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Il y a deux cent soixante ans naissait Robespierre – par Hervé Leuwers

(Robespierre was born 260 years ago – Hervé Leuwers)

lundi 7 mai 2018

« Le sort du peuple est à plaindre quand il est endoctriné précisément par ceux qui ont intérêt à le tromper. »

(« The fate of the people is to be pitied when they are indoctrinated precisely by those who have an interest in deceiving them. »)

En français

Le 6 mai 1758, à Arras, naquit Maximilien « Derobespierre ». [1] Issu d’un milieu juridique, c’est en partie dans la culture familiale que l’étudiant allait puiser sa passion du droit et de la justice

IL Y A 260 ANS LA NAISSANCE DE L’AVOCAT ROBESPIERRE

Ordinairement, la date de naissance d’un homme public n’est qu’un point de repère, un motif d’anniversaire et de commémoration ; dans le cas de Robespierre, elle est plus que cela. Combien de fois, particulièrement depuis les années 1960, n’a-t-on pas souligné ce que l’homme devait à ses origines ? L’avocat, l’homme de 1789 ou le conventionnel de l’an II s’expliqueraient en partie par les blessures de l’enfance... L’interprétation mérite discussion.

Revenons à ce 6 mai 1758, dans l’église Sainte-Marie-Madeleine d’Arras, où maître « Derobespierre » fait baptiser son premier fils, né le même jour « sur les deux heures du matin » ; avec son épouse, ils le prénomment Maximilien Marie Isidore, et lui donnent pour parrain son grand-père paternel, Maximilien Derobespierre, avocat, et pour marraine sa grand-mère maternelle, épouse Carraut.

Sans les noces précipitées de ses parents, en décembre précédent, le garçon serait né « enfant naturel » ou « bâtard », pour reprendre les mots du XVIIIe siècle. Nombre d’historiens assurent que Robespierre en aurait ressenti un traumatisme, accentué par ra mort précoce de sa mère, puis le départ du père vers l’étranger. Certains ont également expliqué par cette histoire personnelle la sensibilité de l’avocat au sort des bâtards, qu’il dénonce dans un imprimé sur les peines infamantes (1785), puis dans un discours à l’académie d’Arras (1786). Mais faut-il être conçu hors mariage pour s’inquiéter du sort des enfants abandonnés et des filles-mères ? Si cette sensibilité provient d’une blessure originelle, comment ne pas s’étonner que le député, quelques années plus tard, n’ait pas contribué aux débats sur la question à l’Assemblée constituante et à la Convention ?

Issu d’une lignée d’avocats au conseil d’Artois

Robespierre
Portrait de RobespierreArchives départementales du PdC

Faute de sources sur la psychologie du futur « Incorruptible » ou, plutôt, face aux témoignages contraires de l’abbé Proyart et de Charlotte Robespierre, sa sœur, ne faut-il pas se contenter des faits ? Comment trancher entre l’avis de l’abbé, ancien sous-principal du collège Louis-le-Grand, qui juge l’enfant Robespierre « tyrannique » avec son frère et ses sœurs, détesté de ses condisciples d’étude et dépourvu de toute moralité, et celui de la sœur de Robespierre qui le présente comme doux, aimé de ses camarades et d’une probité parfaite ?

Par son grand-père paternel et son père, par ses ancêtres de Carvin aussi, le jeune Robespierre est apparenté aux professions juridiques. En 1758, d’une certaine manière, son père et son grand-père paternel, tous deux avocats au conseil d’Artois, la principale juridiction de la province, l’introduisent dans la grande famille judiciaire. Il suivra des études qui le mèneront au barreau, tout comme son jeune frère Augustin.

Pour soulager ces malheureux qu’il est si facile d’écraser

À Paris, l’étudiant a la passion du droit ; avant l’obtention de sa licence, il emporte la « première place dans l’examen public » de fin d’année. Il a également la passion de la justice, qu’il déclame aux juges dans sa défense écrite pour les époux Page, accusés d’usure : « Je suis un homme qui vous révère, qui... oui, j’oserai hasarder cette expression, qui vous chérit comme les anges tutélaires de l’humanité opprimée ; et qui, si vous le voulez, consacrera sa vie et ses forces à seconder votre zèle pour le soulagement des malheureux, de ces malheureux qu’il est si facile d’écraser, mais qu’il est si difficile de secourir » (1786). S’il convient de rappeler que l’avocat défendit aussi des ecclésiastiques, de riches paysans ou des seigneurs, il ne faut pas minimiser cet idéal professionnel, partagé par tant d’avocats philanthropes. Robespierre est l’un d’eux. Son héritage familial est plus à rechercher vers le droit et la justice que dans d’hypothétiques blessures narcissiques.

Reste l’anniversaire d’une naissance, voilà 260 années... La date du 6 mai 1758 n’est certes pas oubliée. C’est le 6 mai 1958, à la Sorbonne, qu’a été symboliquement ouverte une « année Robespierre » marquée par une exposition et quelques publications ; un demi-siècle plus tard jour pour jour, l’anniversaire était célébré à l’hôtel de ville d’Arras, puis fut suivi d’un spectacle et d’un cycle de conférences. L’année 2018 sera plus discrète en manifestations, tant les célébrations publiques aiment les chiffres ronds : les cinquantaines et les centaines... À Paris, au musée du Barreau, l’artiste Laurent Marissal évoquera cependant le risque de l’oubli par l’inauguration d’une « vitrine fantôme » en hommage à Robespierre (19 mai). Chez les artistes, les historiens, les hommes publics et nombre de citoyens, le personnage demeure plus que jamais au cœur des mémoires de la Révolution.

HERVÉ LEUWERS

in Journal l’humanité du vendredi 27 avril 2018

Historien et auteur de Robespierre (Fayard, coll. « Pluriel » 2016) et de Camille et Lucile Desmoulins : un rêve de République (Fayard, coll. « Biographies historiques ». 2018).

In English

On 6 May 1758, in Arras Maximilien « Derobespierre » was born. 1 Coming from a legal background, it was in part from his family culture that the student would draw his passion for law and justice

260 YEARS AGO THE ADVOCATE ROBESPIERRE WAS BORN

Ordinarily, a public figure’s date of birth is only a landmark, a reason for birthday celebration and commemoration ; in Robespierre’s case, it is more than that. How many times, especially since the 1960s, has it not been emphasised what the man owed to his origins ? The advocate, the man of 1789 or the Conventionnel of Year II would be explained in part by damage from his childhood... This interpretation deserves discussion.

Let’s go back to 6 May 1758, in the church of Saint Mary Magdalene in Arras, where Maître « Derobespierre » had his first-born son baptised, born on the same day « at two o’clock in the morning » ; he and his wife named him Maximilien Marie Isidore, and gave him as godfather his paternal grandfather, Maximilien Derobespierre, advocate, and as godmother his maternal grandmother, Mme Carraut.

Without his parents’ hasty marriage in the previous December, the boy would have been born a « natural child » or « bastard », to use the 18C terms. Many historians say that Robespierre would have felt a trauma, accentuated by the early death of his mother, then his father’s departure abroad. Some have also explained by this personal story the sensitivity of the lawyer to the fate of bastards, which he denounced in a pamphlet on shameful punishments (1785), then in a speech at the Academy of Arras (1786). But does one have to be conceived outside wedlock to be concerned about the fate of abandoned children and young mothers ? If this sensitivity comes from an original wound, how can we not be surprised that the deputy, a few years later, did not contribute to the debates on the issue in the Constituent Assembly and the Convention ?

From a Line of Advocates on the Council of Artois

Robespierre
Portrait de RobespierreArchives départementales du PdC

In the absence of sources on the psychology of the future « Incorruptible » or, rather, in the face of the contrary testimonies of the Abbé Proyart and his sister Charlotte Robespierre, should we not be satisfied with the facts ? How to decide between the opinion of the abbé, former deputy headmaster of the College of Louis-le-Grand, who judges the child Robespierre as « tyrannical » to his brother and sisters, hated by his fellow students and devoid of any morality, and that of Robespierre’s sister, who presents him as gentle, loved by his fellows and of perfect probity ?

Through his paternal grandfather and father, and also through his ancestors in Carvin, the young Robespierre is connected to the legal professions. In 1758, in a way, his father and his paternal grandfather, both advocates on the Council of Artois, the main court in the province, introduced him into the extended judicial family. He followed studies that led him to the bar, as also did his younger brother Augustin.

To relieve those unfortunates who are so easily crushed

In Paris, the student has a passion for law ; before obtaining his degree, he takes the « first place in the public examination » at the end of the year. He has an equal passion for justice, which he declares to the judges in his written defence of M and Mme Page, accused of usury : « I am a man who respects you, who... Yes, I will dare to hazard this expression, who cherishes you as the guardian angels of oppressed humanity ; and who, if you wish, will devote his life and strength to supporting your zeal for the relief of the unfortunate, of those unfortunates whom it is so easy to crush, but so difficult to help » (1786). While it should be remembered that advocates also defend clergymen, rich peasants or lords, one should not play down this professional ideal, shared by so many philanthropic advocates. Robespierre is one of them. His family heritage is more to be found in law and justice than in hypothetical narcissistic wounds.

It remains the anniversary of a birth, 260 years ago... The date of 6 May 1758 is certainly not forgotten. On 6 May 1958, at the Sorbonne “Robespierre Year” was symbolically opened, marked by an exhibition and a few publications ; half a century later to the day, the anniversary was celebrated at Arras Town Hall, followed by a play and a lecture series. The year 2018 will be more discreet in demonstrations, since public celebrations prefer the round numbers : the fifties and the hundreds... In Paris, at the Musée du Barreau, the artist Laurent Marissal will nevertheless run the risk of oblivion with the inauguration of a « ghost window » in homage to Robespierre (19 May). Among artists, historians, public figures and many citizens, his character remains more than ever at the heart of commemorations of the Revolution.

HERVÉ LEUWERS

in the newspaper l’Humanité, Friday 27 April 2018

Historian and author of Robespierre (Fayard, coll. « Pluriel » 2016) and of Camille et Lucile Desmoulins : un rêve de République (Fayard, series Biographies historiques, 2018).

1) WITH OR WITHOUT A “DE” ?
Contrary to a frequently repeated claim, the Robespierres have no link with the nobility ; they are of the Third Estate, although they have a “de”. The father of the Conventionnel signs himself “Derobespierre” as one word, and the mother of the latter, “de Robespierre”. As for the future revolutionary, he first signs himself like his father and then, around the age of 20, separates the “de” from his name ; in 1795, Abbé Proyart mocked this choice, omitting to specify that it corresponds to the usage of the teachers at Louis-le-Grand, and revived one of the student’s family traditions. In his letters as a deputy, this time, the “de” disappeared not after the abolition of feudal privileges on 4 August 1789, but following the suppression of hereditary nobility the following June ; the choice, symbolic above all, was then common to many commoners or nobles alike.


[1AVEC OU SANS PARTICULE ?
Contrairement à une idée fréquemment répétée, les Robespierre n’ont aucun lien avec la noblesse ; ils sont du tiers état, bien qu’ils portent la particule. Le père du conventionnel signe Derobespierre, en un mot, et la mère de ce dernier, de Robespierre. Quant au futur révolutionnaire, il signe d’abord comme son père puis, vers ses 20 ans, isole la particule de son nom ; en 1795, l’abbé Proyart a moqué ce choix, en omettant de préciser qu’il correspond à l’usage des maîtres de Louis-le-Grand, et ravive l’une des traditions familiales de l’élève. Dans les lettres du député, cette fois, la particule disparaît non après l’abolition des privilèges, le 4 août 1789, mais à la suite de la suppression de la noblesse héréditaire, en juin suivant ; le choix, symbolique avant tout, est alors commun à nombre de roturiers ou de nobles.