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Madame Roland insultée par le Père Duchesne
jeudi 14 avril 2022
Le numéro 248 du Père Duchesne nous donne un portrait gratiné de Madame Roland.
« … A propos de la vieille Roland, f…., il faut voir sa mine allongée à l’Abbaye. J’ai voulu me donner la joie d’aller lui rendre visite dans ce lieu où ses favoris m’ont fait siffler la linotte, il y a quelques jours. Le concierge, qui est un brave homme et qui s’est conduit avec moi comme un franc sans-culotte pendant mon séjour dans cette prison, m’avait fait venir pour raccommoder ses poêles, et surtout pour nous donner une bonne pile en réjouissance de ma sortie. Madame Coco, toujours aux aguets et s’attendant à voir à chaque instant quelqu’un de sa connaissance, vient toujours montrer sa face plâtrée à tous les arrivants. Elle paraît tout interloquée de voir un b… carré de ma sorte dans ce gîte où on ne voit guère que de petits messieurs de l’ancien régime. Elle recule d’effroi, contemplant mes larges moustaches. Quel est ce prisonnier ? dit-elle d’une voix tremblante. C’est le général de l’armée chrétienne, m’écriai-je, ou, comme on dit à Paris, le chef des brigands.
A ce mot, la citoyenne Coco laisse échapper un gros soupir ; elle lance sur moi un regard tendre, tel qu’une chatte amoureuse à un vieux matin qui vient miauler autour d’elle. Je continue sur le même ton, et je profite de son erreur pour lui arracher ce qu’elle a dans l’âme. Citoyen brigand, me dit-elle avec un ton patelin, vous m’avez fait une peur épouvantable ; en vous voyant, j’ai cru être septembrisée. racontez-moi donc par quelle fatalité vous vous trouvez ici : je croyais que vous aviez remporté une grande victoire ; on annonçait que vous aviez mi l’armée de la République en déroute et que vous vous étiez emparé de tous ses canons.
Que voulez-vous, f… ! les armes sont journalières, citoyenne Roland. Les généraux de la République nous ont fait si beau jeu, que nous n’avons pas eu de peine à battre leur armée, qu’ils avaient éparpillée par-ci par-là, tandis que j’ai réuni toutes mes forces pour battre les lieux qui étaient dégarnis. Nous avions d’abord de bon amis dans l’armée de la République qui y ont jeté le désordre en jetant le cri de : Sauve qui peut. Nous nous entendions aussi avec les officiers de Saumur, qui ont été enchantés de nous livrer leur ville et surtout l’artillerie qu’elle renfermait. Malheureusement, les républicains se sont ralliés ; ils ont pris leur revanche, et je suis prisonnier.
Vous m’en voyez consternée, reprend la reine Coco, car, entre nous, les honnêtes gens n’ont plus d’espérance qu’en vous. Vous savez tout ce que mon vertueux époux a fait pour vous ; c’est lui qui vous envoyait des secours à Coblentz, en Angleterre, et qui vous a fait débarquer en Bretagne, tandis qu’il payait une armée de missionnaires pour prêcher la contre-révolution dans les départements. Ces maudits sans-culottes de Paris ont dérangé tous mes projets. Que vais-je devenir, si mon cher Bizot, si l’ami Corsas, si mon petit Louvet, sale favori de mon cœur, le divin Barbaroux, n’allument la guerre civile dans les départements ? Dans quelques jours, hélas ! le pauvre Brissot sera raccourci ! Dites-moi, mon cher brigand, avez-vous des nouvelles de mon cher Coco ? Mon vertueux époux a-t-il pu arriver jusqu’à vous ? Est-il dans votre armée ?
Je l’ignore, citoyenne, mais ce que je sais, c’est que sa fuite et la chasse que la Convention vient de donner à nos bons amis de la Gironde, font bien baisser vos actions. Nous comptions plus sur votre mari et sur les appelants que sur les Anglais. Pour comble de malheur, les armées de la République sont partout victorieuses ; les Autrichiens, les Prussiens sont battus de tus côtés à plate couture. Tous les soldats de la République défendront jusqu’à la mort la liberté et l’égalité. Ils méprisent les Brissotins, les Romanistes, les Péthionistes ; les sans-culottes de Paris ne détestent pas plus cette f… canaille.
Ah ! miséricorde, citoyen brigand ; nous sommes perdus. Paris ne sera pas détruit ; la France sera libre ; tous les Français vont se rallier à la constitution. Le règne des intrigants est passé. Adieu, paniers, vendanges sont faites.
Oui, f…, tu l’as dit, vieux sac à contre-révolution. Reconnais le père Duchesne ; je t’ai laissée défiler ton chapelet pour te connaître. Le pot aux roses est découvert ; tous tes projets s’en vont à vau-l’eau. Non, les Français ne se battront point pour un crâne pelé comme celui de ton vieux c. c., et pour une s…. édentée de ton espèce. Tous les départements vont être débrissotés et dérolandisés. La constitution s’achève, et tous les bons citoyens vont se réunir à Paris pour jurer de la défendre. Pleure tes crimes, vieille guenon, en attendant que tu les expies sur l’échafaud, f… ».
Madame Roland que nous retrouvons dans l’ensemble des nouveaux programmes d’Histoire de Première est généralement vue dans les manuels sous un aspect positif, mais se n’est pas le cas du « Père Duchesne » journal que dirige et écrit le journaliste et conventionnel Hébert.
Cette Feuille est autant et peut-être plus que L’Ami du peuple de Marat, « l’écho et le guide des masses populaires » (A. Soboul). De plus cette feuille est distribuée aux armées, son influence est donc considérable. Madame Roland politiquement proche des Girondins est une ennemie pour les sans-culottes et les Montagnards. Je crois qu’il est nécessaire de le dire franchement aux élèves écoutants la bonne parole des professeurs qui n’ont dans « le point de passage » que la représentation d’une Madame Roland de salon. Un texte comme celui-ci mérite d’être dans les corpus documentaires (il peut être réduit), se qui permettrait une meilleure compréhension des complexités politiques en cette année 1793 ou les forces politique s’affrontent violemment. Il y a un engagement politique de Madame Roland qui refait pas l’unanimité, loin sans faux.
Madame Roland, est arrêtée en juin 1793 lors de la chute des Girondins, elle est guillotinée le 8 novembre 1793.