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Camille et Lucile Desmoulins : un couple mythique
(Camille and Lucile Desmoulins : a legendary couple)
mardi 5 juin 2018
À l’occasion de la parution de Camille et Lucile Desmoulins (Fayard, 2018), Hervé Leuwers [1] nous rappelle l’intensité et l’actualité du combat républicain de ce couple devenu mythique.
(Marking the publication of his Camille and Lucile Desmoulins (Fayard, 2018), Hervé Leuwers reminds us of the intensity and topicality of the republican struggle of this couple, who became legendary.)
En français
- Camille Desmoulins, son épouse, Lucile et leur fils, Horace-Camille, de Jacques-Louis David. Bridgeman Images/Rue des Archives
Dans les romans, les films ou les histoires de la Révolution, le parcours de Camille et Lucile Desmoulins se résume à quelques images fortes : un jeune homme qui appelle à l’insurrection sur une table du Palais-Royal, le 12 juillet 1789 ; une jeune fille qui tient secrètement son journal intime ; un couple qui se marie à Saint-Sulpice, avec Robespierre pour témoin… Trois ans plus tard, ils montent sur l’échafaud ; Camille a 34 ans, et Lucile dix de moins. Leurs noms, ou plutôt leurs prénoms, rappellent le destin tragique de ces « chères ombres » dont Mme Duplessis, la mère de Lucile, va entretenir le souvenir après leur mort. Par-delà, ne peuvent-ils également rappeler des combats ?
L’un et l’autre se rejoignent dans l’attachement à la liberté de parole : l’expression libre des sentiments et des émotions chez la jeune femme qui, en cette fin de XVIIIe siècle, est encore bien seule à tenir un journal personnel ; l’expression libre des opinions pour l’avocat, le pamphlétaire et le journaliste, qui revendique dès 1789 la démocratie et la République. Après leur mariage, Lucile va partager l’ambition politique de son mari ; elle se veut citoyenne, pleinement citoyenne, même si elle n’a jamais voulu publier un périodique, comme Mme Robert, ou animer un salon, à la manière de Mme Roland.
L’originalité et la modernité du couple tient dans cet engagement, et dans cette commune aspiration à la liberté, à l’égalité et, surtout, à la République.
La République de Camille et Lucile Desmoulins n’a certes pas encore vu le jour… C’est une démocratie exigeante, nourrie des écrits de Platon, Plutarque et Cicéron, de Machiavel et de Milton, de Rousseau et de Mably. Une démocratie dans laquelle les citoyens ne céderaient jamais leur souveraineté, discuteraient dans les districts et les clubs, pourraient révoquer leurs mandataires infidèles ou refuser une loi contraire à l’intérêt général. La République, écrit Camille Desmoulins en 1790, ne peut se limiter à « une grande urne, une cruche où les citoyens actifs qui ne se sont jamais vus, viendront déposer leur scrutin, et distribuer des écharpes aux trois couleurs à l’intrigant le plus adroit ».
La République, Camille Desmoulins la demande dès son premier pamphlet à succès, la France libre, distribué après le 14 juillet. Alors que beaucoup, à la manière de Montesquieu, pensent que l’esprit républicain peut coexister avec un roi qui ne disposerait que de l’exécutif, l’avocat présente la succession des monarques comme une galerie de despotes et leur jette sa haine en formules cinglantes : « Ô rois, oui, je vous ai en horreur ! Comment ne vous haïrait-on pas, tigres que vous êtes ? » Pour lui, la République doit, comme à Athènes, comme à Rome, s’établir par l’exclusion des rois « mangeurs de peuple ».
L’idée ne le quittera plus ; il la répète aux Jacobins et dans son premier journal, les Révolutions de France et de Brabant ; il l’exprime plus clairement encore après la fuite manquée de Louis XVI, en juin 1791 : « Il semble que le ciel nous ait envoyé cette occasion unique (Varennes) de faire une grande expérience de la République. » Il l’espère de nouveau à l’été 1792, lorsqu’il participe à l’insurrection du 10 août, le fusil à la main ; Lucile partage sa détermination. Le 9 août, en songeant aux sacrifices à venir, elle écrit dans son journal : « C’est cette nuit, la nuit fatale. (…) Nous voulons être libres. Ô Dieu, qu’il en coûte ! »
« Enfin nous l’emportons »
Pour établir la République, il ne suffit cependant pas de l’annoncer. Élu à la Convention, Camille Desmoulins estime que seule la Montagne a les convictions démocratiques qui permettent de l’imposer. Il en est convaincu dès le procès du roi, et sa femme partage ses certitudes ; à l’issue du dernier vote nominal, qui écarte la proposition d’un sursis à l’exécution de Louis Capet, elle note : « Enfin nous l’emportons. »
Mais la grande famille républicaine se divise… C’est pourtant en se revendiquant de ses amis Robespierre et Danton, que Camille lance son dernier périodique, le Vieux Cordelier. Il veut y dénoncer les hébertistes, qui réclament toujours plus de suspects et d’exécutions. Mais ses positions fragilisent le Comité de salut public et Robespierre… Les amis d’hier se séparent. Camille Desmoulins est conduit à l’échafaud le 5 avril 1794, et sa jeune femme huit jours plus tard.
Il a vécu en républicain, il meurt en « indulgent »… Au XIXe siècle, le sculpteur David d’Angers, profondément républicain, consacre des médaillons de bronze aux Montagnards Robespierre, Saint-Just et Marat, mais pas aux indulgents Desmoulins et Danton ; il faut attendre Maindron, son élève, pour les voir rejoindre la prestigieuse galerie. Quant à Lucile, elle est longtemps restée la femme aimée, la femme aimante, dans l’ombre du mari ; la sortir de ce second rôle, c’est rappeler combien elle a contribué aux premiers combats républicains.
In English
- Camille Desmoulins, son épouse, Lucile et leur fils, Horace-Camille, de Jacques-Louis David. Bridgeman Images/Rue des Archives
In the novels, films or stories of the Revolution, Camille and Lucile Desmoulins’ careers comes down to a few strong images : a young man calling for insurrection on a table at the Palais-Royal on 12 July 1789 ; a young girl secretly keeping a diary ; a couple marrying in Saint-Sulpice, with Robespierre as a witness... Three years later, they mount the scaffold ; Camille is 34 years old, and Lucile ten years younger. Their names, or rather their first names, recall the tragic fate of these « dear shades » whose memory Mme Duplessis, Lucile’s mother, will keep alive after their death. Beyond that, can they not also recall their struggles ?
The free expression of feelings and emotions in the young woman who, at the end of 18C, was almost unique in keeping a personal diary ; the free expression of opinions for the lawyer, the pamphleteer and the journalist, who called for democracy and the Republic in 1789. After their marriage, Lucile shared her husband’s political ambition ; she wanted to be a citizen, a full citizen, even if she never wanted to publish a periodical, like Mme Robert, or host a salon, like Mme Roland.
The originality and modernity of the couple lies in this commitment, and in this common aspiration to freedom, equality and, above all, to the Republic.
The Republic of Camille and Lucile Desmoulins has certainly not yet seen the light... It is a demanding democracy, fed by the writings of Plato, Plutarch and Cicero, Machiavelli and Milton, Rousseau and Mably. A democracy in which citizens would never surrender their sovereignty, discuss in districts and clubs, could revoke their disloyal representatives or refuse a law contrary to the general interest. The Republic, writes Camille Desmoulins in 1790, cannot limit itself to « a large urn, a jug where active citizens who have never seen each other, will come to cast their ballots, and hand out tricolour sashes to the wiliest intriguer ».
Camille Desmoulins demanded the Republic in his first successful pamphlet, Free France, distributed after 14 July. While many, like Montesquieu, think that the republican spirit can coexist with a king who would only an executive role, the lawyer presents the monarchical succession as a gallery of despots and hurls his hatred at them in scathing phrases : « Kings, yes, I hate you ! How could we not hate you, tigers that you are ? » For him, the Republic must, as in Athens, as in Rome, establish itself by excluding the “man-eating” kings.
The idea never left him ; he repeated it at the Jacobins and in his first journal, The Revolutions of France and Brabant ; he expressed it even more clearly after Louis XVI’s failed escape in June 1791 : « It seems that heaven has sent us this unique opportunity (Varennes) to make a great experiment of the Republic. » He hoped so again in the summer of 1792, when he participated in the 10 August insurrection, with rifle in hand ; Lucile shared his determination. On 9 August, thinking about the sacrifices to come, she wrote in her diary : "It is tonight, the fatal night. (...) We want to be free. Oh God, what it costs ! »
« At last we win »
To establish the Republic, however, it is not enough to announce it. Elected to the Convention, Camille Desmoulins believes that only the Montagne has the democratic convictions to impose it. He was convinced of this right from the King’s trial, and his wife shared his certainties ; at the end of the last vote, which rejected the proposal for a stay of execution of Louis Capet, she noted : "At last we win.”
But the big republican family splits... It is, however, by asserting himself against his friends Robespierre and Danton, that Camille launches his last periodical, The Old Cordelier. He wants to denounce the Hebertists, who are demanding ever more suspects and executions. But his positions undermine the Committee of Public Safety and Robespierre... Yesterday’s friends separate. Camille Desmoulins was taken to the scaffold on 5 April 1794, and his young wife eight days later.
In 19C, the profoundly Republican sculptor David d’Angers devoted bronze portrait-medallions to the Montagnards Robespierre, Saint-Just and Marat, but not to the Indulgent Desmoulins and Danton ; it was not until his pupil Maindron’s time that that they joined the prestigious gallery. As for Lucile, for a long time she remained the beloved and loving wife, in the shadow of her husband ; to take her out of this secondary role is to remember how much she contributed to the early republican struggles.
[1] Le prix Château de Versailles est décerné à Hervé Leuwers
Pour sa première édition, le prix Château de Versailles du livre d’histoire est décerné à Hervé Leuwers pour sa biographie Camille et Lucile Desmoulins. Un rêve de république (Fayard, 2018). Ce prix récompense l’auteur d’un ouvrage dont le sujet principal s’inscrit dans le cadre chronologique du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Joël Cornette, membre du jury et membre du comité scientifique de L’Histoire, présente ce livre. ici