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Couthon à Lyon en octobre 1793 : une politique modérée ?
Un article de Bruno d Decriem, professeur d’histoire.
jeudi 17 avril 2025
Couthon à Lyon en octobre 1793 : une politique modérée ?

« Couthon s’est conduit dans cette ville rebelle et vaincue, avec modération et clémence. » (Albert Soboul [1])
Lyon révoltée contre la Convention depuis mai 1793, dominée par les fédéralistes et les royalistes de Précy, bourreau du jacobin Châlier, est enfin reprise par les troupes républicaines le 9 octobre 1793. Le 12, au nom du Comité de Salut public Barère fait voter à la Convention un décret célèbre : « La ville de Lyon sera détruite. […] Lyon fit la guerre à la Liberté ; Lyon n’est plus. [2] » Les représentants en mission Couthon, Chateauneuf-Randon et Maignet sont chargés d’appliquer ces terribles mesures. Ils sont d’abord surpris par la décision de la « destruction totale [3] » de Ville-Affranchie. Le 20 octobre Couthon écrit dans une lettre émouvante à son ami Saint-Just qu’il espère quitter Lyon pour Toulon. « Je crois que l’on est stupide ici par tempérament. [4] » Le 26, les trois représentants annoncent au Comité de Salut public : « Nous avons nous mêmes frappé le premier coup de marteau pour la démolition de cette ville rebelle. [5] »Le 30, ils sont remplacés par Collot-d’Herbois et Fouché. A ce dernier, le Comité de Salut public précise « Tu ranimeras à Ville-Affranchie le flambeau de l’esprit public, qui pâlit. [6] »

Couthon aurait fait preuve de trop de modération. Michelet l’affirme : « Il ne fit rien du tout. […] Il neutralisa à Lyon tout l’élan des vengeances. [7] »
L’historien Michel Biard, auteur notamment de deux ouvrages remarquables sur Collot d’Herbois et les représentants en mission en doute : « Peu de preuves nous sont parvenues par lesquelles Couthon se signalerait par une volonté claire de modérantisme [8]. »
« On n’a presque rien fait jusqu’ici. […] Les démolitions sont trop lentes [9]. » (Fouché-Collot d’Herbois)
Pourtant, dans plusieurs lettres envoyées à la Convention, au Comité, à Robespierre et Couthon eux-mêmes, Collot-d’Herbois déplore : « Les premiers instants qui devaient tout accomplir ayant été perdus. [10] » Et Couthon ? Selon Collot il était fatigué et peut-être trompé : « Est-il possible qu’il ne soit pas trompé ? [11] » Michel Biard démontre que le décret de démolition était tout simplement très difficilement applicable.
Derrière l’interprétation de cette mission, il y a surtout un questionnement sur la politique de Robespierre et/ou du Comité de Salut public. « Hostile à la répression lyonnaise, Robespierre ? [12] » Barère s’était « étonné que 2000 hommes aient pu s’échapper d’une ville qui était tout à fait cernée. [13] » Cette « trahison » imputée à Dubois-Crancé empoisonnera tout l’an II jusqu’au 9 thermidor. Deux jours avant la chute de Robespierre, Dubois-Crancé interviendra à la Convention : « J’interpelle mes collègues. Robespierre a été trompé ; il m’a dénoncé comme un traître, qui avait laissé échapper les rebelles à Lyon. [14] » Et effectivement, Robespierre le voyait comme l’un des « chefs de la coalition, un scélérat [15] » « accusé d’avoir trahi les intérêts de la République devant Lyon [16]. » (16) La répression de Lyon par Collot-d’Herbois, Fouché et Laporte semble avoir été approuvée par l’ensemble du Comité de Salut public. A la Convention, le 20 décembre 1793, une députation lyonnaise venue demander la clémence fut d’ailleurs désavouée.
« Fouché se rendra sur-le-champ à Paris pour donner au Comité de Salut public les éclaircissements nécessaires sur les affaires de Commune-Affranchie. » (de la main de Robespierre [17])
Le 8 janvier 1794, Robespierre conseille encore au député en mission Petitjean de se rapprocher de Fouché pour ses instructions prises dans l’Allier. Tout bascule en germinal. Dans ses mémoires, Charlotte raconte que Maximilien fut outré du sang versé par torrents à Lyon. Les batailles d’influence bien complexes entre les révolutionnaires lyonnais provoquent le rappel immédiat de Fouché en mars 1794. La lutte sans merci de Robespierre contre Fouché montre peut-être le nouveau positionnement de l’Incorruptible sur l’affaire de Lyon. « Craint-il les yeux et les oreilles du peuple ? Craint-il que sa triste figure ne présente visiblement le crime ? » Robespierre [18] a-t-il eu une autre politique que celle du salut public à Lyon, comme ailleurs, durant ces mois dramatiques de l’automne et l’hiver 1793 ? Sans doute pas ! Pourtant , Collot-d’Herbois ne se plaignait-il déjà pas à l’époque, à Maurice Duplay, à Robespierre lui-même, de l’absence de réponse de ce dernier à ses lettres ?
Bruno DECRIEM (septembre 2018).
[1] Albert Soboul : Portraits de Révolutionnaires, Messidor Éditions Sociales, 1986, 313 P., p. 91-114 Georges Couthon.
[2] Archives Parlementaires, tome LXXVI, p. 458.
[3] Recueil des actes du Comité de salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif provisoire d’Alphonse Aulard, tome 7, p. 558-559.Lettre de Couthon, Chateauneuf-Randon, De Laporte, Maignet au Comité de salut public, 16 octobre 1793.
[4] Lettre de Couthon à Saint-Just, 20 octobre 1793, dans : Recueil d’Aulard, tome 7, p. 529-530.
[5] Lettre de Couthon, Maignet et Chateauneuf-Randon au Comité de Salut public, 26 octobre 1793, dans : Recueil d’Aulard, tome 8, p. 32-33.
[6] Lettre du Comité de Salut public à Fouché, 30 octobre 1793, dans : Recueil d’Aulard, tome 8, p. 124
[7] Jules Michelet : Histoire de la Révolution française tome II, Éditions Robert Laffont/Bouquins, 1979, 982 P., p. 607.
[8] Michel Biard : Collot-d’Herbois Légendes noires et Révolution, Presses Universitaires de Lyon, p. 138. Michel Biard : Missionnaires de la République, Éditions Vendémiaire, 2015, 474 P.
[9] Lettre de Fouché et Collot-d’Herbois à la Convention, 26 brumaire an II- 16 novembre 1793, dans : Recueil d’Aulard, tome 8, p. 479-480.
[10] Lettre de Collot-d’Herbois à Robespierre, 3 frimaire an II- 23 novembre 1793, dans : Recueil d’Aulard, tome 8, p. 667-670.
[11] Ibid.
[12] Michel Biard, Collot-d’Herbois, op. cit., p. 148.
[13] Archives Parlementaires, tome LXXVI, p. 462.
[14] Archives Parlementaires, tome XCIII, p. 505.
[15] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc. Supprimés ou omis par Courtois précédés du rapport de ce député à la Convention Nationale, tome second, Éditions Mégariotis Reprints, 1978, 438 P. Notes écrite de la main de Robespierre, sur différents députés à la Convention, numéro LI, p. 16-21.
[16] Œuvres de Maximilien Robespierre, tome X, Discours 5e partie, Presses Universitaires de France, 1967, 655 P., Discours non prononcé sur la faction Fabre d’Églantine. p. 326-342.
[17] Acte du Comité de Salut public rédigé par Robespierre le 7 germinal an II- 27 mars 1794, signé par Robespierre, Prieur de la Côte d’Or, Barère, Billaud-Varenne, Carnot, Saint-Just, Collot-d’Herbois et Couthon, dans : Recueil d’Aulard, tome 12, p. 217-218.
[18] Œuvres de Maximilien Robespierre, op. cit., p. 528, Jacobins 26 messidor an II-14 juillet 1794.