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Les formes de la guerre, miroirs de la Révolution
Un article pédagogique de Luc Defebvre, membre de l’ARBR
jeudi 29 octobre 2020
La guerre étant commencée, Robespierre veut qu’elle soit révolutionnaire. Pas une guerre de conquête, mais une guerre de libération. On trouvera un exemple de la mise en œuvre de ces principes avec Saint-Just à Strasbourg, et leur abandon avec Bonaparte.
La guerre pour mettre fin à la révolution
Après la fuite du roi, en juin 1791, le compromis d’une monarchie constitutionnelle a échoué.
Le marquis de Ferrières, député de la noblesse de Saumur, écrit ainsi à son épouse le 24 juin 1791 : « Toute cette entreprise est le comble de la folie, et dénote, malheureusement dans le Roi, le projet coupable de porter, avec les troupes étrangères, la guerre dans le sein de sa patrie. »
Le roi, qui a échoué à rejoindre les Autrichiens souhaite dès lors la guerre, pour qu’ils viennent à lui. La cour, la noblesse émigrée, celle qui ne l’est pas encore, souhaitent la guerre. Le danger intérieur est considérable, y compris dans l’armée.
Pour le roi et La Fayette, le but est de mater la révolution et de rétablir le despotisme. La guerre en est l’instrument politique. Mais ils ne sont pas les seuls à la vouloir : une bonne partie des députés et le l’opinion publique également. Les brissotins en première ligne, pour des intérêts de puissance et pour faire taire le populaire, en tous cas l’éloigner. Pour ne pas aller plus loin en Révolution.
Le peuple va à la guerre, répond présent, mais n’est pas citoyen.
Robespierre :
« La guerre ! S’écrient la cour et le ministère, et leurs innombrables partisans. La guerre ! Répète un grand nombre de bons citoyens, mus par un bon sentiment généreux, plus susceptibles de se livrer à l’enthousiasme du patriotisme qu’exercés à méditer sur les ressorts des révolutions et sur les intrigues des cours.
(…)
Quelle est la guerre que nous pouvons prévoir ? Est-ce la guerre d’une nation contre d’autres nations, ou d’un roi contre d’autres rois ? Non, c’est la guerre des ennemis de la révolution française contre la révolution française. Les plus nombreux, les plus dangereux de ces ennemis sont-ils à Coblentz ? Non, ils sont au milieu de nous.
(…)
« La guerre est toujours le premier vœu d’un gouvernement puissant qui veut devenir plus puissant encore. (…) c’est pendant la guerre que le peuple oublie les délibérations qui intéressent essentiellement ses droits civils et politiques . »
(…)
« César et Pompée faisaient déclarer la guerre pour se mettre à la tête des légions et revenaient pour asservir leur patrie avec les soldats qu’elle avait armés. Vous n’êtes plus que les soldats de Pompée et non ceux de Rome disait Caton aux Romains (…) »
Robespierre est à ce moment là, contre la guerre. Car ce qui se prépare, c’est une guerre contre la Révolution. Le clivage n’est pas entre les nations, encore moins entre les peuples, mais entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Alors, il est bien seul.
La guerre déclarée, les défaites s’accumulent. La Fayette, puis Dumouriez passeront à l’ennemi.
Robespierre a alors cette remarquable intelligence politique : « La guerre est commencée ; il ne nous reste plus qu’à prendre les précautions nécessaires pour la faire tourner au profit de la Révolution. Faisons la guerre des peuples contre la tyrannie. »
Quand royalistes et brissotins veulent la guerre, Robespierre veut la paix. Pour faire la Révolution. Quand royalistes et girondins voudront la paix, il voudra continuer la guerre, ne pas pactiser avec l’occupant. Et continuer la Révolution.
Mais :
- L’armée doit être formée de soldats-citoyens, conscients de leur action révolutionnaire, faisant une guerre de propagande.
- Elle doit être débarrassée des officiers aristocrates.
- Le droit de guerre n’appartient qu’aux représentants du peuple.
- La guerre renforce le pouvoir exécutif ; danger du césarisme.
- Elle est une menace pour la révolution universelle.
- Des mesures politiques et sociales doivent être prises. L’armée et le peuple seront alors unis.
- Le but n’est pas la conquête, mais la défense et le respect des peuples, leur droit à l’autodétermination.
Les principes défendus par Robespierre furent appliqués peu ou prou, durant la convention montagnarde. Même au sein du Grand Comité il y eut des tensions (Carnot, Pichegru en Belgique dira à ses troupes : « Prenez tout ! Il faut vider le pays ! »)
La Guerre pour défendre la révolution :
Sur le front de l’est, Mayence est tombée, le 13 octobre 1793, les français sont battus à Pirmasens, à Wissembourg. La coalition entre en Lorraine et en Alsace. Haguenau est prise le 29 octobre, Fort Vauban en avant de Strasbourg, le 9 novembre ...
Il s’agit de retourner la situation. Deux représentants en mission ont été envoyés : Saint-Just (24 ans) et Lebas (27 ans).
Des mesures politiques et sociales seront prises. La situation sera retournée.
Saint-Just et Lebas, représentants du peuple en mission à Strasbourg. (octobre 1793-Nivôse an IV).
« À Strasbourg, le 9 du deuxième mois de l’an II (30 octobre 1793) :
Les représentants du peuple, informés qu’il s’est introduit des étrangers et des personnes suspectes dans Strasbourg, arrête ce qui suit : le comité de surveillance de Strasbourg est autorisé à requérir le nombre d’hommes armés nécessaire pour faire cette nuit des visites domiciliaires dans toute la ville ; il se concertera avec le commandant de la place et prendra toutes les mesures nécessaires pour arrêter les personnes suspectes, sans troubler la tranquillité publique.
À Strasbourg, le 10 du deuxième mois de l’an II (31 octobre 1793) :
Les représentants du peuple, voulant en même temps soulager le peuple et l’armée, arrêtent ce qui suit : il sera levé un emprunt de nef millions sur les citoyens de Strasbourg dont la liste est jointe. Les contributions seront fournies dans les vingt-quatre heures. Deux millions seront prélevés sur cette contribution pour être employés aux besoins des patriotes indigents. Un million sera employé à fortifier la place. Six millions seront versés dans les caisses de l’armée (…)
À Strasbourg, le 12 du deuxième mois de l’an II (2 novembre 1793) :
Les représentants du peuple arrêtent :
Art. 1 : l’administration du département du Bas-Rhin est cassée ; les membres seront arrêtés sur le champ (…)
Art. 2 : la municipalité de Strasbourg est également cassée (…) la société populaire remplacera la municipalité par une commission provisoire de douze membres pris en son sein (…)
À Strasbourg, le 16 du deuxième mois de l’an II (6 novembre 1793) :
les représentants du peuple arrêtent : la municipalité de Strasbourg fera arrêter sous vingt-quatre heures tous les présidents et secrétaires de sections lors du 31 mai, et tous ceux qui ont manifesté quelques connivences avec les fédéralistes (…)
À Strasbourg, le 25 brumaire an II (15 novembre 1793) :
Les représentants du peuple arrêtent : dix mille hommes sont nu-pieds dans l’armée ; il faut que vous déchaussiez tous les aristocrates de Strasbourg et que demain à dix heures du matin, les dix milles paires de souliers soient en marche pour le quartier général.
(à la même date), les citoyens de Strasbourg sont invités de quitter les modes allemandes puisque leurs cœurs sont français.
À Strasbourg, le le 27 brumaire an II (17 novembre 1793) :
tous les manteaux de la ville de Strasbourg sont en réquisition ; ils devront être rendus demain soir dans les magasins de la République.
À Strasbourg, le 3 nivôse an II (23 décembre 1793) :
il est ordonné au tribunal du département du Bas-Rhin de faire raser la maison de quiconque sera convaincu d’agiotage ou d’avoir vendu à un prix au-dessus du maximum.
À Strasbourg, le 9 nivôse an II (29 décembre 1793) :
provisoirement et jusqu’à l’établissement de l’instruction publique, il sera formé dans chaque commune ou canton du département du Bas-Rhin une école gratuite de langue française. Le département prendra, sur les fonds provenant de l’emprunt sur les riches, une somme de six cent milles livres pour organiser promptement cet établissement. »
Après la guerre de puissance et d’intrigues des Girondins et une économie libérale de fourniture aux armées peu efficace mais qui profite à certains, après le redressement politique et militaire des montagnards, le renversement des buts de la guerre et une économie dirigée, une application de la terreur sur sa conduite, arrive le temps du « césarisme », amené par la politique d’entre deux chaises du Directoire, le désir de sauver la République par le sabre et la conduite, à nouveau, d’une guerre de conquête.
En l’an II, c’est le mouvement populaire qui a sauvé la Révolution. Avec le Directoire et l’avènement d’une République bourgeoise et censitaire, le peuple est absent.
Le Directoire Bonaparte et la guerre de conquête
Les armées françaises ne sont plus révolutionnaires, le lien peuple-armée et les soldats citoyens s’effacent. Bonaparte sauvera la République en la perdant. L’armée, à l’image de la Révolution, se transforme alors.
Deux exemples :
Naples : en janvier 1799 les troupes françaises investissent Naples, soutenues par une partie de la bourgeoisie, face à la résistance des « Lazzari », groupe religieux et conservateur. Privilèges et droits féodaux sont abolis, mais cela ne suffit pas à gagner la ferveur populaire. En outre les français sont perçus comme anticléricaux. La République de Naples est mise sous l’emprise d’une dictature de guerre. Une forte répression contre les opposants réduit encore les sympathies populaires. Les exécutions sommaires se multiplient. Puis, la République « parthénopéenne » est balayée par les armées des Lazzari, appuyées par la flotte anglaise.
Pavie : la population accueille l’armée française chaleureusement mais devient rapidement exaspérée (15 jours) par les rapines et les débordements, travaillée également par la propagande des prêtres : elle se révolte contre l’occupant. L’insurrection est sauvagement réprimée et aboutit à la mise à sac de la ville.
Les idéaux révolutionnaires disparaissent. Le patriotisme demeure, mais dévoyé. La guerre est une guerre de conquêtes et de pillages.
Le pouvoir militaire a pris le pas sur le politique, sur la conduite de la guerre, mais aussi sur le contenu et la signature des traités. La politique de troc de l’Ancien Régime réapparaît. (échange de régions). Le droit des peuples est bafoué même si des succès ont permis l’instauration de républiques « sœurs ».
Or l’armée française est en crise. La défense nationale est désorganisée. La production de guerre a été privatisée : on retrouve les mêmes errements qu’avant (à l’époque des girondins). Les fournitures n’arrivent plus, ou mal. Des enrichissements exceptionnels contrastent avec les conditions de vie des soldats, entraînant des désertions. Mal ravitaillée, l’armée doit vivre sur le pays. Le passage de l’économie dirigée à la privatisation accentue le fait qu’une armée de « libérateurs » devient une armée « d’occupants » (pillages).
Deux choix politiques sont alors déterminants : privatisation et volonté de conquête.
Bonaparte dit à ses soldats : « Soldats, vous êtes nus, mal nourris (…). Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir, vous y trouverez honneur, gloire et richesses ... »
L’idéal de Fraternité a disparu. C’est un basculement. La crise de l’armée est une crise politique. C’est alors à la montée du « césarisme » que le dénonçait Robespierre.
La patriotisme devient conquérant. Exporter la Révolution est devenu agrandissement de la France. Exit le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Exit, « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ».
Crise de fournitures, chef de guerre … Cela me dit quelque chose ...
Références :
- cours de Samuel Guicheteau ,
- texte d’Anne-Marie Coustou ; « Robespierre et la question de la guerre »
- « Robespierre » d’Hervé Leuwers.