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les journées d’octobre 1789 : un hommage au courage des femmes du peuple.
jeudi 12 avril 2018
Après la destruction par l’Assemblée nationale du système féodal, le texte de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, achevé le 26 août 1789, pose à Louis XVI un problème insoluble à sa conception du monde.
Son choix est clair, il refuse d’entériner la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Une crise s’ouvre dès lors entre le roi et l’Assemblée nationale. La venue de troupe à Versailles, la disette à Paris et l’affaire du banquet des gardes du corps du roi (le 1er octobre) qui avaient foulé aux pieds la cocarde tricolore, provoque ce qu’il est convenu d’appeler les journées d’octobre.
Dans ces journées, les femmes sont aux avant-gardes. Leur mobilisation aboutit au départ forcé de la famille royale de Versailles pour Paris.
Dans « Les révolutions de France et de Brabant », Camille Desmoulins rend un hommage appuyé à ces femmes qui ont su se mobiliser.
« Le dimanche soir, les femmes se donnent rendez-vous le lendemain matin aux pieds de la Lanterne, pour aller de là à Versailles. Dès la pointe du jour, elles se portent à l’Hôtel de ville. Chemin faisant, elles recrutent, dans leur sexe, des compagnons de voyage comme on recrute des matelots à Londres, et il se fait une presse de femmes. Le quai de la ferraille est couvert de racoleuses. La robuste cuisinière, l’élégante modiste et l’humble fille de Minée grossissent la phalange ; la vieille dévote, qui allait à la messe à la pointe du jour, se voit enlevée pour la première fois, et crie au rapt, tandis que plus d’une jeune fille se console d’aller à Versailles sans sa mère ou sans sa maîtresse surveillante pour rendre ses hommages à l’auguste assemblée. Cependant je dois, pour l’exactitude de ce récit, remarquer que ces femmes, du moins celles du bataillon qui campait le soir dans la salle de l’Assemblée nationale, et qui avait marché sous le drapeau de M. Maillard, avaient nommé entre elles une présidente et un état-major, et que toutes celles qu’on empruntait à leur mari ou à leur mère étaient présentées d’abord à la présidente ou à ses aides de camp qui promettaient de veiller sur les mœurs, et assuraient l’honneur de la voyageuse pour ce jour-là.
Arrivées à la place de Grève, ces femmes commencent à descendre religieusement la Lanterne, comme dans les grandes calamités, on descend la chasse de Sainte-Geneviève. Ensuite les femmes veulent monter à la ville. Le commandant général avait été prévenu de ce mouvement ; il savait que toutes les insurrections ont commencé par les femmes, dont la baïonnette des satellites du despotisme respecte le sein maternel. Quatre mille soldats présentaient un front hérissé de baïonnettes, et les écartaient des degrés ; mais derrière ces femmes grossies à chaque minute, un noyau d’hommes armés de piques, de haches, de croissants ; le sang va ruisseler dans la place : la présence des Sabines empêche l’effusion ; la garde nationale qui n’est pas autonome et pure machine, comme le ministre de la guerre veut que soit le soldat, fait usage de sa raison. Elle voit que ces femmes qui partent à Versailles vont à la source du mal. Les 4 000 hommes déjà accueillis de pierres, préfèrent ouvrir le passage, et comme à travers une digue rompue, les flots de la multitude inondent l’Hôtel de Ville.
Répétons à l’honneur de ce peuple qu’on calomnie : dans tout autre pays, l’Hôtel de Ville aurait été dévasté, tout y aurait été brisé et réduit en cendres : ou ne pille que les armes, comme on avait fait au garde-meuble. Je demande aux détracteurs des faubourgs et du septième étage, ce qu’ils peuvent répondre à ce fait : de 2 000 000 de livres prises dans le pillage, il en fut rapporté 194 mille, pour qu’un vol de deniers publics ne souillât point une si sainte journée. Bel exemple à proposer aux administrateurs ! C’est un tableau intéressant à peindre, et des plus grands qu’offre la révolution, que cette armée de dix mille Judith, allant couper la tête à Holopherne, [1] forçant l’Hôtel de Ville, et s’y armant de tout ce qu’elles rencontraient, les unes attachant des cordes aux trains des canons, arrêtant des voitures, les chargeant de l’artillerie, portant de la poudre et des boulets à la garde nationale de Versailles qu’on a laissée sans munitions, les autres conduisant les chevaux, à cheval sur des canons, tenant la redoutable mèche, et allant chercher pour leur commandant général, non des aristocrates à épaulettes, mais les vainqueurs de la Bastille. D’un côté, les anciens gardes-françaises et presque toute la troupe soldée accourue en armes sur la place de Grève, répondant à ceux qui les encouragent par des battements de mains : Ce n’est pas des applaudissements que nous vous demandons ; la nation est insultée, prenez les armes et venez avec nous.
Le même feu de patriotisme embrase à la fois les 60 districts. Saint-Roch lui-même reconnaît que le Palais Royal a raison ; il se réconcilie avec le café de Foy. Le faubourg Saint-Antoine vient chercher le Palais Royal ; le Palais Royal embrasse le faubourg Saint-Antoine, et les gardes-françaises forcent M. la Fayette à monter sur le cheval blanc. Un grenadier lui cria, accompagnant ce mot d’un geste de fusil très significatif : Général, à Versailles, ou à la lanterne. Apparemment, il avait donné ce jour-là pour mot de l’ordre, le temporisateur Fabius. On prétend que le cheval blanc mit neuf heures à faire la route de Paris à Versailles.
La déclaration détaillée de M. Lecointre, faite au nom de la garde nationale de Versailles, explique le reste des événements.
On y voit M. d’Estaing assemblant le 5 la municipalité de Versailles, et se faisant délivrer une autorisation d’accompagner le roi dans sa retraite ; et quand le patriotisme de M. Lecointre et de la garde versailienne, a empêché cette retraite en arrêtant les voitures de la femme du roi et de Guignard (de St-Priest) : on le voit refuser de donner des ordres à la garde nationale de Versailles, et ainsi que le commandant en second, déclaré qu’il se range avec les gardes du corps. On voit que chaque violence du peuple a été provoquée par une violence des gardes du corps. »
La manifestation spontanée était en fait préparée. La garde nationale laissa la troupe accompagner les femmes. Le citoyen Maillard, héros de la Bastille investit avec « ses troupes » les jardins du château. Tandis que Bailly maire de Paris et La Fayette sont en retrait. Les exigences des députés du Tiers à Paris et les manifestantes font que le roi signe les décrets d’août.
Sous la pression des manifestantes, des députés, le roi ne peut que quitter à regret son château et se rendre à Paris sous la surveillance des femmes de Paris et des hommes de Maillard.
Les Parisiens sont joyeux, car ils croient avoir ainsi isolé le roi de ses conseillers aristocrates. La foule regarde encore le roi comme un fétiche contre la disette, la présence du « boulanger, de la boulangère et du petit mitron » est un gage de protection. On pense que là où est la famille royale, on ne saurait manquer de pain !
Il faudra attendre encore quelques mois, pour voir cette même foule se détacher de la famille royale, lorsque celle-ci essaie de fuir à l’étranger. Les liens entre le roi et ses citoyens sont définitivement rompus.
[1] Rédigé autour du IIe siècle av. J.-C., le livre de Judith dans la Bible rapporte l’histoire d’une jeune veuve qui libéra sa ville de Béthulie en Israël, assiégée par les Assyriens, en séduisant puis décapitant leur général Holopherne, endormi ivre après un banquet. Ce texte a inspiré les artistes dès le Moyen Âge.
Judith symbolisait alors la fidélité, la chasteté et la continence triomphant de l’orgueil et de la luxure. Il a été réactivé à la Renaissance par Cranach et Giorgione, avec un écho particulier à Florence, où l’on y a vu une image de la victoire des républicains sur les ennemis du bien public. Mantegna, Botticelli, Donatello ou encore Giovanni della Robbia ont ainsi représenté des Judith…Source : Journal La Croix