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Une soirée autour d’Olympe de Gouges par Anne-Marie Coustou

samedi 6 janvier 2018

Loin de moi l’idée d’ôter ses mérites à Olympe de Gouges, car elle est tout de même un peu l’ancêtre de nos féministes, grâce auxquelles nous avons obtenu tant de droits. De toute façon, je ne peux que rendre hommage au courage de cette femme qui n’a pas hésité à braver la mort pour défendre ses idées. Cependant l’évocation de l’Histoire m’a permis ce soir-là de recadrer les choses et de nuancer considérablement les affirmations de ses admirateurs passionnés (et quelque peu aveuglés). En effet, n’oublions pas que, selon les principes qu’elle a défendus, nous toutes, femmes de peu fortune, serions aujourd’hui des « citoyennes passives », et qu’il en serait de même pour les hommes.

Une soirée autour d’Olympe de Gouges


Il y a peu, ayant appris qu’une conférence-lecture sur Olympe de Gouges allait se tenir dans un bourg voisin, et bien que persuadée que j’allais assister en témoin sceptique à l’une des multiples tentatives récentes de construction d’un mythe, je décidai malgré tout de m’y rendre par curiosité. Quelle version allait-on nous servir ? La version rose des féministes ? Ou bien la version bleu-pâle des néo-Girondins ?

Il s’agissait en fait de la lecture d’une lettre fictive imaginée par une professeur(e) de Français s’inspirant des écrits d’Olympe. Bien que la trame de la biographie du personnage fût respectée assez fidèlement, elle était truffée, comme prévu, d’interprétations erronées, de rajouts abusifs tout à fait dans l’air du temps et de quelques mensonges par omission. Non seulement, notre femme de lettres y apparaissait comme l’ancêtre des féministes d’aujourd’hui, ce qu’à la limite on peut comprendre, mais elle était présentée comme une républicaine ayant combattu pour la démocratie, la justice sociale, l’égalité pour tou(te)s et contre l’esclavage. Bien-sûr, les Montagnards y étaient décrits comme des terroristes forcenés et d’affreux phallocrates, et les sans-culottes comme des monstres assoiffés de sang, conspuant cruellement Olympe sur son « chemin de croix ». Quant à Robespierre, sans surprise, il était le principal responsable de l’incarcération et de l’exécution de notre héroïne. Pour mieux évoquer l’horreur du drame, la lettre était supposée avoir été écrite dans la prison, le jour de l’exécution de l’héroïne, et contait avec complaisance tous les détails depuis la coupe des cheveux, le transfert sur la charrette et la montée à l’échafaud. Comme on le suppose, le lecteur y mettait du talent et de la conviction, pour ne pas dire du pathos, et l’effet ne se fit pas attendre. Autour de moi, nombre de personnes s’émouvaient, reniflaient, opinaient de la tête, écrasaient presque une larme. Je rongeais mon frein.

Lorsque la mort de l’héroïne fut consommée, suivie d’un silence ému puis d’applaudissements nourris, la parole fut donnée aux auditeurs-spectateurs. Derrière moi, un homme, probablement un élu, après avoir confié à l’assistance son admiration sans borne pour l’héroïne de la soirée, pour sa beauté et son courage, annonça dans la foulée son intention de lui dédier une rue de la ville. Partagée entre le désir d’intervenir pour redresser la vérité et la crainte d’écorner un aussi bel enthousiasme, de ternir dans le cœur de ces gens simples une aussi resplendissante image de leur égérie, je balançais de longues minutes. N’allaient-ils pas me lyncher si je leur présentais une version moins reluisante mais plus conforme à l’Histoire ? Mais l’idée qu’une partisane du suffrage censitaire allait usurper une fausse réputation pour voir son nom inscrit sur une plaque de rue, alors que la vindicte des néo-Girondins s’acharnait à salir la mémoire de l’Incorruptible et à la priver d’une telle reconnaissance, me faisait bouillonner intérieurement. Sans vouloir retirer ses mérites à Marie Gouzes (son vrai nom, qu’elle modifia car il lui paraissait trop roturier), il convenait de les rétablir dans leurs strictes limites et de rectifier certaines assertions fausses sur les Montagnards en général et sur Robespierre en particulier. J’avais en tête l’excellent article que Florence Gauthier a publié sur la toile à ce sujet. Finalement, je rassemblai mon courage et me jetai à l’eau, résumant ainsi les principales distorsions historiques que j’avais constatées.

Non, Olympe n’a pas milité pour les droits naturels de l’homme (et de la femme), encore moins pour l’égalité.

Il est vrai qu’Olympe a bien, en septembre 1791, publié sa célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, parfaite copie de celle de 1789, qu’elle avait mise au féminin, précédée d’un préambule et suivie d’un postambule dans lesquels elle expose ses revendications d’égalité en droit des deux sexes.

Il convenait de rappeler qu’à ce même moment l’Assemblée constituante achevait de voter la Constitution de 1791, qui exclut les femmes des droits politiques non seulement pour cause de sexe, mais également lorsqu’elles sont pauvres. En effet, cette nouvelle constitution avait établi le suffrage censitaire, selon lequel seuls les possédants, appelés « citoyens actifs », jouissaient des droits politiques, notamment le droit de vote et d’éligibilité. Les citoyens dits « passifs », c’est-à-dire la grande majorité de la population à l’époque, était totalement exclus de la vie politique. C’est-à-dire que les femmes, mêmes riches, ne pouvaient y accéder.

Or, j’informai les auditeurs qu’Olympe de Gouges, admiratrice des nobles et des bourgeois, évoluant dans les salons à la mode, était partisane de ce que l’on appelait alors « l’aristocratie des riches ». C’est pourquoi, avec ses amis, les futurs Girondins, elle avait combattu pour la reconnaissance de cette Constitution censitaire de 1791, et ce non seulement en 1791, mais jusqu’à sa mort en 1793. C’est-à-dire qu’elle avait maintenu cette position même après les nombreux débats qui avaient eu lieu à l’assemblée et dans les clubs à ce sujet et qu’elle ne pouvait ignorer (rappelons que Robespierre notamment combattit farouchement cette exclusion des pauvres de la vie politique), même et surtout après les luttes que le mouvement populaire avait menées pendant deux ans pour la conquête des droits pour tous.

L’évocation de l’Histoire me permit donc de recadrer les choses et de nuancer considérablement les affirmations des admirateurs passionnés de notre nouvelle égérie. Olympe était peut-être une féministe avant l’heure, on ne peut le nier, mais une féministe qui ne reconnaissait des droits qu’aux femmes riches et les refusait obstinément à l’immense majorité des femmes pauvres.

Non, Olympe ne peut pas être considérée comme une femme ayant lutté pour la justice sociale.

Elle a soutenu le principe de la liberté illimitée du commerce mis en place par ses amis les Girondins, y compris pour les denrées de première nécessité, justifiant ainsi la spéculation sur les blés et les farines, leur accaparement et la flambée des prix sur ces produits. Je rappelai que le pain constituait alors l’alimentation de base des pauvres et qu’une telle mesure provoquait la misère, la famine et la maladie pour les familles les plus démunies. Que, non contents d’affamer le peuple, les Girondins, toujours soutenus par Olympe, avaient décrété la loi martiale, permettant aux autorités de faire appel à la troupe pour tirer sur les manifestants lors des émeutes de la faim, ce qui fut la cause de nombreux morts et blessés dans diverses communes de France. Elle ne s’indignait pas de cette forme de « terreur » que constituait la loi martiale, qui substituait l’état de guerre au débat politique, lorsqu’il s’agissait de revendications sociales. Son amour de la démocratie ne s’en offusquait nullement.

J’informai l’auditoire qu’Olympe avait été choisie notamment pour l’organisation de la cérémonie destinée à héroïser le maire d’Etampes, parce qu’il avait été tué par les émeutiers au moment où il avait ordonné de tirer sur la foule. A ce titre, elle contribua à lui faire rendre un véritable culte, alors que Simonneau était en fait un spéculateur qui portait sa part de responsabilité dans la misère de ses administrés… Pendant ce temps, les démocrates, notamment Pierre Dolivier, le curé de Mauchamp, un village voisin, mais aussi Robespierre, tentaient de réhabiliter les habitants d’Etampes victimes de la misère et de la violence arbitraire de ce maire, et sur lesquels l’assemblée avait exercé une horrible répression pour les châtier de leur conduite.

Et, contre la misère, que préconisait notre héroïne ? Olympe, en adepte de « l’aristocratie des riches » prônait surtout la charité et les œuvres de bienfaisance, comme le feront au siècle suivant les dames patronnesses. Pendant que les démocrates, notamment Robespierre, se battaient pour faire reconnaître le « droit à l’existence » comme un droit naturel, et que, au nom de ce droit naturel, les Montagnards tant détestés par notre héroïne, lorsqu’ils furent majoritaires à la Convention, abolissaient la loi martiale, fixaient un prix maximum aux denrées de première nécessité et créaient des « greniers d’abondance » pour permettre aux pauvres de manger à leur faim.

Non, Olympe n’a pas lutté non plus pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies

Certes elle dénonça effectivement les conditions abominables de vie et de travail des esclaves noirs à Saint-Domingue, notamment dans la pièce de théâtre qu’elle écrivit en 1785 [1] intitulée L’esclavage des Noirs ou l’Heureux naufrage. Mais c’était avant leur révolte, en 1791. Par contre, à partir de cette date, son attitude vis-à-vis d’eux changea radicalement. Imitant ses amis girondins qui s’étaient bien gardés de soutenir les esclaves révoltés et, pudiquement, ne soulevaient plus le problème de l’esclavage, tandis que son ami Brissot mettait discrètement la clé sous la porte de son Association des amis des Noirs et réclamait la répression de la révolte, elle condamna farouchement les violences auxquelles les esclaves s’étaient livrés et leur conseilla de rentrer tranquillement chez leurs maîtres et d’attendre que des gens « plus sages qu’eux » travaillent à améliorer et adoucir leurs conditions de captivité. On conviendra qu’une telle attitude n’équivaut pas du tout à lutter pour l’abolition de l’esclavage…, contrairement à ce que la légende dorée tente d’accréditer !

Quant aux Montagnards honnis, je m’attachais à les peindre sous un jour moins féroce que l’auteur de la lettre fictive. Après avoir rappelé leur œuvre sociale, je rappelai que la nouvelle constitution qu’ils adoptèrent le 24 juin 1793 établissait l’égalité des droits pour tous et posait les bases de l’abolition de l’esclavage. En effet, ils adoptèrent le principe de l’interdiction de l’esclavage dans la Déclaration des droits qui sert de préambule à cette constitution.
L’article 18 précise en effet que « Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable ».

Cependant ces détails semblaient provoquer le scepticisme du « lecteur » de la lettre fictive d’Olympe et il finit par me demander d’un air de doute extrême quelque peu teinté d’agressivité si je pensais réellement que ces révolutionnaires n’étaient pas phallocrates… ! Je parlai alors des avancées considérables qu’ils avaient apportées dans le domaine du droit de la famille : l’institution du mariage civil et dissoluble, du divorce par consentement mutuel, et enfin de l’égalité en droits des enfants légitimes et naturels, ce qui aurait dû satisfaire notre « féministe avant l’heure ». J’appuyai sur le rôle de Robespierre dans la reconnaissance des droits des enfants dits bâtards, et fis remarquer qu’Olympe, ayant beaucoup souffert de son statut d’enfant illégitime, aurait dû être sensible au moins à cette mesure.

Je terminai en disant qu’Olympe, tout au contraire, avait farouchement combattu la nouvelle république démocratique et sociale de 1793 et que, dans la période du référendum sur la nouvelle constitution, elle avait fait une campagne virulente, notamment par voie d’affiches, en faveur du principe de la monarchie constitutionnelle, assortie de l’aristocratie des riches, ainsi que pour le fédéralisme qui aurait fait voler en éclats l’unité nationale.
Je précisai que, si elle avait été arrêtée et exécutée, c’était pour ces raisons, et pour ces raisons seulement, qui n’avaient rien à voir avec son « féminisme », contrairement à ce que ses admirateurs essaient de faire croire.

Et, pour finir, je précisai que, en l’absence de la moindre source faisant état d’une action quelconque de l’Incorruptible contre Olympe, cette accusation de misogynie souvent proférée contre lui s’avère n’être qu’un préjugé malintentionné. Je rappelai qu’au contraire, dès sa jeunesse, avant même la Révolution, Maximilien, alors membre de l’Académie des lettres d’Arras, avait milité avec succès pour l’admission des femmes dans cette académie, et pas seulement pour la décoration, mais pour qu’elles y exercent leurs talents à égalité avec les hommes. Que, dans son très beau discours à cette occasion, il précisait qu’il « considérait le fait que les femmes soient tenues à l’écart des sociétés savantes comme le scandale d’un siècle éclairé ». Il estimait que les êtres humains des deux sexes étaient doués des mêmes facultés et avaient le droit de les cultiver ensemble.

Si je puis aujourd’hui vous relater cet épisode, c’est que je ne fus pas lynchée. Certains « faisaient le museau », d’autres se montraient perplexes et déclarèrent qu’ils allaient vérifier tout cela. J’eus toutefois le bonheur d’en voir venir certains qui me remercièrent d’avoir, grâce à mon intervention, apporté un éclairage différent et contradictoire au milieu de cette unanimité qui leur paraissait, comme toute unanimité, un peu suspecte.

Ô temps funestes où il faut tantôt décrasser les légendes noires pour faire apparaître l’or pur, tantôt gratter le plaquage des légendes dorées pour faire apparaître le fer blanc !

Biographie succinte d’Olympes de Gouges

Marie Gouze est né le 7 mai 1748 à Montauban d’un père boucher et d’une mère qui était fille de drapier, mais la rumeur publique prétendait qu’elle était en fait la fille adultérine du marquis Lefranc de Pompignan. Marie souffrit durant toute sa jeunesse de ce statut supposé de « bâtarde », ainsi que l’on disait à l’époque. Plus tard, elle le revendiqua et changea de nom pour adopter celui, plus aristocratique par l’adoption de la particule, d’Olympe de Gouges.

En 1765, elle fut mariée à un traiteur parisien, Aubry, de trente ans son aîné, officier de bouche de l’Intendant de la généralité de Montauban, probablement un important client de la boucherie familiale des Gouze, dont elle eut quelques mois plus tard un fils, Pierre.

Son mari eut le bon goût de mourir un an plus tard et elle rejoignit alors sa sœur aînée à Paris où elle vécut avec son fils, à qui elle fit donner une éducation soignée. Rapidement, elle y mena une vie de demi-mondaine, luxueuse et galante, de manière assez ostentatoire. Elle entama une liaison avec le directeur d’une puissante compagnie de transport maritime en contrat avec l’Etat, Bietrix de Rozières, liaison qui dura jusqu’à la Révolution. Grâce au soutien financier de celui-ci, elle put mener un train de vie bourgeois, figurant dès 1774 dans l’Almanach de Paris, c’est-à-dire l’annuaire des « personnes de condition ».

Ce mode de vie lui permit de fréquenter les salons à la mode, où elle fit la rencontre de plusieurs hommes de lettre, et elle s’essaya dès lors à l’écriture. Grâce à l’appui financier de son compagnon, elle put monter sa propre troupe de théâtre, avec décors et costumes. C’était une troupe itinérante qui se produisait à Paris et dans les environs, et son fils Pierre en faisait partie. La pièce de théâtre qui la rendit célèbre, intitulée Zamore et Mirza, ou L’heureux naufrage, fut publiée en 1785. Le but en étant d’attirer l’attention publique sur le sort des esclaves Noirs des colonies, l’auteur y mêlait modération et subversion car, dans le cadre de la monarchie absolue, le Code noir édicté par Louis XIV était encore en vigueur et de nombreuses familles présentes à la cour tiraient leurs revenus des denrées coloniales. Suite à un conflit avec un comédien qui s’en plaignit à son entourage noble, Olympe faillit être embastillée et n’échappa à la lettre de cachet que grâce à ses relations, notamment à un favori de Louis XVI.

Elle entra également en liaison étroite avec les membres du salon littéraire d’Auteuil où l’on défendait le principe d’une monarchie constitutionnelle, et dont les idées étaient proches des siennes. Elle s’installa d’ailleurs à Auteuil et y demeura jusqu’en 1793. Elle était aussi en relation avec le marquis de Condorcet et son épouse.

Sensible à la pauvreté, elle préconisa à l’entrée du grand hiver 1788-1789 des mesures sociales comme la création d’ateliers nationaux pour les chômeurs, que ses amis, les bourgeois et aristocrates « éclairés », préféraient voir occupés à des tâches d’utilité publique plutôt qu’à prendre conscience de leurs droits politiques, à élire des députés et à rédiger des Cahiers de doléances contre leurs privilèges… Elle demandait également la création de foyers pour mendiants et de maternités.

Lorsque la Révolution éclata, elle publia de nombreux écrits politiques qu’elle adressait aux assemblées, aux clubs et à diverses personnalités qu’elle admirait, comme Mirabeau, La Fayette et Necker ou encore… Marie-Antoinette. Le plus important est la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, publié en 1791, dans lequel elle demande que les femmes, nées libres et égales en droits aux hommes, puissent jouir de leurs droits naturels, que les hommes leur ont ravis dans la société. Elle demandait l’instauration du divorce et la suppression du mariage religieux, mais aussi la reconnaissance des enfants nés hors mariage ainsi que la libre recherche de paternité, un sujet qui lui tenait évidemment à cœur mais qui était fort révolutionnaire pour l’époque.

Avec la Révolution française, la pièce qu’elle avait écrite sur l’esclavage des Noirs put enfin être représentée à la Comédie-Française. Olympe avait par ailleurs publié dès 1788 des Réflexions sur les hommes nègres, qui l’avaient mise en contact avec la Société des amis des Noirs, et notamment avec Brissot. Notons cependant que, lorsque les esclaves noirs de Saint-Domingue se révoltèrent en 1791, il ne fut plus question de les soutenir, mais seulement de les condamner pour leurs exactions commises sur les colons blancs. Olympe leur conseilla alors de rentrer sagement chez leurs (anciens) maîtres et de laisser des gens plus avisés qu’eux (les Amis des Noirs) prendre leur défense pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Mais les dits Amis des Noirs avaient entre temps prudemment mis la clé sous la porte…

Dès 1792, après la prise du palais des Tuileries par le peuple et l’arrestation du roi, effrayée par l’irruption de ce mouvement populaire dans la vie politique, elle se rangea au côté des Girondins et, en décembre 1792, elle s’offrit à la Convention pour assister Malesherbes sans sa défense de Louis XVI, qu’elle jugeait fautif comme roi, mais non comme homme. Mais sa demande fut rejetée.

Comme l’Assemblée législative avait institué la liberté illimitée du commerce, et donc de la spéculation, le prix des denrées de première nécessité ne cessait d’augmenter, et surtout celui du pain, précipitant les bas salariés dans la famine, et les émeutes de la faim s’étaient multipliées dans tout le pays. L’Assemblée avait alors décrété la loi martiale, une loi de « guerre civile » qui faisait intervenir les forces armées pour tirer sur les manifestants, qualifiés de « séditieux ». En mars 1792, le maire d’Etampes, Simonneau, qui était lui-même un spéculateur avéré, fut tué lors d’une révolte populaire, au moment où il décrétait la loi martiale. L’Assemblée chercha à imposer « le respect de la loi » (martiale ?!) en organisant une fête en l’honneur de Simonneau, promu « héros » de la liberté illimitée du commerce. Lors de cette fête, Olympe s’occupa très activement des préparatifs et de la participation des femmes, et, cherchant une fois de plus à s’introduire dans l’entourage de la reine, elle lui demanda son concours pour financer les costumes des « Dames françaises » pour la procession qui était organisée, se faisant ainsi la fervente partisane de la loi martiale.

En mai-juin 1793, après l’expulsion des Girondins de la Convention par le mouvement populaire, elle devint de plus en plus agressive contre les Montagnards. Elle s’opposa à la nouvelle constitution qu’ils votèrent en juin, qui instituait l’égalité des droits et le suffrage universel, et qui posait le principe de l’interdiction de l’esclavage. Les Montagnards développèrent ensuite une politique démocratique et sociale, avec la « loi du maximum » qui mettait fin à la liberté illimitée du commerce réclamée par les spéculateurs au nom du sacro-saint droit de propriété.

Olympe écrivit alors de violents pamphlets contre la politique des Montagnards, n’hésitant pas à s’attaquer aux personnes qu’elle jugeait responsables de cette politique : Marat, qu’elle traitait d’ « avorton de l’humanité » et Robespierre, qu’elle qualifiait d’« opprobre et d’exécration de la Révolution » et que, à la remorque de ses amis girondins, elle accusait d’aspirer à la dictature. Robespierre, habitué à ce genre de calomnies de la part des Girondins, ne daigna pas répondre et il n’existe, malgré les dires de ses ennemis, aucun indice tendant à faire penser qu’il ait pris une part quelconque à son arrestation.

C’était le moment où la France, attaquée sur toutes ses frontières par les armées coalisées de tous les rois et princes d’Europe, devait de surcroît faire face au soulèvement royaliste en Vendée et en Bretagne, et aux soulèvements fédéralistes impulsés par les Girondins dans de nombreuses régions du midi, mais aussi à Lyon et en Normandie. Sans réaliser que cette situation catastrophique était la conséquence directe de la politique menée par ses amis girondins, elle se mit à leur traîne pour soutenir le mouvement fédéraliste contre la « République une et indivisible ». Face à cette situation dramatique, la jeune République avait besoin plus que jamais de l’unité nationale pour repousser l’offensive sur tous les fronts, afin de défendre la patrie de la liberté. Dans la nécessité où elle se trouvait de « vaincre ou mourir », elle dut prendre des mesures exceptionnelles L’heure n’était plus à la clémence.

C’est en tant qu’auteur d’une affiche fédéraliste qu’Olympe fut arrétée le 20 juillet, et non en tant que féministe comme ses admirateurs tentent de le faire croire. Elle fut condamnée à mort le 2 novembre et exécutée le 3 novembre 1793.

Epilogue

Loin de moi l’idée d’ôter ses mérites à Olympe de Gouges, car elle est tout de même un peu l’ancêtre de nos féministes, grâce auxquelles nous avons obtenu tant de droits. De toute façon, je ne peux que rendre hommage au courage de cette femme qui n’a pas hésité à braver la mort pour défendre ses idées. Cependant l’évocation de l’Histoire m’a permis ce soir-là de recadrer les choses et de nuancer considérablement les affirmations de ses admirateurs passionnés (et quelque peu aveuglés). En effet, n’oublions pas que, selon les principes qu’elle a défendus, nous toutes, femmes de peu fortune, serions aujourd’hui des « citoyennes passives », et qu’il en serait de même pour les hommes.

Olympe de Gouges est une personnalité emblématique de cette période où nombre de personnes impliquées dans la Révolution française se retrouvèrent tiraillées entre, d’une part, certains idéaux généreux de libertés individuelles qu’avaient impulsés les philosophes des Lumières et qui commençaient à imprégner la société, et, d’autre part, en raison de leur extraction sociale ou de leur mode de vie, une solidarité foncière avec les « élites » de la nation, nobles combattant la perte de leurs privilèges « de la naissance » et bourgeois désireux d’imposer le « privilège de la richesse ». Olympe, brimée dans sa jeunesse par sa qualité d’enfant naturelle et (peut-être) son mariage forcé, possédait en elle suffisamment de révolte pour combattre en faveur des droits individuels des femmes. Mais, ayant lié son destin à ceux qu’elle considérait comme « l’élite » de la nation et dont elle dépendait pour continuer à mener une vie luxueuse de salon, elle éprouvait certes de la compassion pour les pauvres et les esclaves des colonies, mais pas (assez) de révolte pour souhaiter pour eux une émancipation politique et sociale, ainsi que le droit le plus élémentaire, le droit à l’existence.

On peut se demander comment elle pouvait concevoir de parler de « droits naturels » des femmes et ne songer à l’accorder qu’à une petite minorité d’entre elles. Les autres devaient, selon ses principes, se contenter de compassion et de quelques œuvres de bienfaisance. Comment pouvait-elle s’émouvoir de l’horrible condition faite aux esclaves noirs, et, dès lors qu’ils se furent affranchis, leur demander de rentrer sagement chez leurs maîtres ? Comment ne voyait-elle pas que les gens de condition modeste qui, grâce à la constitution de 1793 avaient commencé à jouir de l’égalité et de la justice, ne pouvaient plus se contenter de la simple compassion ? L’impression qui ressort est qu’Olympe considérait les esclaves et les pauvres comme des enfants, des mineurs en quelque sorte, qui devaient s’en remettre à de riches philanthropes pour la défense de leurs intérêts. En cela, elle préfigure bien ces « philanthropes » condescendants du XIXe siècle. Comment pouvait-elle bien gérer une telle contradiction ? Tiraillée entre ses idéaux de libertés individuelles et sa répugnance pour le mouvement d’émancipation des pauvres, elle a fait le choix de la contre-Révolution. En période révolutionnaire, cela ne pardonne guère.

Il n’est pas surprenant qu’elle fasse aujourd’hui l’objet de la construction d’un mythe, dans une période où l’on tente de réhabiliter la monarchie constitutionnelle (Europe oblige !) et de promouvoir le libéralisme économique au moment-même où il devient de plus en plus évident qu’il s’oppose au droit à l’existence. Dans un contexte où les Sans-culottes sont de plus en plus présentés comme des monstres sanguinaires, la nouvelle Histoire a besoin de mettre en avant des héros (et héroïnes) sympathiques ayant combattu les Montagnards afin de présenter à l’opinion publique une image ternie de la Montagne en particulier et de la Révolution française en général [2].


[1la pièce a été écrite en 1785 mais n’a effectivement été jouée qu’en 1792

[2Bibliographie

Gouges Olympe, L’esclavage des Noirs ou L’heureux naufrage, 1792, édité en fac-similé, Paris, Côté-femmes, 1989

Gauthier Florence, tribune libre sur le site Agora vox.fr : Olympe de Gouges, histoire ou mystification ? (2013)

Gauthier Florence, Triomphe et mort de la révolution des droits de l’homme et du citoyen, 1789-1795-1802, éd. Syllepse, Paris, 2014

Gauthier Florence, L’aristocratie de l’épiderme, Le combat de la Société des Citoyens de couleur, 1789-1791, Paris, CNRS 2007

Soboul Albert, Dictionnaire historique de la Révolution française, Presses universitaires de France, Paris, 1989