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Marat, Robespierre, les malades de la révolution ?

mercredi 3 mars 2021

L’avis de Bruno Decriem

Marat, Robespierre, les malades de la révolution ?

Les derniers secrets de deux revolutionnaires Marat, Robespierre : les malades de la révolution. .Documentaire / france 5 / Jeudi 18 février / 20h50

Marat et Robespierre sont deux grandes figures de la Révolution et, aussi, « deux grands malades, au sens médical du terme ».

Avant de mourir, assassiné par Charlotte Corday, le premier a souffert d’une maladie de peau. Le second, qui a fini sur l’échafaud, était épuisé par la variole, prétend-on. Fort de ces informations, le médecin légiste et anthropologue Philippe Charlier tente de reconstituer leurs dossiers médicaux. Une quête étrange dont l’intérêt n’est pas vraiment évident.

Notre ami Bruno Decriem a eu la patience d’aller jusqu’au bout du documentaire et nous donne son avis d’historien éclairé.

L'Incorruptible Robespierre (1792)  ©Hippolyte Buffenoir, ’Les Portraits de Robespierre’ (Paris, 1910)

Malgré un titre clinquant et racoleur, le documentaire de Dominique Adt et Philippe Charlier propose une démarche à priori originale, à savoir reconstituer les « vrais » visages des deux révolutionnaires et connaître leur état de santé en 1793 en s’appuyant sur les progrès scientifiques du XXIe siècle.

Le documentaire doit reconnaître que le fameux masque mortuaire de Robespierre de madame Tussaud est un faux, élaboré au début du XIXe siècle dans le but d’en faire un personnage patibulaire peu recommandable.

Pourquoi donc alors l’avoir utilisé volontairement en reconstituant le « visage de Robespierre » [1] en 2013 et l’avoir diffusé à l’époque avec un grand renfort de publicité, et avec la volonté affichée de discréditer l’Incorruptible ? C’était déjà Philippe Froesch qui s’était chargé de cette reconstitution erronée.

De même la remarque dans les catacombes de la conservatrice « Robespierre se trouve peut-être à quelques centimètres d’une victime qu’il a lui-même envoyé à l’échafaud » est inadmissible et contribue à la continuation de la diffusion de la « légende noire » de Robespierre.

Il est également désagréable, et ça commence à faire beaucoup, d’entrevoir assez longuement l’historien furétiste Patrice Gueniffey qui, en 1994, avait participé activement au dossier Robespierre dans la revue « L’Histoire » intitulé « Portait d’un tyran ». Là encore il ressasse la même vulgate : fanatisme, aggrave la terreur, etc.

L’Incorruptible Robespierre (1792)
Physionotrace de Maximilien Robespierre (1792) par J-B Fouquet et G-L Chrétien
Hippolyte Buffenoir, ’Les Portraits de Robespierre’ (Paris, 1910)

Vraiment, pour Robespierre, tout est à revoir ! Même la fameuse table du Comité de Salut public n’a pas parlé ! Et d’ailleurs, était-elle la seule du mobilier du Comité de salut public ?

Pour Marat, la recherche de la science est (un peu) plus convaincante même si le fameux numéro de l’ami du peuple du 17 août 1792 taché de son sang était connu depuis longtemps. Le « Journal de la France » chez Tallandier en a publié un fac-similé en 1969 (numéro 6, page 161). Il faut également constater que l’inscription manuscrite certifiant la provenance du sang sur le journal est tardive ( 1837), et que certains historiens doutent encore de la véracité du sang de Marat sur ce journal !

La baignoire-sabot conservée au Musée Grévin (avec reconstitution de la scène de l’assassinat avec les personnages en cire) est toujours aussi impressionnante, mais n’a-t-elle servi qu’à Marat ? La confirmation des maladies de peau dont souffrait l’ami du peuple n’est pas vraiment une surprise. La réalisation informatique en 3D de son visage semble crédible, même si l’on peut préférer le sublime tableau de David « Marat assassiné » dont l’original, rappelons le, se trouve au musée des Beaux-Arts à Bruxelles.

En conclusion, il est sans doute intéressant d’utiliser la science pour la connaissance historique, même si les résultats sont finalement ici assez minces. À voir ce documentaire, il reste encore beaucoup à faire pour proposer des visions plus objectives des deux révolutionnaires que celles imposées par les Thermidoriens depuis plus de deux cents ans [2].

Bruno DECRIEM. ( Vice-président de l’ARBR) ( février 2021)

Commentaires (S. Di Pasquale, A. carton)

L’ARBR en son temps a rendu compte des tentatives de se servir des progrès de la médecine légale pour tenter d’expliquer le passé. Notre site a recueilli deux articles clé à propos des préoccupations du médecin légiste et anthropologue Philippe Charlier. L’intention est-elle aussi louable qu’elle semble en avoir l’air ? Se servir des progrès scientifiques pour fonder « une réalité historique. Pourquoi pas ? Encore faut-il être sincère jusqu’au bout et s’assurer qu’on ne cherche pas à fonder un raisonnement juste sur des prémisses fausses. C’était annoncé depuis le début du documentaire. Le squelette de Robespierre ? Bien hardi celui qui oserait prétendre qu’il tient dans ses mains une mâchoire ou un crâne. Quant au fameux masque qui nous a donné l’occasion d’admirer une belle reconstitution 3D de la figure forcément hideuse de Robespierre : un faux. Et la dame Tussaud, toute experte qu’elle était, une fieffée faussaire. De mêmes’agissant de « l’Ami du Peuple. »

La maladie de Marat était une maladie de peau héréditaire, [3] nous dit Stéfania Di Pasquale qui vient de publier en italien une biographie de Simone Evrard sa compagne. Son père Juan Salvador Mara a souffert de la même maladie que son fils. Il en est mort en 1780.

Cela n’a rien à voir avec les miasmes des égouts de Paris ou autres bêtises répandues de son vivant comme quoi ’il avait attrapé cette maladie en fréquentant des prostituées.

Elle ouvre ensuite une parenthèse sur ce dernier argument. Marat a toujours condamné le phénomène de la prostitution, car il avait étudié comme médecin les maladies vénériennes, montrant à ses frères les maux de cette plaie dans les hôpitaux. Dans son Plan de Législation Criminelle, il nous dit que la prostitution est à bannir comme un vice et qui corrompt les hommes et les femmes qui, « très souvent sont obligés de faire cet honteux métier à cause de leur pauvreté ».

Pour vérifier ce que je j’avance, il suffit de lire la correspondance de Juan Salvador Mara avec son fils Jean-Paul et celle qu’il a entretenue avec les autres intellectuels du Neuchâtelois.[/marron]

En somme, « rien de nouveau sous le soleil historique » que nous ne sachions sur nos révolutionnaires même en utilisant les artéfacts de la science médicale moderne, sauf qu’un tel usage risque fort de déconsidérer la science elle-même.

A. Carton

Galerie


[3Il s’agit de la Malassezia restricta. Celle-ci est associée à la dermite séborrhéique

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