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L’esprit révolutionnaire selon Stendhal
(The Revolutionary Spirit, according to Stendhal)
lundi 25 juin 2018
En français
« L’enthousiasme pour les vertus républicaines, éprouvé dans les armées, appartenant encore à l’enfance, le mépris excessif et allant jusqu’à la haine pour les façons d’agir des rois, contre lesquels on se battait, et même pour les usages militaires les plus simples qu’on voyait pratiquer par leurs troupes, avaient donné à beaucoup de nos soldats de 1794 le sentiment que les Français, seuls, étaient des êtres raisonnables. A nos yeux, les habitants du reste de l’Europe, qui se battaient pour conserver leurs chaînes, n’étaient que des imbéciles pitoyables, ou des fripons vendus aux despotes qui nous attaquaient. Pitt et Cobourg dont le nom sonne encore quelquefois, répété par le vieil écho de la Révolution, nous semblaient les chefs de ces fripons et la personnification de tout ce qu’il y a de traître et de stupide au monde. Alors tout était dominé par un sentiment profond dont je ne vois plus de vestiges. Que le lecteur, s’il a moins de cinquante ans, veuille bien figurer, d’après les livres, qu’en 1794 nous n’avions aucune sorte de religion ; notre sentiment intérieur et sérieux était tout rassemblé dans cette idée : « être utile à la Patrie. »
’’Tout le reste, l’habit, la nourriture, l’avancement, n’était à nos yeux qu’un misérable détail éphémère. Comme il n’y avait pas de société, les succès dans la société, chose si principale dans le caractère de notre Nation, n’existaient pas.’’
’’Dans la rue nos yeux se remplissaient de larmes en rencontrant sur le mur une inscription en l’honneur du jeune tambour Bara (qui se fit tuer à treize ans, plutôt que de cesser de battre sa caisse, afin de prévenir une surprise). pour nous, qui ne connaissions aucune autre grande réunion d’hommes, il y avait des fêtes, des cérémonies, nombreuses et touchantes, qui venaient nourrir le sentiment dominant tout dans nos cœurs. » [1]
In English
« The enthusiasm for the republican virtues, experienced in the armies, still belonging to childhood, the excessive contempt to the point of hatred for the ways of acting of the kings against whom we fought, and even for the simplest military practices that we saw employed by their troops, had given many of our soldiers of 1794 the feeling that the French alone were rational beings. To our eyes, the inhabitants of the rest of Europe, fighting to retain their chains, were only pitiable fools, or scoundrels sold to the despots who attacked us. Pitt and Coburg, whose name still sometimes has resonance, repeated through the old echo of the Revolution, seemed to us the leaders of these rogues and the personification of all that that was treacherous and stupid in the world. Then everything was dominated by a deep feeling of which I no longer see any traces. That the reader, if he is under fifty, would well imagine, according to the books, that in 1794 we had no kind of religion ; our serious inner emotion was entirely bound up in this idea »to be of use to the Homeland."
Everything else, clothing, food, advancement, was to us only a wretched ephemeral detail. Since there was no society, social success, something so central to the character of our nation, did not exist.
In the street our eyes filled with tears as we encountered on a wall an inscription in honour of the young drummer-boy Bara (who was killed at thirteen, rather than stop beating his drum, in order to warn of an ambush). For us, who knew no other great human gatherings, there were festivals, ceremonies, many and touching, which came to nourish the dominant feeling in all our hearts."
Voir en ligne : La vie de Napoléon
[1] Extrait de Stendhal, « Vie de Napoléon »