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Ce qu’ils ont dit de Robespierre : Romain Rolland
vendredi 7 février 2020
Le grand écrivain et pacifiste Romain Rolland (Prix Nobel en 1915) publia un cycle de huit pièces de théâtre consacrées à la Révolution. (Pâques Fleuries- Le Quatorze juillet- Les loups- Le triomphe de la raison-Le jeu de l’amour et de la mort- Danton- Robespierre- Les Léonides)
Le texte qui suit, daté de janvier1939, est extrait de la postface de la pièce « Robespierre ».
« J’avais trente ans, écrit-il, quand j entrepris d’écrire une vaste épopée dramatique de la Révolution française en une dizaine de drames. J’ai soixante douze ans lorsque j achève le drame qui dans ma pensée devait constituer le sommet de la courbe : « Robespierre » ; je n’avais jamais cessé d’y songer ; mais j’attendais de de me sentir en pleine possession du sujet. »
Le plus grand homme de la Révolution n’a pas encore en France sa statue. C’est un monument expiatoire qu’il faudrait !. Il ne s’est pas trouvé un seul gouvernement républicain, pour oser revendiquer sa mémoire. Plus clairvoyante, la haine des ennemis de la République n’a jamais désarmé. J’ai toujours pensé que la grandeur exceptionnelle est désignée à l’avenir par le flair acharné de l’ennemi, bien avant que les amis ne l’ait reconnue. Je me suis gardé pourtant . Le d’idéaliser Robespierre. L’intelligent Barère avait bien vu que « sa vanité, son irascible susceptibilité et son injuste à la défiance envers ses collègues l’ont perdu. Ce fut un grand malheur. »
J’ajoute que le Robespierre de 1794 n’était plus celui de 1789 à 1793. À mon sens, il n’a jamais été plus grand que dans son rôle lucide et intrépide opposant, pendant l’Assemblée Constituante. Il a été vraiment alors la voix du peuple et sa lumière.
Mais les révolutions usent les hommes. Il avait une chétive santé, et il porta une tâche surhumaine. C’est miracle qu’il ait pu tenir jusqu’en juillet 1794. Dès le 29 mai 1793, aux Jacobins, il se disait « épuisé par quatre ans de Révolution » et « consumé par une fièvre lente ».
Après l’insurrection du 31 mai, le 12 juin, aux Jacobins il reconnaissait son insuffisance. « Je n’ai plus, disait-il, la vigueur nécessaire pour combattre les intrigues de l’aristocratie. »
Épuisé par quatre années de travaux pénibles et infructueux, je sens que mes facultés physiques et morales ne sont plus au niveau d’une grande Révolution, et je déclare que je donne ma démission ». On ne l’accepta point ; et jamais son activité ne fut plus tendue que dans les terribles mois qui suivirent, où la Terreur fut mise à « l’ordre du jour ».
Après le discours du 5 février 1794 à la Convention contre le Dantonisme et l’Hébertisme, Robespierre, surmené, dut s’arrêter tout à fait : du 9 février au 12 mars, il ne reparut plus V aux Jacobins ni à la Convention.
Mais il se traîna encore malade, à la séance du 22 ventôse (12 mars) pour faire voter les implacables conclusions du rapport de Saint-Just contre les deux factions ; et dans la nuit furent arrêtés les Hébertistes et écrasée la conjuration. « Ayez quelque indulgence, dit-il en mai 1794, pour l’état de lassitude et d’accablement où mes pénibles occupations me mettent quelquefois ! »
Cette tension sans repos et l’épuisement qui en résultait durent contribuer beaucoup à sa maladie de défiance et de pessimisme.
Le 14 juin 1793, aux Jacobins il disait : « Je puis assurer que je suis un des patriotes les plus défiants et les plus mélancoliques qui aient paru depuis la Révolution ». Il voyait trop clair, il voyait trop à fond la corruption et la trahison qui ravageaient la Convention. Son pessimisme invétéré qui, dès décembre 1792 lui faisait dire : « La vertu fut toujours en minorité sur la terre » s’enfiévra.
A partir du procès de la Compagnie des Indes, qui lui dévoila l’infamie d’hommes qu’il avait cru de sincères républicains, il vit la Révolution perdue.
Il lutta pourtant jusqu’à la fin, car son pessimisme ne l’empêchait pas d’agir ; et il avait un sens aigu des relativités, des possibilités de l’action, qui varient de jour en jour.