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Robespierre et la Fête de L’Être Suprême.
Un article de Bruno Decriem
jeudi 17 avril 2025
Michel Vovelle a compté 1235 adresses sur l’Être suprême envoyées à la Convention, ce qui est un chiffre considérable sur moins de 4 mois, de floréal à Thermidor. ( au moins équivalent aux 3728 de la déchristianisation et la Raison mais sur une dizaine de mois.
Robespierre et la Fête de L’Être Suprême.
« L’idée de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme est un rappel continuel à la justice, elle est donc sociale et républicaine. [1] » (Robespierre)

Parmi les reproches récurrents qui persistent contre Robespierre « La question de l’Être suprême a provoqué […] désarrois, indignations et colères [2]. » Le déisme de Robespierre s’est largement inspiré de la foi de Jean-Jacques Rousseau l’ « Homme divin, tu m’as appris à me connaître. [3] » et s’oppose à l’athéisme de certains philosophes des Lumières. Les brissotins, tel Guadet, n’hésitèrent pas à l’attaquer sur ses convictions religieuses. « Je parle dans une tribune où l’impudent Guadet osa me faire un crime d’avoir prononcé le mot de Providence. [4] » Pour Robespierre, « l’athéisme est aristocratique [5] » car souvent prôné par les élites. Il est de plus nihiliste, sans espoir pour le peuple. « Vous qui pleurez sur le cercueil d’un fils ou d’une épouse, êtes-vous consolés par celui qui vous dit qu’il ne reste plus d’eux qu’une vile poussière ? [6] » A l’inverse « l’idée d’un grand être qui veille sur l’innocence opprimée, et qui punit le crime triomphant, est toute populaire. [7] » Pour Henri Guillemin, chez Robespierre « La pensée religieuse est profonde, vivante et déterminante. [8] » Il s’oppose à la déchristianisation qui se développe à l’automne 1793 « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. [9] » et par son discours du 18 floréal-7 mai 1794 annonce la fête de l’Être suprême. « Rappeler les hommes au culte pur de l’Être suprême c’est porter un coup mortel au fanatisme [10]. » Cependant à l’inverse de Michelet ou d’Aulard, Mathiez voit davantage de continuité que de rupture entre les cultes de la Raison et de l’Être Suprême. Michel Vovelle ne tranche pas même s’il pense que ce dernier a été une « réponse à une sollicitation venue d’en haut. [11] »
« Ce jour avait laissé sur la France une impression profonde de calme, de bonheur, de sagesse et de bonté [12]. » (Robespierre)
Le décret du 18 floréal se terminait par une fête : « Il sera célébré le 20 prairial prochain une fête nationale en l’honneur de l’Être suprême [13]. » Préparée minutieusement par David, elle répondait parfaitement aux convictions de Robespierre qui la présida comme président de la Convention. Vilate, un juré au Tribunal Révolutionnaire a laissé ce témoignage : « Arrive le jour de la fête à l’Être suprême : jamais le ciel ne brilla d’un éclat plus radieux. […] Je rencontrai Robespierre revêtu du costume de représentant du peuple, tenant à la main un bouquet mélangé d’épis et de fleurs ; la joie brillait, pour la première fois, sur sa figure. […] On le voyait plongé dans l’ivresse de l’enthousiasme. [14] » Ce fut, selon Mathiez « la plus brillante, la plus populaire de toutes les fêtes de la Révolution [15]. » Robespierre prononça devant le peuple deux discours : « Demain nous combattrons encore les vices et les tyrans. […] Soyons généreux envers les bons, compatissants envers les malheureux, inexorables envers les méchants, justes envers tout le monde. […] Français, vous combattez les rois, vous êtes donc dignes d’honorer la divinité ! [16] » il parlera « de cette réunion sublime du premier peuple du monde [17]. » Pourtant, ses ennemis n’hésitèrent pas à le moquer, à le menacer même. Les oppositions hétéroclites issues des vestiges des factions se manifestaient comme le montre Françoise Brunel [18]. Dans son dernier discours, amer Robespierre le dénonça clairement : « Croira-t-on que le président de la Convention nationale parlant au peuple assemblé, fut insulté par eux, et que ces hommes étaient des représentants du peuple ? Ce seul trait explique tout ce qui s’est passé depuis [19]. » Tout, c’est-à-dire la lutte inégale de l’Incorruptible entre les conjurés de Thermidor.
« Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme [20]. »
Il est de bon ton à partir des ennemis de Robespierre puis de sa « légende noire » de le présenter non seulement comme un dictateur, mais plus encore comme un « Grand-Prêtre et Pontife [21] » qu’il n’a évidemment jamais été. Lui-même doutait. Il déclarait : « Si l’existence de Dieu, si l’immortalité de l’âme, n’étaient que des songes, elles seraient encore la plus belle de toutes les conceptions de l’esprit humain. [22] » Un acte du Comité de salut public rédigé par Couthon le 23 floréal exigeait désormais de mettre en exergue des bâtiments religieux le fameux article I du décret [23]. Michel Vovelle a compté 1235 adresses sur l’Être suprême envoyées à la Convention, ce qui est un chiffre considérable sur moins de 4 mois, de floréal à Thermidor. ( au moins équivalent aux 3728 de la déchristianisation et la Raison mais sur une dizaine de mois [24].) Il y eut un engouement populaire certain encouragé et mis en place par les autorités révolutionnaires locales.

Un exemple parmi d’autres : cet émouvant vestige parfaitement conservé à l’Être suprême sur l’église du Brouilh-Monbert petit village gascon du Gers. Il montre l’imprégnation des idées robespierristes au sein de toute la France, même si elles ne survécurent pas à Thermidor, du moins sous cette forme.
[1] Œuvres complètes de Maximilien Robespierre, Discours, Tome X, Presses Universitaires de France, 1967, 655 P., P. 452, 18 floréal an II-7 mai 1794. Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales.
[2] Georges Labica : Robespierre Une politique de la philosophie, La Fabrique Éditions, 2013, 209 P., P. 155.
[3] Claude Mazauric : Robespierre Écrits, Éditions Sociales/Messidor, 1989, 374 P., P. 81. Dédicace aux mânes de Jean-Jacques Rousseau.
[4] Œuvres complètes, op. cit., P. 197, 1er frimaire an II-21 novembre 1793. Pour la liberté des cultes.
[5] Op. cit., P. 196
[6] Op. cit., P. 452.
[7] Op. cit., P. 196.
[8] Henri Guillemin : Robespierre politique et mystique, Éditions du Seuil, 1987, 421 P., 4e de couverture.
[9] Œuvres complètes, op. cit., P. 197.
[10] Op. cit., P. 457.
[11] Michel Vovelle : La Révolution contre l’Église De la raison à l’Être suprême, Éditions Complexe, 1988, 311 P., P. 20.
[12] Œuvres complètes, op. cit., P. 561, 8 thermidor an II-26 juillet 1794. Contre les factions nouvelles et les députés corrompus.
[13] Op. cit., P. 465. Article XV du décret du 18 floréal an II.
[14] Vilate, ex-juré au tribunal Révolutionnaire de Paris : Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 Thermidor, an III de la république, 70 P., P. 32-34.
[15] Albert Mathiez : Études sur Robespierre, Éditions Sociales/Messidor, 1988, 270 P., P. 163. P.146-171 : Robespierre et le culte de l’Être suprême.
[16] Œuvres complètes, op. cit., P. 482-483. Discours au peuple réuni pour la fête de l’Être suprême, 20 prairial an II-8 juin 1794.
[17] Op. cit., P. 561.
[18] Françoise Brunel : L’Être Suprême et les divisions de la montagne avant Thermidor, P. 21-26 dans : L’Être Suprême, colloque présidé par Michel Vovelle, Centre Culturel Noroit Arras, 1991, 84 P.
[19] Œuvres complètes, op. cit., P. 561-562.
[20] Op. cit., P. 462. Article I du décret du 18 floréal an II.
[21] Marc Belissa et Yannick Bosc : Robespierre La fabrication d’un mythe, Éditions Ellipses, 2013, 557 P., P. 465-485, chapitre 19 : « Robespierre grand-Prêtre et Pontife. »
[22] Œuvres complètes, op. cit., P. 452.
[23] Bruno Decriem : Recueil des actes du Comité de salut public signés de Robespierre, Éditions de l’A.R.B.R., 1998, 313 P., P. 221, acte du 23 floréal an II-12 mai 1794. ( AN, AF II 66.)
[24] Michel Vovelle, op. cit., P. 186.