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Quand le Lycée de Garçons d’Arras devient le Lycée Robespierre
lundi 25 septembre 2023
DISCOURS PRONONCÉ A ARRAS LORS DU BANQUET RÉPUBLICAIN DU 11 JUIN 1988 PAR MONSIEUR JACQUES HERREYRE SECRÉTAIRE DU COMITÉ D’ARRAS DE L’A.R.B.R.
Au nom du Comité d’Arras de l’Association des Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution, je vous remercie de votre participation à
cette journée et à ce banquet,
Mes remerciements vont tout particulièrement à la Société des Études Robespierristes qui une nouvelle fois manifeste son attachement à la ville natale de Robespierre.
Entre les deux guerres la Société des Études Robespierristes avait déjà été à l’origine de cérémonies destinées à honorer la mémoire du grand Révolutionnaire dont la personne et le rôle suscitaient encore de très violentes polémiques à Arras.
Depuis lors les passions se sont apaisées ou tout au moins atténuées et Robespierre a obtenu enfin une consécration officielle lorsque son nom a été donné au Lycée de garçons d’Arras.
Mon propos est de vous relater dans quelles circonstances cet événement s’est produit.
Lorsqu’en 1960 par le hasard d’une première nomination, j’arrivais à Arras pour enseigner l’Histoire et la Géographie au Lycée de garçons, je fus très surpris de constater que les Arrageois n’avaient accordé qu’une place réduite à Robespierre. Il n’y avait ni monument en son honneur ni musée rassemblant ses souvenirs. Pour l’honorer on ne trouvait qu’une petite rue portant son nom, celle où existait la maison qu’il avait habitée de 1787 à 1789 et un buste le représentant, installé dans une salle de l’Hôtel de ville. C’était peu par rapport à la place que Robespierre occupe dans l’Histoire de la Révolution et au regard de sa notoriété à travers le monde. Je m’interrogeais sur les raisons de l’ingratitude d’une ville à l’égard du plus célèbre de ses enfants et sur ce qui m’apparaissait comme une injustice de l’Histoire. Très vite je découvris que pour bon nombre d’Arrageois Robespierre n’était pas seulement un personnage historique discuté mais également un concitoyen dont on avait honte et que l’on rejetait. Quand en classe, devant les élèves, j’évoquais le nom de Robespierre en leur demandant ce qu’il représentait pour eux, le geste fait par certains (la main passant sous la gorge) me fit comprendre que dans leur esprit c’était l’image caricaturale du Robespierre guillotine qui était encore très solidement ancrée.
Il n’était donc pas étonnant qu’aucun établissement scolaire de la Ville n’eût jusqu’alors reçu son nom.
Pourtant une tentative avait eu lieu pour que le Lycée de garçons devint le Lycée Robespierre. C’était à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Maximilien. Une pétition avait circulé dans l’établissement et un Professeur, M. Bacquaert, avait entrepris une démarche officielle, mais cette initiative n’aboutit pas. A cette époque, nous étions en 1958, le « vent qui soufflait d’Algérie » n’était guère favorable aux Amis de Robespierre.
En 1962, l’Externat du Lycée de garçons quitta l’Hôtel de Beaufort. Ce magnifique Hôtel du XXVIIIe siècle qui nous accueille aujourd’hui, et dans lequel le Collège devenu ensuite Lycée se trouvait depuis près d’un siècle.
Il s’installa plus au large dans des bâtiments neufs construits tout près d’ici, Avenue des Fusillés, une avenue dont le nom rappelle le sacrifice héroïque de deux cent vingt martyrs de la Résistance qui furent fusillés par les nazis dans les fossés de la Citadelle construite par Vauban.
Le Lycée de garçons avait changé de cadre, mais il restait toujours aussi anonyme.
Des événements de nature différente allaient faire évoluer la situation en 1967-1968.
C’est tout d’abord une émission télévisée de la série « La Caméra explore le Temps », réalisée par Alain Decaux et Stellio Lorenzi, qui permit de donner à un large public une image plus objective et plus favorable de Robespierre.
Le retentissement de cette émission m’incita, alors que j’étais devenu membre du Conseil Intérieur du Lycée, à prendre une initiative.
En novembre 1967, je proposai que le nom de Robespierre fût donnée au Lycée. Une proposition qui ne reçut pas un agrément immédiat et favorable de tous les participants au Conseil.
Il me fallut tout d’abord convaincre mes collègues, puis plus difficilement l’Administration de l’établissement. J’entends encore le Proviseur de l’époque s’écrier : « Mais vous n’y pensez pas, donner le nom d’un guillotiné à un Lycée qui se trouve déjà Avenue des Fusillés ! ». Finalement après un débat animé, le Conseil Intérieur émit un avis favorable à ma proposition.
L’étape suivante, c’était le Conseil d’Administration. Là aussi l’obstacle fut franchi et facilement en apparence, puisque dans sa séance du 9 février 1968, le Conseil d’Administration présidé par Monsieur l’Inspecteur d’Académie adjoint, donna un avis unanimement favorable ; notre porte-parole, Monsieur Durot, s’étant montré particulièrement convaincant.
Mais pour ne rien vous cacher je dois avouer que ce matin là mon collègue et moi-même avions dû résister à une tentative de pression de la part de Monsieur l’Inspecteur d’Académie adjoint, un homme au demeurant fort sympathique mais qui inquiet des conséquences possibles de notre initiative, avait cherché à nous dissuader en nous demandant de choisir un autre nom. D’une façon provocatrice je lui répondis que si l’on ne voulait pas de Robespierre, notre choix se porterait sur Vidocq, une autre célébrité arrageoise mais pour des raisons différentes. Il faut croire que ma réplique fut efficace car la discussion en resta là, et, le soir comme tous les autres participants à la réunion, il vota notre proposition.
En ce début d’année 1968, alors que la « France s’ennuyait », si l’on en croit un célèbre journaliste parisien, le courant favorable à Robespierre s’amplifiait à Arras.
Successivement l’Association des Anciens Élèves à l’initiative de son Secrétaire, Monsieur Dhersigny, puis le Conseil municipal d’Arras dans sa séance du 22 avril, émirent un avis favorable. La décision de la municipalité arrageoise correspondait au souhait personnel du Maire, Monsieur Guy Mollet qui fut d’ailleurs Professeur en ces lieux durant les années 30.
Mais il ne s’était pas ouvertement prononcé, peut-être pour ménager une partie de son électorat que le nom de Robespierre effarouchait encore !
Le deuxième événement favorable à notre cause fut le mouvement de mai 68. Les élèves de l’établissement ayant constitué un Comité d’Action décidèrent de l’intituler Comité d’action du Lycée Robespierre.
Et c’est ainsi que le 22 mai 1968, on put lire dans la Voix du Nord cet entrefilet. « Lors de sa dernière réunion, le Conseil municipal avait décidé de baptiser Robespierre le Lycée de garçons. Avenue des Fusillés.
Mercredi les lycéens devançant le travail des spécialistes ont inscrit tant bien que mal le nom de l’Incorruptible sur le perron de leur établissement » .
Jusqu’à la mi-juin la presse locale publia des communiqués sous le titre Lycée Robespierre, popularisant ainsi cette nouvelle appellation. Avec le reflux de la vague contestataire, la presse prudemment en revint à la dénomination
Lycée de garçons. Robespierre allait-il encore être desservi par l’Histoire ? Il n’en fut rien car la procédure que nous avions engagée suivit son cours jusqu’à son terme.
En mars 1969 le Conseil Académique de Lille émit à son tour un avis favorable après intervention de notre collègue, Monsieur Millot Professeur d’Histoire et Géographie au Lycée. C’était la dernière formalité nécessaire. Il n’y avait plus désormais qu’à attendre la décision des Autorités Administratives. Elle vint quelques mois plus tard, puisque le 15 novembre 1969, par arrêté préfectoral, le Lycée de garçons d’Arras reçut la dénomination de Lycée Robespierre.
Pour la première fois le nom de Robespierre était officiellement donné à un établissement scolaire.
Vous pouvez imaginer la satisfaction que j’éprouvais. Mon initiative avait abouti à un résultat recherché depuis longtemps, probablement parce qu’elle était venu à un moment opportun. Peut-être aussi parce que c’était inscrit dans mon destin.
Certes, c’est un aspect anecdotique mais je ne peux m’empêcher de voir un signe du destin dans le fait qu’un Girondin soit à l’origine de cette démarche. J’ai en effet omis de vous signaler qu’à mon arrivée à Arras en 1960, je venais de mon département natal : la Gironde.
Je suis un Girondin mais un Girondin Robespierriste. C’est peut-être un de ces clins d’œil dont l’Histoire, la petite comme la grande est coutumière. Dans quelques semaines, je repartirai terminer ma carrière dans ma ville natale à Libourne avec le sentiment d’avoir participé même si c’est d’une façon minime à l’œuvre de réhabilitation de Robespierre à Arras.
Et en regardant pour la dernière fois la plaque apposée sur la façade du Lycée de l’Avenue des Fusillés, j’aurai l’impression de laisser en ces lieux un émouvant symbole de l’union de la Révolution et de la Résistance.
Avant de terminer cette intervention je tiens à exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont permis que le Lycée de garçons d’Arras porte le nom du plus illustre des Arrageois.
Je tiens aussi à émettre un vœu : que le Lycée Robespierre soit officiellement inauguré, ce qui curieusement n’a pas encore été fait. La commémoration du bicentenaire de la Révolution doit permettre de réparer cet oubli.
En 1989 :
— La Révolution aura deux cents ans.
— Le Lycée Robespierre aura vingt ans.
C’est une opportunité à saisir pour rappeler que Révolution et Robespierre sont indissociables.
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Le Secrétaire du Comité d’Arras de l’A.R. B. R., Jack Herreyre.