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Une admiratrice de Maximilien Robespierre : lettre de Madame Chalabre du 11 janvier 1792.
mercredi 13 octobre 2021
La lettre qui fait l’objet de cet article est adressée à Robespierre le 11 janvier 1792. La belle lettre de Jeanne-Marie de Rigny, Madame Roger de Chalabre sur le discours sur la guerre de Robespierre, dénonçant les préparatifs de guerre et l’esprit militaire qui pourrait tuer la liberté montre que Robespierre n’est pas seul dans son combat même si peu de témoignage nous sont parvenus.
Cette lettre est écrite dans un débat qui allait conduire la nation française à la guerre. D’une part, l’agitation désordonnée des émigrés, l’inquiétude des souverains étaient une menace pour la paix, d’autre part, la déclaration de Pillnitz n’impliquait pas une rupture, enfin maintenir la paix était encore possible. Cependant, la poussée subite de sentiments belliqueux en France va balayer les cris d’alarme de ceux, peu nombreux, qui appréhendent les conséquences d’une guerre même victorieuse. Robespierre est l’homme qui se dresse contre une guerre néfaste à la Révolution et au-delà à la liberté du peuple français.
La lettre qui fait l’objet de cet article est adressée à Robespierre le 11 janvier 1792. La belle lettre de Jeanne-Marie de Rigny, Madame Roger de Chalabre [1] sur le discours sur la guerre de Robespierre, dénonçant les préparatifs de guerre et l’esprit militaire qui pourrait tuer la liberté montre que Robespierre n’est pas seul dans son combat même si peu de témoignage nous sont parvenus.
Revenons au contexte historique : situation singulière, la guerre a été voulue par trois groupes, pour des raisons différentes, voire opposées. Le roi, la cour, la reine surtout, attendent avec impatience l’intervention collective et victorieuse des rois. « La force armée a tout détruit, il n’y a que la force armée qui puisse tout réparer » dit Marie-Antoinette.
La Fayette et ses amis comptent s’appuyer sur l’armée pour fortifier leur influence. Les Girondins enfin, les plus remuants, se persuadent que les troubles qui minent l’action de l’Assemblée, cesseront dès qu’on aura forcé le roi à se démasquer. Pour cela, un seul moyen, la guerre, dont Brissot ne met pas en doute le succès rapide ; la France, entraînant les peuples opprimés dans une nouvelle croisade, obligera les rois à reconnaître la Révolution.
Pourtant des voix se sont élevées en faveur de la paix : les ministres feuillants, qui craignent le manque de préparation de la France, mais surtout Robespierre qui, pendant trois mois, lutte à la tribune des Jacobins contre le fougueux Brissot, éclairant avec lucidité prophétique tous les dangers d’une politique belliqueuse.
Robespierre expose par exemple à la tribune des Jacobins le 2 janvier 1792 : « … La guerre est bonne pour les officiers militaires, pour les ambitieux, pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d’événements ; elle est bonne pour la cour, elle est bonne pour le pouvoir exécutif dont elle augment l’autorité, la popularité, l’ascendant ; elle est bonne pour la coalition des nobles, des intrigants, des modérés qui gouvernent la France… » Il poursuit : « … La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armées… » « … Nos victoires mêmes de nos généraux seraient plus funestes que nos défaites mêmes… »
Quelques jours après Madame Chalabre écrit à Robespierre : « Non je ne trouve pas d’expression qui puisse rendre à l’admirable Robespierre la surprise, l’émotion que m’a causée la lecture de son intéressant et utile discours dans la dernière Révolution de Paris (journal qui publie le discours de Robespierre) . Les patriotes ont bien fait de l insérer, parce que ce journal se lit beaucoup et va partout. On ne saurait trop se hâter de prémunir les vrais Français contre le piège exécrable de la guerre. Mais hélas ! je crains bien que ce ne soit un parti pris dans l’assemblée nationale car le député Ramond (de Carbonnière) nous annonce un long et beau rapport du comité diplomatique dont les conclusions seront sans doute pour la guerre, Juste ciel ! Que de trahisons ! malheureuse patrie . De faux guides vous détournent encore du bon chemin par de nouvelles ruses plus fines que celles des modérés. Elles n’ont pas un caractère si marqué de fausseté et n’en sont que plus dangereuses.
Patriotes égarés dit on à ceux qui ne veulent point la guerre. Ah ! continuons de nous égarer ainsi pour l’étouffer et sauver la patrie. Encore un discours aux jacobins lundi joué par les cruels partisans de la guerre qui s’y acharnent comme les corbeaux à leur proie.
S’il en est ainsi désespérons du salut de la patrie. Vainqueur même avec le pouvoir ennemi, c’est être vaincu. C’est la solution de toute la question mais comme vous le dites, on veut toujours être à côté. Comment avec tant soi peu de jugement donner dans un pareil piège ? Cela me paraît incroyable ; au lieu de suivre la nature on aime mieux raisonner contre. Fi, fi de l’éloquence est bien le cas. Faibles humains qui ventez vos lumières, l’instinct des animaux est bien supérieur à votre bel esprit , car il ne les trompe jamais.
{} Je ne puis résister au sentiment de reconnaissance que m’inspire la vertueuse conduite et les sages écrits du fidèle Robespierre malgré le conseil qu’il nous donne lui-même de ne pas trop nous laisser à ces transports.
Sa touchante modestie produira l’effet contraire à en juger par moi mais il ne sera pas dangereux pour la liberté la plus noble émulation en sera le fruit.
Salut, amitié, Chalabre ».
Madame de Chalabre est connue pour avoir été une admiratrice frénétique de Maximilien Robespierre qu’elle rencontra probablement en 1790. Jusqu’à la mort de celui-ci, Madame de Chalabre inonde Robespierre de lettres et de missives dans lesquelles elle clame son soutien, son amour de la liberté et de l’égalité. Au lendemain du 9 thermidor, elle fut arrêtée et mise en prison. Elle était considérée comme une robespierriste active et dangereuse. A en croire certains témoignages, elle aurait joué auprès de Robespierre, pendant les mois de la terreur un rôle équivoque d’indicatrice ?
Les prévisions de Robespierre, dans ses grands discours aux Jacobins, qu’il fallait, avant de combattre l’aristocratie hors des frontières, la détruire à l’intérieur se révéla juste. La guerre a été néfaste à la liberté, seul Robespierre et quelques admirateurs et admiratrices fidèles en avaient été convaincus.
Vandeplas, Bernard, docteur en histoire contemporaine.
[1] Madame Chalabre se dit marquise, mais certains auteurs l’intitulent baronne ou comtesse. Beaucoup soupçonnent, en fait, que le titre nobiliaire des Roger de Chalabre a été usurpé. Elle est née vers 1752 (elle a 43 ans en janvier 1795). On ne connaît pas l’identité de son mari. On sait seulement qu’elle est très riche : sa fortune vient de ce que, dans sa belle-famille, on est joueur, croupier ou entrepreneur de jeux de père en fils. Un de ses proches parents était seigneur du marquisat d’Ussé, il a était croupier et banquier de la reine Marie-Antoinette, qui a mis le jeu en vogue à la cour, et a gagné des sommes colossales. (d’après http://www.valmorency.fr/119.html).