Constitution… la pureté de ses mœurs, ses talents distingués pour l’éducation de la jeunesse, son zèle constant à remplir les devoirs de son état, les fruits que nos concitoyens en ont retiré lui sont un juste titre à leur éternelle reconnoissance… »

Une petite fête est organisée en son honneur avant son départ pour Ciel, village près de Beaune où le père d’un de ses élèves l’accueille. Car LeBon est désormais sans ressources.

LeBon, curé de village

Le 12 juillet 1790, l’Assemblée nationale vote la Constitution civile du clergé. LeBon s’y rallie et prête le serment. Il écrit au collège tenu par les Joséphistes à Chalon, à l’évêque de la Côte-d’Or et peut-être ailleurs encore, pour trouver un nouveau poste.

Fin mars 1791, l’évêque de la Côte d’Or qui se dit bien au courant de ses talents et mœurs, lui offre une place de vicaire au Vernoy, petit village de vignerons de 340 âmes, à 4km de Beaune.

Curé du Vernoy

LeBon dit se trouver très bien dans cette cure. Mais dans une lettre à Robespierre du 3 juin il se plaint des contributions plus hautes que doivent payer les prêtres en raison de leur célibat qui pourtant leur est imposé. Il demande à son « brave ami » ou « cher ami », qu’en conséquence il plaide pour que les prêtres puissent se marier et aussi pour qu’ils ne portent plus l’habit en dehors de leurs fonctions. Il conclut sa lettre avec « On me menace de tous côtés de me députer à la prochaine législature ». En fait, il semble flatté de cette perspective, mais le problème est que pour être éligible il faut payer « cette infâme contribution du marc d’argent », lui qui n’a que son traitement de vicaire.

Quelques jours plus tard, il reçoit une lettre lui annonçant sa nomination comme curé de Neuville-Vitasse et apprend que l’état psychique de sa mère s’est encore dégradé sous les imprécations de prêtres réfractaires. « Hélas ! » se dit-il « faut-il qu’après avoir travaillé à préserver les autres de la séduction, je n’aie pu en garantir ma famille, et que ma mère soit la victime de ces mêmes hommes dont j’ai démasqué l’hypocrisie avec tant de courage ! » Il accepte donc Neuville-Vitasse à regret, pour aider son père.

Curé de Neuville-Vitasse

Le 17 juillet 1791, il signe son premier acte dans le registre paroissial de Neuville (c’est le document que nous voyons ici) en tant que « premier curé constitutionnel de Neuville-Vitasse, Mercatel, Tilloi et Beaurains ». La façon dont il signe ensuite, comme vicaire de Saint-Vaast d’Arras, ou « curé de Neuville » montre les difficultés qu’il rencontre avec les curés réfractaires dont celui de Neuville, Lebas, et celui de Mercatel, Marlay. Les réfractaires assez nombreux dans le diocèse se sentent soutenus par l’ancien évêque, Mgr de Conzié, émigré, et mettent la zizanie.

La vie des curés constitutionnels, conspués parfois tabassés n’est pas facile. LeBon n’est pas heureux à Neuville. A partir de mai 1792, il s’absente souvent, fait des voyages à Saint-Pol et se met à participer activement à la vie politique arrageoise.

De tempérament enthousiaste, épris d’égalité, il réclame du directoire du département la publicité des séances, et fait signer des pétitions pour l’obtenir. Cela ne plaît pas.

Le directoire va tirer profit d’une intervention qu’il fait chez les Amis de la Constitution d’Arras :

Citoyens, ce n’est...

Citoyens, ce n’est pas seulement aux lois qui vous plaisent que vous devez obéir, mais à celles mêmes qui vous déplaisent : et moi-même, Messieurs, je vous l’avouerai, je n’aime point la Constitution, car j’aime l’égalité, et la Constitution blesse celle des droits dans la distinction des citoyens actifs et passifs ; mais je respecte la Constitution, mais je lui obéis et je la défendrai jusqu’à la mort tant qu’elle ne sera point changée par les voies légales. » Un trait important de son caractère dont nous avons déjà parlé est là : l’obéissance aux lois.

Le directoire de département envoie aussitôt une lettre au ministère de l’Intérieur : LeBon n’aime pas la Constitution. Premier apprentissage des chausse-trappes de la vie politique !

Si LeBon fait à cette époque plusieurs séjours à Saint-Pol, c’est pour susciter l’enthousiasme révolutionnaire dans la ville de sa famille, et pour conter fleurette à sa cousine, Elisabeth Régniez. Une lettre du 31 mai 1792 en témoigne. Ils se donnent les surnoms d’Angélique et de Babet, personnages d’une comédie de Destouches, La Fausse Agnès. On y découvre un LeBon qui aime s’amuser. Mais comme on va l’entendre, il supporte de moins en moins les prêtres et déteste le curé de Mercatel, Marlay, qui lui a mené la vie dure.

Chère amie ...

« Je n’avais pas besoin, ma chère amie, que tu me fisses remarquer la charmante simplicité de ta lettre. Elle est sans contredit la plus gentille que tu m’ayes écrite jusqu’à ce jour. J’y ai reconnu avec une satisfaction inexprimable l’abandon naïf de ton cœur, de ce cœur dont les sentimens se rapprochent si fort des miens. Continue, aimable folle, de déraisonner de la sorte ; je souhaite te perfectionner, s’il est possible, dans cet art si précieux pour moi.

…Marlay est décampé tout de bon samedi matin vers les six heures…

Depuis la disparition du drôle, tu dois bien t’imaginer que mes occupations ne sont guères diminuées. Me voilà devenu grand marchand de messes. J’en dis jusqu’à trois les dimanches et fêtes. Dès cinq heures du matin, je pars à cheval et je fais le tour de ma paroisse débitant ma marchandise aux amateurs. Le nombre des chalans augmente tous les jours ; je sermone à tort et à travers ; je fais partout le diable à quatre et les choses n’en vont que mieux….

Je t’embrasse de tout mon cœur et suis pour la vie avec les sentimens que je t’ai voués Joseph LeBon. »

Il se marie le 5 novembre 1792, comme plus de 10 % du clergé séculier de 1789 et près d’un quart du clergé jureur de 1791. Ce n’est pas signe d’un détachement religieux. LeBon restera croyant mais vomissant l’hypocrisie de certains ecclésiastiques.

Voici l’acte de mariage avec sous la signature grande et affirmée de Joseph Lebon celle toute petite d’Elisabeth, marchande aubergiste de 22 ans, et des nombreux témoins, dont Lamoral Lanne, maire de Saint-Pol, et son fils, Miennée, médecin qui remplacera Lamoral Lanne comme maire, Darthé qui sera juré puis accusateur public du tribunal d’Arras, Charles Debret, qui sera aussi maire de Saint-Pol, Léandre Lebon, frère de Joseph...

C’est donc pour se marier qu’il abandonne la cure de Neuville et aussi parce qu’une cure de village, c’est bien étroit pour lui. Il veut agir dans cette époque qui ouvre grandles portes à tout un chacun.

Ses débuts en politique dans un pays en guerre, guerre extérieure et guerre civile

Revenons un peu en arrière ! Le 20 avril 1792 la France a déclaré la guerre à l’Autriche, date capitale pour l’avenir du roi, de la Révolution et de Joseph LeBon. Désormais la politique intérieure est commandée par les événements militaires. Le 28 avril, les Français ont subi une première défaite à Tournai. Dès lors, Arras vit dans l’inquiétude d’autant qu’on se méfie de sa garnison accusée de contre-révolution. « La ville d’Arras est dans ce moment l’une des plus malheureuse » est-il écrit dans le registre de délibérations : de nombreux habitants sont dans la misère et crèvent de faim.

Le 20 juin 1792, une manifestation populaire s’introduit dans les Tuileries, le roi se protège en se coiffant du bonnet rouge et en levant un verre à la santé de la nation. Mais le roi refuse de retirer deux de ses vetos. Le directoire du Pas-de-Calais soutient le roi, tandis que dans Le Patriote françois on écrit que « la commune d’Arras accuse la cour de fomenter l’anarchie, de protéger le fanatisme, de seconder les contre-révolutionnaires… ». Le conseil communal désavoue cet article. La confusion est totale.

Les Autrichiens s’emparent de Condé (10 juillet), de Valenciennes (28 juillet), des insurrections royalistes éclatent à Lyon et Toulon.

Le 10 août 1792, le roi est destitué et on décide d’élire une nouvelle assemblée, sans distinction de citoyens actifs et passifs. L’administration du Pas-de-Calais met 8 jours à annoncer la chute de la royauté.

C’est dans ce climat que se préparent les élections pour former la Convention nationale. La première étape est celle de l’élection des électeurs par canton. Pour la seconde section du canton de Roeux, on se réunit le 26 août 1792, dans l’église de Tilloy-les-Mofflaines, LeBon est choisi comme président de l’assemblée. Et il obtient le plus grand nombre de suffrages pour être électeur au niveau du département.

Le 2 septembre 1792, il est donc dans l’église de Calais où se tient l’assemblée électorale pour le département : on doit choisir onze députés à la Convention nationale. On discute beaucoup le mode d’élection. C’est encore une nouveauté pour des gens non habitués à la vie démocratique.

Le 3 septembre, le maire de Calais est proclamé président de l’assemblée, Joseph Guffroy et Robespierre, scrutateurs, Joseph Lebon, commissaire auprès du corps législatif. L’assemblée est houleuse. On accuse les administrateurs du département « de travailler à la contre-révolution ». Quand on passe au vote des députés, Robespierre est le premier élu, Carnot aîné le second. Le 5 septembre, incident : un électeur anonyme a accusé Guffroy d’avoir dissipé 40 000 livres des deniers de la nation. Plusieurs fois en compétition, il n’obtient que la 7e place. Il est vexé. Il y a des intermèdes comme lorsqu’une femme prend la parole et demande qu’on exerce les bras des personnes de son sexe au maniement des armes. « L’enthousiasme est à son comble, l’air patriotique ça ira se fait entendre ». Arrive l’élection du 9e député. Lebon est en compétition mais il n’est pas présent, parti porter des messages à Paris. Des prêtres réfractaires s’attaquent à sa candidature, « l’agitation s’empare de l’assemblée. Le président fait de vains efforts pour rétablir l’ordre. Le tumulte est porté à son comble, et le calme ne renaît que par le retour dans les bureaux particuliers, pour la suite des opérations »… LeBon rate les scrutins suivants. Il n’est pas député. On doit ensuite désigner des suppléants. LeBon n’est désigné qu’en deuxième place. Le 10 septembre, l’assemblée électorale est dissoute.

La Convention nationale est désormais en place où immédiatement s’affrontent Girondins et Montagnards.

LeBon maire d’Arras et administrateur du département

Le 13 septembre 1792, revenu de Calais, LeBon fait un discours enflammé à l’assemblée primaire d’Arras :

Frères, concitoyens...

« Frères et concitoyens, Le moment de crise est arrivé, il faut que tous les amis de la Révolution se réunissent et opposent une masse terrible aux projets sanguinaires des tyrans. Je viens donc vous prier de me recevoir dans le sein de cette assemblée. J’ai renoncé à jamais aux fonctions particulières dont j’étois chargé à Neuville, pour habiter Arras et me livrer tout entier aux affaires publiques, assez d’autres sans moi pourront chanter des messes et des saluts : ma seule et unique vocation c’est de combattre les préjugés de démasquer les traitres et d’annoncer partout l’évangile de la liberté…. Déjà il me semble entendre ces fanatiques de création nouvelle répéter à toutes les oreilles des simples que je n’ai point de religion. Certes je serais bien fâché d’avoir la leur, d’être comme eux pieusement altérer de carnage et de trafiquer de la divinité, ma religion est celle que le créateur a gravé dans mon âme, celle que le Christ, ce grand ennemi de l’imposture des prêtres, a enseignée à ses disciples à son exemple. Je suis prêt à verser la dernière goutte de mon sang pour le triomphe de la vérité et le bonheur de mes semblables. » Il est très sincère.

Maire d’Arras pendant deux mois et demi

Joseph LeBon est ainsi élu maire d’Arras le lendemain, avec pour conseillers, Célestin Lefetz, un de ses amis fidèles, Augustin Robespierre, et une trentaine d’artisans et d’autres gens du peuple. L’idéal d’égalité qui lui est cher est atteint.

Le 16, il prononce un discours d’installation guerrier. « Citoyens ! Au nom de la liberté, unissez vos efforts aux nôtres ! La patrie en danger rejette les âmes tièdes et incertaines... ».

Le nouveau conseil travaille d’arrache-pied, se réunissant tous les jours, le matin et en fin d’après-midi. Les séances sont en général publiques comme le veut LeBon. Les décisions concernent quantité de sujets. En voici une idée : formation d’un comité de surveillance, du bureau de police municipale, enlèvement de tout ce qui peut rappeler l’Ancien Régime sur les lieux publics, inventaire des maisons d’émigrés et des couvents, appel aux travaux sur les remparts, fabrication de piques avec les décors de fer du cimetière, réquisition de tous les citoyens en état de porter les armes, logements et ravitaillement des militaires, état sanitaire des prisons, prêt d’une pompe à incendie à Valenciennes et Lille sur le point d’être bombardées, réparation de ponts, taxe sur la viande, création d’un bureau de charité, d’un bureau des contributions, organisation de l’état civil, etc.

Le 20 septembre, jour de la bataille de Valmy, des commissaires de Paris arrivent à Arras sur dénonciation du directeur de la monnaie, LeBon qui craint que ne se répètent dans sa ville les massacres parisiens du début du mois, les empêche d’agir et les assigne à résidence dans leur auberge. Dénoncé par Guffroy, il se justifiera en disant qu’il « a mieux aimé risquer sa tête que de voir couler illégalement une seule goutte de sang de ses concitoyens ».

Les séances du conseil sont parfois houleuses, par exemple lorsque paraissent les volontaires qui réclament du pain ; ceux-ci apprenant les mesures prises par le conseil, « tout finit par une réunion fraternelle ». Car LeBon parvient toujours à calmer les humeurs et à apaiser les débats. Il demande des enquêtes sérieuses à chaque fois qu’il y a des dénonciations. Il fait libérer ceux qui ne semblent pas aussi suspects qu’on l’aurait cru. Il se contente d’admonester ceux qui n’ont pas agi comme ils l’auraient dû. Il agit en fait comme avec ses élèves de Beaune.

Il paie vraiment de sa personne dans son rôle de maire. Le 3 octobre, par exemple, il décide d’assurer lui-même l’enregistrement des pauvres et parcourt les rues pour solliciter les aumônes. C’est un sujet qui lui tient à cœur.

Administrateur du directoire du département

Le 20 octobre il est nommé provisoirement procureur général syndic du département après que des commissaires de la convention nationale aient relevé Dubois de Fosseux, le président et d’autres administrateurs de leurs fonctions.

Désormais il n’assiste plus aux séances du conseil communal, sauf le 23 octobre pour présenter le plan d’éducation et le règlement qu’il a lui-même conçus pour les institutrices de Sainte-Agnès. On voit bien là l’intérêt pour l’enseignement qui continue à l’animer.

Il est confirmé comme administrateur du département par les élections qui se déroulent à St-Omer le 11 novembre 1792. Le président de l’assemblée électorale lui envoie ce mot : « Citoyen, je vous prie au nom de la patrie d’accepter ce poste ou vous pouvez rendre de grand service ». Il quitte officiellement ses fonctions de maire d’Arras en décembre.

A la Convention, on se dispute sur le sort du roi. LeBon est contre son exécution. Il défend sa position au sein de la société populaire d’Arras. Un des membres, Barbet, le rapporte sournoisemenet à Guffroy : « Ami patriote… L’opinion publique est à Arras, complètement paralysée… Notre Société est désertée par le public…[mais] Dimanche, elle était nombreuse ; Le Bon y… a plaidé la cause du roi, et il prétend qu’il doit seulement encourir la déchéance. Hacot et moi, nous nous sommes réunis contre lui, mais il se sauvait toujours par des pasquinades, qui font plus sur le peuple que des raisonnements ».

Louis XVI est guillotiné le 21 janvier 1793. Guffroy juge LeBon et le nouveau directoire de département trop tièdes. Excité comme à l’ordinaire, il écrit le 1er février 1793, à Célestin Lefetz : « Ami, tu es un j… f… ; tu ne m’écris pas sur la situation des esprits, sur les hommes et sur les choses… ; serais-tu devenu ORATORIEN ET SUPPOT DE L’ARISTOCRATIE BOURGEOISE ? » Lefetz n’en a cure et laisse Guffroy pester.

Premières missions, 1793

En ce début 93, la France va mal. Le général Dumouriez, vainqueur de Valmy, trahit le 2 avril. C’est un choc ! La suspicion s’accroît et la Convention renforce les pouvoirs des comités de surveillance révolutionnaire qui doivent dresser la liste des suspects et pour cela incitent aux dénonciations. LeBon s’oppose à ces pratiques et exprime « dans une séance où toutes les autorités constituées étaient réunies, combien il est dangereux de s’accoutumer à arrêter des hommes comme suspects ».

Les Girondins chutent le 2 juin 1793 et avec eux le député du Pas-de-Calais, Magniez. LeBon le remplace le 2 juillet 1793. Il quitte sa place au directoire du département et habite désormais à Paris, rue Caumartin.

Ses 1res prises de paroles à la Convention sont pour demander l’extinction de la mendicité et pour parler de l’instruction publique, des thèmes qui lui sont chers.

Plein d’ardeur républicaine, il est envoyé le 9 août 1793, auprès d’André Dumont, représentant en mission dans la Somme et sur la côte du Pas-de-Calais. Il ne s’entend pas bien avec lui. Le 26 août, de passage à Saint-Pol, il apprend que se fomente un rassemblement contre-révolutionnaire dans les bois de Pernes. Il obtient de suite des représentants en mission près l’armée du Nord, les pouvoirs nécessaires contre les révoltés. Il proclame qu’il poursuivra « les pervers et les aristocrates jusqu’à la vingtième génération » et fait exécuter sur place deux des chefs. C’était peut-être beaucoup pour une petite « Vendée ».

Rappelé à Paris, il devient membre du Comité de sûreté générale qui joue un rôle majeur dans les affaires de police politique. Il refuse une mission dans l’Oise sous prétexte que sa femme va accoucher. Mais c’est aussi parce qu’il n’aime pas être en terrain inconnu.

La politique des Montagnards se durcit. La situation est critique dans les départements du nord. Boulogne, Calais, Dunkerque, sont aux portes de l’Angleterre, qui y expédie des armes et y répand ses espions. Le 10 octobre la Convention décrète donc que le gouvernement sera révolutionnaire jusqu’à la paix et le 29 octobre, connaissant sa loyauté, elle envoie LeBon en mission dans le Pas-de-Calais, ce qui diminue les pouvoirs de Dumont.

A 28 ans, il se trouve investi d’une très lourde tâche. Il organise les réquisitions frumentaires pour le ravitaillement des troupes, le recrutement des volontaires, ordonne l’envoi des prêtres de moins de 25 ans à leur bataillon, achemine le matériel militaire et contrôle pour cela l’état des routes et ponts, assure le bon fonctionnement des postes, mobilise les civils pour la collecte du salpêtre et la fabrication des armes... Il examine la liste des détenus et des mises en liberté, les papiers trouvés chez les suspects, ordonne des arrestations, rédige le règlement de la maison de détention d’Arras, etc.

Le territoire sur lequel il doit agir est trop grand. Il le parcourt de long en large à cheval. Le 5 décembre, soulagé de savoir que d’autres se sont chargés d’aller épurer les autorités de Dunkerque, il écrit le billet qu’on voit sur cette diapo.

Votre lettre....

Votre « lettre m’épargne une besogne que je n’aurois guères pu remplir sans nuire à mes opérations dans le Pas-de-Calais. Je ne cesserai de le répéter. Qui trop embrasse mal étreint ; et quand je n’aurais qu’un seul district à mettre au pas, il n’en faudrait point davantage pour les forces d’un homme ». Il est parfois découragé, fatigué. Quelques semaines plus tard, le 21 février 1794, il implore le comité de salut public : « Je vous en conjure, débarrassez moi du Nord » !

Il passe beaucoup de temps dans le district de Calais où des contre-révolutionnaires arrivent de partout, il veut tout vérifier et va jusqu’à organiser l’examen de 50 000 lettres arrêtées à la poste.

Il réorganise des administrations (directoire du département, districts d’Arras, de Montreuil, conseil communal de Saint-Omer) y plaçant des hommes qu’il juge plus sûrs.

Il crée un tribunal révolutionnaire de département à Arras, sur le modèle de celui de Paris. 60 jurés villageois et citadins le composent. Le tirage au sort désigne tous les 15 jours, les 11 qui doivent siéger. Le principe est bon, mais Lebon ne maîtrise pas les décisions qui parfois l’irritent fort. Il est très inquiet de faillir à sa tâche mais ne veut pas laisser punir injustement. Ses ordres et contrordres peuvent être stressants pour les exécutants. Début décembre, par exemple, il fait arrêter une trentaine de personnes, en fait remettre immédiatement la majorité en liberté, en envoie une dizaine devant le tribunal révolutionnaire et demande de maintenir les autres en prison jusqu’à la paix.

Il agit en son âme et conscience, sans vraies directives jusqu’à ce que la Convention publie les décrets du 14 frimaire, 4 décembre 1793, organisant le Gouvernement révolutionnaire.

Désormais les diverses institutions créées au fur et à mesure des circonstances sont réorganisées et coordonnées. Les districts aux côtés du représentant en mission sont chargés de l’application des lois et mesures gouvernementales et rendent compte à la Convention. Les comités de surveillance, rouage important, dépendent des districts. Tout doit remonter à la Convention.

LeBon s’attelle à la tâche dans ces circonstances délicates et qui lui donnent un cadre plus contraignant.

Méfiance et énervement dans la mise en place du gouvernement révolutionnaire

Le 13 janvier 1794, il annonce que le Comité de Salut public vient de le charger d’établir le gouvernement révolutionnaire dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Il se débarrasse de certaines tâches : « mon zèle serait inutile si l’on cherchait sans cesse à le distraire par des objets étrangers à ma mission, ou qui pourraient être terminés sans l’intervention du représentant du peuple. » Il ajoute « Quant aux individus détenus comme suspects je ne déciderai rien sur leur sort sans connaître officiellement les motifs de leur arrestation. » Car il se méfie des comités de surveillance, ceux des campagnes en particulier, trop proches de leurs anciens seigneurs et souvent constitués de gens sans instruction. Le 31 janvier, il décide de supprimer l’indemnité accordée à ceux des communes de moins de 2500 habitants, pensant ainsi les faire disparaître. Il ne cesse de les rappeler à l’ordre, même celui d’Arras qui relâche « une multitude d’individus arrêtés d’abord comme suspects ».

Il est prudent sur les arrestations et fait libérer de nombreux prisonniers qu’il « seroit injuste de confondre avec les ennemis déclarés de la Révolution ». Mais lorsqu’il est convaincu de menées contre-révolutionnaires, d’accaparement ou de prévarication, il fait incarcérer, avant de transférer à Paris, un notaire, un « citoyen riche », les administrateurs du mont de piété d’Arras, un capitaine de Boulogne qui cherchait à désorganiser l’armée, un moine qui voulait réveiller le fanatisme.

Dans ce climat de suspicion extrême, il a tendance à s’isoler dans sa tâche, entouré seulement de quelques proches, ne délégant que rarement, lorsqu’il ne peut faire autrement. Il travaille beaucoup, jusqu’à épuisement, persuadé que c’est pour le bien de la République et pour le triomphe de l’égalité.

En février, il est très tendu et nerveux. En effet, le 4 février 1794, les représentants du peuple près l’armée du Nord, Saint-Just et Lebas, exigent l’arrestation de tous les nobles. LeBon n’aime pas cela. Mais obéissant aux ordres, il demande immédiatement la liste des nobles, des parents et agents d’émigrés. Il fait fouiller les châteaux et leurs jardins.

Il fulmine lorsque le tribunal dont les jurés sont cette fois majoritairement campagnards, gracie le comte de Béthune, soupçonné d’émigration. Mais quelques heures plus tard le tribunal découvre des preuves de ses actes contre-révolutionnaires.

je songeaix.....

« Je songeaix en même tems aux moyens de faire traduire à Paris l’infame Béthune mais le jugement même du tribunal m’en dispensat… [Il] fut déclaré émigré, jugé et raccourci au flambeau et aux cris de Vive la République. L’aristocratie eut un rabat-joye, et le patriotisme qui avait frémi de rage le matin, frémit le soir d’allégresse. Cette journée m’a fait faire de grandes réflexions sur le danger des jurés ordinaires quand il s’agit d’exterminer cette bande de conspirateurs de tous grades dont les départemens frontières sont inondés. Mon énergie s’est triplée en cette circonstance, je n’ai vu que la multitude des scélérats contre lesquels je suis envoyé ; je n’ai consulté que ma haine immortelle pour eux… »

Le 19 février, le comité de salut public « informé que la malveillance abuse des dispositions de l’arrêté pris par les représentans du peuple St Just et Lebas, relatifs à l’arrestation des nobles » rappelle de se renfermer strictement dans les termes de leur arrêté. L’agent du district d’Arras demande au comité de surveillance si tous les nobles ont bien été arrêtés et répond qu’il n’y a pas eu d’abus à Arras.

Comme l’a exprimé Robespierre, le 25 décembre 1793, la difficulté est bien de voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès. C’est ce que LeBon essaie de faire.

« Le Gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès »

Le 3 mars 1794, Guffroy, jusqu’alors enragé, est rayé des Jacobins pour son modérantisme et obligé d’arrêter la publication de son journal Le Rougiff dénoncé comme « infecté du poison aristocratique ». Qui a dénoncé Guffroy ? Lui, pense sans doute qu’il y a LeBon derrière cela. LeBon qui ne veut pas être considéré comme modérantiste mais comme un bon serviteur de la République. Du coup, il redouble d’activité, met en œuvre les lois sociales de ventôse sur les plus imposés, s’inquiète du laxisme du comité de surveillance d’Arras, s’informe sur le nombre d’individus que peuvent contenir les maisons d’arrêt et les réorganise, fait arrêter les conjoints de nobles même s’ils sont roturiers,… sauf s’ils ont prouvé un vrai attachement à la Révolution. Il destitue des fonctionnaires publics, dont le juge de paix Triboulet qui lui en voudra à mort. Il refuse la liberté même à un petit cultivateur qui avait fourni de mauvais fourrages à l’armée. Le sort de la guerre et de la république est en jeu.

Dans l’arrêté de cette diapo, il demande des preuves du civisme d’un certain Madre « pour n’être point mis en état d’arrestation comme les autres individus de sa classe. J’attends demain ces renseignemens. » Regardez ! On voit sa nervosité lorsqu’il gratte ce texte court. Oups ! il a écrit ma classe ? Quel lapsus ! Pas le temps de recommencer le billet qu’il corrige avec un grand S sur le m. Il est pressé, stressé. Il envoie un message au district de Boulogne pour des renseignements sur un nommé Cache, et termine par « Vite, vite, vite ».

Maintenant il doute même de la loyauté de ceux qui se disent patriotes. Le 12 mars, il écrit au Comité de salut public qu’il a été « éveillé » :

Et soudain

« et soudain j’ai envoyé à la citadelle de Doullens sept terribles patriotes qui, après avoir saisi, dans la citadelle, une multitude de correspondances infâmes, m’ont ramené, pour le tribunal, une douzaine de scélérats, mâles et femelles… j’étendrai les bras dans les départements voisins, et je ramasserai cette tourbe exécrable d’ennemis du peuple qui feignent aujourd’hui d’embrasser la liberté, mais pour l’étouffer. Que de renseignements précieux ! Vous n’avez point d’idée des leçons que l’homme public reçoit en lisant la confidence des aristocrates ; comme on spécule sur nos faiblesses et sur les vices de tout ce qui nous entoure ! je ne puis ni ne dois croire à tout ce que je lis, mais le Comité de salut public doit avoir sans cesse les yeux ouverts sur ses collègues des départements ». C’est une dénonciation de la fausseté de Dumont.

Il travaille d’arrache-pied car la résistance au gouvernement révolutionnaire s’accroît, des libelles contre la Convention sont placardés dans les villes, les lois sont peu respectées, les lettres anonymes pleuvent, et il sent que la situation lui échappe.

Il oscille sans cesse entre rigueur et bienveillance, comme si le lendemain il se repentait d’avoir sévi la veille. Son vieux fond chrétien ? Ce n’est pas impossible. Fin mars-début avril, il fait arrêter des chasseurs du 17e régiment, « aristocrates avérés », qui sont exécutés (comme François Clabault sur l’acte de décès de cette diapo) mais il fait libérer Mme de Barly et ses enfants, les membres du comité de Verton et deux officiers de santé de Montreuil.

Ce que ses ennemis ne lui pardonneront pas c’est que le 17 avril, il envoie au tribunal révolutionnaire de Paris, Dauchez, un avocat d’Arras, ami de Guffroy, qui sera guillotiné. Les jours suivants, il expédie aussi à Paris, Beugniet, le président du tribunal révolutionnaire, Demuliez l’accusateur public, Leblond et tout le comité de surveillance d’Arras, « prévenus d’intriguer pour arracher les aristocrates au glaive de la loi ».

La loi du 16 avril 1794 venait d’ordonner la traduction au tribunal révolutionnaire de Paris de tous les prévenus de conspiration. LeBon demande au comité de salut public si les tribunaux des départements sont supprimés tout en présentant l’importance de celui du Pas-de-Calais. Il reçoit un arrêté conservatoire du tribunal d’Arras et remercie chaudement le comité de salut public car immédiatement « les malveillans avaient cherché à opérer une réaction ». Le maintien de ce tribunal sera le premier chef d’accusation lors de son procès, comme une preuve de sa férocité. Cela se renouvelle le 19 mai : une circulaire suspend de nouveau les tribunaux révolutionnaires. LeBon réinterroge le comité :

si mes opérations....

« Si mes opérations jusques-là applaudies, n’entrent plus dans les vues de la Convention nationale, il faut me rappeler à mon poste et assurer un asyle aux braves qui se sont dévoués à toutes les haines pour faire exécuter ses lois rigoureuses ». Il ose écrire : « ses lois rigoureuses ». Le tribunal d’Arras est de nouveau maintenu.

En mai et juin, LeBon fait libérer beaucoup de prisonniers et indemnise même de 100 liv. un citoyen arrêté pour un autre. Pour le district de Boulogne, il désigne 4 patriotes sûrs qui « se réuniront chaque jour au moins une heure pour lui indiquer les détenus à la charge desquels il n’y a point de fait positif, et que l’on pourrait élargir sans danger ». Sur demande du comité de salut public, il rend la liberté à Hamy et Guche détenus à Abbeville par Dumont et qui avaient dénoncé la délivrance de certificats de civisme injustifiés à des Boulonnais. C’est un nouveau camouflet pour le représentant Dumont.

Au final, le tribunal révolutionnaire d’Arras aura quand même fait guillotiner 391 personnes du Pas-de-Calais et du Nord.

Mais depuis le 4 mai, LeBon n’est plus à Arras.

Le tribunal révolutionnaire de Cambrai, mai-juin 1794

Car, le 4 mai, il a reçu ordre de Saint-Just et Lebas, de se rendre à Cambrai « pour y surveiller les manœuvres de l’aristocratie en faveur de l’ennemi ». LeBon ne peut être que flatté de lire : « Nous avons besoin cher collègue, de ton intrépidité ; cours à Cambrai, et donne-nous sur le champ, et chaque jour de tes nouvelles. » Il court à Cambrai.

Cambrai est à moins de 40 km de Landrecies qui vient d’être prise par les Autrichiens. Or la garnison est faible, et on dit que la ville est pleine d’ennemis de la révolution.

LeBon, comme en 93 à Pernes, veut marquer le coup. Dès son arrivée, il fait arrêter un officier municipal, « un crâne dangereux » qui lui a manqué de respect. Il se rend à la société populaire, avec quelques agents, armés de pistolets et de sabres, et clame « Je suis le représentant de vingt cinq millions d’hommes », je vais mettre à la raison cette société pleine d’aristocrates.

Il installe aussitôt une section du tribunal révolutionnaire du Pas-de-Calais. Le comité de salut public, approuve sa démarche et lui demande même d’établir deux autres tribunaux révolutionnaires dans l’Aisne, ce qu’il refuse, ne connaissant pas le terrain et pas « assez d’hommes probes dévoués à ces fonctions pénibles et délicates » écrit-il.

Il a laissé à Arras des hommes en qui il a confiance, Célestin Lefetz et Varnier, qui sont vite débordés et n’arrivent pas à gérer son courrier. C’est lui qui continue à prendre toutes les décisions importantes. Il assure : « pour être à Cambray, je n’en ai pas moins les yeux sur tout ce que se passe dans vos environs. »

Le 8 juin, il est très mécontent. Le comité de salut public a fait libérer Beugnet, Demuliez, LeBlond et consors. LeBon exige qu’on le soutienne ou qu’on le rappelle. Le comité fait réincarcérer « ces dignes appuis de Guffroy ».

A la mi-juin, il continue de faire libérer beaucoup de personnes (comme on le voit sur cette page), y compris prévenues d’avoir enfreint la loi du maximum, et donne même « 200 lb à chacun des 8 particuliers arrêtés par erreur de nous ».

Il faut dire que la situation extérieure s’améliore. Le 25 juin 1794 les Français gagnent la bataille de Fleurus. Barère l’annonce en célébrant le succès des représentants aux armées et de « Le Bon, tant calomnié par les ennemis de la liberté… » qui « a fait exécuter à Cambrai les espions et les intelligences de l’ennemi. La police faite à Cambrai depuis deux mois,… a fait manquer le plan de campagne de nos ennemis ».

Mais ses ennemis de l’intérieur ne baissent pas la garde et divisent la Convention et les comités à son sujet. Le 9 juillet, Barère fait un rapport sur les accusations portées contre lui, louant son action, tout en parlant de « sévérité outrée », de « quelques formes que le Comité a improuvées » et conclut : « les mesures qu’il a prises ont sauvé Cambrai couvert de trahisons… C’est moins Joseph LeBon que nous défendons que l’aristocratie que nous poursuivons ». Le lendemain, le comité de salut public met fin à sa mission, lui demandant de remettre les papiers de celle-ci « avec le tableau des opérations qu’il a faites, et de proposer des mesures pour compléter sa mission ».

Sur 209 personnes qu’il a fait arrêter à Cambrai, 150 ont été condamnées par le tribunal, 58 ont été acquittées et une ajournée.

Il est à Arras, le 27 juillet 1794, 9 thermidor an 2, lorsque Robespierre tombe et entraîne avec lui sur l’échafaud ses amis Montagnards.

Une poignée d’ennemis déterminés

L’esprit tranquille, soulagé sans aucun doute, il revient à la Convention le 1er août et veut dire : « dans ma mission, j’ai sué… ». Un député hurle : « tu as suais… du sang ». Persuadé que la vérité va éclater, LeBon se livre. C’est une victoire pour ceux qui depuis quelques mois l’accusaient à tort et à travers.

Louis Fréron

Le premier est le conventionnel Fréron, un des plus violents depuis les massacres de septembre 1792, mais qui est devenu modéré au printemps 1794. Il accuse LeBon dans son journal, l’Orateur du peuple, d’avoir abusé d’une prisonnière pour 25 livres, crime inventé qui a beaucoup fait pour construire l’image du monstre LeBon.

Armand Guffroy

Guffroy, au moins depuis son élection difficile à la Convention en 1792, déteste LeBon qui, de 17 ans plus jeune, naïf, ne s’est pas méfié de lui au début. Guffroy n’était pas un type honnête et avait par exemple dénoncé Rougeville d’Arras, parce qu’il en était débiteur.

Guffroy se disait « le père de la Révolution » à Arras. Dès son arrivée à Paris, il avait fondé le Journal du Rougiff, où il a soutenu fermement la politique de la Montagne. Son caractère intraitable lui valait alors le surnom de Citoyen Échafaud. Détourner les regards sur LeBon lui permit de sauver sa peau.

Lorsqu’en mai 1794, LeBon est envoyé à Cambrai, Guffroy en profite pour publier un premier libelle, Censure républicaine ou Lettre d’A.-B.-J. Guffroy... aux François habitans d’Arras et des communes environnantes, dans lequel il dépeint LeBon comme un monstre, l’accusant de crimes dont certains entièrement faux (comme l’affaire du collier de perles). Lefetz alerte LeBon : « Tu y es peint comme un homme de sang, comme un homme qui ne sait commettre que des actes arbitraires… toutes tes actions sont dénaturées ; on y porte le peuple à résister à l’oppression… » LeBon vient faire lecture de ce libelle le 25 mai à Arras et le Conseil communal déclare que Guffroy a perdu la confiance du peuple. A Béthune, le libelle de Guffroy est publiquement brûlé.

LeBon arrêté, Guffroy voudrait qu’il soit exécuté le plus rapidement possible. Mais la Convention hésite. En février 1795, Guffroy jette donc une seconde fois son venin, en appelant cette fois à la Convention et à l’opinion publique, avec Les secrets de Joseph Lebon et de ses complices, deuxième censure républicaine. LeBon écrit à sa femme :

Une nouvelle édition...

« Une nouvelle édition de mes prétendus crimes, revue, corrigée et considérablement augmentée, vient d’être offerte à la Convention par Guffroy… Homme fécond et inépuisable, que n’emploie-t-il à répandre des projets utiles, des vues salutaires, le temps et le papier qu’il use à calomnier ceux dont il a juré la perte ! ».

Guffroy imprime aussi des pamphlets violents suggérés par des particuliers, qui ont eu à pâtir du gouvernement de LeBon et de ceux qui l’ont secondé. Ainsi Jadot de Saint-Omer arrêté par LeBon, publie un pamphlet contre Toulotte, homme de confiance de LeBon à Saint-Omer. Jadot accuse Toulotte, « d’avoir été le plus vil espion du grand boucher » « toi qui connoissois le nombre de victimes qu’il immoloit chaque jour…, ce monstre qui vouloit dévorer ce département…, qui vouloit organiser un sistème de sang dans cette commune ». 10 habitants de Saint-Omer auraient en fait été guillotinés. Même si cela nous répugne aujourd’hui, peut-on parler de « système de sang », une expression de Guffroy, pour une ville qui comptait plus de 20 000 habitants ?

On voit aussi sur la diapo un autre libelle imprimé chez Guffroy, sur l’exécution de cinq nobles, « victimes du système de sang long-tems à l’ordre du jour au tribunal révolutionnaire d’Arras ». Il est préparé avec les enfants LeSergeant et d’Aix, dont les pères, députés de la noblesse aux Etats d’Artois avaient signé en avril 1789 une protestation contre le rapprochement des trois ordres. Ils avaient été condamnés pour cette « délibération contraire aux principes de la liberté et de l’égalité » et pour leurs opinions contrerévolutionnaires.

Louis Eugène Poirier

Enfin, Guffroy va trouver en Louis Poirier, avocat dunkerquois détenu à Arras, un appui de poids. Poirier est un pamphlétaire dans l’âme. Il se dit de façon grandiloquente « Victime de la barbarie, plongé dans un cachot » où il s’est nourri des larmes de compagnons d’infortune » et où il « a recueilli tous les traits d’injustice de l’inextinguible soif du sang ». Mais il note « l’insouciance qu’on serait tenté d’appeler criminelle, de la part des habitans d’Arras. »

En septembre 1794, il commence avec Les angoisses de la mort, ou Idées des horreurs des prisons d’Arras, pamphlet qui sera réédité et aura 4 contrefaçons. Il apporte des centaines d’exemplaires de cet opuscule aux sociétés populaires d’Arras, de Cambrai, de Lille, de Saint-Omer devant lesquelles il fait des discours vengeurs eux-mêmes imprimés. Paris et toute la France sont inondés des Angoisses de la mort.

Il fait ensuite imprimer Atrocités commises envers les citoyennes détenues dans la maison d’arrêt, dite la Providence.

Le 9 mai 1795, il burine lui-même Les Formes acerbes ou les Parties de plaisirs de Joseph Lebon, à Arras et Cambray que nous voyons sur cette diapo, où LeBon boit le sang de ses victimes. Il l’envoie à LeBon alors à la prison de Meaux, avec ce message : « c’était le miroir ardent de la vérité… dont j’aspirais à te brûler les yeux ; j’ai gravé… à l’eau-forte tes traits hideux, pour… épouvanter quiconque tendrait à t’imiter ».

Enfin, après le 19 juin 1795, c’est son ’nec plus ultra’, Toi ou moi, ou le Dernier coup de massue, pamphlet rageur, rempli de fausses rumeurs, d’un homme qui piétine celui qui est à terre et qui met mal à l’aise lorsqu’on le lit.

Il envoie tout ceci au tribunal d’Amiens lorsqu’il apprend que c’est là que LeBon sera jugé. Il publie alors Exceptions adressées au Tribunal criminel du département de la Somme.

Présenter un tel monstre était un filon juteux, car encore en 1797, Poirier publiera La lanterne magique, ou les grands conseillers de Joseph Le Bon.

Petits ouvrages qui ne coûtaient pas cher à faire et qui rapportaient gros !

La réaction thermidorienne contre LeBon

C’est ainsi que se poursuit la réaction dite thermidorienne commencée par l’exécution de Robespierre et de ses amis.

Les Arrageois dans leur majorité ne réagissent pas en défaveur de LeBon. Craignaient-ils comme Poirier le pense, le retour de l’« anthropophage » ? Ils se souviennent peut-être aussi de celui qui leur trouvait du pain et du travail quand ils en manquaient et punissait ceux qui accaparaient les denrées ou échappaient à la conscription. Ou avaient-ils envie de penser à autre chose… Poirier écrit mi-1795 : « Représente-toi la stupeur incroyable où tu les as plongés, scélérat, puisqu’ ils n’osent élever la voix, et qu’ils ne s’aperçoivent point encore du retour de la justice et de l’humanité, depuis le 9 Thermidor ! » Et il incite les Cambrésiens à réagir si « les citoyens d’Arras persévéraient dans leur apathie ».

15 mois de prison, 2 août 1794-16 octobre 1795

Lebon va subir 15 mois d’incarcération d’abord à la prison du Luxembourg, puis à Meaux, dans des conditions sordides, ensuite il sera ramené à la Conciergerie, avant d’être finalement transféré à Amiens. En fait, la Convention ne sait pas bien quoi en faire.

Ses ennemis voudraient une condamnation rapide sans jugement régulier. Le 6 septembre 1794, une commission, présidée par… Guffroy, chargée d’examiner les papiers de Robespierre et de ses complices fait rapatrier ceux de Lebon déposés à la commune d’Arras. On se saisit ensuite de tous les papiers qu’il avait chez lui à Paris, Arras, Saint-Pol, de 7000 livres d’assignats, d’un peu d’argent.

Le 7 décembre 1794, Dumont demande que les trois comités de la convention nationale, salut public, sûreté générale et législation, rendent leur rapport sous 8 jours. Ils font la sourde oreille…

Le 5 janvier 1795, Courtois, député de l’Aube, est enfin rapporteur de la commission chargée le 6 septembre d’examiner les papiers trouvés chez Robespierre. Ce rapport fait allusion aux « embrassements homicides » et aux « caresses à la Caligula » de LeBon. Le rédacteur de l’Ami du Peuple, publie un article en faveur de LeBon, il est immédiatement emprisonné pour l’empêcher de publier d’autres défenses.

LeBon est défait. Il écrit à la Convention :

Je n’aurais jamais cru

« Je n’aurais jamais cru qu’à la tribune de la Convention, un rapporteur quelconque pût donner pour un fait constant la calomnie la plus atroce qui ait été imaginée contre moi ! C’est pourtant ce qu’a fait… le citoyen Courtois, en parlant de mes prétendues fureurs lubriques et de mes embrassements homicides. L’histoire de la femme aux vingt-cinq livres est non seulement de toute fausseté, mais encore dénuée de toute vraisemblance aux yeux de ceux qui ont suivi ma conduite. Je défie mes ennemis les plus acharnés d’administrer aucune preuve d’une pareille horreur, et la contexture maladroite de cette fable atroce servira seule au besoin pour les confondre. Mon silence, je le sais, a encouragé les calomniateurs et trompé les hommes de bonne foi ; mais je me suis fié sur la force de la vérité qui ne peut pas manquer de triompher tôt ou tard. »

Le lendemain, les trois comités sont de nouveau invités à rendre compte « à la Convention du résultat de leur opinion sur Joseph LeBon ». Ils font comparaître Lebon pendant la nuit. Guffroy est tapi dans un coin. LeBon justifie sa conduite, rappelle les décrets de la Convention, met en évidence la tactique de ses ennemis, produit des extraits qu’il a faits du Rougiff. Guffroy piteux, sort discrètement de la salle. Les trois Comités suggèrent même à Lebon de demander ses papiers comme s’ils désapprouvaient les manœuvres dont il a été victime. Mais jamais il ne pourra obtenir ses papiers, pour faire preuve de ce qu’il dit.

Pendant ce temps, Guffroy fait chanter les crimes de Joseph LeBon dans les rues d’Arras par un malheureux qui porte un tableau sur lequel Lebon est représenté les fers au cou et aux pieds.

Enfin une commission de 21 conventionnels est chargée le 7 mai d’examiner s’il y a lieu à accusation. LeBon demande que Fréron et Courtois apportent des preuves de leurs accusations, sans résultat. La commission constate seulement que l’histoire de la femme aux 25 livres et des vols commis par LeBon sont des mensonges.

Cela fait neuf mois que LeBon est incarcéré et on ne sait toujours pas quel sort lui réserver malgré l’insistance de Guffroy et de Dumont. LeBon écrit à la commission le 20 mai :

Citoyens représentants...

« Citoyens Représentants, Le sort aurait-il dérangé les combinaisons de Guffroy ? Seriez-vous trop probes et trop impartiaux au gré de ce calomniateur éhonté ?... Cet homme en qui l’avidité de boire mon sang ne le cède qu’au désir plus grand encore de ternir mon honneur, ne saurait voir s’approcher sans frémir l’instant où il doit être confondu, et je ne serais pas surpris qu’il réintriguât de plus belle pour empêcher qu’on ne m’entendît… Ce n’est point la mort que je redoute, c’est l’infamie… Qu’il me soit permis… de justifier ma probité compromise, et de montrer que toute ma monstruosité se réduit à avoir assuré l’exécution des lois ». Guffroy a en fait réintrigué. Lebon réclame encore une fois ses papiers pour préparer sa défense. On lui dit qu’ils ont disparu. La commission rend ses conclusions le 19 juin 1795. Il est mis en accusation le 17 juillet.

Il demande à ne pas être jugé dans les lieux où il avait exercé ses pouvoirs. Le procès est envoyé à Amiens. LeBon y est transféré le 6 août. Il demande à avoir un avocat commis d’office car il n’a pas d’argent. Sans réponse. Il prépare alors lui-même sa « réfutation » dont on voit une page sur cette diapo. Le procès commence le 23 août.

Le simulacre de procès à Amiens

La Constitution de l’an III qui abroge les lois selon lesquelles se déroule le procès de LeBon est promulguée le 23 septembre 1795. Vainement Le Bon demande à en bénéficier.

Ce procès est plein d’anomalies.

Les juges et le jury

Plusieurs amis de Guffroy font partie du jury. Des jurés fournissent des billets médicaux pour ne pas en être ou se récusent parce qu’eux-mêmes ou des membres de leur famille ont été victimes de Lebon et qu’ils ne peuvent, disent-ils, être impartiaux.

Le 26 septembre 1795 alors que les débats sont clos, on constate que le président du tribunal ne pouvait exercer cette fonction, étant le beau-frère d’un prêtre émigré. Mais comme il est le seul juge ayant suivi tous les débats et que les jurés ne peuvent rester plus longtemps, on décrète qu’il continuera ses fonctions jusqu’au jugement.

Les dénonciations et les témoignages

On a préparé une « liste des témoins à entendre contre Joseph Lebon » ici présentée. Pas de témoins à décharge. Cependant des personnes outrées par les partis-pris, ont dénoncé « l’injuste procès de Lebon » mais elles ne seront pas entendues.

Un document griffonné et difficile à déchiffrer prouve que des dénonciateurs ont été payés, notamment par le receveur de l’enregistrement.

Certaines personnes sollicitées n’ont pas voulu venir témoigner, disant n’avoir entendu que des rumeurs. C’est le cas de Ranson, l’accusateur public au tribunal du Nord. Il écrit être accablé de travail et « Quant à tous les crimes imputés à Lebon, je ne sçais rien, absolument rien ; j’étais… affligé des récits qu’on faisait de l’horrible boucherie qui s’est faitte à Arras et à Cambrai ; je ne concevais pas qu’on pouvait juger et condamner dans un jour, autant de monde qu’on prétend y avoir été jugé et condamné ». Bon-Harduin ne veut pas témoigner non plus : « Voilà… ce qui m’a été rapporté par gens dignes de foy car j’étois en prison dans ce tems. Je ne puis pas être appelé en témoignage sans doute, puisque je n’ai rien vu. »

On constate que tout est préparé d’avance avec les témoins. Plusieurs vont dire l’humeur de LeBon contre des jurés du tribunal révolutionnaire, d’autres à quel point ces jurés étaient dans la main de LeBon, on entendra l’exécuteur des jugements criminels de Cambrai déposer que « Lebon le faisait manger à sa table avec les juges et jurés », Augustin LeClercq, notaire à Arras, témoignera des reproches qu’il a essuyés « sur ses relations avec Guffroi ». Un sous-chef de bureau du district raconte la venue fracassante de LeBon à la société populaire de Cambrai, mais aussi les soixante deux mille livres qu’il a distribué au peuple pour alimenter sa fainéantise, sa table qui ressemblait à celle d’un Sardanapale ». Beaucoup d’accusations infondées, ridicules même parfois.

Les interrogatoires

On connaît les interrogatoires, imprimés à Amiens, en 6 petits fascicules. LeBon en publie aussi sa version chez Caron-Berquier, un éditeur catholique d’Amiens, difficile à trouver.

Malade, crachant le sang, LeBon répond posément aux questions, sans doute avec justesse, renvoyant à des documents imprimés, car il n’a pas ses archives. Il a des arguments pour tout mais semble parfois las.

« Aucun de mes actes », dit-il « aucun de mes arrêtés n’a déterminé la peine à subir par un individu quelconque. ». Ce qui est vrai, aucun des documents consultés ne comporte d’exécution de peine. LeBon demandait au district de faire arrêter certains individus. Le tribunal seul ensuite décidait. LeBon réfute fermement avoir essayé d’influencer les jurés. De fait le tribunal n’a pas toujours jugé comme il l’aurait voulu. On l’accuse d’avoir traité les jurés de lâches. Il répond que lorsqu’il y en avait à la société populaire qui blâmaient le manque de fermeté de certains jurés, c’était lui qui prenait leur défense, disant que « dans un pareil ministère où il falloit sans cesse lutter contre son propre cœur, il étoit bien difficile de conserver toujours une même fermeté ».

On ne peut attester la vérité ni de toutes les accusations des témoins ni de toutes les réponses de LeBon lorsqu’il ne s’agit que de relations orales. Mais on ne peut qu’être troublé par le fait que bien des accusations s’avèrent fausses lorsque des preuves existent.

Malgré la gravité de la situation, il ne perd pas son sens de l’humour. Il nie avoir dit qu’il fallait se défier d’un individu qui « avoit de l’esprit par-dessus le Beffroy », en voulant nommer Dauchez, car il n’est « aucunement vraisemblable à ceux qui me connoissent et qui connoissent Dauchez, que j’aie dit de lui qu’il avoit de l’esprit par-dessus le Beffroy ».

Les accusations peuvent parfois nous sembler anodines. Ainsi LeBlond l’accuse de l’avoir molesté en paroles lors d’un souper. Il répond « Je n’ai entendu molester Leblond que par Duquesnoy ; d’autres personnes qui étoient au souper ont bien pu se mêler de l’altercation ; mais je n’y ai remarqué aucune aigreur, et Leblond, n’a pas oublié, sans doute, que je suis sorti avec lui de chez Regnault et que je l’ai reconduit jusqu’en sa maison, en le consolant des mortifications qu’on lui avoit fait essuyer. » Cela doit être vrai.

Il explique aussi pourquoi il a fait arrêter ledit Leblond et Demuliez. Et on peut le comprendre.

Ils avoient courus...

« Ils avoient courus d’abord » dit-il, « la carrière du patriotisme, mais depuis un an et plus ils étoient accusés de se laisser corrompre, de prévariquer dans leurs fonctions… longtems je me refusai à sévir contre eux malgré les dénonciations multipliées des patriotes ; ce qui me détermina enfin, fut leur conduite dans les journées des 29 et 30 germinal... Ils cherchèrent à exciter une réaction en blâmant, en déclamant dans les caffés et sur les places publiques contre la sévérité des mesures révolutionnaires, conjointement avec divers membres du comité de surveillance … ma conduite à l’égard de ces détenus fut celle d’un ami qui regrettoit de se trouver obligé de sévir… »

Le 4 octobre 1795, il est condamné pour « assassinats judiciaires », crime qui n’existe pas dans la loi de septembre 1791, code pénal de l’époque, et pour « oppressions des citoyens en masse ».

Le verdict est annoncé à LeBon le 13 octobre 1795. Et c’est le jugement que vous voyez ici.

L’exécution

Le 16 octobre 1795, 24 vendémiaire an 4, François Maisant, huissier du tribunal assisté de la gendarmerie, se rend en la maison de justice dont le concierge lui remet Joseph Lebon. Il est conduit sur la place du marché aux herbes d’Amiens où il est guillotiné. Il avait tout juste 30 ans et laisse une veuve et deux enfants en bas âge dans le dénuement.

Lettres de prison

Sa personnalité profonde apparaît dans les lettres qu’il a écrites à sa femme pendant ses 15 mois de prison, éprouvants.

Il médite, travaille à sa réfutation, fulminant contre Guffroy et consors. Il relit avec plaisir Principes des lois de Mably. Il s’évade avec des romans d’aventure et des histoires extraordinaires, s’entretenant « avec des êtres isolés au milieu des mers et sur les débris des vaisseaux, n’échappant que par miracles à des milliers de morts qui les poursuivent ».

Il observe ceux qui sont autour de lui, s’amuse des mimiques d’une petite fille de neuf mois, en prison avec sa mère et il est touché par l’intérêt « qu’elle marque à la vue du portrait de son père qui n’est plus ! ». Il chante avec d’autres détenus et fait même faire son portrait sur les instances de sa femme.

Il pense beaucoup à son père et recommande à sa sœur « d’en avoir le plus grand soin, et de se sacrifier entièrement pour lui ».

Le stoïcisme

Nourri des philosophes de l’Antiquité, notamment de Sénèque, il ne se plaint pas une fois. Il fait preuve de courage, soutient sa femme et l’amène doucement mais fermement à envisager le pire. Il se dit, un peu pompeusement « un autre Regulus », ce général romain symbole de courage et de loyauté, qui mourut à Carthage, enfermé dans un tonneau pourvu de pointes comme on le voit sur cette gravure.

On pourrait citer de nombreux exemples de son stoïcisme. N’en voici qu’un passage :

Ma tendre amie...

« ma tendre amie... Ne désirons que le présent ; cédons avec calme à la nécessité ; c’est le vrai moyen d’être libre et heureux même au milieu des fers… Plusieurs de tes lettres… respirent la grandeur romaine ; si j’étais capable d’être lâche une minute, elles suffiraient pour me rappeler à l’ordre »

Et de façon tout à fait inattendue, il célèbre le courage des ennemis de la révolution qui ont été guillotinés.

N’oublions jamais...

« N’oublions jamais le caractère qu’ont montré certains ennemis de la Révolution jusqu’à la dernière heure ; ils mouraient en invoquant le retour de l’ancien régime, ils ne s’avilissaient point à demander grâce ; ils forçaient en quelque sorte l’admiration des patriotes par une intrépidité digne d’un meilleur parti… Les revers ne feront qu’agrandir nos âmes ; nous saurons attendre et supporter avec une égale fermeté les coups du sort… »

Attention à l’éducation des enfants, rousseauiste

L’accouchement de sa femme est l’objet de ses inquiétudes. Inspiré par Rousseau, il lui donne de nombreux conseils pour l’allaitement du dernier-né et pour l’éducation de la petite Pauline.

« Il s’agit moins de former notre enfant que de l’empêcher de se détériorer. La nature, la nature, rien que la nature ! … Pauline ne doit pas être agacée, cela donne de l’aigreur et pervertit entièrement le caractère. Si elle fait quelque chose qui paraisse mal, il faut d’abord examiner si ce mal prétendu est un mal véritable… Que l’on se garde bien de la brusquer, de la punir à ce sujet ; la seule chose à faire, c’est de lui en éviter les occasions. »

Il reste chrétien

Et croit en l’immortalité de l’âme :

Familiarise-toi...

« Familiarise-toi avec cette idée que je suis déjà allé rejoindre tous ces braves qui ont illustré la terre, et spécialement ces milliers de héros morts sur les frontières pour la République en combattant de bonne foi pour elle et pour la liberté ! Quel accueil je recevrai de leur part, n’ayant jamais trahi la cause qu’ils ont défendue ! Oui, si, comme il m’est doux de l’imaginer, notre âme nous survit, j’ai des droits à habiter parmi eux, ils n’auront point à me reprocher d’avoir rendu inutile l’effusion de leur sang… ».

Et il croit au pardon :

J’ai une autre conseil...

« J’ai un autre conseil très-utile à te donner dans le cas où tu recouvrerais ta liberté, c’est de bannir de ton cœur toute espèce de haine contre les auteurs de nos maux. Le ressentiment ne soulage pas ; au contraire, il aigrit les plaies ».

Enfin, il reste républicain jusqu’au bout

Sa toute dernière lettre du 16 octobre 1795, avant de partir pour l’échafaud, « jour où Pauline a deux ans », est pour son beau-frère qui l’a accompagné pendant ces 15 derniers mois : « Adieu, Abraham, digne jeune homme ! ». Il lui recommande toute la famille, lui renvoie quelques objets et lui demande de payer 20 francs au geôlier pour ses draps. « Adieu à tous nos amis et vive la République ! ». Ce sont les derniers mots qu’il a écrits.

L’historiographie de Le Bon

Les portraits

On le connaît par son passeport du 4 juin 1793 : 5 pieds 6 pouces, soit 1,68 m, cheveux châtains, yeux bleus, nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, front haut, visage ovale marqué de petite vérole.

Difficile de dire celui qui est le plus ressemblant par rapport à cette description ? Pas celui de Doncre, homme aux cheveux gris, trop mur pour son âge ; celui de Gabriel le montre trop accablé, peut-être réalisé lors du procès. Y a-t-il parmi eux celui réalisé pour sa femme ? Le portrait de Bonneville me semble plus proche de la réalité. Il est publié juste après la mort de LeBon.

L’historiographie

L’historiographie, abondante, reste encore aujourd’hui souvent à charge. Ce qui l’a nourrie, ce sont les libelles des années 1794-1795. Cette légende noire arrangeait des gens comme Guffroy et Dumont. Les calomnies qu’ils propagèrent sont restées vivaces même lorsque leur fausseté a été démontrée avant le procès. Surtout à Arras où l’image d’un Le Bon guillotineur furieux sert encore aujourd’hui à atteindre Robespierre ou à l’inverse à le disculper.

Anthropophage, cannibale, voilà les termes qui depuis lors sont associés à LeBon. Pas de voix discordante au XIXe siècle.

Sauf celle en 1861, filiale, d’Emile LeBon, qui publia Joseph Le Bon dans sa vie privée et dans sa carrière politique. Emile Le Bon était né en prison le 26 octobre 1794. Il porta lourdement son patronyme. Après une carrière d’avocat puis de juge d’instruction à Chalon-sur-Saône, il décida à près de 70 ans, de renouer avec cette figure paternelle et de publier les documents originaux qui étaient en sa possession et notamment les lettres de prison, et la réfutation qu’avait préparée LeBon sur sa mise en accusation.

Trois ans plus tard, Auguste Paris, personnalité monarchiste d’Arras, publia une Histoire de Joseph le Bon et des tribunaux révolutionnaires d’Arras et de Cambrai, qui malgré son érudition, ses annexes très documentées, présente des lacunes documentaires et est politiquement très orientée. A la fin du XIXe s., l’avocat Edmond Lecesne publia Arras sous la Révolution, ouvrage auquel on peut faire les mêmes reproches.

Après la Grande Guerre, les choses changèrent un peu. Un journaliste du quotidien socialiste Le Réveil du Nord écrivit dans un article en 1923 : « Joseph Le Bon fut un des hommes de la Révolution sur lesquels la réaction s’est le plus acharné. Il fît avorter les tentatives des ennemis de la France et de la Révolution ».

A la même époque, Albert Mathiez, historien communiste de la période révolutionnaire, contribua, lui, dans L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais, pour défendre Robespierre, à montrer l’opposition entre les deux hommes et à conforter la répulsion des Arrageois pour LeBon.

Le premier ouvrage objectif est la thèse de Louis Jacob, professeur d’université, Joseph le Bon (1765-1795). La Terreur à la frontière (Nord et Pas-de-Calais), publiée en 1933. C’est le travail d’un chercheur sans esprit partisan, qui a consulté tous les documents disponibles, sauf les pièces passionnantes du procès conservées à Amiens, et les archives privées de LeBon conservées à Beaune, publiées en partie par son fils. Jacob dit « les difficultés multiples avec lesquelles l’audacieux historien de Joseph LeBon doit compter ». Ne l’ayant lu volontairement que dans les dernières semaines, j’ai été soulagée d’y trouver une concordance de points de vue.

Mais quelques mois plus tard, en 1934, le Dr Yves Dhôtel, arrageois, publia sa thèse de psychiatrie. Dès la préface le ton est donné puisqu’il parle du « féroce proconsul d’Arras qui faisait jaillir des fontaines de sang ». Ses sources (surtout écrits de Guffroy et réquisitoires du procès) font de LeBon « un excité permanent », ce qu’il ne me semble pas avoir été, ayant des tendances paranoïaques grossies par son excitation et son hypomanie.

A la fin du siècle, Christian Lescureux, communiste, membre de l’ARBR, voulut mieux faire connaître « ce personnage parfois déroutant et surtout… toute une période sur laquelle pèsent encore tant de clichés et d’a priori. »

Enfin depuis quelques années, Ronen Steinberg, professeur aux universités du Michigan et du Texas, travaille sur les séquelles de la Terreur, sur les notions de victime, de réparation, de mémoire, de réconciliation (Afterlives of Terror, 2019). Un de ses articles figure dans l’ouvrage publié il y a quelques mois sous la direction notamment d’Hervé Leuwers, Juger la Terreur.

Mais personne n’a encore osé une biographie objective de LeBon pour le grand public, présentant toutes les facettes du sujet dans un contexte de guerre. Grands enfants, nous aimons les histoires de monstres.

Au terme de cette conférence,

Vous avez compris que je n’y ai pas trouvé le monstre qu’on m’avait dit. Mais tout homme est complexe, encore plus dans une situation de crise, et le temps d’une conférence est réducteur.

Dans les sources que j’ai consultées, j’ai trouvé :

  • Un homme cultivé, ayant foi en l’instruction
  • Jeune, enthousiaste, un brin ambitieux
  • Idéaliste, profondément républicain, vrai ami du peuple
  • Honnête, intègre et courageux
  • Très, trop ?, respectueux des lois du gouvernement auquel il s’était rallié
  • N’aimant pas sévir et perturbé par les mesures rigoureuses du gouvernement révolutionnaire, disant “ la répugnance de mon cœur”,
  • Pas toujours bien secondé et ne pouvant tout maîtriser
  • Détesté à mort par des gens moins sincères que lui
  • Qui a connu 22 mois de vie publique dont 11 de mission dans un pays en guerre, sur une zone frontière attaquée par les ennemis
  • Qui reste connu pour les 541 victimes tombées pendant ses missions et non pour ses mesures administratives, politiques et sociales.
    Dans sa dernière lettre à sa femme datée avec humour « d’Amiens ou plutôt des Champs-Elysées » il écrit :
    Tendre mimie...

    « tendre Mimie,… Toi et nos enfants ne tarderez pas à recueillir sur mes cendres la reconnaissance nationale… Ah ! ne dis plus que je vais mourir ; je vais commencer une nouvelle vie dans tous les cœurs dévoués à la République… Ton cœur. Joseph Le Bon ».

Il a affronté la mort avec cette illusion ! Et cet attrait du martyre. Près de 10 générations ont passé, un historien comme Louis Jacob a commencé à nous éclairer il y a 90 ans, et pourtant combien êtes-vous encore aujourd’hui à ne pas croire ce que je vous ai raconté ?

Remerciements à

  • Lionel Gallois, directeur des Archives départementales du Pas-de-Calais
  • Anne Lejeune, directrice des Archives départementales de la Somme
  • Clarisse Meunier, directrice de la bibliothèque municipale de Beaune
  • Pascal Rideau, Bibliothèque municipale d’Arras
  • Archives nationales Pierrefitte
  • Bibliothèque nationale de France
    Et à
  • Frédéric Folcher pour avoir prêté sa voix à Joseph LeBon

Pour retrouver d’autres articles relatifs à Joseph LeBon sur ce site :

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Diaporama complet de la conférence


Voir en ligne : Les missions révolotionnaires de Jospeh Lebon

Galerie


[1Président de l’Université Pour Tous d’Arras