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La Convention devant des historiens du XIXe siècle.
lundi 1er octobre 2018
Louis Blanc :
« Pascal a dit en parlant de l’homme : « S’il se vante, je l’abaisse ; s’il s’abaisse, je le vante. » La même chose se pourrait dire de la Convention. Jamais assemblée ne s’éleva aussi haut et ne descendit aussi bas. Non-seulement elle représenta d’une manière complète, mais elle outra tout ce que la nature de l’homme a de contradictoire. Grande et misérable, sanguinaire et miséricordieuse, héroïque et servile, elle fut tout cela. Elle eut des aspirations sublimes, elle eut des colères à faire frémir, elle eut des frayeurs d’enfant. Quelle majesté sauvage elle déploya, et comme elle mania la force ! Mais combien elle se montra faible quand elle fut fatiguée de sa toute-puissance ! Il est difficile d’affirmer si elle exagère le crime plus que la vertu, ou la vertu plus que le crime. Devant elle, le monde trembla, et elle finit par trembler. Quand elle n’eut plus la terre entière à frapper d’épouvante, elle se fit peur.
C’est qu’en effet la Convention n’eut pas d’existence propre. Elle vécut d’une vie d’emprunt. Elle fut ce que la Révolution la fit. Elle devint un cadavre, dès que la Révolution ne fut plus là pour lui souffler une âme.
Depuis la fin de 1792 jusque vers le milieu de 1794, un esprit mystérieux, indéfinissable, passa sur la France comme un vent d’orage : tous les prodiges qui marquèrent cette époque sans égale vinrent de là. Certains hommes qui furent grands pendant la Révolution ne le furent que par elle, et parce qu’elle, dut les créer à son image. Ce fut elle qui fit du frivole et sensuel auteur d’Organ l’âpre Saint-Just ; ce fut elle qui doua un terne avocat, nommé Robespierre, d’une éloquence telle, que ses ennemis, lorsqu’ils voulurent le tuer, se jugèrent perdus s’il parlait ; ce fut elle enfin qui à des gens d’habitudes et de mœurs paisibles, donna le courage et le pouvoir d’aller faire pâlir les capitaines à la tâte de leurs bataillons.
L’exécution de louis XVI, votée par Vergniaud comme par Saint-Just, fut le premier acte par lequel la Convention fit, suivant un mot demeure célèbre, « un pacte avec la mort. » Si, en tuant un homme, elle eût cru tuer une idée, son erreur certes eût été profonde ; mais il semble que son but, en jetant, comme défi, aux rois qui la menaçaient, une tête de roi, fut de rendre son salut impossible en cas de défaite, et de se créer ainsi l’absolue nécessité de vaincre. Farouche calcul, et formidable, mais où l’audace de la Convention puisa, au début même de sa lutte avec l’Europe, quelque chose de la puissance irrévocable du destin ! »
Mignet :
« La Convention dura trois années, du 21 septembre 1792 jusqu’au 26 octobre (4 brumaire, an IV). Elle suivit plusieurs directions. Pendant les six premiers mois de son existence, elle fut entraînée dans la lutte qui s’éleva entre le parti légal de la Gironde et le parti révolutionnaire de la Montagne. Celui-ci l’emporta depuis le 31 mai 1793 jusqu’au 9 thermidor an II (26 juillet 1794). La Convention obéit alors au gouvernement du Comité de salut public, qui ruina d’abord ses anciens alliés de la Commune et de la Montagne, et qui périt ensuite par ses propres divisions. Du 9 thermidor jusqu’au mois de brumaire an IV, la Convention vainquit le parti révolutionnaire et le parti royaliste, et chercha à établir la République modérée malgré l’un et malgré l’autre.
Pendant cette longue et terrible époque, la violence de la situation changea la Révolution en une guerre, et l’Assemblée en un champ de bataille. Chaque parti voulut établir sa domination par la victoire, et l’assurer en fondant son système. Le parti girondin l’essaya et périt ; le parti montagnard l’essaya et périt, le parti de la Commune l’essaya et périt ; le parti de Robespierre l’essaya et périt. On ne put que vaincre, on ne put pas fonder. Le propre d’une pareille tempête était de renverser quiconque cherchait à s’asseoir. Tout fut provisoire, et la domination, et les hommes, et les partis, et les systèmes, parce qu’il n’y avait qu’une chose réelle et possible, la guerre. Il fallut un an au parti conventionnel, dès qu’il eut repris le pouvoir, pour ramener la Révolution à la situation légale ; et il ne le put que par deux victoire, celle de prairial et celle de vendémiaire. Mais alors la Convention étant revenue au point d’où elle était partie, et ayant rempli sa véritable mission, qui était d’instituer la République après l’avoir défendue, elle disparut de la scène du monde qu’elle avait étonné. Pouvoir révolutionnaire, elle finit au moment ou l’ordre légal recommença. Trois années de dictature avaient été perdues pour la liberté, mais non pour la Révolution. »
Hamel :
Du 4 mai 1789 au 4 brumaire de l’an IV (26 octobre 1795), cette Révolution, mère du monde moderne, a accompli l’œuvre de dix siècles. Certes, pour construire le nouvel édifice social et pour vaincre les résistances désespérées de ses ennemis, elle n’a pas hésité à broyer des corps d’hommes, au risque même de le faire à tort. Personne plus que nous ne regrette le sang versé dans la lutte gigantesque à laquelle elle s’est trouvée conviée malgré elle. Mais que sont ses erreurs, ses fautes, ses crimes même, à côté des erreurs, des fautes et des crimes de ses adversaires ?
Qu’est-ce que le mal passager qu’elle a causé, que sont les intérêts particuliers qu’elle a froissé en passant, auprès du bien qu’elle a produit et des intérêts généraux qu’elle a sauvegardés ? Et pour atteindre ces résultats grandioses, elle n’a pas coûté la cinquième partie des morts de telle bataille, livrée en pure perte, pour la vanité d’un conquérant illustre et la satisfaction d’une ambition personnelle. Vous tous, qui ne prononcez qu’avec un sentiment de respect et de reconnaissance son nom prestigieux…
Eblouissante à travers les âges, elle luit encore sur le monde comme un phare immense, et c’est vers elle que nous devons tourner les yeux pour nous acheminer vers l’avenir."
Thiers :
« La Convention trouva donc un roi détrôné, une Constitution annulée, la guerre déclarée à l’Europe, et pour toute ressource, une administration entièrement détruite, un papier-monnaie discrédité, de vieux cadres de régiments usés et vides. Ainsi, ce n’était point la liberté qu’elle avait à proclamer en présence d’un trône affaibli et méprisé, c’était la liberté qu’elle avait à défendre contre l’Europe entière, et cette tâche était bien autre ! Sans s’épouvanter un instant, elle proclama la République à la face des armées ennemies ; puis elle immola le roi pour se fermer toute retraite ; elle s’empara ensuite de tous les pouvoirs, et se constitua en dictature. Des voix s’élevèrent dans son sein, qui parlaient d’humanité quand elle ne voulait entendre parler que d’énergie, elle les étouffa. Bientôt cette dictature qu’elle s’était apogée sur la France par le besoin de la conservation commune, douze membres se l’arrogèrent sur elle, par la même raison et par le même besoin. Des Alpes à la mer, des Pyrénées au Rhin, ces douze dictateurs s’emparèrent de tout, hommes et chose, et commencèrent avec les nations de l’Europe la lutte la plus terrible et la plus grande dont l’histoire fasse mention. Pour rester directeurs suprêmes de cette œuvre immense, ils immolèrent alternativement tous les partis, et, suivant la condition humaine, ils eurent les excès de leurs qualités. Ces qualités étaient la force et l’énergie, l’excès fut la cruauté. Ils versèrent des torrents de sang, jusqu’à ce que, devenus inutiles par la victoire et odieux par l’abus de la force, ils succombèrent. La Convention reprit alors pour elle la dictature, et commença peu à peu à relâcher les ressorts de son administration terrible. rassurés par la victoire, elle écouta l’humanité, et se livra à son esprit de régénération.
Tout ce qu’il y a de bon et de grand, elle le souhaita et l’essaya pendant une année ; mais les partis, écrasés sous une autorité impitoyable, renaquirent sous une autorité clémente. Deux factions, dans lesquelles se confondaient, sous des nuances infinies, les amis et les ennemis de la Révolution, l’attaquèrent tour à tour. Elle vainquit les uns en germinal et prairial, les autres vendémiaire, et jusqu’au dernier jour se montra héroïque au milieu des dangers. Elle rédigea enfin une Constitution républicaine, et, après trois ans de lutte avec l’Europe, avec les factions, avec elle-même, sanglante et mutilée, elle se dédit, et transmit la France au Directoire et à l’Empire…
En repoussant l’invasion des rois conjurés contre notre République, la Convention a assuré à la Révolution une action non interrompue de trente années sur le sol de la France, et a donné à ses œuvres le temps de se consolider, et d’acquérir cette force qui leur fait braver l’impuissante colère des ennemis de l’humanité.
Aux hommes qui s’appellent avec orgueil patriotes de 89 la Convention pourra toujours dire : « Vous aviez provoqué la lutte, c’est moi qui l’ai soutenue et terminée. »
Avec Louis Blanc, on assiste à la première véritable histoire de la Révolution d’inspiration socialiste. Alors que ses premières pages sur la Révolution de 1789 ont déjà été publiées, Louis Blanc devient un acteur central de la révolution de 1848 : membre du gouvernement provisoire, il préside la commission du Luxembourg qui ouvre des ateliers nationaux, dont l’objectif était de donner du travail aux ouvriers parisiens. Réfugié à Londres à partir de 1849, il poursuit la rédaction de son histoire, qu’il n’achève qu’en 1862.
La fraternité, idée maîtresse de ce récit, s’incarne tout particulièrement dans la figure de Maximilien Robespierre. Louis Blanc devint ainsi le premier homme politique à écrire une aussi longue histoire de la Révolution faisant de Robespierre son héros principal, tout en étant circonspect sur la terreur. pour Louis Blanc, les générations nouvelles doivent ressusciter l’esprit de 1793, que Robespierre a incarné, pour en réaliser les promesses. Louis Blanc oppose le 1793 largement populaire et fraternel au 1789 bourgeois et individualiste. Son œuvre n’est guère inspirée par le matérialisme. la Révolution est menée selon lui par des principes attraits, non par des forces économiques et sociales. Ce qui lui vaudra les attaques les plus sévères de Karl Marx, qui verra dans l’histoire de Louis Blanc le symbole d’un socialisme français rêveur [1].
Les premiers à relever le défi d’une véritable histoire de la Révolution française furent Adolphe Thiers et François-Auguste Mignet (Histoire de la Révolution française, 1824.)
L’histoire de la Révolution française (1823-1827) de Thiers représente une étape importante.
Elle est une œuvre charnière de l’historiographie de la Révolution.
Le contexte historique est le suivant : la France intervient en Espagne, afin d’écraser une rébellion et faciliter la restauration sur le trône de Ferdinand VII, en 1822, celle-ci réveille les souvenir révolutionnaires en France. Les libéraux, notamment Thiers réagissent en se référant à la Révolution française. Thiers, opposant libéral à la monarchie, souhaite écrire, une histoire de la Révolution. Ce seront finalement dix volumes publiés à partir de 1823 et jusqu’en 1827 [2].
Pour Thiers, la Convention nationale s’inscrit dans la continuité des années précédentes et est la conséquence des événements qui la précèdent. 1793 n’est pas dissociable de 1789.
L’histoire de Thiers se singularise également par le fait, que des survivants sont encore susceptibles de livrer leur témoignage. Thiers fonde son propos sur des sources et documents, mais également sur des entretiens avec des protagonistes. Thiers est un précurseur, en terminant son récit de la Révolution avec le 18 brumaire (le coup d’Etat de Napoléon en 1799).
Pour Thiers, et plus encore pour Mignet, qui publie au même moment une autre histoire de la Révolution française, la bourgeoisie y joue un rôle majeur. Mignet, imposait pour la première fois, l’image d’une révolution une et indivisible. 1789 apparaît rétrospectivement positive et nécessaire. Il fallait donc la justifier, même avec les excès de 1793.
Les œuvres de Thiers et Mignet font l’effet d’une machine de guerre contre le gouvernement de Charles X. Une littérature de vulgarisation en diffuse les thèmes dans l’enseignement et dans les classes populaires.
Si Thiers reste sans rival sérieux jusqu’en 1847 (J. Michelet : Histoire de la Révolution française 1847-1853 et A. de Lamartine : Histoire des Girondins), Thiers est à la fois la cible des historiens démocrates et devient l’instrument d’ardente vocations jacobine avec par exemple E. Hamel.
Pour conclure, on peut dire que l’étude critique de la Révolution française a été une conquête difficile : ce n’est que vers la fin du XIXième siècle que la Révolution, jusque là interprétée (sauf Michelet) par des historiens occasionnels, hommes politiques, publicistes, poètes …, l’est par des chercheurs spécialistes avec des méthodes rigoureuses (A. Aulard : Histoire politique de la Révolution française).
Choix des textes et commentaires sur les historiens du XIXième siècle :
vice-président de l’ARBR
[1] Les renseignements sur les historiens du XIXe siècle sont issus pour l’essentiel de l’ouvrage de Jean-Numa Durance « La révolution française et l’histoire du monde : deux siècles de débats historiques et politiques 1815-1991 », édition Armand Colin, Paris, 2014.
[2] Adolphe Thiers, Histoire de la Révolution française, Paris, Leconte et Durey, 1823-1827, 10 vol.