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Mémoire de la Révolution française et de Robespierre sous la Seconde République, dans la presse républicaine du Gers.
mercredi 16 avril 2025
Mémoire de la Révolution française et de Robespierre sous la Seconde République, dans la presse républicaine du Gers.
Le 9 novembre 1847, au banquet de Lille, le drapeau de la Révolution « Liberté, Égalité, Fraternité » est brandi et Ledru-Rollin rappelle dans son discours les droits conquis par les travailleurs, après deux Révolutions.
C’est donc adopter la Révolution en bloc, 1789, 1792 et 1793, soit 40 ans avant Clemenceau !
La référence révolutionnaire surgit dans les mois qui précédent la Seconde République et celle-ci se poursuivra notamment dans la presse montagnarde. Je prendrai à titre d’exemple, la presse du département du Gers. Les raisons en sont multiples, mais le point essentiel de mon choix, réside dans le fait que le département du Gers se soulèvera lors du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851.
La mémoire de la Révolution française par l’intermédiaire de la presse semble jouer un rôle majeur dans cette mobilisation face à un coup d’État factieux.
La Révolution de 1848 marque une étape importante dans la résurgence de Robespierre et plus globalement de la Révolution. 1848 poursuit la Révolution non aboutie de 1789-1799. Pour les révolutionnaires de 1848, la « Grande Révolution » est une référence incontournable.
La République issue de février 1848, rejoue, sans être identique 1789 et l’An II. Deux conceptions de la République sont mises en avant en 1848 [1], une révolutionnaire, l’autre conservatrice. Puis la révolte de juin 1848 à Paris semble mettre entre parenthèse la République démocratique et sociale dans la capitale.
Cependant, cette conception de la République démocratique et sociale n’est pas morte malgré la terrible répression de juin, pour preuve, avec un décalage certain, une partie de la Province se dressera contre le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte le deux décembre 1851.
Quelle est la part prise de la mémoire de la Révolution et de celle de Robespierre dans cette opposition au coup du deux décembre 1851 ?
Comment mobilise-t-on les démocrates socialistes de 1848 ?
Enfin, qu’elle est l’organe majeur de cette mobilisation ?
Je prendrai comme exemple la presse du département du Gers durant la période 1849-1851, car celle-ci semble jouer un rôle de premier plan, dans la propagande républicaine.
Les noms de Robespierre, de la Convention… sont pris en exemples voir comme références. De 1849 au coup d’État, les journaux comme « L’égalité », « Le Bien du Peuple », « L’Ami du peuple »… font un usage politique du souvenir révolutionnaire. Le souvenir devient une arme politique.
La mémoire de la « Grande Révolution », s’exprime dans le journal « L’égalité [2] » en ces termes le 27 avril 1849 : « De tout temps, nous avons vu les rois, les nobles, les prêtres, les financiers, les gros bourgeois, s’entendre pour exploiter le peuple. Ce sont les mêmes privilégiés qui ont la prétention de nous conduire aujourd’hui … ». Le lendemain, le même journal poursuit : « Nos pères, ceux qui ont fait 89 et 92 … ont arraché le peuple à la domination du château, de l’église… ». Il poursuit le 30 avril 1849 : « C’est au nom de la vraie République (avec l’ancienne Montagne)… je n’ai vu partout jusqu’ici que les riches trompeurs et les pauvres trompés … ». Le 8 mai 1849 : « Républicains du Gers au nom de la République en danger… Républicains ! Si vous ne voulez pas le retour d’un passé justement odieux… marchez au combat électoral au cri de vive la MONTAGNE… ».
Le journal « Le Bien du Peuple [3] » écrivait le 5 avril 1850 dans un article ayant pour titre « Le Bonnet Rouge » : « Référence à Robespierre et à la cocarde emblème du peuple… ».
« L’Ami du Peuple [4] » du 21 avril 1849 : « Si jamais révolution au monde eut un but généreux, ce fut, sans contredit, celle de 1793 ». Le 8 juin 1849 : « A la Convention, l’audace de Danton et la foi imperturbable de Robespierre triomphèrent d’une redoutable majorité… ». Le 10 août 1849 : « L’anniversaire du 10 août est pour nous une sainte journée, car il y a aujourd’hui ans que nos pères renversèrent le trône de Louis XVI… ».
L’année du coup d’État, « L’Ami du Peuple », du 30 mai 1851 : « Nous savions depuis longtemps que l’illustre jacobin (Robespierre) n’était pas aimé de la gent jésuito-royaliste. Et pourquoi ?
Je vais vous le dire : c’est que Robespierre n’a reculé devant aucune mesure pour sauver son pays de l’invasion… C’est qu’il a voulu délivrer le Peuple de toutes les sangsues… Il a écrasé, l’infâme aristocratie… Tous les républicains honorent et suivent l’exemple de Robespierre, car ils poursuivent le même but. Mais plus heureux que lui, ils pourront le réaliser… ».
Le 13 juin 1851 : « De 89 à 93, les royalistes trahissaient la République pour la livrer à l’étranger, mais les jacobins surent les châtier comme ils le méritaient en les envoyant à la guillotine ».
Le 13 juillet 1851 : « Le 21 janvier 1793, jour à jamais mémorable, le peuple guillotine la royauté… Gloire à Saint-Just, gloire à Robespierre, à tous les jacobins ».
Enfin, le journal « Le démocrate du Gers [5] » quelques semaines avant le coup d’État : « La Convention marchait droit devant elle en regardant le but… ». Puis le 22 novembre : « Enfants de la Révolution… La République est dans la nature de l’esprit français… dans notre sang et dans notre âme… ».
En conclusion :
La mobilisation démocrate socialiste se fait entre autre et surtout par la presse, qui utilise la mémoire de la « Grande Révolution » et de ses acteurs principaux, notamment Robespierre. Il est donc fait un usage politique du souvenir révolutionnaire.
Cette arme politique est utilisée lors des périodes électorales et de forte tension et de peur (d’un coup d’État). Nos dix années de Révolution ont marqué l’histoire du peuple français. La Révolution de 1848 lorsqu’elle était révolutionnaire et ses héritiers démocrates socialistes de 1849 à 1851 ont remodelé et renoué avec les traces de la Révolution. Les démocrates socialistes ne veulent pas que la Révolution de 1848 soit escamotée encore une fois comme en 1830. Les symboles de la rupture avec l’ancien régime sont redéployés, dans la presse surtout, mais également dans les discours et autres des nouveaux Montagnards. Conscient du rôle primordial du suffrage universel pour prendre le pouvoir, les Montagnards organisent leur propagande en Province en revendiquant l’héritage de la Révolution notamment celui de 93. Trahie par le pouvoir, en juin 1848, la République pour survivre se radicalise, elle renoue sans complexe avec 1793, avec Robespierre, la pique et le bonnet phrygien. Les Montagnards du département du Gers (mais pas uniquement) ont donné vie à la mémoire de la Révolution de 1789-1793. Certes ils sont minoritaires dans un espace rural sous l’emprise des notables traditionnels et de l’Église, mais les rappels mémoriels (de la Révolution) jouent en leurs faveurs. Pour preuve, une partie des gersois vont réagir le deux décembre 1851. Cette réaction n’aurait pu se produire sans cette propagande éducative des démocrates socialistes de la Seconde République.
Le fait nouveau, véritablement révolutionnaire, consiste en ce qu’un certain nombre de provinciaux aient décidé de résister sans le mot d’ordre et l’exemple parisiens [6]. « Le caractère premier de cette résistance est, qu’elle fut purement provinciale. Faute d’instructions parisiennes, c’est sur le plan local que l’insurrection a été décidée - au niveau du département, voire du canton. Le mouvement s’est diffusé dans une vingtaine de département français [7] ». Le rôle des sociétés secrètes joue un rôle essentiel. C’était l’opinion d’Eugène Ténot, dont l’ouvrage classique sur La Province en décembre 1851, publié en 1965, n’a pas été remplacé ; Philippe Viger puis Ted Margadan [8] on montré également l’importance des sociétés secrètes. Pour le Gers, celles-ci jouent un rôle majeur, mais je pense que la presse, les discours sont également essentiel. En effet, l’utilisation du souvenir de la « Grande Révolution » dans les journaux Montagnards, participe à la mobilisation des esprits. Les messages divulguaient encourageant la radicalisation des républicains. Ne sont-ils pas les héritiers de l’esprit de 1789 et 1793 ?
Le rappel de la mémoire révolutionnaire dans la presse joue un rôle important dans le soulèvement d’une partie du monde rural.
Même si la répression terrible qui a lieu dans le Gers (Certaines commissions furent particulièrement sévères notamment dans le Gers… Cependant, dans le Gers, on donna refuge à des insurgés traqués, en dépit des menaces redoutables qui pesaient sur ceux qui protégeaient les fuyards. Beaucoup de maires et leurs conseillers rédigèrent des pétitions pour arracher des libérations de détenus.) [9], élimine pour longtemps la République dans le département [10], les républicains du département resurgiront (sous une forme modérée) dans les années 1880.
Docteur en Histoire contemporaine,
Memembre du CS de l’ARBR
[1] « La révolution de 1848 ne fait pas naître une, mais deux Républiques » (p.22), Hayat (Samuel), 1848 quand la République était révolutionnaire, citoyenneté et représentation, édition Deuil, 404p. , Paris 2014. Voir également l’ouvrage de Riot-Sarcey (Michèle), 1848 la révolution oubliée, édition La Découverte, Paris, 2009.
[2] Arch. Départ. du Gers, 39 jx 2.
[3] Arch. Départ. Du Gers, 34 jx 1.
[4] Arch. Départ. Du Gers, 39 jx 2 et 3.
[5] Arch. Départ. Du Gers, 37 jx 1.
[6] Vigier (Philippe), La vie quotidienne en Province et à Paris, pendant les journées de 1848, édition Hachette, 443 p. , Paris, 1982.
[7] Vigier, (Philippe), La Seconde République, édition Presses universitaire de France, Paris, 1983.
[8] Margadant, (Ted W), French Peasants in Revolt. The insurrection of 1851, Princeton, 1979.
[9] Démier, (Francis), Le coup d’État du 2 décembre 1851, édition Perrin, 2023, citation pp. 262-263.
[10] Lagoueyte, (Patrick), Le coup d’Etat du 2 décembre 1851, éditions du CNRS, Paris, 2016. « En prenant son commandement à Auch, le général fr Géraudon expose une ligne de conduite partagée par ses collègues et appréciée en haut lieu : Le calme paraît complètement rétabli ; la peur et le repentir commencent à agir. Mais il faut que les mesures les plus rigoureuses continuent et que le châtiment soit terrible. Il ne le sera jamais trop pour punir l’audace de pareilles tentatives ».
Adolphe Granier de Cassagnac écrit : « Tout le monde se connaît à trois ou quatre lieues de rayon, dans les départements. On va donc rechercher, poursuivre, traquer, arrêter un à un, partout où ils se réfugieront, ces malfaiteurs. » (Citation de Francis Démier, op. cit. p. 247.)