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La fin tragique de Robespierre et de ses amis le 9 thermidor.
Par Albert Mathiez, morceaux choisis par Yves Adam.
vendredi 3 mars 2017
Dans son ouvrage « Autour de Robespierre » (Payot 1926 - Chapitre X « Robespierre à la commune le 9 thermidor »), Albert Mathiez a mené une enquête sur la journée du 9 thermidor de l’an II, depuis l’arrestation des quatre conventionnels autour de Robespierre, jusqu’à la fin tragique à l’Hôtel de Ville. Il y note ses réflexions sur les décisions des protagonistes tout au long de cette journée et leurs motivations. Ci-dessous quelques extraits de ce chapitre (pages 211 à 234) qui expliquent le déroulé de cette journée.
« Les cinq députés frappés du décret d’arrestation, les deux Robespierre, Couthon, Saint-Just et Lebas, furent d’abord conduits au Comité de Sûreté Générale, c’est-à-dire dans les dépendances du local de la Convention. Ils venaient à peine d’y arriver, vers les cinq heures de l’après-midi, quand le général de la garde nationale, Henriot, avec ses aides de camp, essaya de les délivrer. Henriot força les portes à coups de bottes, mais, bientôt entourés par les gendarmes des tribunaux, il eut le dessous, fut garroté et enfermé dans la même pièce que les députés déjà arrêtés [1].
L’huissier du Comité, un certain Chevrillon, fit passer ensuite les députés dans le local du secrétariat, où il leur fit servir à dîner. Le dîner terminé, vers sept heures du soir, ils furent conduits chacun dans une maison d’arrêt séparée [2], Robespierre aîné au Luxembourg, Robespierre jeune à Saint-Lazare, puis à la Force, Lebas à la maison de justice du département, Saint-Just aux Ecossais et Couthon à La Bourbe. […]
L’ordre [du département de police de la Commune aux concierges des maisons d’arrêt, de ne recevoir aucun détenu] ne fut pas exécuté par tous les concierges. […] Les administrateurs de police, qui siégeaient dans un local attenant à la mairie, bâtiment assez éloigné de l’Hôtel de Ville et situé le long du quai des Orfèvres, s’empressèrent de prendre des dispositions pour délivrer les prisonniers […]
- Dernier discours de Robespierre à la Convention
Des cinq conventionnels proscrits, Robespierre jeune est le seul qui se rendit tout de suite et sans se faire prier à la séance de la Commune. […] Amené à l’administration de la police, [Robespierre] refusa d’abord d’en sortir.
[…] La Commune se borna d’abord à une politique d’attente et de défense […] elle chargea enfin Coffinhal d’aller délivrer Henriot, à l’aide d’un détachement de canonniers et de gendarmes à cheval. Il pouvait être neuf heures du soir quand Coffinhal pénétra en trombe dans les locaux du comité de sûreté Générale, enleva Henriot à ses gardiens et entraîna à sa suite tous les postes qui protégeaient la Convention, jusqu’aux gendarmes des tribunaux. La Convention restée sans défenseurs, était à la merci de Coffinhal et d’Henriot. Les membres du Comité fuyaient éperdus. « Citoyens, s’écriait Collot, qui présidait la convention, voici l’instant de mourir à notre poste ! » Mais les vainqueurs, au lieu de terminer l’opération, se bornèrent à ramener Henriot à l’Hôtel de Ville. Rien ne leur aurait été plus facile pourtant que de s’emparer des membres des Comités et d’imposer leur volonté à une assemblée terrifiée. L’occasion perdue ne se retrouva plus.
[…] Combien de temps Robespierre resta-t-il encore à la mairie ? Si on prenait à la lettre le procès-verbal de la commune, il ne serait entré à l’Hôtel de Ville que vers une heure du matin, en même temps de Couthon, Saint-Just et Lebas. Couthon avait raisonné comme Robespierre. Il s’était soumis au décret de la Convention. Il voulait comparaître devant le tribunal révolutionnaire.
- La fin de Robespierre.
[…] Vers dix heures et demie, le citoyen Chappin […] vint annoncer à la commune que les comités se préparaient à rassembler les troupes pour cerner l’Hôtel de Ville et que le décret de mise hors la loi allait être voté contre les chefs de la révolte. L’heure décisive avait sonné.
C’est alors vraisemblablement que le Comité d’exécution [créé le jour-même par la Commune] fit parvenir à Robespierre ce billet laconique qui a été publié par Courtois : « le comité d’exécution nommé par le Conseil a besoin de tes conseils. Viens-y sur-le-champ… ». Cette fois Robespierre s’exécuta. Il vint siéger au Comité d’exécution. Il pouvait être entre dix heures et demie et onze heures du soir.
Couthon, malgré les instances de la Commune, n’aurait peut-être pas consenti à quitter sa prison, s’il n’avait reçu cet appel : « Couthon, tous les patriotes sont proscrits, le peuple tout entier est levé ; ce serait le trahir que de ne pas te rendre avec nous à la commune, où nous sommes actuellement. Signé : Robespierre aîné, Robespierre jeune, Saint-Just » [3]
[…] Le Comité d’exécution se décida enfin à prendre la seule mesure qui aurait été efficace, si elle avait été prescrite en temps utile quand Robespierre l’avait conseillée aux administrateurs de police vers neuf heures du soir : il ordonna l’arrestation des membres des Comités qui dirigeaient la Convention [4]
Mais ces résolutions vigoureuses, prises du reste à la demande des Jacobins, ne purent être exécutées. Le temps manqua pour les coucher sur les feuilles volantes sur lesquelles le secrétaire du conseil inscrivait le procès-verbal au fur et à mesure. Elles n’existent qu’en minutes.
[…] Dépositions intéressantes [celles de H-G Dulac qui s’était faufilé à l’Hôtel de Ville, et de Muron et Javois, les deux gendarmes qui avaient amené Couthon], car elles nous apprennent qu’à cette heure-là, à une heure du matin, les conventionnels proscrits commençaient à rédiger une proclamation aux armées. Non seulement Robespierre aîné ne faisait aucune objection, mais il poussait à la révolte. S’il se demandait avec Couthon au nom de qui la proclamation devait être rédigée, ce n’était pas du tout, - les phrases rapportées ne prêtent à aucune équivoque -, parce qu’ils craignaient d’enfreindre la légalité, mais uniquement parce qu’il cherchait la meilleure formule. Pas la moindre trace d’hésitation ou de scrupules.
Mais les canonniers et les gardes nationaux rassemblés sur la Grève depuis six heures du soir s’impatientaient de leur longue inaction. […] Ils se demandaient pourquoi on les avait convoqués. […] La place de Grève se vidait peu à peu. […] Quand Léonard Bourdon, à la tête d’un groupe de gendarmes et du bataillon des Gravilliers qu’il avait réussi à entraîner, se présenta devant l’Hôtel de ville, il n’éprouva pas plus de résistance à pénétrer jusque dans la salle de l’Égalité que quelques heures auparavant, Coffinhal n’en avait éprouvée à forcer les portes du comité de Sûreté Générale.
[…] On sait la suite. Robespierre aîné se tira dans la bouche un coup de pistolet et ne réussit qu’à se briser les dents. Lebas, maniant son arme d’une main plus sûre, ne se manqua pas. Robespierre jeune, désespéré de la blessure de son frère, se jeta d’une fenêtre sur la place, où on le releva la cuisse brisée. Saint-Just, stoïque et dédaigneux, se laissa emmener sans mot dire. Couthon se blessa gravement à la tête en descendant l’escalier de la mairie. De toute la mairie, seuls Coffinhal et Lerebours parvinrent à s’échapper, et Coffinhal fut repris quelques jours plus tard. »
[suivent plusieurs pages d’explications sur les atermoiements, réflexions et justifications du comportement des cinq conventionnels pendant ces dernières heures]
[…] Si [Robespierre] a été finalement vaincu, alors qu’il avait pour lui les Jacobins, la grande majorité des sections et la Commune, c’est qu’il commit une erreur de jugement. Bien qu’il connût l’immoralité de ses ennemis et leur absence totale de scrupules, il ne crut pas possible qu’ils entraîneraient l’Assemblée. Leur mauvaise réputation fut même pour quelque chose dans son aveuglement. Et quand, surpris par l’événement, il se trouva prisonnier, il ne fit pas assez de fond sur la puissance de sa popularité pour prévoir la révolte immédiate des autorités de Paris. L’arrestation d’Henriot, faite sous ses yeux, acheva de la confirmer dans cette situation funeste. Il mit dès lors tout son espoir dans le Tribunal Révolutionnaire, et il se dit qu’il fallait gagner du temps par une résignation provisoire. Quand il fut détrompé, l’absence et la dispersion de ses compagnons entravèrent sa décision. Il était déjà trop tard quand il se rendit au Comité d’exécution. Là il se donna tout entier à la lutte. Les résolutions vigoureuses qu’il avait conseillées étaient déjà couchées sur le papier, quand la trahison d’un subalterne livra le mot d’ordre [le mot de passe] à Léonard Bourdon et permit aux troupes conventionnelles de s’introduire par surprise jusque dans la salle même où il délibérait..
Il sut du moins racheter ses erreurs par un beau geste. Il ne voulut pas tomber vivant aux mains des « brigands » triomphants. Et, s’il fut déçu, là aussi, son geste reste. Il avait retenu quelque chose de ces Romains que ses maîtres du collège Louis-le-Grand lui avaient appris à admirer dans le Conciones. »
Mis en page par Yves Adam, secrétaire de l’ARBR
[1] Rapport du brigadier de gendarmerie Joanolle, daté du 9 thermidor au soir. Joanolle commandait le poste du comité de Sûreté Générale
[2] Attestation de Chevrillon, citée par Courtois. Ordre de Comité de Sûreté Générale
[3] Courtois note que ce billet est écrit de la main de Robespierre jeune.
[4] « La Commune révolutionnaire du 9 thermidor, destinée par le peuple et pour le peuple à sauver la patrie et la Convention nationale, attaquées par d’indignes conspirateurs, Arrête que les nommés Collot d’Herbois, Amar, Lénard Bourdon, Dubarran, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancey (sic), Vadier, Javogue, Dubarran, Fouchet (sic), Granet, Moyse Bayle seront arrêtés pour délivrer la Convention de l’oppression où ils la retiennent […] »