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Bruno Decriem : Un regard du « Monde » sur Robespierre.

(Bruno Decriem : « Le Monde » looks at Robespierre)

lundi 25 juin 2018

Cet article décapant publié dans un journal à forte notoriété est au final très intéressant car non seulement il fixe les enjeux historiques, mémoriels et politiques de plus de deux cents ans de « Robespierre » mais il les rattache aux débats politiques et sociétaux d’aujourd’hui.

(This delightful article, published in a famous newspaper, is ultimately very interesting because it not only pins down the historical, commemorative and political issues of more than 200 years of « Robespierre », but links them to today’s political and societal debates.)

Bruno Decriem, membre du Comité de l’ARBR

En français

UN REGARD DU « MONDE » SUR ROBESPIERRE.


Un ami m’a envoyé fin 2015 un article d’un journal qu’on dit particulièrement sérieux et intellectuel « Le Monde ». N’étant pas lecteur régulier de ce journal réputé, je fus pourtant intéressé par la teneur de cet article de bonne facture intégralement consacré à Robespierre. Il est extrait du « Monde diplomatique » numéro 740 de novembre 2015 et s’intitule : « Deux siècles de calomnies Robespierre sans masque. » [1] L’auteur, Maxime Carvin précise immédiatement la signification de son titre. La reconstitution contestable du « vrai visage de Robespierre » en décembre 2013 avait comme principal objectif de montrer aux gens d’aujourd’hui que Robespierre avait « une tête de coupeur de tête ». L’antirobespierrisme s’étale devant nous dans ces pseudo-reconstitutions, ces jeux vidéos ( Assassin’ Creed Unity : tout un programme), ces revues historiques contre-révolutionnaires de vulgarisation ( Historia de septembre 2011) et ces philosophes démagogues et complaisants à l’égard des médias et des pouvoirs (Onfray).
L’auteur nous rappelle que tout cela n’est pas nouveau et que la « légende noire de Robespierre » remonte à la Révolution elle-même et qu’elle s’est perpétuée depuis le 9 thermidor pour des motifs essentiellement politiques. L’excellent ouvrage de Marc Belissa et Yannick Bosc, Robespierre La fabrication d’un mythe [2] l’explique parfaitement en décortiquant les évolutions et les adaptations de cette légende noire. L’auteur analyse également avec pertinence les motivations des attaques de Furet contre Robespierre (Le « dérapage » de 1793, La Terreur et le totalitarisme) visant à promouvoir le libéralisme ainsi qu’à discréditer l’expérience soviétique du XXe siècle par des parallèles erronés et grossiers.

Et pourtant, malgré cet antirobespierrisme durable, forcené et protéiforme, l’intérêt pour Robespierre ces dernières années ne s’est pas démenti et s’est même renforcé auprès du public. L’auteur cite de nombreux livres en retirage ou en réédition (Robespierre, reviens ! [3], Robespierre portraits croisés [4], la conspiration pour l’Égalité, dite de Babeuf de Buonarotti, Histoire socialiste de la Révolution Française de Jaurès) avec, en point d’orgue, la réédition en onze volumes désormais des œuvres complètes de Robespierre par la Société des Études Robespierristes ainsi que la publication d’une nouvelle biographie par l’universitaire Hervé Leuwers [5] qui se veut plus scientifique et plus objective que bien d’autres qui la précédent.

Gérard FROMANGER : ROBESPIERRE, l’atelier de la Révolution,1988-1989. (Illustration de l’article du Monde)

Maxime Carvin tente lui-aussi, à sa façon, de répondre à la fameuse question de Marc Bloch : « Pourquoi alors cet acharnement ? Il y a derrière son nom et son action quelques principes irréductibles et qui dérangent. » Il rappelle les combats de Robespierre durant la Révolution Française : un révolutionnaire qui défend la cause du peuple, qui lutte sans cesse contre l’aristocratie de l’argent, contre le suffrage censitaire, contre le cumul des places, contre la loi martiale qui s’exerce contre le peuple qui souffre et qui a faim, contre la guerre, pour la limitation de la liberté du commerce, pour subordonner l’intérêt privé à l’intérêt public, pour le contrôle renforcé des représentants. L’auteur insiste aussi sur la modernité de ces combats et livre, c’est sans doute le principal apport de cet article, quelques réflexions sur la pensée et l’action de l’Incorruptible pouvant se rattacher à notre époque : « Robespierre est devenu le symbole de la Révolution dans sa phase radicale et populaire. » Il n’est naturellement pas question de l’exonérer des mesures révolutionnaires de l’an II mais « Face aux périls qui menaçaient la République, il s’est rallié à la politique de la Terreur, il n’en a jamais été le seul responsable, ni même le plus ardent. » Pour lui « Il n’y a ni démocratie ni liberté sans égalité. » La République doit être « exigeante, démocratique et sociale. » La période révolutionnaire est en ce sens unique par sa participation populaire et elle inquiète tous les possédants et les gouvernants qui lui succèdent. Cette inquiétude explique en grande partie la création de la « légende noire » de Robespierre : « Son nom désigne un moment de politisation massive, d’intervention populaire et d’invention sociale sans précédent, un moment dont les régimes ultérieurs s’efforceront de conjurer le souvenir. » Et l’auteur de terminer sur cette interrogation qui justifie d’elle-même les fondements de notre association de l’ARBR : « Qui peut prétendre qu’un tel homme n’a plus rien à nous dire ? » Ce qui fait aujourd’hui la modernité de Robespierre, c’est l’invitation et l’incitation à continuer ses combats : « Se réclamer de Robespierre, c’est d’abord rappeler que la Révolution n’est pas terminée. »

On peut toutefois déplorer que l’auteur, doctorant en sciences sociales se cache derrière un pseudonyme qui n’aura pas échappé au lecteur, Maxime Carvin ! Nous n’en connaissons pas les raisons mais il n’y a pas à notre sens de robespierrisme honteux ! Cet article décapant publié dans un journal à forte notoriété est au final très intéressant car non seulement il fixe les enjeux historiques, mémoriels et politiques de plus de deux cents ans de « Robespierre » mais il les rattache aux débats politiques et sociétaux d’aujourd’hui.

In English

« LE MONDE » LOOKS AT ROBESPIERRE


At the end of 2015, a friend sent me an article from Le Monde, a particularly serious and intellectual newspaper. Not being a regular reader of this famous paper, I was nevertheless interested in the content of this well-crafted article entirely devoted to Robespierre. It is taken from The Diplomatic World, # 740, November 2015, and is entitled : « Two centuries of slander : Robespierre unmasked. »[1] The author, Maxime Carvin, immediately clarifies the meaning of his title. The questionable reconstruction of « Robespierre’s real face » in December 2013 had the main aim of showing people today that Robespierre had « the head of a headsman ». Anti-Robespierrism spreads itself before us in these pseudo-reconstructions, video games (Assassin’ Creed Unity : the whole programme), counter-revolutionary popular historical magazines (Historia, September 2011) and demagogic philosophers complacent towards the media and the powers that be (Onfray).

The author reminds us that none of this is new ; that the « black legend of Robespierre » goes back to the Revolution itself, and has been perpetuated since 9 Thermidor for essentially political reasons. The excellent work by Marc Belissa and Yannick Bosc, Robespierre : La fabrication d’un mythe[2] explains this perfectly through analysing this black legend’s evolutions and adaptations. The author also makes pertinent analysis of the motives of Furet’s attacks on Robespierre (The « dérapage » of 1793, La Terreur et le totalitarisme) aimed at promoting liberalism as well as at discrediting the 20C Soviet experiment with false and clumsy parallels.

And yet, despite this lasting, ferocious and protean anti-Robespierrism, interest in Robespierre has not faltered in recent years and has even grown stronger with the public. The author cites many books in reprint or new editions (Robespierre, reviens ![3], Robespierre : portraits croisés[4], Buonarotti’s La conspiration pour l’Égalité, dite de Babeuf, Jaurès’ Histoire socialiste de la Révolution Française) with, as its culmination, the reissue, now in eleven volumes, of Robespierre’s complete works by the Society for Robespierrist Studies, as well as the publication of a new biography by the academic Hervé Leuwers,[5] which is more scholarly and objective than many of the others which preceded it.

Gérard FROMANGER : ROBESPIERRE, l’atelier de la Révolution,1988-1989. (Illustration de l’article du Monde)

Maxime Carvin also tries, in his own way, to answer Marc Bloch’s famous question : « Why then this obduracy ? Behind his name and action are some irreducible and disturbing principles. » He recalls Robespierre’s struggles during the French Revolution : a revolutionary who defends the cause of the people, who constantly fights against the aristocracy of money, against restricted suffrage, against the accumulation of positions, against the imposition of martial law on suffering and starving people, against war, for limiting free trade, subordinatinge private interests to public ones, for stronger control of representatives.

The author also insists on the modernity of these struggles and delivers, in what is undoubtedly the article’s main contribution, some reflections on how the Incorruptible’s thought and action can relate to our time : « Robespierre became the symbol of the Revolution in its radical and popular phase. » There is naturally no question of exonerating him from the revolutionary measures of Year II, but « Faced with the dangers threatening the Republic, he rallied to the policy of Terror, [but] he was never the only one responsible, nor even the most ardent. » For him “there is neither democracy nor freedom without equality.« The Republic must be “demanding, democratic and social. » The revolutionary period is in this sense unique for its popular participation, and it worries all the propertied and governing classes who come after it. This anxiety largely explains the creation of Robespierre’s « black legend » : « His name designates a moment of mass politicisation, popular involvement and unprecedented social innovation, a moment the memory of which later regimes will struggle to exorcise. » And the author concludes on this question which vindicates the foundations of our ARBR group : « Who can claim that such a man has nothing more to tell us ? » What makes Robespierre’s modernity today is the invitation and incentive to continue his struggles : "To quote Robespierre is first of all to recall that the Revolution has not ended.”

One can, however, regret that the author, a PhD student in social sciences, hides behind a pseudonym that will not have escaped the reader : Maxime Carvin ! We do not know his reasons, but Robespierrism is nothing to be ashamed of ! This delightful article, published in a famous newspaper, is ultimately very interesting because it not only pins down the historical, commemorative and political issues of more than 200 years of « Robespierre », but links them to today’s political and societal debates.

Bruno DECRIEM

Ouvrage cités : voir les notes


Voir en ligne : L’article de « Maxime CARVIN »


[1Le monde diplomatique numéro 740, novembre 2015, 28 P. « Deux siècles de calomnies Robespierre sans masque » par Maxime Carvin, P. 3 ( Toutes les citations sont extraites de cet article)

[2Belissa (Marc) et Bosc (Yannick) : Robespierre La fabrication d’un mythe, Éditions Ellipses, 2013, 557 P.

[3Corbière (Alexis) et Maffeïs ( Laurent) : Robespierre, reviens !, Éditions Bruno Leprince, 2012, 126 P.

[4Biard (Michel) et Bourdin (Philippe) : Robespierre Portraits croisés, Éditions Armand Colin, 2013, 285 P.

[5Leuwers (Hervé) : Robespierre, Librairie Arthème Fayard, 2014, 458 P. ( Réédition poche, Fayard/Pluriel, 2016, 456 P.)