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Une première au monde : 1794. La convention crée par une loi les archives nationales.
vendredi 5 mars 2021
: La création des archives nationales.
Une première au monde : 1794. La convention crée, par une loi, les archives nationales.
Françoise Bosman, conservatrice générale honoraire du patrimoine, et naguère conservatrice du Centre des Archives du monde du travail à Roubaix vient de publier dans l’Humanité [1]un article fort significatif.
Elle nous rappelle que la première loi au monde sur les archives fut prise en France par la Convention. Elle y indique que la nation forge une « mémoire » où sont conservés les actes législatifs, réglementaires et administratifs… [2]
Cette mémoire doit être mise à la disposition de chaque citoyen.ne. Ainsi, par la loi du 7 messidor, an II (25 juin 1794), les archives publiques deviennent le cœur vivant des Archives nationales, puis le 5 brumaire an V (26 octobre 1796) le législateur s’intéresse à la création des Archives départementales…
L’étude de ces « vieux papiers » est un véritable champ de bataille où se confrontent historien.ne.s de profession et historien.ne.s autodidactes. Les gouvernements ne sont pas neutres ; ils peuvent ouvrir ou restreindre l’accès de telle ou telle source sous des prétextes divers. Ainsi certains fonds on été mis sous le boisseau. Par exemple les archives des syndicats patronaux ayant participé lors du gouvernement Pétain de 1940 à 1944 à la charte du travail sommeillaient depuis longtemps dans les caves du ministère du Travail, tout comme les condamnations de dirigeants patronaux jugés à la Libération et pour la plupart vite amnistiés. Ces dossiers ne furent classés qu’en 1990 avant d’être conservés aux Archives nationales. Ce choix n’est pas sans conséquences ; pendant presque un demi siècle, les chercheurs n’y eurent pas accès…
Ainsi selon la formule de Françoise Bosman : l’amnésie est venue conforter des amnisties, cette amnésie a retardé la recherche historique.
Naturellement, toute ces « mémoires » ne sont vivantes que grâce à l’activité de recherches des chercheur.se.s, de la programmation de travaux de thèse ou de publications. Cette situation ne peut laisser indifférente une association comme la nôtre.
Membre du CA de l’ARBR
L’article complet de Françoise Bosman
Si associations de mémoire, historiens et archivistes se mobilisent, certains s’accommoderaient-ils trop de ce recul ?
Les archives publiques sont le cœur des Archives nationales dès la Révolution et des Archives départementales dès 1800. La première loi au monde sur les archives, en 1794, énonce que la nation forge une mémoire par les actes législatifs, réglementaires et administratifs qu’elle produit jour après jour, et qu’elle en est redevable aux citoyens. Ainsi sont d’abord collectés les titres des ordres abolis de la royauté, de la noblesse et du clergé, dans un maillage géographique original, du national au départemental et au local. Les communes et les hôpitaux en effet avaient, dès l’Ancien Régime, géré leur production archivistique. Puis, les archives privées rejoignent peu à peu le service public des Archives : fonds notariaux, grandes familles, scientifiques, intellectuels, associations à partir du XIXe siècle, entreprises après 1945, syndicats, mouvements sociaux, cabinets d’architecture vers 1986.
Pour être communiqués au public, les fonds doivent être collectés auprès de leurs divers producteurs, nettoyés ou désinfectés si nécessaire, triés, classés, inventoriés, indexés, conditionnés, cotés, rangés, conservés dans des dépôts spécifiques, l’informatisation et la numérisation s’y ajoutant à présent.
Dans toute la chaîne archivistique, la première grande peur est d’en avoir trop. À partir des années 1985, pour les fonds des grandes administrations centrales, des tableaux de tri ont été élaborés en commun avec les services versants pour décider ensemble de l’importance des dossiers les uns par rapport aux autres, et accueillir sélectivement les fonds au terme d’une concertation approfondie. Ces tableaux de tri n’ont jamais été portés à la connaissance des lecteurs des salles de lecture, un manquement à la transparence due aux citoyens. L’idéal, cependant, c’est toujours quand un producteur s’en remet à l’archiviste pour vider caves et réserves, comme cette mine des dossiers des succursales d’Afrique du Nord du Crédit foncier stockés dans un vaste hangar de Levallois-Perret et récupérés dans les années 2000, un fonds indispensable à l’histoire économique de la colonisation.
La deuxième grande peur est de ne pas en avoir assez quand le producteur vient livrer lui-même ses archives, l’archiviste risquant de devoir traiter un fonds tronqué des informations les plus essentielles. C’est la configuration assez générale des archives des ministres et des cabinets ministériels que ceux-ci doivent remettre à l’État au terme de leurs missions, ce qui n’empêche pas, quelques années plus tard, de voir fleurir des fonds dits privés de ces mêmes ministres, gérés longuement par des fondations. Dans certains cas extrêmes, ce sont les salariés qui protègent le fonds d’archives de leur entreprise privée quand le patron se sauve : Metaleurop Nord en 2004, une des plus vieilles fonderies d’Europe.
Dans le traitement des fonds, les archivistes déterminent leurs urgences. Ici intervient la troisième peur : faire l’inventaire des fonds dangereux, donc non valorisants. Un exemple : le fonds des syndicats patronaux de la charte du travail gisait depuis trop longtemps dans la cave du ministère du Travail, ainsi que les dossiers de condamnation de leurs dirigeants, puis de leurs rapides amnisties. Il ne fut classé qu’en 1990 et enfin conservé aux Archives nationales. L’amnésie jouait le rôle d’une amnistie supplémentaire, retardant les études historiques.
Dès la création du réseau des Archives de France, la loi prévoit que tout citoyen a sa place dans les salles de lecture. C’est alors qu’intervient une quatrième peur : s’orienter dans le maquis des inventaires et oser attaquer les murailles des cartons et registres. Toute recherche approfondie demande du temps, de la curiosité, de la passion. Les citoyens à qui il reste le samedi pour venir consulter n’ont évidemment pas une marge de manœuvre suffisante, malgré tous les conseils prodigués par les archivistes et les associations tels les cercles de généalogistes. Le public amateur entre donc aux Archives avec hésitation. Il faut un certain moment d’expérimentation avant de maîtriser sa recherche.
C’est pourquoi la cinquième peur, celle des publics avertis, pose question de manière cruciale. Comment expliquer que les chercheurs ne consultent pas les fonds à leur disposition dès que les délais de communicabilité le leur permettent, sachant que maints délais sont déjà bien trop longs ? Les ouvertures du gouvernement Jospin ont été insuffisamment mises à profit, ce qui se répercute notamment sur les sujets confiés aux futurs diplômés. Ce sont les historiens anglo-saxons et américains qui ont fait, les premiers, les récits étayés et novateurs consacrés à l’histoire de France au XXe siècle, Seconde Guerre mondiale et guerre froide tout particulièrement.
La conclusion s’impose d’elle-même : les restrictions gouvernementales actuelles posées illégitimement sur les fonds dits sensibles en disent long sur le fait que l’histoire et les salles de lecture des Archives sont des champs de bataille, qu’on le veuille ou non, et que les fonds inertes sur leurs rayonnages ou ailleurs sont évidemment chauds comme la lave quand ils remontent au jour. Chacun porte la responsabilité de l’étiolement de la loi révolutionnaire sur les archives à chaque maillon de la chaîne. Refonder les Archives de France est aujourd’hui un impératif démocratique, une cause citoyenne exemplaire comme pour tout autre secteur de la fonction publique.
Voir en ligne : Pour en savoir plus sur les archives nationales