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Robespierre fut-il rousseauiste sur la question religieuse ?
Un article de Mme Florence Gauthier
vendredi 23 mai 2025
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 27 août 1789 :
« Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. » - Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Constitution du 24 juin 1793 :
« Art. 7. Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. »

Cette question posée en titre a donné lieu, depuis la Révolution de 1789, à une légende noire de Robespierre, forgée en 1794 par la contre-révolution de Thermidor, qui s’est épaissie tout au long du XIXè siècle et dure encore. Pour être entendue, cette légende a besoin de faire de Robespierre un « rousseauiste ».
Commençons donc par Rousseau, qui exposa ce qu’il pensait de la religion « dans la simplicité de son cœur [1] ». Le premier principe de Rousseau : « La religion concerne l’homme et le citoyen », « la religion est purement intérieure » et le citoyen organise un « culte extérieur », lié aux lois du pays, à ses temples, ses dogmes et ses rites.
Dans L’Emile, Livre IV, l’auteur insiste sur ce qu’il nomme : « la religion de l’homme ou le Christianisme, non pas celui d’aujourd’hui, mais celui de l’Evangile, qui est tout à fait différent ».
Et pourtant, le christianisme se révèle impossible à Rousseau :
« On nous dit qu’un peuple de vrais chrétiens formerait la plus parfaite société que l’on puisse imaginer. Je ne vois à cette supposition qu’une grande difficulté ; c’est qu’une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes, la patrie du chrétien n’est pas de ce monde [2] ». C’est donc clairement impossible.
Ce fut l’historien Alphonse Aulard, qui qualifia Robespierre de « rousseauiste » avec toute la vigueur d’un convaincu, dans son livre : Le culte de la Raison et le culte de l’Être Suprême, 1793- 1794, paru en 1892 [3], où nous pouvons lire, par exemple :
« Le nom de Rousseau est même en cela si inséparable de celui de Robespierre, il est si évident que certaines parties de L’Emile, et les dernières pages du Contrat social, ont préparé la fête du 20 prairial an II-8 juin 1794, qu’il est indispensable d’ajourner l’exposé des théories religieuses du philosophe de Genève au moment où nous raconterons le culte de l’Être Suprême [4]. »
C’est d’une telle « évidence » pour Aulard, qu’il n’insistera pas sur les preuves d’un Robespierre rousseauiste, ce qui pourtant manque cruellement à ses affirmations pour qu’on accepte son interprétation.
Mais avant de développer les cultes de la Raison et de l’Être suprême auxquels s’est intéressé Aulard, voyons la situation de la question religieuse aux débuts de la Révolution.
Le 13 avril 1790 [5], le député du clergé, Dom Gerle, avait demandé à l’Assemblée constituante de reconnaître : « que la religion catholique, apostolique et romaine est et demeurera pour toujours la religion de la Nation, et que son culte sera le seul autorisé ». Mais, l’Assemblée rejeta cette proposition, en vertu de l’article 10 de la Déclaration des droits de 1789, cité en exergue.
Pendant la Révolution française, de nouveaux cultes populaires, spontanés, apparurent à la suite des assassinats de Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, le 20 janvier 1793, puis de Marat, L’Ami du Peuple, le 13 juillet 1793, et de Châlier, le dirigeant des Sans-culottes de Lyon le 17 juillet, qui formèrent le premier culte populaire spontané des Martyrs de la liberté. Leurs trois portraits ornaient la salle de la Convention et leurs noms furent pris par trois des sections parisiennes. Par ailleurs, des cultes paysans sur des héros ou héroïnes locales continuèrent d’apparaître, comme l’a montré l’étude d’Albert Soboul [6].
En automne 1793, un mouvement de déchristianisation apparut dans diverses régions du pays, marqué par les débuts du culte de la Raison : des prêtres renonçaient à leurs vœux et choisissaient de se marier. Ce fut la première phase du culte de la Raison, qui connut son apogée avec une fête, à Paris, le 10 novembre 1793, à Notre-Dame, transformée en Temple de la Raison.
C’était l’électorat des communes, ou en ville, des sections de commune, qui décidait de la fermeture de leur église et de tout ce qui concernait l’ancien et les nouveaux cultes. Il faut bien comprendre que le culte catholique et les nouveaux cultes se poursuivaient et coexistaient dans les diverses communes et paroisses du pays.
Aulard affirme que la transformation du Culte de la Raison en Culte de l’Être suprême a été décidée par Robespierre, qui se préparait à devenir, « par la création d’une religion nouvelle, le futur pontife de l’Être suprême », ce qui le conduirait au « pontificat dictatorial d’un homme [7] ». Il affirme encore que l’athéisme caractériserait l’objectif de ce mouvement de déchristianisation, tout ceci sans preuves.

Or, Robespierre, dans toute cette période des cultes de la Raison et de l’Être suprême, rappelle sans arrêt le principe constitutionnel de la « liberté des cultes ». Un exemple : le 21 novembre 1793, à la Société des Amis de la Liberté et de l’Egalité [8], Robespierre prit la parole :
« On a supposé qu’en accueillant des offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n’a point fait cette démarche téméraire. La Convention ne la fera jamais. Son intention est de maintenir la liberté des cultes qu’elle a proclamée et de réprimer en même temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l’ordre public [9] ».
Il réitérait le 6 décembre suivant, et à maintes reprises, le principe constitutionnel de la liberté des cultes. Ainsi Robespierre défendait-il les principes de la Révolution, en rappelant celui de la liberté des cultes, dans la période de déchristianisation, alors qu’Aulard, un siècle plus tard, l’ignore ou veut l’ignorer, sous prétexte qu’il voit en Robespierre « un mystique rousseauiste doublé d’un dictateur religieux », qui prendrait la défense du catholicisme, sous couvert de l’Être Suprême [10].
Mais, voilà qu’apparaît un nouvel historien, James Guillaume, qui s’est intéressé au Comité d’Instruction Publique, formé précisément par la Convention pour s’occuper de l’Instruction publique en général, dont la question religieuse, avec les cultes nouveaux et leur organisation.
J. Guillaume commença par publier les procès-verbaux de ce Comité d’Instruction Publique, en six volumes, qu’il acheva en 1907, puis un article sur « La liberté des cultes et le Comité d’Instruction Publique », en 1909 [11]. Ces publications sont, à l’évidence, essentielles pour connaître le travail de mise en forme des réponses de ce Comité à la Convention, et ses membres : en effet, un certain nombre de prêtres en étaient et quelques évêques comme Grégoire lui-même et Jean Jay, un ministre du culte protestant.
Ainsi, J. Guillaume nous apprend que la Convention a confié à ce CIP, non seulement les cultes révolutionnaires, mais aussi le nouveau calendrier dit révolutionnaire, qui devait faire commencer la nouvelle ère au 22 septembre 1792, date de la suppression de la monarchie en France et de la proclamation de la République, à la suite de la Révolution du 10 août 1792. Ce fut bien ce CIP qui fut chargé, dès le 23 novembre 1793, de faire la liste des fêtes publiques à célébrer dans le prochain calendrier, dans le cadre du culte de l’Être Suprême.
Notons que les publications des recherches de J. Guillaume, en 1907 et 1909, sont postérieures au livre sur les cultes d’Aulard, publié en 1892, et que ce fut Aulard lui-même qui aida J. Guillaume à publier ses travaux. Mais, dès qu’Aulard fit connaissance avec ceux-ci, puis avec ceux d’Albert Mathiez, qui fut son élève, il cessa d’écrire sur le rousseauisme et le culte de l’Être suprême, qu’il attribuait à Robespierre, mais ne corrigea pas ses ouvrages publiés.
J. Guillaume, enfin, a remarqué une analyse que fit Robespierre et qu’il résume ainsi :
« Dès le premier jour, cependant, les soupçons de Robespierre s’étaient éveillés. Il crut apercevoir, dans les démarches des sociétés populaires et dans les votes des sections de Paris, la main de certains meneurs du parti de l’étranger, des agents du royalisme et du fédéralisme brissotin [12] ; il surveilla avec attention ce qui se passait, attendant le moment favorable pour démasquer ceux qui, en ayant l’air de pousser à la destruction du culte, travaillaient en réalité à fomenter la guerre civile et à rétablir l’Ancien régime. Il est certain, en effet, qu’il y eut, parmi les hommes mêlés à Paris au mouvement de déchristianisation, un personnage équivoque, le belge Proly, qui jouait au diplomate et qui fut l’organisateur des sociétés populaires de sections, créées en septembre 1793 [13] ».
Je me permets d’éclairer rapidement la situation en France à ce moment. A la suite de la Révolution du 10 août 1792 qui renversa la monarchie en France, la Convention fut élue et, le 22 septembre, déclarait la République en France. Mais par crainte d’une République démocratique, les députés votaient pour les propositions du parti brissotino-girondin, qui obtint ainsi une majorité à la Convention et choisit la guerre de conquête. En février 1793, les Brissotins déclarent la guerre à l’Angleterre et à la Hollande et partent à la conquête de la rive gauche du Rhin : Belgique, Hollande et, parmi les Etats allemands, les possessions de la Prusse et de l’Autriche.
Ce parti de l’étranger envoyait ses agents en France, qui étaient soutenus par les Brissotins et les royalistes. Parmi eux, Proly installé à Paris, détourna les sociétés populaires de la Commune de Paris, en les réunissant aux heures où les Sans-culottes travaillaient et étaient absents, pour prendre des décisions opposées. Ce fut le moyen que les contre-révolutionnaires employèrent à Lyon en 1792/93, pour amener la contre-révolution par un mouvement sectionnaire, ce qui se répéta, par exemple, au 9 thermidor-27 juillet 1794.
Proly, entouré de Dubuisson, Desfieux et Pereira, interviennent dans les sociétés populaires des Sections parisiennes, mais aussi à la Société des Amis de la liberté et de l’égalité. Pour donner un exemple de leur tactique contre-révolutionnaire, ils proposèrent de ne plus salarier les prêtres et de leur interdire les fonctions publiques : ce qui avaient comme conséquence de ne plus leur assurer de revenus et les conduire à la contre-révolution pour exister.
Proly et ses amis intervenaient ainsi dans le mouvement de déchristianisation pour diviser les patriotes et nuire à la République. Finalement, Proly et ses amis furent arrêtés en janvier 1794.
Ce fut le gouvernement anglais lui-même, en la personne de Pitt (le second), qui répandit dans toute l’Europe, un Manifeste des rois ligués contre la République française, le 19 novembre 1793 : ces rois ligués faisaient la guerre à la France.
Robespierre fut chargé d’y répondre par la Convention, et le fit le 5 décembre suivant. Il mit en lumière que Pitt cherchait à allumer la guerre civile en France, en s’ingérant dans la question religieuse pour la manipuler. Robespierre écrit au sujet de ce Manifeste de Pitt :
« On vous dit que la nation française a proscrit toutes les religions, qu’elle a substitué le culte de quelques hommes à celui de la Divinité. Ils mentent : le peuple français et ses représentants respectent la liberté de tous les cultes et n’en proscrivent aucun. [14] »
J. Guillaume est, parmi les historiens, celui qui a saisi en quoi consistait ce « parti de l’étranger ». Il s’agit d’agents des pays qui avaient déclaré la guerre à la République française, et qui profitaient du mouvement de déchristianisation pour chercher à s’immiscer dans la question religieuse et exciter la guerre civile dans les départements, en bref, à empêcher que la liberté des cultes ne s’impose en France. Il est fort dommage que James Guillaume soit ignoré de ses successeurs [15].

Albert Mathiez, grand historien de la Révolution, publia un article, critiquant l’interprétation d’Aulard : « Robespierre et le culte de l’Être suprême », en 1910 [16]. En effet, Mathiez fit remarquer que l’Être suprême était déjà inscrit dans les préambules de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen », comme dans celle de 1793 : « … En conséquence, il proclame, en présence de l’Être suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen [17] ».
Ce n’est donc pas Robespierre qui a inventé ce culte de l’Être suprême. De plus, Mathiez fait remarquer que, depuis la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 [18] à Paris, les fêtes postérieures - et elles furent nombreuses- ont toutes pris modèle sur celle-ci : même décor, mêmes hymnes, mêmes cortèges et même émotion patriotique pour les symboles républicains.
Mathiez avait été l’élève d’Aulard, mais rompit avec lui et prit son indépendance en 1907 en créant la Société des Etudes robespierristes et, en 1908, la revue des Annales historiques de la Révolution française. Devenu professeur à l’Université de Besançon, puis de Dijon, il ne rejoignit la Sorbonne qu’en 1926.
Mathiez poursuit en insistant sur le fait que les historiens n’ont analysé les cultes révolutionnaires que du point de vue politique, mais non religieux :
« J’ai honte d’y insister. Mais l’opinion d’après laquelle Robespierre serait le créateur du culte de l’Être suprême ne résiste pas à l’examen. L’essentiel dans la religion révolutionnaire, c’était l’adoration de la République, de la Liberté, de l’Egalité, mots neufs dont le prestige était encore tout entier [19]. »
Revenons au Comité d’Instruction Publique qui confia à un de ses membres, Jean-Baptiste Mathieu, député de l’Oise, de proposer la liste des jours de fêtes consacrés aux grandes dates de la Révolution : la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 ; la Révolution du 10 août 1792 qui renversa la monarchie en France ; le 21 janvier 1793, l’exécution du roi ; enfin la Révolution des 31 mai-2 juin 1793 qui permit de proclamer, enfin, la Constitution de 1793 et de poursuivre la Révolution. A ces fêtes s’ajoutaient les décadis, jours de repos du nouveau calendrier révolutionnaire voté le 5 octobre 1793.
Mathiez note qu’Aulard attribuait à Robespierre le choix et le nom des fêtes, alors que ce fut une initiative du Comité d’Instruction Publique, comme je viens de l’indiquer. Ainsi, lorsque Robespierre fut chargé de faire le rapport sur le culte de l’Être Suprême le 7 mai 1794, il reprit le nombre de fêtes fériées de la liste officielle, proposée par le Comité d’Instruction Publique et acceptée par la Convention.
Ce nouveau calendrier était inspiré du calendrier égyptien antique, qui divisait l’année en 12 mois de 30 jours chacun, avec quelques jours complémentaires, selon les années [20]. Le mois était divisé en 3 décades de 10 jours, qui remplaçaient la semaine de 7 jours. Le décadi, ou dixième jour, remplaçait le dimanche, car certains membres du Comité d’Instruction Publique tenaient à « supprimer le dimanche » : ce fut chose faite sur le papier, mais beaucoup moins dans la réalité comme l’a noté Mathiez, en constatant que les cultes nouveaux variaient, depuis celui des Martyrs de la liberté et autres, apparus ultérieurement : « Ici on rendait le repos du décadi obligatoire sous peine d’amende pour les simples particuliers. Là on tolérait le repos du dimanche. Ici, le décadi était férié par les soins de la Société populaire, là le culte républicain avait pour prêtre les officiers municipaux [21]. »
Mais ce choix diminuait considérablement les jours fériés : avec la semaine de sept jours, il y avait 52 dimanches, plus les jours fériés consacrés aux fêtes religieuses et autres. Les 52 dimanches par an furent remplacés par 36 décadis seulement et quatre jours fériés pour célébrer la Révolution dans le calendrier nouveau, soit un sérieux rallongement des jours de travail, qui invitèrent les travailleurs salariés à ne pas respecter ce nouveau calendrier. Quelques études locales révèlent ces comportements opposés, mais les historiens de ces cultes nouveaux n’ont pas encore tenu compte du problème posé : le calendrier révolutionnaire supprimait trop de jours fériés, par rapport au calendrier préexistant…
Le discours de Robespierre proposant un décret sur ce culte de l’Être suprême se fit le 7 mai 1794. Je précise les trois premiers articles du décret proposé, qui fut voté par la Convention :
- « Art. 1. Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme.
- Art. 2. Il reconnaît que le culte digne de l’Être suprême est la pratique des droits et des devoirs de l’homme.
- Art. 3. Il met au premier rang de ces devoirs de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien qu’on peut et de n’être injuste envers personne ».
Comme on le constate, ces articles précisant le culte de l’Être Suprême, consistent à mettre en pratique les droits énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793, dont je cite le préambule :
« Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme, sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l’objet de sa mission. En conséquence, il proclame, en présence de l’Être suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen. »

Robespierre conclut son rapport en annonçant une grande Fête pour le 8 juin prochain. Mathiez souligne que dans son discours, Robespierre maintenait le principe des droits de la pensée libre :
« Je n’ai pas besoin d’observer qu’il ne s’agit pas ici de faire le procès à aucune opinion philosophique en particulier, ni de contester que tel philosophe puisse être vertueux, quelles que soient ses opinions. Eh ! que vous importent à vous, législateurs, les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquent les phénomènes de la nature ? Vous pouvez abandonner tous ces objets à leurs disputes éternelles : ce n’est ni comme métaphysiciens, ni comme théologiens, que vous devez les envisager. Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans la pratique, est la vérité ».
A ce sujet, Mathiez précise que quelqu’un proposa à la réunion des Amis de la Liberté et de l’Egalité du 15 juin suivant : « de chasser les athées de la République, selon les conseils de Rousseau, Robespierre s’y opposa énergiquement et avec succès [22] ».
La Fête de l’Être suprême du 8 juin 1794 fut une réussite, à Paris et dans tout le pays. David en fut le concepteur à Paris : ce fut une fête de fleurs qui fleurissaient les maisons et les gens. Les cortèges, chantant des hymnes, traversent Paris des Tuileries au Champ de Mars, les décors sont splendides, une Montagne, avec à son sommet une statue d’Hercule, représentant le peuple souverain, peut être gravie par la foule : de nombreuses peintures et gravures révèlent cette Montagne pleine de monde [23]. Et la Convention reçut de nombreuses félicitations pour cette fête, fort populaire.
[1] Rousseau, Du Contrat social, 1762, La Pléiade, L IV, chap. VIII, De la religion civile, p. 460-470.
[2] Id., Ibid., p. 467.
[3] Aulard, Paris, Alcan, 1892.
[4] Id., Ibid., op. cit., p. 2.
[5] Œuvres de Robespierre, t. 6, p. 319.
[6] A. Soboul, « Sentiment religieux et cultes populaires », Annales Historiques de la Révolution française, 1957, n° 3, p. 192-213.
[7] Aulard, ibid., p. 48 et 217.
[8] La Société des Amis de la liberté et de l’égalité est le nouveau nom de la Société des Amis de la Constitution, créée en juillet 1789, qui désignait le côté gauche de l’Assemblée des députés, qui changea de nom depuis la Révolution du 10 août 1792.
[9] Robespierre, Œuvres, t. X, Pour la liberté des cultes, 21 novembre 1793, p. 196.
[10] Aulard, ibid., p. 210, 255.
[11] Cet article de James Guillaume, a été publié dans Etudes révolutionnaires, 2è série, Paris, 1909, donc après la publication du livre d’Aulard, en 1892.
[12] Le fédéralisme est le nom donné à la politique brissotine, en 1792/93, qui cherchait la guerre civile en dressant des départements contre Paris et en s’alliant aux royalistes : il s’agit ici d’un fédéralisme départemental.
[13] J. Guillaume, « La liberté des cultes en l’an II », op. cit., p. 155. Proly, fils naturel du chancelier autrichien Kaunitz, installé à Paris depuis 1783, soutint la guerre de conquête des Brissotins en 1792/93.
[14] Robespierre, Discours, t. X, Réponse de la Convention Nationale au Manifeste des Rois ligués contre la République, p. 230.
[15] Une exception, Pierre Caron cite les travaux de J. Guillaume dans son Manuel Pratique pour l’étude de la Révolution française, Paris, Picard, 1947. P. Caron était Directeur des Archives de France, à Paris. Il est l’auteur d’un magnifique livre, Les massacres de septembre 1792, Paris, La Maison du Livre français, 1935, et de plusieurs autres. Je signale l’important travail de Marc Belissa et Yannick Bosc, Robespierre, la fabrication d’un mythe, Paris, Ellipses, 2013, qui a consacré le dernier chapitre : « Robespierre, grand-prêtre et pontife » et au conflit Aulard-Mathiez.
[16] Cet article fut publié dans les Annales Révolutionnaires, en juin 1910, réédité dans Mathiez (1874-1932), Robespierre et la République sociale, avec d’autres textes sur ce thème, par Y. Bosc et F. Gauthier, Paris, Ed. Critiques, 2019, p. 225-248. Mathiez a consacré un grand nombre d’ouvrages aux cultes révolutionnaires dont Origines des cultes révolutionnaires, Paris, 1904, et Contributions à l’histoire religieuse de la Révolution, Paris, Alcan, 1906.
[17] Les Constitutions de la France depuis 1789, Garnier-Flammarion, p. 33 et p. 80.
[18] Mathiez, ibid., p. 226.
[19] Id., p. 228.
[20] Je me suis intéressée à l’Egypte ancienne et j’ai pu faire connaissance avec son calendrier décadaire, qui était connu du CIP et qui le choisit. Sur ce calendrier égyptien, voir Anne-Sophie von Bomhard, Le Calendrier égyptien. Une œuvre d’éternité, version française éditée par Periplus Publishing London LMD, 1999, avec une préface de l’égyptologue Jean Yoyotte.
[21] Mathiez, Ibid., p. 230.
[22] Mathiez, Ibid., p. 169-170. Le côté gauche de l’Assemblée constituante en 1789 prit le nom de « Société des Amis de la Constitution », puis changea de nom après la Révolution du 10 août 1792 et devint « Société des Amis de la liberté et de l’égalité ». Ce furent les historiens de la contre-révolution, depuis Thermidor, qui baptisèrent le côté gauche en « Jacobins », « jacobinisme » qui s’imposa au XIXè siècle : il vaudrait mieux les appeler par leur nom propre plutôt que de les affubler d’un terme forgé par des contre-révolutionnaires, dès octobre 1789.
[23] On peut voir une série de représentations de cette fête au Musée Carnavalet, à Paris.