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Procès-verbal Des monumens, de la Marche et des Discours de la Fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République française, le 10 août 1793

mardi 26 septembre 2017

Nous reproduisons ici le texte du procès verbal de la cérémonie du 10 août 1793, célébrant l’institution de la constitution de la première République. Nous avons autant que faire se peut respecté l’orthographe du texte imprimé original ainsi que la ponctuation. Un lien permet d’accéder au site « Archim » du ministère de la Culture. Un format PDF est téléchargeable
PROCÈS-VERBAL Des monumens, de la Marche et des Discours de la Fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République française, le 10 août 1793

IMPRIMÉ PAR ORDRE DE LA CONVENTION NATIONALE

Une constitution toute populaire, rédigée avec concision et de bonne foi, présentait sans mélange ces vérités éternelles, ces lois simples qui en garantissant aux hommes l’intégrité de leurs droits, peuvent seules fonder une République. La voix de la nature et ses maximes pour être senties n’ont pas besoin de longues discussions ; et les Français, répandus sur un territoire de trente cinq mille lieues quarrées, avaient adopté par les mêmes acclamations l’acte constitutionnel. De tous les départements de la France accouraient dans Paris les envoyés des assemblées primaires, pour transformer sur l’autel de la patrie toutes les acceptations particulières en une grande acceptation générale. Le génie des arts avait présidé à l’ordonnance des détails de cette inauguration de la république , qui devait être comme le triomphe de l’égalité et de la fête de la nature.

Le 10 août 1793 était marqué pour cette époque de la France et du genre humain.

La convention nationale, les envoyés des assemblées primaires, les autorités constituées de Paris, les sociétés populaires et le peuple, étaient convoqués, comme au point de départ de la marche, au vaste emplacement où fut la Bastille. L’instant de la réunion était fixé à l’apparition des premiers rayons de soleil ; et l’accomplissement de la régénération de la France était ainsi associé à ce lever de l’astre du jour qui fait tressaillir de joie la nature.

Dans l’emplacement de la Bastille était encore confusément disséminée une aprtie de ses ruines. Des inscriptions gravées sur les débris de cette forteresse de la tyrannie, rappelaient l’histoire des victimes que les despotes y ont si longtemps entassées. Sur une pierre on lisait ces mots. Il y a 44 ans que je meurs . Sur une autre, La vertu conduisait ici. Sur une troisième, Le corrupteur de ma femme m’a plongé dans ces cachots. Ailleurs, Je ne dors plus . Plus loin, Mes enfants ! Ô mes enfants !Cette histoire des forfaits du despotisme, lue sur des pierres mutilées par la hache de la liberté portait à la fois dans les âmes des impressions douloureuses, attendrissantes, et le soulagement d’une joie recueillie te profonde. C’est avec ces émotions que tous les regards se tournaient vers une statue de la Nature, élevée au milieu de ces mêmes ruines. L’aspect de cette statue, les emblèmes dont elle était entourée , le caractère antique et majestueux de sa figure, l’inscription écrite sur sa base, Nous sommes tous ses enfants, tout répandait au loin l’idée sensible de la grandeur de la Nature et de sa bienfaisance. De ses mamelles, qu’elle pressait de ses mains, s’épanchaient dans un vaste bassin deux sources d’eau pure et abondante, images de son inépuisable fécondité.

Le bruit des canons, prolongé en échos dans les airs, s’est fait entendre ; une musique douce, des chants harmonieux et civiques sont sortis du milieu de ce tonnerre de la liberté ; et le président de la convention nationale, placé devant la statue de la Nature et la montrant au peuple a porté ainsi la parole :

« SOUVERAINE du sauvage et des nations éclairées, Ô NATURE ! Ce peuple immense rassemblé aux premiers rayons du jour devant ton image , est digne de toi : il est libre. C’est dans ton sein, c’est dans tes sources sacrées, qu’il a recouvré ses droits, qu’il s’est régénéré. Après avoir traversé tant de siècles d’erreurs et de servitudes, il fallait rentrer dans la simplicité de tes voies pour retrouver la liberté et l’égalité. Ô NATURE ! Reçois l’expression de l’attachement éternel des Français pour tes lois ; et que ces eaux fécondes qui jaillissent de tes mamelles, que cette boisson qui abreuva les premiers humains, consacrent dans cette coupe de la fraternité et de l’égalité les sermens que te fait la France en ce jour , le plus beau qu’ait éclairé le soleil depuis qu’il a été suspendu dans l’immensité de l’espace. ! »

A la suite de cette espèce d’hymne ; seule prière, depuis les premiers siècles du genre humain, adressée à la Nature par des représentans d’une nations et par ses législateurs, le président a rempli une coupe de forme antique, de l’eau qui tombait du sein de la Nature. Il en a fait des libations autour de la statue ; il a bu dans la coupe , et l’a présentée à ceux des envoyés du peuple français qui, par leur âge, avaient obtenu de porter la bannière sur laquelle était écrit le nom de leurs départemens respectifs. Tous en même nombre que les départemens ont monté successivement les degrés qui conduisaient autour du bassin, et, dans un ordre déterminé par le hasard du rang alphabétique, ils se sont approchés de la coupe sainte de l’égalité et de la fraternité. En la recevant des mains du président , qui ensuite leur a donné le baiser fraternel, l’un lui disait :Je touche aux bords de mon tombeau ; mais en pressant cette coupe de mes lèvres, je crois renaître avec le genre humain qui se régénère.Un autre, dont les vents faisaient flotter les cheveux blanchis , s’écriait : Que de jours ont passé sur ma tête ! Ô Nature ! Je te remercie de n’avoir pas terminé ma vie avant celui-ci. Un autre, comme s’il eût assisté à un banquet des nations et qu’il eût bu à l’affranchissement du genre humain, disait en tenant sa coupe : Hommes, vous êtes tous des frères. Peuples du monde, soyez jaloux de notre bonheur, et qu’il vous serve d’exemple, – Que ces eaux pures dont je vais m’abreuver, s’écriait un autre, soient pour moi un poison mortel si tout ce qui me reste de vie n’est pas employé à exterminer les ennemis de l’égalité , de la Nature et de la république ! Un autre saisi d’un esprit prophétique en s’approchant de la statue : Ô France !la liberté est immortelle ; les lois de la république , comme celles de la nature ne périront jamais. Tous profondément émus par le spectacle qu’ils avaient sous les yeux, et par le spectacle qu’ils donnaient eux-mêmes, étaient pressés du besoin de répandre par la parole le sentiment dont leurs ames étaient remplies.

A chaque fois que la coupe passait d’une main dans une autre, les mouvements électriques d’une joie solennelle se mêlaient au bruit des canons.

Quand cette cérémonie, qui rappelait d’une manière auguste et qui ramenait en quelque sorte les premiers jours du genre humain, a été accomplie, la foule immense s’est mise ne mouvement, et a pris par les boulevards la marche qui lui était tracée.

Ce cortège d’une nation régénérée à la liberté et rendue à la nature, était commencé par les sociétés populaires, par ces sociétés qui ont si puissamment concouru à cette régénération. Leur bannière présentait un Å“il ouvert sur des nuages qu’il pénétrait et qu’il dissipait : emblème ingénieux, signe rassurant et menaçant de cette garde vigilante que les sociétés populaires ont toujours faites autour de la liberté, et à laquelle aucun n’a pu et ne pourra échapper.

La convention nationale a paru ensuite, précédée de la déclaration des droits de l’homme et de l’acte constitutionnel : elle était placée au milieu des envoyés des assemblées primaires , liés les uns aux autres par un léger ruban tricolor. En présence du peuple souverain, aucun costume orgueilleux ne devait distinguer ses représentans. Chacun d’eux portait à la main un bouquet d’épis de blé et de fruits. Ainsi se renouvelait cette sublime alliance, aperçue par les peuples des républiques anciennes, entre l’agriculture et la législation, et qu’ils figurèrent dans leurs allégories , en faisant de Cérès la législatrice des sociétés.

Les envoyés des assemblées primaires portaient dans une main un pique , arme de la liberté contre le tyrans ; dans l’autre une branche d’olivier, symbole de la paix et de l’union fraternelle entre tous les départemens d’une seule et indivisible Républqique.

L’ordonnateur de la fête (David), par une seule idée , lui a imprimé son plus beau caractère. Après les envoyés des assemblées primaires, il n’y a plus eu aucune division de personnes et de fonctionnaires, ni même aucun ordre tracé, aucune régularité prescrite dans la marche. Le conseil exécutif était dispersé au hasard ; l’écharpe du maire ou du procureur de la commune , les plumets noirs des juges, ne servaient qu’à faire remarquer qu’ils marchaient les égaux du forgeron et du tisserand. Là les différences qui semblent imprimées par la nature même, étaient effacées par la Raison ; et l’africain dont la face est noircie par les feux du soleil, donnait la main à l’homme blanc comme à son frère : là tous étaient égaux comme hommes comme citoyens, comme membres de la souveraineté. : tout s’est confondu en présence du peuple, source unique de tous les pouvoirs, qui, en émanant de lui, lui restent toujours soumis ; et dans cette confusion sociale et philosophique, rendue encore plus touchante par un mélange de paroles, de chants, d’instrumens et de cris de joie qui se croisaient dans les airs, tout a donné la vue et le sentiment de cette égalité sacrée, empreinte éternelle de la création, première loi de la Nature et première loi de la République.

Mais si les distinctions sociales s’évanouissent, tout ce que la société a de plus utile dans ses travaux et le plus attendrissant dans ses bienfaits, figurait av »c éclat dans la fête, et, en prononçant plus fortement son caractère, ajoutait encore à sa magnificence. Traînés sur un plateau roulant, les élèves de l’institution des aveugles fesaient retentir les airs de leurs chants joyeux, et montraient le malheur consolé et honoré. Portés dans de blanches barcelonnettes, les nourrissons des Enfants-Trouvés annonçaient que la République était leur mère, que la nation entière était leur famille, et qu’eux aussi ils pourraient un jour prononcer le nom de Patrie. La artisans si longtemps privés de s’honorer de leur métier, quelquefois même condamnés par l’orgueil à en rougir, portaient leurs instrumens et leurs outils comme une des plus belles décorations de cette pompe sociale. Sur une charrue, devenue char de triomphe, un vieillard et sa vieille épouse, traînés par leurs propres enfans, offraient dans un tableau vivant l’histoire à jamais célèbre de Biton et de Cléobis (1 [1]), offraient sur-tout la considération accordée dans une république à la piété filiale ainsi qu’à l’agriculture, et les hommages rendus par une nation libre et souveraine à la vieillesse de ceux qui la nourrissent. Au milieu de cette multitude d’images des arts, des métiers, des travaux utiles, des vertus simples et réelles, s’élevait une enseigne sur laquelle on lisait ces mots :Voilà les services que le peuple infatigable rend à la société humaine.

Dans les honneurs décernés à ceux qui vivent pour la société, vous n’étiez point oubliés ; ô vous qui êtes morts pour la cause de la République ! Huit chevaux blancs ornés de panaches rouges, traînaient dans un char de triomphe où l’on avait déposé leurs cendres révérées. Le sombre cyprès ne fesait point pencher autour de l’urne ses branches mélancoliques : une douleur , même pieuse aurait profané cette apothéose. Des guirlandes et des couronnes, les parfums d’un encens brûlé dans des cassolettes, un cortège de parens le front orné de fleurs, une musique où dominaient les sons guerriers de la trompette ; tout, dans cette marche triomphale, ôtait à la mort ce qu’elle a de funèbre, et ranimait, pour participer à l’allégresse publique, les mânes sacrés des citoyens devenus immortels dans les combats.

A une certaine distance de tous ces objets, au milieu d’une force armée, roulait avec un fracas importun, chargé des attributs proscrits de la royauté et de l’aristocratie, un tombereau semblable à ceux qui conduisent les criminels au lieu de leur supplice. Une inscription gravée sur le tombereau portait : Voilà ce qui a toujours fait le malheur de la société humaine. A cette vue, le peuple paraissait frémir d’horreur, et les dépouilles de la victoire indignaient encore les vainqueurs.

Cinq fois dans l’espace qu’elle devait parcourir, cette pompe auguste s’est arrêtée ; et chaque station a présenté les monumens qui rappelaient les plus beaux actes de la révolution, ou des cérémonies qui la consacraient ou qui l’achevaient.

Vers le milieu de la longueur des boulevards, s’élevait un arc de triomphe, ouvrage du génie de l’architecture,et de celui de la peinture, associés par le patriotisme . Rome antique et Athènes la cité des arts, ont exécuté en ce genre, peu de dessins plus beaux. L’arc de triomphe était érigé pour représenter la gloire de ce moment de 1789, où l’on vit des femmes, devenues intrépides par le sentiment de la liberté , traîner des canons et, portées sur les affûts, diriger en quelque sorte les hommes où il fallait attaquer la tyrannie ; combattre elles-mêmes à Versailles les satellites des despotes, et mettre en fuite ceux qui échappaient à leurs coups. Les quatre côtés de l’arc de triomphe rappelaient, par de simples inscriptions, les résultats de ce mémorable événement. Sur une des faces on lisait : Comme une vile proie, elles ont chassé les tyrans devant elles. Sur l’autre : Le peuple comme un torrent , inonda leurs portiques ; ils disparurent. Sur un troisième, en parlant du peuple : Sa justice est terrible. Sur la face opposée : Sa clémence est extrème. Tandis que l’architecture, la peinture et la sculpture se réunissaient ainsi pour transmettre à la postérité le souvenir des 5 et 6 octobre, ces femmes courageuses figuraient elles-mêmes au milieu des monumens de leur gloire ; et, comme au chemin de Versailles, on les voyait assises sur les affûts des canons. Toute la marche s’est arrêtée devant elles/ Le peuple les contemplait ; et le président de la convention nationale leur a parlé en ces termes :

« Quel spectacle ! La faiblesse du sexe et l’héroïsme du courage ! Ô LIBERTE ! Ce sont là tes miracles ! C’est toi qui, dans ces deux journées où le sang à Versailles commença à expier les crimes des rois, allumas dans le cÅ“ur de quelques femmes cette audace qui fit fuir ou tomber devant elles les satellites du tyran. Par toi, sous des mains délicates, roulèrent ces bronzes, ces bouches de feu qui firent entendre à l’oreille du roi le tonnerre ; augure du changement de toutes les destinées. Le culte que t’ont voué les Français a été impérissable, à l’instant où tu es devenue la passion de leurs compagnes. Ô femmes ! La liberté attaquée par tous les tyrans, pour être défendue a besoin d’un peuple de héros : c’est à vous à l’enfanter. Que toutes les vertus guerrières et généreuses coulent avec le lait maternel dans le cÅ“ur de tous les nourrissons de France. Les représentans du peuple souverain au lieu des fleurs qui parent la beauté vous offrent le laurier, emblème du courage et de la victoire : vous le transmettez à vos enfans. »

En prononçant ces dernières paroles, le président leur a donné l’accolade fraternelle : il a posé sur la tête de chacune d’elles une couronne de lauriers ; et le cortège de la fête, auquel elles se sont unies, a repris la route des boulevards au milieu des acclamations universelles .

La place de la Révolution était marquée pour la troisième station. Elle s’est faite devant la statue de la Liberté, élevée sur un piédestal de la statue anéantie d’un des plus vils et des plus corrompus de nos tyrans. La Liberté comme fille de la Nature ; paraissait à travers l’ombrage de jeunes arbres dont elle était environnée. Les rameaux des peupliers pliaient sous le poids des tributs offerts à la divinité par l’amour des Français : c’étaient des bonnets rouges et des rubans aux couleurs nationales ; c’étaient des vers, trouvés plus beaux parce qu’ils n’exprimaient tous qu’un même sentiment ; c’étaient des dessins tracés au crayon, et qui fesaient revivre les prodiges de la révolution. ; c’étaient des guirlandes de fleurs, animées par ce pinceau éternel qui vivifie et décore les champs. La multitude et le choix des offrandes annonçaient que ce n’était pas une cérémonie, mais un culte, et que tous les cÅ“urs avaient cédé à l’enthousiasme de leur idolâtrie.

Mais il ne suffisait pas de ces offrandes ; il fallait encore un sacrifice à la déesse. Presque à ses pieds, était un immense bûcher destiné à les recevoir. Tout ce qui avait servi à la représentation et au faste de la royauté devait être la matière du sacrifice. Placé entre la statue et le bûcher, au moment de cette grande purification d’un empire par le feu le président de la convention a prononcé le discours suivant : « Ici la hache de la loi a frappé le tyran. Qu’ils périssent aussi ces signes honteux d’une servitude que les despotes affectaient de reproduire sous toutes les formes à nos regards ; que la flamme les dévore ; qu’il n’y ait plus d’immortel que le sentiment de la vertu qui les a effacés. Justice ! Vengeance ! Divinités tutélaires des peuples libres, attachez à jamais l’exécration du genre humain au nom du traître qui, sur un trône relevé par la générosité, a trompé la confiance d’un peuple magnanime. Hommes libres, peuples d’égaux, d’amis, de frères, ne composez plus les images de votre grandeur que des attributs de vos travaux, de vos talens et de vos vertus. Que le pique et le bonnet de la liberté, que la charrue et la gerbe de blé, que les emblêmes de tous les arts, par qui la société est enrichie, embellie, forment désormais toutes les décorations de la république. Terre sainte, couvre-toi de ces biens réels qui se partagent entre tous les hommes, et deviens stérile pour tout ce qui ne peut servir qu’aux jouissances exclusives de l’orgueil ! »

aussitôt après ce discours, le président a pris une torche enflammée ; il l’a appliquée contre le bûcher couvert de matières combustibles ; et à l’instant, trône, couronne, sceptre, fleurs-de-lis, manteau ducal, écussons, armoiries, toutes ces livrées odieuses du despotisme, ont disparu au bruit pétillant des flammes qui les enveloppaient de toutes parts, et, au milieu des acclamations de plus de huit cent mille ames. Dans le même instant encore, comme si tous les être vivans devaient partager cet affranchissement de la première des créatures vivantes et en ressentir l’allégresse, trois mille oiseaux de toutes les espèces, portant à leur cou de minces banderoles tricolores où étaient écrits les mots Nous sommes libres, imitez-nous, se sont élancés avec les étincelles du milieu des flammes dans le vaste et libre espace des airs (I) [2]

La quatrième station s’est faite devant les Invalides, devant ce monument de l’orgueil d’un despote, mais déjà perfectionné par la bienfesance et par la souveraineté nationale. Après avoir anéanti la tyrannie des rois, la France a été obligée de combattre et d’anéantir un nouveau monstre non moins dangereux pour la liberté, le fédéralisme. Un monument signalait ici cette victoire récente. Sur la cîme d’un rocher était exhaussée une statue colossale représentant le peuple français. Tandis que d’une main, il renouait les faisceau des départemens, un monstre dont les extrémités inférieures étaient terminées en dragon de mer sortant des roseaux d’un marais fétide, s’efforçait d’atteindre, en rampant, jusqu’au faisceau pour le rompre. Le colosse, écrasant sous ses pieds la poitrine du monstre ,de sa massue balancée sur sa tête allait le frapper d’un coup mortel. En contemplant ces emblêmes élevés dans les airs à une grande hauteur , le peuple a reconnu sa force et son triomphe ; et les images sous lesquelles lui-même et son histoire étaient retracés à ses yeux, sont devenus le texte du discours que le président a prononcé dans cette circonstance :

« Peuple français, te voilà offert à tes propres regards sous un emblême fécond en leçons instructives. Ce géant dont la main puissante réunit et rattache en un seul faisceau les départemens, c’est toi. Ce monstre dont la main criminelle veut briser le faisceau et séparer ce que la nature a uni c’est le fédéralisme. Peuple dévoué à la haine à la haine et à la conjuration de tous les despotes, conserve toute ta grandeur pour défendre ta liberté. Qu’une fois au moins sur la terre, la puissance soit alliée à la vérité et à la justice ! Fais à ceux qui veulent te diviser la même guerre qu’à ceux qui veulent t’anéantir : car ils sont également coupables. Que tes bras, étendus de l’Océan à la Méditerranée,et des Pyrénées au Jura ; embrassent partout des frères, des enfans ! Retiens sous une seule loi , et sous une seule puissance une des plus belles portions de ce globe ; et que les peuples esclaves, qui ne savent admirer que la force et la fortune , témoins de tes vastes prospérités, sentent le besoin de s’élever comme toi à cette liberté qui t’a fait l’exemple de la terre. »

L’entrée seule du champ de Mars , local de la dernière station, offrait aux yeux , à l’imagination et aux ames une de ces leçons sublimes et touchantes dont il n’appartient qu’à la liberté de concevoir l’idée et de présenter le spectacle. A deux termes placés vis-à-vis l’un de l’autre, comme deux colonnes de l’ouverture d’un portique, était suspendu un ruban tricolor , et un ruban un niveau, allégorie sensible de cette égalité sociale qui retient tous les hommes sur un plan commun, et le nivelle devant la loi , comme ils le sont par la nature. Après s’être tous courbés ou plutôt relevés sous ce niveau, emblême de ce qui fait l’unique grandeur de l’homme, de ce qui seul lui prépare des prospérités réelles et solides, la convention nationale, les quatre-vingt-sept commissaires de départemens, tous les envoyés des assemblées primaires, ont monté les degrés de l’autel de la patrie ; et dans le même temps qu’un peuple innombrable, couvrant la vaste étendue du Champ de Mars , se rangeait avec recueillement autour de ses représentans et de ses envoyés, le président, parvenu au point le plus élevé de l’autel de la patrie ,ayant à ses côtés le vieillard le plus avancé en âge parmi les commissaires des départemens, de cette hauteur comme de la véritable montagne sainte, a publié le recensement des votes des assemblées primaires de la république, et a proclamé en ces mots, la constitution :

« Français vos mandataires ont interrogé dans quatre-vingt-sept départemens votre raison et votre conscience sur l’acte constitutionnel qu’ils vous ont présenté. Jamais un vÅ“u plus unanime n’a organisé une république plus grande et plus populaire. Il y a un an notre territoire était occupé par l’ennemi : nous avons proclamé la RÉPUBLIQUE ; nous fûmes vainqueurs. Maintenant, tandis que nous constituons la France, l’Europe l’attaque de toutes parts. JURONS de défendre la constitution jusqu’à la mort : LA RÉPUBLIQUE EST ÉTERNELLE. »

Immédiatement après cette proclamation , le président a déposé dans l’arche placée sur l’autel de la patrie l’acte constitutionnel et le recensement des votes du peuple français.

[2 lignes illisibles] tout a été comme ébranlé par les salves d’artillerie répétées sans intervalles, et par un million de voix confondues dans les airs par un seul cri. On eût dit que le ciel et la terre répondaient à cette proclamation de la seule constitution, depuis qu’il existe des peuples, qui ait donné à un grand empire,un liberté fondée sur l’égalité, et qui ait fait de la FRATERNITÉ un dogme politique.

Les quatre-vingt-sept commissaires des départemens , qui durant la marche avaient tenu chacun une pique à la main, ses ont rapprochés du président de la convention pour déposer leurs piques dans es mains. Il les a réunies en un seul faisceau noué par un ruban aux couleurs de la nation . A cet acte ; qui peignait aux yeux de l’unité l’indivisibilité de la République, les ressentimens redoublés de l’airain, ont fait monter au ciel la joie de la terre.

Tout était accompli pour l’existence de la république. Mais il lui restait une dette sacrée à acquitter, celle de sa reconnaissance envers les Français morts ne combattant pour sa cause. Descendue de l’autel de la patrie, la convention nationale a traversé une portion du Champ de Mars, et s’est rendue vers l’extrémité au temple funèbre, où des décorations antiques, semblables aux monumens dont l’histoire des arts et des républiques nous a transmis la beauté, attendait la cendre de nos défenseurs.

Le char suivait. La grande urne, dépositaire de ces cendres chéries, a été transportée sur le vestibule du temple, élevée à tous les regards. La convention nationale s’est répandue sous les colonnes, sous les portiques. Tous les spectateurs placés au-dessous se sont découverts. Une foule immense, attendrie et respectueuse , a prêté un silence profond. Le président, penché sur l’urne que d’une main il tenait embrassée, tandis que de l’autre il portait et montrait au peuple la couronne de lauriers destinée aux martyrs fondateurs de la liberté, leur a adressé en ces mots les hommages, et pour ainsi dire le culte de la patrie.

« Terminons cette auguste journée par l’adieu solennel que nous devons à ceux de nos frères qui ont succombé dans les combats. Ils ont été privés de concourir à la constitution de leur pays ; ils n’ont pas dicté les articles de la charte française ; mais ils les avaient préparés, inspirés par leur dévouement héroïque ; ils ont écrit la liberté avec leur sang. Hommes intrépides, cendres chères et précieuses, urne sacrée, je vous salue avec respect, je vous embrasse au nom du peuple français, je dépose sur vos restes protecteurs la couronne de lauriers que la patrie et la convention nationale m’ont chargé de vous présenter .Ce ne sont pas des pleurs que nous donnerons à votre mémoire ; l’œil de l’homme n’est pas fait pour ne répandre. Pour qui sont ces larmes ? Serait-ce pour vos parens ou pour vos amis ? Votre renommée les console. Ils se sont dits que vous étiez fortunés de reposer dans la gloire ; ils n’ont jamais pu souhaiter que vous fussiez exempts du trépas, mais dignes d’avoir vécu. Serait-ce pour vous ? Ah ! Combien vous ne avez été heureux ! Vous êtes morts pour la patrie ; pour une terre chérie de la nature, aimée du ciel ; pour une nation généreuse quia voué un culte à tous les sentimens, à toutes les vertus ; pour une république où les places et les récompenses ne sont plus réservées à la faveur comme dans les autres états mais assignées par l’estime et la confiance. Vous vous êtes donc acquittés de votre fonction d’hommes, et d’hommes français ; vous êtes entrés dans la tombe après avoir rempli la destinée la plus glorieuse et la plsu désirable qu’il y ait sur la terre : nous ne vous outragerons aps par des pleurs .

Mais ô nos frères ! c’est en vous admirant c’est sur-tout en vous imitant que nous voulons vous honorer ; et si, comme il est doux de le supposer quand on aime, les morts conservent quelque sentiment pour ceux qui vivent, je viens vous dire, au nom de tous vos amis que vous avez laissés sur le sol de la France, que nous sommes prêts à nous dévouer à votre exemple, impatiens d’atteindre l’ennemi et de continuer votre valeur, afin qu’on dise que vous étiez vraiment nos proches et que votre cÅ“ur s’en réjouisse. Je viens vous dire que nous tâcherons même de vous surpasser ; car si nous ne fesions que consommer le fonds de gloire que vous nous avez léguée, si nos vertus ne luttaient pas avec les vôtres, notre infériorité contristerait vos mânes. La mort moissonne également le lâche et le brave. : quand la destinée nous rappellerait près de vous, comment pourrions- nous supporter votre accueil ? Une voix terrible s’écrierait : Vous combattiez cependant pour la justice et la liberté ! ….Non chers concitoyens, GUERRIERS MAGNANIMES, ! Nous serons dignes de vous ; nous n’aurons à recevoir que vos embrassements, vos éloges ; nous vous aurons vengés : nous raconterons que nos mains ont achevé votre ouvrage ; que vos armes sont invincibles ; que la république triomphe ; cette république qui à elle seule tient tête à tous les tyrans, à toutes les viles passions conjurées, à tous les peuples qui se déshonorent ; cette république que l’humanité a chargé de sa cause et qui doit sauver l’univers.

Telle était la marche , tels étaient les objets et les tableaux offerts aux regards du peuple souverain dans l’inauguration de la république française. Jamais la liberté ne s’était montrée plus auguste aux siècles et aux nations. Le peuple est grand et majestueux comme elle.

Signé , HÉRAULT, président, AMAR LÉONARD BOURDON, J.P. FAYAU ; J.P. AUDOUIN ; THIRION, DARTIGOEYTE, secrétaires,

EXTRAIT du procès-verbal de la Convention Nationale, du 13 septembre 1793, l’an 2° de la République Française, une et indivisible.

La convention Nationale après avoir entendu la lecture du procès-verbal relatif à la cérémonie du 10 août dernier et à l’acceptation de la Constitution décrète qu’il sera imprimé, distribué aux membres de la Convention, au nombre de six exemplaires, envoyé aux départemens, aux districts, aux municipalités, aux sociétés populaires, aux armées et traduit dans toutes les langues.

Visé par l’Inspecteur. Signé BLAUX

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Source :

Constitution de 1793 : ’Acte constitutionnel du peuple français’, précédé du rapport de la Convention et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, suivi du procès-verbal de l’inauguration de cette Constitution du 10 août 1793.

Exemplaire imprimé sur vélin chez Didot Jeune et fait ’à Paris, le onze frimaire de l’an deuxième de la République Française une et indivisible’. 

http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/web/archim/pagination.php?ref=AF-02292&amp ;page=4


Voir en ligne : Constitution de 1793 : « Acte constitutionnel du peuple français », précédé du rapport de la Convention et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, suivi du procès-verbal de l’inauguration de cette Constitution du 10 aoÃ


[1On se rappelle le trait touchant de Biton et de Cléobis, raconté par Hérodote, par Plutarque, et qui a fourni à ces deux historiens un résultat si moral. Ce roi de Lydie, Crésus, dont l’histoire a flétri la barbare opulence, crut que le législateur Solon compterait pour quelque chose et s’extasierait sur son bonheur . Quel est selon vous, l’homme le plus heureux ? demanda-t-il au philosophe. Solon répondit : Tellus, le citoyen d’Athènes, homme de bien, généralement estimé, mort pour sa patrie. – Et après Tellus ? – Tolon répondit : Cléobis et Biton, deux frères qui aimaient tant leur mère qu’un jour de fête solennelle, comme elle voulait aller au temple de Junon ; ses bÅ“ufs tardant trop à venir, ils s’attelèrent eux-mêmes et traînèrent le char de cette mère ravie, dont tout le monde vantait la félicité. Elle supplia les dieux d’accorder à ses enfans ce qu’il y a de meilleur sur la terre. Cléobis et Biton ne se relevèrent aps le lendemain ; une mort douce et tranquille termina leur vie honorée. Comme si les dieux avaient voulu faire connaître, ajoute Hérodote, qu’il n’y a pas de plus grand bien dans la vie que d’en sortir après une action glorieuse.

[2Deux colombes se sont réfugiées dans les plis de la statue de la liberté ,et depuis ce jour, elles y ont fixé leur domicile. Fidèles à ce monument sacré, on les voit s’y retirer tous les soirs. La superstitieuse antiquité serait jalouse d’un pareil trait ; les augures en auraient tiré un grand avantage pour l’aristocratie du sénat ; mais les vrais augures du peuple français sont sa raison et ses droits, bien supérieurs à tous les charlatanismes politiques.