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La misère du peuple sous la réaction Thermidorienne.

mercredi 19 août 2015

La misère du peuple sous la réaction Thermidorienne.

La crise économique s’accentue en cette fin d’année 1794. La Convention revient à la liberté du commerce. En nivôse (fin 1794), le maximum est aboli, aussitôt les prix subissent une hausse vertigineuse ; l’assignat de 100 livres tombe à 3 ; la livre de pain va monter à 60 livres. Le ravitaillement est rationné ; les paysans n’acceptent plus le papier-monnaie. Tout concours à la détresse : inflation, chômage, mauvaises récoltes.

En même temps, la réaction politique s’intensifie : on arrête Barère, Collot, Billaud, (Vadier s’enfuit) en mars 1795. On commence le procès de Fouquier-Tinville, on jette à l’égout les cendres de Marat retirées du Panthéon. Les insurrections de la faim, de Germinal et de Prairial sont un échec.

Jules Claretie [1]dans son ouvrage sur les derniers Montagnards nous décrit la situation.

Extrait des Derniers Montagnards, par Jules Claretie :

« Le peuple, épuisé, las dégoûté de la tragédie, se retire et laisse faire. Il ne combat plus, il méprise. Il assiste, le cœur plein d’amertume, au subit assaut de toutes les places, à l’attaque de fièvre et comme d’hystérie qui s’empare des gens maintenant au pouvoir. Et plus d’idée pour dominer les foules ; une cohue d’agités et de jouisseurs ; chacun pour soi ; l’âpre désir de mordre enfin à la vie large et facile, la soif de volupté, tous les appétits, toutes les ivresses, je ne sais quel matérialisme honteux ; la femme -non- la courtisane dominant le monde ; l’argent, la corruption, l’instinct succédant à la passion ; la folie du plaisir après la folie du patriotisme. Quel contraste ! On s’étourdit, on chante, on parade, on tourbillonne, on rit, on assassine.

Et jamais Paris n’avait peut-être présenté un plus affreux spectacle : toute une ville, le pied de la nécessité sur la gorge, râlant, mourant de faim ; plus d’industrie, de commerce, nul négoce. Voyer le rapport fait à la Convention sur l’état des affaires à cette époque. Nul ne vend, n’achète. Il fallait être riche ou mourir. Plus de pain, et depuis longtemps. Un moment même, pendant l’hiver de 1794-1795, les fontaines étant gelées, Paris s’était trouvé non seulement sans pain, mais sans eau. Les provisions n’arrivaient pas. On les pillait en route, on les volait. Les représentants dépêchés par la Convention pour faciliter l’arrivage des subsistances, coururent le risque d’être étranglés par la populace à Evreux et à Amiens : en province aussi on avait faim. Plus d’une fois les ouvriers parisiens en insurrection descendirent dans la rue en criant qu’ils n’avaient point mangé. Sa maladie (celle du peuple) ; c’était la misère et la faim, l’âpre famine qu’on supportait auparavant, lorsque le luxe devenu honteux se cachait, la famine insupportable aujourd’hui que la réaction semait par les rues les muscadins à cadenettes et les thermidoriennes aux seins nus. Pas de pain, le blé manquait ou disparaissait. Les agioteurs achetaient sur pied toute une récolte. Le pain, qui se vendait en Bretagne trois sols la livres en numéraire, coûtait jusqu’à vingt-cinq sous, et les assignats n’y donnaient point droit. On passait les nuits devant les boutiques de boulangers : l’hiver, on s’entassait aux portes des sections, les femmes, leurs enfants à la main, se mettant parfois de faux ventres pour obtenir le surcroît de ration des femmes enceintes. Un autre sciait devant sa porte son bois de lit, n’ayant plus de bois pour se chauffer. On ramassait au coin des rues de pauvres gens tombés d’inanition, des vieillards, des femmes. Et les muscadins, quand on relevait devant eux quelque affamé qui ne se tenait plus debout, zézayaient en riant un : il est ivre. »

Après l’Historien Jules Claretie, donnons la parole à Sébastien Mercier [2]d’après le Tableau de Paris révolutionnaire (1799) : la disette de 1794 :

« C’est pendant l’hiver de 1794 que la disette de la viande s’est fait sentir à Paris. On vit affluer à la fois et en même temps dans les boutiques des bouchers les femmes de ménage, les cuisinières, les domestiques, etc. la livre de bœuf s’éleva tout à coup depuis dix-huit sols jusqu’à vingt-cinq sols….
À cette désolante pénurie de subsistances se joignait la difficulté plus désolante encore d’avoir du pain. Dès deux heures du matin, les femmes se rangeaient deux à deux sur une longue ligne que le peuple désigna sous le nom de queue.
À peu près dans ce même temps, on remarqua que d’autres queues se formèrent pour l’huile, le savon et la chandelle. Au mois de mai, il y en eut une qui, commençant à la porte d’un épicier du Petit Carreau, s’allongeait jusqu’à la moitié de la rue Montorgueil.
Les ouvriers, l’air morne et les yeux fichés en terre, comptaient en gémissant les heures qu’ils perdaient sans travailler.
À tous ces malheurs, le froid vint encore se joindre ; depuis deux ans, la capitale se chauffait au jour le jour. Le charbon était extrêmement rare ; on a remarqué la singulière exactitude de n’en faire venir qu’un seul bateau à la fois dans chaque port. Il fallait passer trois nuits pour obtenir son tour par numéros. » 
 

Bernard Vandeplas, Docteur en Histoire Contemporaine, Vice-Président de l’ARBR, les Amis de Robespierre [3]

[1Né à Limoges, le 3 décembre 1840.
Il collabora à de nombreux journaux sous plusieurs pseudonymes, notamment au Figaro et au Temps ; il fit la critique théâtrale à l’Opinion nationale, au Soir, à la Presse ; il a abordé un peu tous les genres de littérature ; comme historien, il a écrit l’Histoire de la Révolution de 1870-1871 ; comme romancier, Monsieur le Ministre, Le Million, Le Prince Zilah ; il a été aussi conférencier et auteur dramatique ; président de la Société des Gens de Lettres, et de la Société des Auteurs dramatiques, il est administrateur du Théâtre-Français depuis 1885.
Élu à l’Académie française le 26 janvier 1888 en remplacement d’Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury, il a été reçu le 21 février 1889 par Ernest Renan.
Mort le 23 décembre 1913.( source : Site internet de l’Académie Française)

[2Louis-Sébastien Mercier, né le 6 juin 1740 à Paris où il est mort le 25 avril 1814, est un écrivain, dramaturge, journaliste et publiciste français. Élu à la Convention député de Seine-et-Oise le 14 septembre 1792, le 11e sur 14 par 423 voix sur 673 votants et député suppléant du Loiret, il siégea parmi les modérés. Il fut en couple avec la grande féministe Olympe de Gouges. À partir de 1798, il se tint à l’écart de la politique. Auteur du Tableau de Paris, publié entre 1781 et 1788, et du Nouveau Paris, en 1799, Louis Sébastien Mercier a fondé le réalisme en littérature. Que ces deux ouvrages n’aient jamais été réédités qu’en courts extraits jusqu’à l’édition complète du Mercure de France peut apparaître comme un mystère. Méconnu de l’historiographie républicaine parce qu’il avait fait dans Le Nouveau Paris un violent réquisitoire contre la Terreur révolutionnaire, Mercier a été oublié par l’histoire littéraire parce que son œuvre ne correspondait à aucun genre reconnu.

[3D’autres extraits de documents complémentaires à l’Histoire de la Révolution Française alimenteront le site des Amis de Robespierre.