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Les colonies : Robespierre et la loi du 4 avril 1792
jeudi 17 février 2022
Maximilien Robespierre aborda, c’est bien connu, plusieurs fois la question coloniale à l’assemblée constituante en 1791....On peut recenser cinq séances : les 12, 13, 15 mai puis 5 et 24 septembre 1791 pour y défendre la cause des droits des hommes de couleur libres à l’égalité avec les Blancs.
Ce combat fut mis en échec par Barnave le 24 septembre qui fit révoquer le décret partiellement égalitaire du 15 mai. Ce jour-ci une partie des hommes de couleur libres, ceux nés de père et mère libres -les affranchis-, furent exclus du droit à l’égalité ; ce malgré les protestations de Robespierre......
par Jean-Daniel PIQUET
Maximilien Robespierre aborda, c’est bien connu, plusieurs fois la question coloniale à l’assemblée constituante en 1791. On peut recenser cinq séances : les 12, 13, 15 mai puis 5 et 24 septembre 1791 pour y défendre la cause des droits des hommes de couleur libres à l’égalité avec les Blancs. Ce combat fut mis en échec par Barnave le 24 septembre qui fit révoquer le décret partiellement égalitaire du 15 mai. Ce jour-ci une partie des hommes de couleur libres, ceux nés de père et mère libres -les affranchis-, furent exclus du droit à l’égalité ; ce malgré les protestations de Robespierre.
Finalement, à la nouvelle assemblée législative à partir d’octobre 1791 le groupe brissotin s’employa avec succès pendant six mois à convaincre leurs collègues de la nécessité de restituer aux hommes de couleur libres leurs droits : l’assemblée vota le 24 mars 1792 un décret législatif qui fut sanctionné par le roi le 4 avril, comme l’exigeait la constitution de 1791. Ce fut la loi du 4 avril. Or il a été écrit dans des travaux d’historiens robespierristes, à savoir l’article de Bernard Gainot du collectif Robespierre portraits croisés [1], ou l’ouvrage de Jean-Clément Martin Robespierre ou la fabrication d’un monstre [2] qu’après septembre 1791 Robespierre ne commenta pas cette loi ni la politique coloniale déterminée et persévérante de la Gironde. Selon eux ses divergences croissantes avec ce mouvement, « les luttes hexagonales des factions » [3], sa nouvelle approche « binaire » de la vie politique [4] l’auraient empêché d’assumer un accord quelconque. Déjà auparavant, en 1987 Yves Benot soulignait l’existence du pamphlet Jacques Pierre Brissot démasqué, édité en février 1792 par Camille Desmoulins, engagé comme son ami d’enfance dans le combat contre le bellicisme brissotin. Or d’après Camile Desmoulins Brissot défendait la cause des Noirs pour diviser le mouvement patriote (la rupture des jacobins avec Barnave, les Lameth et les villes maritimes) ou pour se rendre populaire dans l’opinion publique [5].
Ce pamphlet, Robespierre ne l’aurait jamais désavoué « ni alors plus tard quand à la fin de 1793 leurs chemins se sépareront » [6].
Quelle erreur ! Un numéro méconnu du Défenseur de la Constitution, [7] contredit toutes ces allégations. [8]. Maximilien entend exposer les faits et examiner leurs conséquences sur l’avancée du « bien général ». Il s’y livre à un bilan des sept premiers mois de la politique du groupe brissotin à l’assemblée législative. Il y englobait cinq personnes :
« Les chefs les plus connus de la faction dont je vais parler sont M.M. Brissot, Condorcet. Après ces noms, on cite les noms de plusieurs députés de Bordeaux, tels que ceux de M.M. Vergniaud, Guadet, Gensonné », [9].
Pour agir ainsi il s’impose une lecture régulière de leurs principaux journaux le Patriote français et la Chronique de Paris. [10] Il peut ainsi dresser un bilan de leur politique. Il commence par le point positif, à ses yeux, unique, :
« Je les examine d’abord au sein de l’assemblée nationale ; et je commence cette discussion impartiale par les choses même que l’on peut louer en eux. Je leur rends grâce au nom de l’humanité d’avoir défendu les droits des hommes libres de couleur de nos colonies. Loin d’imiter l’injustice de ceux qui leur ont cherché des torts jusque dans cette action louable en elle-même je me croirais coupable d’ingratitude si je refusais cet hommage à ceux qui ont fait triompher la cause que j’avais plusieurs fois plaidée dans la même tribune. Peu m’importent les motifs quand les faits sont utiles au bien général. Sans examiner s’il est vrai que les uns défendent même la cause de l’humanité comme des hommes d’affaire et les autres comme des défenseurs officieux, je me borne à rechercher si les malheurs de l’Europe vous ont aussi vivement occupés que les infortunes américaines, et si le peuple français a trouvé en vous le même zèle que celui de Saint-Domingue. [11]. »
On se souvient que seize mois plus tard, le 2 octobre 1793, il sauvera 73 députés girondins du Tribunal Révolutionnaire, qu’il jugeait « égarés ». Ici sur les cinq personnes nommées, quatre, Brissot, Vergniaux, Guadet, Gensonné, appartiendront, douze mois plus tard, à ce qu’on peut appeler « le cœur de la Gironde » : à savoir les 29 députés expulsés de la Convention les 31 mai et 2 juin 1793. Or déjà en mai 1792 Robespierre entend faire la part des choses et saluer un aspect précis de la politique des Brissotins. Il ne tient même pas compte des attaques orales dont il fut l’objet peu avant le 25 avril de la part de Brissot et de Guadet, à la Société des Jacobins et durant tout le mois de mai d’invectives écrites, signées par Condorcet dans la Chronique de Paris. Les deux premiers l’avaient accusé d’exercer au sein du Club un « despotisme d’opinion », le troisième de travailler pour la Cour en critiquant la guerre d’attaque. Robespierre évaluait uniquement leur politique.
L’Humanité, la justice et les principes lui importent davantage que les attaques contre sa personne ou les luttes hexagonales des factions. « Au nom de l’Humanité » Robespierre peut d’autant mieux se féliciter que le décret du 15 mai n’est pas réinséré : l’amendement Reubell, il avait tenté de faire annuler. Le 15 mai 1791 il s’était écrié :
« Aussi suis-je loin d’appuyer sous ce rapport l’amendement de M. Reubell. Au contraire, je sens que je ne puis point adopter cet amendement. Je sens que je suis ici pour défendre les droits des hommes libres de couleur en Amérique, dans toute leur étendue ; qu’il ne m’est pas permis, que je ne puis pas, sans m’exposer à un remords cruel, sacrifier une partie de ces hommes-là à une autre portion de ces mêmes homme. Or, je reconnais les mêmes droits à tous les hommes libres, de quelque père qu’ils soient nés et je conclus qu’il faut admettre le principe dans son entier. Je crois que chaque membre de cette Assemblée s’aperçoit qu’il en a déjà trop fait en consacrant constitutionnellement l’esclavage sur les Colonies [12]. »
« Je demande, par sous-amendement, qu’on retranche de la rédaction de M. Reubell la disposition qui porte que le Corps législatif ne délibérera jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de pères et mères libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies. Il faut que tous les hommes libres de couleur jouissent de tous les droits qui leur appartiennent [13]. »
Le 21 mars 1792, Brissot expliqua ainsi les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas réinsérer le décret du 15 mai 1791 :
« En effet vous borner à ressusciter le décret du 15 mai ne serait qu’une demi-justice, car ce décret privait les citoyens de couleur d’une partie de leurs droits. Ce décret ouvrait la porte à 1. 000 chicanes que l’orgueil et l’injustice n’auraient pas manqué de saisir pour tout brouiller [14] . »
De plus, non seulement Robespierre leur rendait cet hommage, mais il s ’employait à désavouer « l’injustice de ceux qui leur ont cherché des torts, jusque dans cette action louable en elle-même », sous peine « d’ingratitude ». De qui parle-t-il donc si ce n’est de Camille Desmoulins, de son pamphlet et de ses lecteurs acquis à son message ? A ses yeux seuls comptent les actes, les résultats qui font ou non progresser « le bien général ». Et fait qui intéressera également tous les linguistes intéressés par son lexique [15] : « Je leur rends grâce », « au nom de l’Humanité », « sous peine d’ingratitude ». L’incorruptible ne s’identifie pas seulement à la Révolution mais à l’Egalité de tous les hommes devant la loi, surtout s’ils étaient jusqu’ici privés de tous les droits auxquels lui, pourtant, pouvait accéder de par sa couleur de peau.
Mais limite de cet extrait, on devine que comme les députés de la Gironde il borne « le peuple de Saint-Domingue » à ses dizaines de milliers de colons métis et de noirs affranchis et écarte les centaines de milliers d’esclaves dont l’annonce d’une insurrection, déclenchée le 23 août 1791, arriva en France métropolitaine deux mois plus tard, fin octobre. Il acceptait implicitement l’envoi de troupes contre les esclaves insurgés. Cela ne démontre pas ni chez lui ni davantage chez les Girondins une vision négative des insurgés. De par ses lectures de la Chronique de Paris, on peut dire qu’il partageait l’avis de Condorcet exprimé dans le numéro du 25 mars 1792. Celui-ci qui commente avec satisfaction le décret législatif de la veille ajouta timidement :
« Pour l’honneur de l’humanité, il est à espérer que les intérêts des Noirs ne seront pas entièrement oubliés » [16]. Ainsi pour Condorcet, comme pour Robespierre en 1792, l’abolition de l’esclavage des Noirs était à l’ordre du jour, mais se devait de rester progressive.
[1] Bernard GAINOT, « Robespierre et la question coloniale » collectif Robespierre portraits croisés Paris, Armand Colin, 2012, p. 79-94 (89) .
[2] Jean-Clément MARTIN, Robespierre ou la fabrication d’un monstre, Paris, Perrin, 2016, 115-116, 142.
[3] Bernard GAINOT, art cit p. 94
[4] Jean-Clément MARTIN, op cit, p 161
[5] Yves BENOT, La révolution française et la fin des colonies Paris La Découverte 1987, p. 100
[6] Ibidem p. 101.
[7] Œuvres de Robespierre, tome IV le Défenseur de la Constitution- n° 3 -31 mai 1792 .
[8] Le titre est « Considérations sur l’une des principales causes de nos. maux », p. 77-99
[9] OEuvres de Robespierre tome IV, p. 83
[10] Ibidem p. 95 Ces deux journaux sont régulièrement cités dans le numéro.
[11] Ibidem p. 84 Jean-Daniel PIQUET, L’Emancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795), Paris Karthala, 2002 p. 155
[12] Archives Parlementaires, tome 26 p. 95 .
[13] Idem
[14] Archives parlementaires, tome 40, p. 214 ; Jean-Daniel PIQUET, op.ci.t p.146
[15] Cesare VETTER, Marco MARIN, Elisabetta GON, Dictionnaire Robespierre.. Lexicométrie et usges langagiers. Outils pour une histoire du lexique de l’Incorruptible, Tome 1, Trieste, EUT, Editizioni Universita di Trieste, 2015, 768 p.
[16] La Chronique de Paris, 25 mars1792 ; Yves BENOT, op cit. p. 150.