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L’Histoire au collège

Les programmes vus par un enseignant de Trappes

vendredi 18 septembre 2015, par Nicolas Kaczmarek

[Le GRDS se félicite d’accueillir, dans sa rubrique "Expérimentations", cette seconde contribution de Nicolas Kaczmarek (voir la précédente : http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article139). Professeur dans un secteur réputé particulièrement "difficile", cet historien est en effet très attaché au principe, crucial à nos yeux, d’un enseignement intellectuellement exigeant avec les élèves des classes populaires. Nous remercions le site Herodote.fr, qui l’a initialement publié (voir http://www.herodote.net/ ), de nous autoriser à reprendre ici son témoignage, avec bien sûr l’accord de l’auteur.]

Difficile à un professeur d’histoire-géographie d’échapper à la redondance des débats sur l’enseignement de l’Histoire en France !...

Voici quelques réflexions qui me sont inspirées par sept années d’enseignement dans un collège de Trappes, en banlieue parisienne, et dont j’espère qu’elles rassureront tous ceux qui attendent de l’Éducation nationale une formation exigeante, y compris pour les élèves des quartiers populaires.

Enseigner l’histoire nécessite de faire des choix

Les programmes d’histoire du collège actuellement en application (dans l’attente de la réforme des programmes prévue à partir de 2016) ont adopté le découpage suivant :

- en 6ème : du IVème millénaire av. J.-C. (l’invention de l’écriture en Orient) au IXème siècle après JC (empires carolingien et byzantin),

- en 5ème : du VIIème siècle (naissance l’islam) au début du XVIIIème siècle (règne de Louis XIV),

- en 4ème : du XVIIIème siècles (les empires coloniaux européens) à 1914 (l’Europe à la veille de la guerre),

- en 3ème : de 1914 (Première Guerre mondiale) aux années 2000.

Rappelons que les élèves disposent de 3 heures d’histoire-géographie-éducation civique par semaine (3,5 heures en 3ème) et qu’au programme d’histoire s’ajoute un programme de géographie aussi conséquent ainsi qu’une bonne part d’éducation civique. Le temps réellement dévolu à l’histoire sur une année est en définitive restreint et, face aux vastes périodes à parcourir, il devient indispensable de faire des arbitrages entre les sujets, périodes et thèmes, avec des bonds dans le temps.

Parfois, ces arbitrages sont laissés à l’enseignant, les programmes lui laissant une marge de manœuvre. Par exemple quand est abordé l’affirmation de l’État en France entre le Xème et le XVème siècles (5ème), l’enseignant peut étudier au choix l’action de Jeanne d’Arc, Philippe Auguste, Louis XI ou Philippe IV le Bel. Choisir l’étude d’un personnage implique forcément de délaisser les autres. On entendra donc des figures médiatiques déplorer la disparition de Jeanne d’Arc mais en oubliant de préciser qu’elle s’est faite au profit de Philippe Auguste, personnage central de l’Histoire de France.

Une histoire de France sacrifiée ?

De manière plus générale, les critiques s’accumulent contre l’enseignement de l’Histoire au motif qu’il abandonnerait l’Histoire nationale.

Mais, sauf à s’en tenir à une vision très restrictive de cette dernière, limitée à des rois, une religion et des batailles, l’objectif des programmes est toujours d’aider les élèves à comprendre la construction du pays dans lequel ils vivent. Aussi l’histoire de France garde-t-elle une place importante dans les programmes car elle est indispensable à chacun pour identifier les chemins qui ont conduit à la France d’aujourd’hui.

Cela dit, son étude nécessite de déborder les limites hexagonales. Comprendre la France de l’après-guerre exige d’étudier la guerre froide à l’échelle mondiale (3ème), comprendre les bouleversements culturels en France à partir du XVIème siècle passe par l’étude de la Renaissance italienne (5ème)...

On a accusé les programmes d’avoir fait des incursions dans l’histoire de « contrées exotiques » (la Chine des Han en 6ème, les empires médiévaux africains en 5ème). Plus qu’une prime donnée aux revendications identitaires de quelques minorités, ces chapitres sont l’occasion de rectifier une vision erronée qui finit par s’emparer des élèves. Celle que jusqu’aux conquêtes européennes, le reste de la planète est vide d’humains ou en tous cas de tous traits de modernité. Il y a donc un véritable intérêt intellectuel à un enseignement de l’histoire parfois moins européocentré.

Enseigner l’histoire, pour quoi faire ?

Derrière la critique des programmes, il me semble parfois entendre le souhait que l’Éducation nationale et les enseignants forment une jeunesse patriote amoureuse de la France et de ses grands personnages. Cette promotion du « roman national » devrait se faire au prix de l’abandon des apports de la recherche historique. Nous devrions n’avoir aucun scrupule à élaborer une fiction peu soucieuse des faits au nom de la mission d’édification morale et patriotique de la jeunesse de France. Si l’Instruction publique a pu soi-disant poursuivre cette mission sous la IIIème République, il n’est ni souhaitable, ni réaliste de le reproduire aujourd’hui.

Dans un souci légitime d’honnêteté et de véracité, les enseignants formés à la recherche ne cherchent pas à pointer du doigt des bons et des méchants et ne veulent rien occulter des incertitudes et des hypothèses qui pèsent sur certains domaines de l’Histoire. Il n’y a pas de place pour la repentance et la culpabilisation dans leurs cours.

Parmi les propositions convenues dont les médias se délectent, il y a le retour à de « Grands personnages historiques » auxquels les élèves pourraient s’identifier. Si ceux-ci ont effectivement besoin que l’Histoire soit incarnée, que les protagonistes soient nommés et présentés, cette incarnation peut passer par les écrits d’acteurs plus anonymes : un esclave affranchi (4ème), un rescapé des camps de concentration (3ème)… Jamais je n’ai senti un attachement particulier aux « Grands Hommes ». Les élèves ne recherchent pas dans mes cours des héros auxquels s’identifier et je ne constate chez eux nulle envie de se réincarner en Vercingétorix ou en Napoléon.

Je peux bien passer des heures devant mes collégiens à chanter les louanges de la France éternelle sans susciter chez eux la moindre envie de mourir pour la patrie. Tout comme étudier la diversité des peuples de la planète et leurs interactions pacifiques n’aboutira pas non plus à en faire des « citoyens du monde » prompts à parcourir la planète en sac à dos pour découvrir l’Autre. Et c’est tant mieux.

L’enseignement de l’Histoire est avant tout vu par les élèves aujourd’hui comme un objet scolaire dépassionné avec ses exigences de forme et de fond auxquelles il est nécessaire de se conformer pour obtenir de bonnes notes et poursuivre correctement sa scolarité. Dans le meilleur des cas, cette matière répond à leur curiosité intellectuelle et les pousse à se questionner sur le monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui.

Leur apprentissage de la citoyenneté, leur sensibilité à la justice ou l’injustice, leur attachement à leur famille, voisins, quartier, commune ou région se construit davantage dans leur expérience quotidienne d’enfants face aux adultes, aux camarades, à la télévision ou à internet que dans l’étude de chapitres d’histoire ou même dans des cours d’éducation morale et civique. Il est nécessaire d’en rabattre sur l’ambition du prof d’Histoire et de lui enlever le poids qui pèse sur ses épaules.

L’exigence de la problématisation

On juge aujourd’hui dans les médias de l’efficacité de l’enseignement de l’histoire à la capacité des élèves à répondre « Marignan » quand on leur dit « 1515 » ou à connaître par cœur la date des batailles napoléoniennes. Cette vision de l’enseignement renvoie à une école de l’après-guerre où on exigeait de l’élève des capacités de mémorisation-restitution de savoirs livrés clés en main sous forme narrative ou descriptive par l’enseignant.

Avec la massification de l’enseignement secondaire et la volonté d’élévation du niveau éducatif, l’enseignement a évolué vers une démarche plus active de l’élève. Celui-ci doit analyser des documents, les questionner, extraire des informations pertinentes et établir des liens entre les informations, insérant cette réflexion dans une problématique pour produire une synthèse. Tout l’enjeu pour l’enseignant est d’élaborer, d’encadrer et d’enrichir ce cheminement.

Appliquée à l’enseignement de l’Histoire, cette démarche s’apparente à celle de l’historien. On part d’un questionnement (une problématique) et l’on étudie des sources (des documents textuels, iconographies, statistiques, artistiques...) qui vont être confrontées entre elles pour répondre à cette problématique.

Les informations tirées des documents ainsi que l’apport du professeur qui va globaliser la réflexion permettent de finaliser la réflexion par une trace écrite récapitulant les savoirs que les élèves doivent retenir. Cette démarche apparaît intellectuellement exigeante car elle ne contente pas d’assurer l’empilement des connaissances, empilement qui finit toujours par se déliter, mais veut mêler acquisition de connaissances et acquisition de savoir-faire de manière plus durable. L’objectif est d’amener les élèves à se questionner de façon permanente sur les savoirs enseignés.

Si l’enseignement de l’histoire-géographie a donc une vertu, c’est bien de familiariser les élèves avec cette démarche de questionnement permanente des informations recueillies et de former un esprit critique.

Par exemple, en 6ème, la fondation de Rome est étudiée à travers des extraits du récit légendaire élaboré par Virgile et Tite-Live. Ce récit est mis en relation avec les découvertes de l’archéologie pour faire prendre conscience aux élèves du caractère mythique du récit. On pourra alors discuter avec les élèves du rôle des mythes dans une civilisation et montrer la différence de nature et d’objectif entre la légende et l’Histoire.

Dans le même ordre d’idée, l’étude de Vercingétorix, dont on sait bien peu de choses, n’est pas menée sous la forme d’un récit des supposés faits d’armes d’un grand chef gaulois. On l’abordera plutôt dans le cadre d’un questionnement sur la mise en scène de ses victoires par Jules César dans son récit La Guerre des Gaules. Le professeur s’interrogera donc avec les élèves sur l’utilisation du personnage de Vercingétorix par César à des fins politiques.

C’est en définitive respecter les élèves que de leur livrer un véritable questionnement des connaissances historiques plutôt qu’un récit anecdotique de connaissances joliment emballées mais peu scrupuleuses des faits. Cette démarche exige d’eux de bonnes connaissances de base sans éluder des savoirs a priori plus conceptuels ou abstraits comme les notions de système féodal, d’encadrement des individus par l’Église au Moyen Âge ou d’absolutisme (5ème). Elle est de nature à les armer pour des études longues.

Mon enseignement de l’Histoire

Voici ci-dessous, à titre d’exemple, comment je structure mes cours d’histoire à partir des programmes officiels :

* PROGRESSION 6ème

L’Orient ancien (entre – 3000 et – 2000)
L’invention de l’écriture, la cité d’Ur en Mésopotamie, la cité-Etat, l’invention de l’État.

Le monde grec à partir de -800
L’Iliade et l’Odyssée, la colonisation, les jeux olympiques, la Fête des Panathénées et l’Acropole, les citoyens, l’hoplite à Marathon, une séance de l’Ecclésia, la démocratie, plan et monuments d’Athènes, la Grèce des savants.

Le monde romain du VIIIème avant J.-C. au Vème siècle après
Fondation de la ville, une république oligarchique, les conquêtes, Jules César, Alésia. L’Empereur, l’Urbs, le blé, Nïmes, la romanisation.

Les débuts du judaïsme
L’écriture de la Bible, extraits de la Bible, 70 et le judaïsme rabbinique.

Les débuts du christianisme
Paul de Tarse, la rédaction des Évangiles, Jésus, le christianisme et l’Empire romain.

La Chine des Han

Les empires chrétiens du Haut Moyen âge
Empire byzantin : Justinien, Sainte Sophie, christianisme orthodoxe ; Empire carolingien : Charlemagne, Aix-la-Chapelle, 800, christianisme catholique.

* PROGRESSION 5ème

Les débuts de l’islam du VIIème au IXème siècles
Naissance de l’islam, conquête de l’empire musulman, les textes fondamentaux de l’islam, la partition de l’islam, la création de Bagdad au IXème siècle.

Les paysans et les seigneurs dans le Royaume de France entre le XIème et le XVème siècles
Château fort, chevaliers, la naissance des villages, le fonctionnement d’une seigneurie, la vie des paysans.

Le pouvoir dans le Royaume de France du Xème au XVème siècles
Féodalité, renforcement du pouvoir du roi de France.

L’expansion de l’Occident du XIème au XVème siècles
Les Croisades, la place de l’Église dans la société médiévale, développement du commerce et de la banque (exemple Bruges), le développement des villes (ex : Venise).

L’Afrique subsaharienne au Moyen-Age
Empires médiévaux d’Afrique de l’ouest, commerce, traite transsaharienne.

Les grandes découvertes et les premiers empires coloniaux
Christophe Colomb, voyages de découverte portugais au XVème siècle, conquistadores espagnols en Amérique
Les bouleversements dans les arts, la religion et les sciences en Europe du XVème au XVIIème siècles
Renaissance, Léonard de Vinci, Mariage de la Vierge de Raphaël, peinture flamande, Chambord, protestantisme, concile de Trente, massacre de la Saint Barthélémy, procès de Galilée.

La monarchie devient absolue en France au XVIIème siècle
Henri IV, château de Versailles, Louis XIV et la cour, monarchie absolue de droit divin.

PROGRESSION 4ème

L’Europe dans le monde au XVIIIe siècle
Les empires coloniaux, traites négrières et esclavage.

La remise en cause de l’absolutisme et de la société d’ordres
La philosophie des Lumières, l’indépendance américaine, les difficultés de la monarchie sous Louis XVI, les cahiers de doléances.

La Révolution française (1789-1799)
Révolution des députés, révolution du peuple, DDHC, monarchie constitutionnelle (1790-1792), chute de la monarchie, les sans-culottes, Girondins et Montagnards, la Terreur, le Directoire.

Le développement industriel et ses conséquences au XIXème siècle
Ville de Dickens : Coketown, industrialisation en 1914, chemins de fer, capitalisme, bourgeois / ouvriers, libéralisme / socialisme.

La France de 1799 à 1814
France napoléonienne (Consulat, Empire, affirmation sentiment national en Europe, congrès de Vienne), monarchie constitutionnelle (Restauration, Monarchie de Juillet), Seconde République, Seconde Empire et l’unité allemande, Troisième République (Commune de Paris, symboles républicains, École, Laïcité, conquêtes coloniales, affaire Dreyfus, carte de l’Europe en 1914)

PROGRESSION 3ème

La Première Guerre mondiale : vers une guerre totale (1914-1918)
Les phases de la guerre, la violence de masse (guerre de tranchées Verdun, génocide des Arméniens), la révolution russe (Lénine) et la vague de révolutions en Europe, le traité de Versailles (Clemenceau) et la nouvelle carte de l’Europe. (Otto Dix, Les joueurs de skat, 1920).

L’entre-deux guerres en URSS, en Allemagne et en France
Le régime soviétique ; le régime nazi ; 1919-1920 : la fin de l’union sacrée, Congrès de Tours, 6 février 34, le Front populaire.

La Seconde Guerre mondiale
Les phases militaires de la guerre, la bataille de Stalingrad, les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : août 1945, l’action des Einsatzgruppen, un exemple de camp de la mort : Auschwitz ; La défaite de 1940, le régime de Vichy, la collaboration avec l’Allemagne nazie, la Résistance ; la Libération, le programme du CNR, droit de vote des femmes, Sécurité sociale.

Histoire politique du monde depuis 1945 et ses conséquences sur le monde des années 2000
L’ONU ; La guerre froide en Europe : la situation de l’Allemagne et de Berlin, dans le monde, la construction européenne, la Chute du Mur et la fin de l’URSS ; La décolonisation : la Guerre d’Algérie ; Le monde d’aujourd’hui.

LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE JUSQU’À AUJOURD’HUI
De Gaulle, mai 68, la fin des Trente Glorieuses, la place de l’immigration, la contraception et l’IVG, Mitterrand, l’alternance, Chirac.

LES ÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES DEPUIS 1914
L’exemple des évolutions de la médecine et leurs impacts sur la société.


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